Han apprécie la période off durant le début de l’été et en même temps, le patinage artistique rythme tellement son quotidien pendant une grande partie de l’année que c’est parfois difficile à gérer. Il en profite pour se concentrer sur ses études, passer plus de temps avec ses amis, sa famille, Hayden… Il s’entraîne toujours, mais c’est moins intense et il reste en Corée du sud pendant plusieurs semaines d’affilées. Ce qui plutôt rare entre septembre et décembre quand les compétitions s’enchaînent. Ensuite, vient le temps du championnat national sud-coréen, puis des championnats du monde, les Jeux-Olympiques s’il s’agit d’une saison Olympique. Jusqu’à mars, il s’entraîne encore énormément, à raison de plusieurs heures par jour tout au long de la semaine, parfois sans jour off. De mars à début juillet, il est plus tranquille. Il reste à Séoul, c’est à cette période qu’il est souvent sollicité pour des contrats publicitaires, pour faire du mannequinat, participer à des émissions diverses. Puis durant l’été, viennent les spectacles sur glace auxquels il participe, plutôt en Corée du sud et au Japon, donc il reste dans les environs.

Aujourd’hui, il a l’impression d’être un étudiant normal. Il avait cours ce matin, puis il a déjeuné avec Seok Won, qui a repris plus tôt que lui. Le soleil brillant dans le ciel, Han en a profité pour sortir avec ses affaires de dessin. Il aime s’installer dans un coin peu fréquenté du campus et croquer les personnes qui passent. Ça l’occupe… Il n’a pas beaucoup d’occasion de s’adonner à cette seconde passion quand il est focus sur les compétitions. Alors qu’il allait commencer un nouveau dessin, une jeune femme s’installe non loin du patineur. Il a toujours préféré dessiner des portraits, des personnes bien vivantes plutôt que des paysages, travailler les émotions et les expressions du visage, c’est ce qu’il préfère. Alors sans trop se poser de question, il commence à la dessiner. Cela pourrait peut-être paraître bizarre, mais comme elle ne le saura jamais… Han ne fait rien de mal après tout, c’est juste pour l’art qu’il fait cela. Enfin… C’était sans compter sur le vent qui commence à se lever.

Il a déjà bien avancé son portrait, mais quelque chose le dérange. Il laisse son dessin un instant pour fouiller dans sa trousse et récupérer sa gomme. Il fixe toujours son papier avec une pince sur son support, mais il n’a pas été assez consciencieux aujourd’hui. Un coup de vent fait s’envoler sa feuille… Ironie du sort, elle atterrit non loin de la jeune femme assise à quelques mètres de là. Si elle récupère cette feuille, elle se reconnaîtra forcément et Han est déjà terriblement gêné…

Après toute une matinée passée dans un amphithéâtre mal éclairé à écouter votre professeur vous rabâcher en long et en large l’histoire des œuvres et des courants artistiques, il est désormais temps pour toi d’aller profiter un peu du soleil, Emi. C’est donc après avoir rapidement fourré tes affaires dans ton sac et fait une petite halte par la cafeteria pour te remplir un peu la panse, que tu décides d’aller te balader sur le campus.

Cet après-midi, tu n’as pas grand-chose de prévu dans ton emploi du temps, si ce n’est ce petit cours portant sur la dramaturgie en fin de journée. Et si t’avais en tête d’aller brûler quelques calories dans la salle de danse du bâtiment des arts, histoire de faire passer le temps jusque-là, tu te dis finalement que tu pourrais trouver un petit banc quelque part sur lequel flâner et, pourquoi pas, te taper une petite sieste. Après tout, entre les cours, la danse et les récents castings que tu as passés, tu mérites bien un peu de repos. D’ailleurs, et alors que nombre d’étudiants se pressent pour aller assister à leur premier cours de l’après-midi, tu repères un banc qui vient de se libérer, dans un coin un peu à l’écart de tout passage, et tu t’empresses d’aller t’y installer.

« Parfait ! » Le sourire aux lèvres, tu fermes les yeux et penches légèrement la tête vers l'arrière, profitant de la chaleur des rayons sur ton visage. Et cela dure plusieurs minutes pendant lesquelles tu finis même par somnoler un peu, bercer par cette petite brise qui commence doucement à se lever. Malheureusement, ce moment de répit touche finalement à sa fin quand ton portable se met à vibrer fortement. Et alors que tu te mets à gigoter sur ton banc pour l'extirper de la poche de ton pantalon, une feuille A4 sauvage vient se poser tout près de toi. Assez près, tout du moins, pour que sans même te lever de ton banc et juste en te penchant légèrement, tu parviennes à la ramasser. Et sur le moment, tu es bien plus préoccupée par sa provenance que par ce qui se trouve dessus, jetant quelques regards autour de toi pour trouver son propriétaire. Tu parviens d'ailleurs assez rapidement à l'identifier, trousse en main, et alors que celui-ci te regarde de son air ahuri, tu te lèves de ton banc pour aller lui rendre son dû. « Il me semble que cette feuille t'apparti... » Mais tu ne termines pas ta phrase, ton regard s'étant machinalement – il était temps – arrêté sur ce que contenait cette feuille, alors que tu marchais vers lui. « Oh~ Mais ? C-C'est moi ? » Bien vu, Sherlock !

Han a toujours préféré dessiner des personnes bien vivantes ou des animaux. Il ne dénigre pas la beauté de certains paysages, mais il n’a pas l’impression de leur rendre justice et il a la sensation qu’il manque quelque chose… Ce n’est pas rare qu’il observe ce qui l’entoure et qu’il dessine un animal qui passe par là, que ce soit un chien promené par son maître ou un écureuil qui a fait une apparition furtive entre deux branches. Il immortalise aussi les portraits de personnes qu’il croise sans forcément les connaître. Elles ne le sauront jamais après tout. C’est sans doute mieux comme ça, il pourrait passer pour quelqu’un de bizarre sinon et Han n’y tient pas. Cependant, aujourd’hui la météo semble contre lui. Le vent se lève soudainement, faisant voler ses feuilles. Ne jamais faire confiance à la météo. Il devrait pourtant le savoir, il n’a pas oublié toutes les fois une averse torrentielle est tombée alors qu’il devait rentrer de la patinoire à pieds, puis en bus… Cette fois, c’est le vent qui souffle sa feuille aux pieds d’une étudiante quelques mètres plus loin. Rien de bien méchant, elle pourrait juste lui rendre son dessin et chacun repart à ses occupations. Sauf.. Qu’il s’agit de la jeune femme qu’Han a décidé de dessiner. Il ne la connaît pas. Si elle reconnaît les traits de son visage, elle va le prendre pour ce qu’il n’est pas.

Il blêmit lorsque la jeune femme lève les yeux pour trouver à qui appartient cette feuille volante. Il est le seul à avoir un attirail de dessin et un crayon dans la main… Elle ne va pas avoir de difficulté à trouver. Elle se lève et s’approche lentement du patineur. Trop lentement, ou alors c’est la panique qui fait tambouriner son cœur qui lui donne cette impression. Avec un peu de chance elle ne remarquera rien. Faites qu’elle ne remarque rien… Il prie intérieurement, mais le dieu du patinage artistique n’est pas de son côté aujourd’hui. Elle a remarqué… Han a une furieuse envie de disparaître. Elle va le prendre pour un fou, pour un stalker…

- Je-

C’est tout ce qu’il est capable de dire sur le coup alors que la jeune femme arrive à sa hauteur. Comment est-ce qu’il explique ça ? J’aime bien dessiner des personnes que je ne connais pas et que je croise dans la rue, mais promis je ne suis pas un tueur en série. La panique le fait dérailler.

- Je préfère dessiner les portraits et comme tu n’étais pas loin…

Est-ce que ça fait de lui quelqu’un de moins bizarre ? Il aurait pu dessiner son petit-ami, sa cousine, son meilleur-ami… Sauf qu’il connaît ces visages par coeur tant il est dessiné, Han cherche un peu de challenge… Il y réfléchira davantage la prochaine fois.

Un petit coup de vent légèrement traite, et voilà que tu te retrouves à scruter les alentours à la recherche de cette personne dont le dessin vient de s'échouer à tes pieds. Et si, au début, t'avais juste l'intention de le lui restituer sans autre forme de procès, afin de retourner rapidement à ta pseudo sieste, ton visage se couvre de surprise à la vue du modèle choisi par le dessinateur. C'est que tu ne t'attendais pas à découvrir ton visage sur cette feuille de papier. Et pendant plusieurs longues secondes, qui doivent paraître une éternité pour le jeune homme qui te fait face, un silence s'installe alors que tu continues d'observer le dessin, ta bouche s’entrouvrant légèrement dans un « o » d'étonnement au fur et à mesure de tous les détails que tu découvres. Pour sûr, l'inconnu t'a certainement observé pendant un bon moment pour réussir à te dessiner ainsi... Et pourtant, une fois la surprise passée, c'est un léger sourire qui vient doucement étirer tes lèvres.

D'autres, peut-être, auraient trouvé cela louche à ta place. Mais pas toi – à tort ou à raison, allez savoir – Toi, tu es plutôt flattée... Cependant, quand ton regard vient de nouveau se poser sur le jeune homme, et alors que tu t'apprêtes à le complimenter pour son dessin, tu te rends compte que celui-ci semble mal à l'aise. Tu le devines à ce regard paniqué qu'il te lance et au ton de sa voix, légèrement agité. « Oh~ vraiment ?! » que tu t'exclames alors, plus étonnée de l'entendre se justifier qu'autre chose. « Bah écoute, c'est la première fois qu'on me choisit en tant que modèle, alors je t'avoue que j'étais un peu surprise en voyant ton dessin. Mais c'est vraiment super bien fait ! » Et tu ne dis pas ça pour lui faire plaisir. Jetant d'ailleurs un nouveau coup d’œil sur le dessin, tu reprends sur un ton amusé : « J'ai même l'impression d'être plus jolie sur ton dessin, qu'en vrai ! » Réalité ou non, tu le penses sincèrement. Alors, sans hésiter, et tandis que ton regard se charge de cette petite lueur suppliante, tu finis par demander : « Ça te dérange si je le garde ? »

Han ne sait plus où se mettre. Il ne veut pas passer pour une stalker… Il a juste pour habitude de dessiner les personnes qu’il croise, sans pour autant les connaître. La nature est magnifique, mais il préfère dessiner des personnes bien réelles, et comme il est impossible d’inventer complètement un visage, il s’inspire de son entourage. Cependant, dans la plupart des cas, les personnes concernées ne sont jamais au courant, ou font partie de ses proches, et dans ce cas-ci, c’est beaucoup moins étrange… Han n’a pourtant pas envie d’arrêter. L’imagination débordante, il se plaît à inventer une vie aux personnes qu’il dessine. Non seulement, ce coup de vent à emporter son dessin, mais en plus il fallait qu’il atterrisse aux pieds de la jeune-femme qu’il avait choisi. Pourquoi elle ? Il n’y a pas de raison particulière, c’est juste qu’il l’a remarqué en premier…

- Merci… il répond, les joues toujours rouges de honte. Je ne suis que dessinateur amateur, mais ça me fait plaisir.

Han… Toujours a dénigré ses véritables compétences. Certes, le dessin n’est qu’un passe-temps pour le patineur, mais il est indéniablement doué dans le domaine. La remarque de la jeune femme ne fait que le gêner davantage. Han ne se permettrait pas de faire une quelconque remarque sur son physique. La beauté n’est qu’une notion subjective après tout et le patineur la trouve plutôt mignonne. Sans arrière-pensée, ce n’est pas son genre et son cœur est déjà pris.

- Ah non, pas du tout, tu peux le garder, ça ne me gêne pas.

Après tout, il la dessiner sans son autorisation, c’est la moindre des choses, non ?

- Tu ne trouves pas ça… Bizarre ? Je veux dire… On ne se connaît pas… Et je t’ai dessiné…

Son malaise se trahit dans le ton de sa voix. Visiblement, la jeune femme ne trouve pas cela étrange puisqu’elle ne lui a fait aucune remarque… Han se demande comment il aurait réagit si les rôles avaient été inversés. Il aurait peut-être pensé que l’artiste l’avait reconnu… Est-ce que ça l’aurait dérangé ? Pas forcément… On pourrait presque croire le début d’un scénario de film. Un Ghibli comme il les aime… Ce serait un beau scénario, non ? Une jeune femme qui rencontre un artiste un peu marginal qui se révèle avoir le don de donner vie à tout ce qu’il dessine ? Ok, ça y’est, son imagination s’emballe.