On me dit souvent que je suis quelqu’un de complexe et que je ne suis pas le genre de personne que l’on cerne juste par un regard. Je le prends comme un compliment. J’apprécie le fait qu’on ne puisse pas lire en moi comme dans un livre ouvert. J’aime avoir mes petits secrets, rien qu’à moi, et les garder bien enfouis là où personne ne les trouvera jamais. Mais ça ne m’empêche pas d’être quelqu’un de sociable, au contraire. J’aime le contact humain et j’adore être entouré de monde. Certains me décrivent comme un Bisounours mexicain, et je dois avouer que cette image me fait bien rire. J’ai souvent droit à la même réflexion aussi, comme quoi ma maladresse et ma tendance à me perdre dans mes pensées me rendent adorable. Si maintenant renverser du soda sur une chemise blanche ou marcher dans une crotte de chien par inadvertance est mignon, c’est assez bizarre mais bon, d’accord. On me reproche d’être trop collant, de faire trop de bruit, de parler beaucoup trop mais pour tout vous dire, je m’en fous. Je suis comme je suis, et j’aime qu’on me remarque. Mais au fond, je suis bien plus que cette image du type toujours heureux, un peu débile et qui aime tout le monde. Je sais que beaucoup de choses chez moi peuvent engendrer des sentiments plus ou moins négatifs chez les personnes qui m’entourent. Tout de suite, je pense au fait que je sois assez à cheval sur la propreté. Hm oui, pour être honnête, la moindre tâche peut me mettre dans tous mes états et je peux devenir absolument infecte quand quelque chose me dérange. Un de mes pires défauts est sûrement que je critique beaucoup, me cachant parfois derrière la franchise mais que je n’accepte pas qu’on me reprenne sur ma façon d’être et qu’on me dise quoique ce soit sur la façon dont je vis ma vie. (Les seules personnes que j’ai jamais autorisé à faire cela sont maintenant très loin.) Enfin. Je suis quelqu’un qui aime tous les petits plaisirs qu’offre la vie et je ne m’en prive pas. S’il faut jouer un double-jeu ou mentir sur sa personnalité pour être heureux dans ce monde, moi, je le ferais.

Couché sur mon lit, plongé dans le noir, les yeux dans le vague, j’essaye de deviner les formes qui se dessinent autour de moi. C’est ainsi que je trompe l’ennui, ainsi que je passe le temps. Temps qui me paraît s’écouler au ralenti, temps dont je n’ai plus aucune notion réelle. Depuis combien de jours suis-je enfermé dans cette chambre ? Sont-ce seulement des jours, des semaines et bien des mois ? Je ne sais pas, je ne sais plus, je ne sais rien. Mes pensées se mêlent et s’entremêlent pour créer un véritable tourbillon de nœuds, un champ de bataille. De nombreuses questions se bousculent à mes lèvres, mais les réponses ne me conviennent pas. Je ferme les yeux, cherchant le calme, mais les voix de mes parents me parviennent, comme un chuchotement, indistinctes. Et je n’ai pas besoin de les entendre pour comprendre qu’ils parlent de moi. Ils détestent ce que je suis devenu, détestent avoir l’objet de leur échec sous les yeux, je peux le voir, le deviner aux regards emplis de déception et de colère qu’ils me lancent. Des murmures me parviennent et je souhaite déjà les oublier, je ne veux pas les entendre parler des sacrifices qu’ils sont prêts à faire pour se débarrasser de moi, de la vermine. Mais je reste là, haïssant cette curiosité malsaine qui me pousse à écouter, à souffrir.

Abandonné, forcé à l’exil. Voilà où j’en suis, à quoi je suis réduit. Le visage collé au hublot de l’avion, j’observe l’océan de nuages se profiler sous mes yeux, la tête vide de toute pensée. Le verdict était tombé une semaine plus tôt. Pour les pêchés que j’avais commis, je me devais de quitter mes parents, mes amis, mon pays, ma ville. Partir loin pour tout recommencer, avoir la chance d’un nouveau départ. Leur meilleure solution était donc de m’envoyer vivre quelques temps chez ma grand-mère, en Corée. Et j’en avais besoin. Besoin d’oublier qui j’étais ici. Besoin de me reconstruire là-bas. Je ferme les yeux et chasse mes sombres pensées. Je ferme les yeux et disparais.

Immobile, je laisse mon regard glisser sur les bâtiments qui se dressent devant moi. Les mains dans les poches, je regarde sans vraiment les voir les personnes qui passent devant moi, la tête ailleurs, la tête dans les airs. Cela fait déjà dix ans que je suis parti du Mexique, dix que je suis parti pour reprendre ma vie en main. Serais-je même devenu un homme complètement différent ? Je ne sais pas. Je ne me sens pas capable de l’affirmer, peut-être par peur de réaliser le contraire… Au fond, je sais que je ne changerai jamais complètement, tenter de croire le contraire était une erreur. Je me devais de faire des efforts pour mes parents, pour qu’ils n’aient plus honte de m’appeler « leur fils ». Mais parfois, la vie me semble artificielle, comme un jeu, un stratagème pour arriver à ses fins. Et ça me plaît. Jouer ce double-jeu, mentir sur mon passé et penser être une bonne personne, c’est agréable, on y prend goût. Notre existence dans ce monde, notre existence sur cette terre est trop courte, bien trop pour que les regrets et les mauvais moments viennent l’entacher. Alors je les ignore, fais comme s'ils n'avaient jamais exister, efface les erreurs du passé, pour vivre librement, pour vivre heureux.