On ne choisit pas qui on est, ni qui on deviendra. On le croit, pourtant. On pense avoir le contrôle de tout ce qui nous entoure, et surtout de nous même. Mais chaque jour, il y a des petits détails qui nous rappellent qu’on ne fait pas ce que l’on veut ici, dans l’humanité. On nait, et notre destin est déjà tracé, c’est la fatalité. C’est comme ça. Et cela, on le comprend seulement lorsque que quelque chose de conséquent nous oblige à nous en rendre compte. Sinon, on reste là, borné, les yeux fermés, comme si on ne voulait pas nous avouer à nous même qu’on n’a aucun pouvoir. Je ne pense pas être la seule malade mentale ici. Peut-être qu’en réalité, tout le monde est mégalomane. Peut-être qu’en réalité, c’est moi qui suis normale, et les autres qui ont un boulon qui a pété. Mais ça ne marche pas comme, dans leur monde, dans le votre. Ce n’est pas aussi simple que dans le mien, et c’est quelque chose que je ne comprends pas. J’aimerai être celle qui est normale, pour une fois, et pas celle qui est atteinte de psychose de trouble bipolaire. En fait, j’aimerai que cette maladie ne soit pas devenue tout ce que je suis, si elle voulait être là, j’aurai préféré qu’elle soit qu’une partie de ce que je représente. Mais ce n’est pas le cas, et c’est devenu mon identité, ce qui me rend malade. Je ne suis plus moi, je n’ai plus de “moi”. Je suis une psychose. Un fouillis de tout de rien qui forme une tornade instable dans mon crâne.

J’aurais aimé vivre avec le même cerveau innocent et normal tout ma vie. Étant petite, j’ai toujours vécu aux crochets de quelqu’un. Mon frère, ma mère, mon père, les domestiques. J’étais plutôt adorée, j’étais joyeuse, aimable et modeste. Je débordais d’amour et j’avais de grands projets, je voulais devenir aussi riche. A l’époque, j’étais déjà un peu bizarre je crois bien, je faisais rire mes proches avec mes propos qui sortaient tout droit d’un autre monde. J’ai beaucoup lu, surtout des histoires fantastiques, je le fais toujours d’ailleurs. C’est quelque chose de très important pour moi, et croyez le ou non, mais je crois tout ce que je lis. Je ne dirais pas que je suis naïve mais j’ai cette appréhension qu’un jour un homme dans une boîte bleue va venir me chercher, ou que je recevrais une lettre de Poudlard. Ensuite est venue cette maladie. Je suis de ces exceptions qui contractent  ce genre de maladie mentale très tôt. Ça a commencé quand j’avais onze ans, si je me souviens bien. Je suis psychotique, comme on dit. Atteinte de trouble bipolaire. Et ce n’est pas la même bipolarité que tu utilises pour qualifier ta pote enceinte qui pleure alors que t’as fait une blague. Non.

On en vient donc au vif du sujet, à quoi je ressemble tous les jours ? Qu’est ce que mes colocataires sont obligés de subir ? Une tornade. Une grande malade, déjà que de base, je pense que niveau normalité je suis au plus bas, mais en plus avec ça, je vous le dis, je ferai fuir un prêtre. Il faut savoir que mon état s’est largement empiré depuis ces huit dernières années. Question de logique. Donc ce qu’il faut savoir, c’est que je suis proie à des “crises”. Je vis en étant ballottée entre deux extrêmes, chez moi c’est tout ou rien, sans qu’il y ait un facteur extérieur. Je ne connais pas le juste milieu, et c’est fatiguant. Je suis soit maniaque, ce qui signifie une humeur plus que haute ou dépressive lorsqu’elle est basse. Il m’arrive parfois de ressentir les deux en même temps, ce qui fait de moi une personne relativement instable socialement. Toutes mes émotions, mes ressentis sont décuplés et je n’ai jamais de phases d’humeur neutre, ou normale, comme les gens possédant un cerveau relativement stable au niveau de l’humeur. Ma personnalité a du peu à peu laisser place à ces symptômes qui ne me laissent pas le temps d’exprimer qui je suis à cause de leur intensité. Lors de mes périodes d’hypomanie/maniaque, je suis totalement euphorique, très irritable et sensible et je présente des symptômes de trouble de la personnalité borderline et de schizophrénie. Je suis sujette à des délires plutôt intenses qui sont généralement de type complot. J’ai arrêté de faire confiance aux gens il y a bien longtemps à cause de ça, car c’est une idée qui m’est restée dans la tête. C’est pour cela que j’ai l’air sociable mais en même temps inaccessible. J’essaie de faire en sorte de rester une personnalité abstraite pour qu’on ne m’approche pas trop.Il faut dire que j’ai aussi développé de la mégalomanie, cela n’aide pas vraiment au fait de se dire qu’on n’est pas seul au monde.

Ca c’était pour l’épisode “joyeux”, les épisodes dépressifs ne le sont pas autant et m’épuise mentalement. Ils entraînent des troubles de l’appétit, une personnalisation, de l’anxiété, de l’isolement, des délires et des hallucinations. Tous ces effets secondaires ont bien sûr un impact sur ma personnalité que je n’ai pas remarqué. Étant constamment dans les deux extrêmes, je suppose que ma personnalité s’est adaptée même si, comme vous le voyez, je suis persuadée que cette maladie est devenue tout ce que je suis, mais ce n’est pas le cas. Bien sûr que ça a eu un effet, et un effet plutôt inattendu. Je suis devenue une personne forte, je me bats intérieurement pour ne pas devenir un automate défaillant. J’ai toujours cet optimisme et même dans les périodes les plus sombres, et c’est pour cela que la plupart du temps, mes périodes de dépression ne dure pas plus de trois semaines/un mois. La plupart du temps je suis maniaque. Je garde une personnalité très facile a vivre et qui pourrait donner le sourire à n’importe qui et je garde cet esprit joyeux, tout au fond. Une sorte de lumière qui ne s'éteint pas et qui me rappelle que ça ira mieux demain, ou après demain. J’ai laissé tomber l’idée de me faire soigner, j’ai grandi avec ce désordre dans ma tête et mon awkwardness sociale, si du jour au lendemain je deviens stable, je ne m’en sortirai pas.

Je suis cette fille qu’on connaît parce qu’elle cri, elle bouge, rien n’a l’air de l’atteindre même si joie de vivre de l’extrême la fait paraître comme une gentille petite fille sensible. Je suis extrêmement franche, un peu trop, je ne me gêne pour dire ce que je pense, et je parais insensible, alors on n’ose pas me renvoyer la balle. On sait déjà que ça n’aura aucun effet. Je suis hyperactive et tout le temps à la recherche d’une chose à faire, mon cerveau se veut un peu con et complètement barge, ce qui donne une combinaison improbable avec un corps qui dit oui à tout. Parce oui, il s’avère que je suis folle à lier. Mais dans le bon sens, si on met de côté la super schizophrénie dont je fais preuve. Je suis capable de tout, je m’amuse tout le temps, j’aime les idées loufoques et j’ai une imagination débordante, comme vous avez pu le remarquer. Je vis littéralement dans un autre monde, celui des séries, des livres, des jeux vidéos et des films. C’est un environnement qui me va à merveille,  je me sens en sécurité quand je regarde un film d’horreur et la mort de mon personnage dans Tekken me fait fait plus d’effet que la faim dans le monde ou la mort de ma tante. Tout ça m’a rendu un peu violente. Je suis agressive et je n’ai pas de self-control, je ne réfléchis pas avant d’agir et c’est un reel problème pour la société, mais pas pour moi. J’aime cette spontanéité dont je fais preuve quand quelqu’un me saoule et que je lui mets un pain dans le nez. Parce que chez moi, tout est exagéré et décuplé. Je peux faire preuve d’un grand stratégisme pour avoir ce que je veux, mais je n’ai aps cette image de “bitch sans coeur”, parce que je fais dans la discrétion.

Pour finir, il faut savoir que même avec ce malaise social qui me paralyse, au fond, je veux être entourée. Et je reste une personne très fidèle et solidaire. Je serais capable de tout pour défendre une personne en vaut la peine, ou qui me montre de l’affection, parce que cela n’arrive pas souvent.

Kalyani, de mon nom complet, Ali Uma Gongseo Kalyani, je suis née en Inde, d’un père indien et d’une mère nord-coréenne, d’où mon physique un peu atypique. J’ai vécu cinq ans en Inde dans un immense palais coloré, j’ai toujours eu ce que je voulais, mais mes parents étaient de très bonnes personnes et m’ont appris très tôt la modestie. De ce que je me souviens, j’ai été heureuse dans cette période, dans ce palais, avec les domestiques, mes parents et mon frère. J’ai presque oublié, j’ai un grand frère, de pas loin mon ainé. On a la même mère mais pas le même père, le sien est chinois. Ce qui explique pourquoi on ne se ressemble pas du tout, il a pris tous les traits asiatiques mais pas moi, le côté indien ressort beaucoup trop. J’ai juste hérité de la peau blanche. Cheong Xue Fang. J’ai toujours eu une relation compliqué avec lui, mais lorsqu’on était petits, cela restait soft. Enfin bref, tout ça pour dire que le peu de temps que j’ai passé en Inde reste de très bons souvenirs. J’ai jamais eu de mauvais souvenirs en fait, quand j’y pense.

On a déménagé à Hongkong lorsque j’avais six ans, pour mon frère. La vie coloré et joyeuse qu’on avait en Inde me manquait un peu, on avait emmenagé dans un grand building, certes notre appartement était gigantesque mais ce n’était pas notre palais entouré d’arbres et de piscines. J’ai eu du mal à m’y faire mais je ne disais rien, je n’étais pas une gamine difficile, je prenais ce qu’on me donnait sans raler.  Ensuite j’ai toujours vécu en Chine jusqu'à il y a un an. Notre vie à Hongkong fut plutôt mouvementée. J’ai beaucoup suivi mon frère malgré le fait qu’il me déteste, je me suis beaucoup soucié de lui, cependant lui avait d’autres choses en tête. Je ne sais pas ce qui pouvait bien le tourmenter, mais je savais que quelque n’allait pas et je comprenais aussi peu à peu qu’il regrettait ma naissance. C’est quelque chose qui m’a beaucoup touché et attristé parce que j’ai aimé mon frère. Je me suis accrochée à lui comme un koala à son arbre, je l’ai aimé, je lui ai fait confiance. Je peux dire que le point important de mon histoire c’est mon frère, et ma maladie. Ce que je suis devenue à cause de ces deux facteurs. Il a côtoyé Ahn Dewei très longtemps. Dès que nous sommes arrivés en Chine, en fait, ils se sont connus très tôt, et ces deux garçons sont devenus le centre de ma vie. Je gravitais autour d’eux et lorsque j’en avais marre de leur courir après, ils se mettaient à graviter autour de moi. C’était un cercle vicieux, finalement on ne se lâchait jamais. J’essayais autant que je pouvais de les suivre dans leurs délires vraiment bizarres, j’étais innocente. Et je suis tombée malade. Mon frère a profité de ça. J’ai commencé à aller de moins en moins dehors, je ne pouvais plus le suivre, alors il restait à la maison pour m’emmerder. Littéralement.  J’en ai vu de toutes les couleurs avec mon frère, je l’ai détesté comme je l’ai aimé, et notre relation reste toujours aussi abstraite.

Il m’a pris comme une proie, quand il a commencé à grandir, il m’a réellement detesté, et me l’a fait comprendre. Il savait qu’au fond je l’aimais et il réussi à faire de moi sa victime. Je n’ai jamais voulu le suivre dans sa débauche, je résiste et il déteste ça, il n’arrive pas à totalement avoir le contrôle sur moi. J’ai essayé de me détacher de lui, je suis peu à peu devenue la personne que je suis aujourd’hui, totalement indépendante, dans un autre monde, mais il y a toujours cette chose qui me rattache à lui. Il a commencé à devenir légèrement proche physiquement de moi, ce qui rendait mal à l’aise mes parents, et ça allait de plus en plus loin sans franchir la limite. Aujourd’hui encore c’est le cas, et je n’arrive pas à lui dire non. Il est ma faiblesse, mais il est le seul qui peut me comprendre comme je suis. C’est pour celui qu’il est le point phare de ma vie.

Après ça, nos parents nous ont envoyé en Corée du Sud afin qu’on puisse vivre dans notre (presque) culture de base, et qu’on se débrouille. Ils ont un peu obligé mon frère à venir avec moi étant donné qu’ils ne voulaient pas me laisser toute seule avec tout ce à quoi je suis sujette. Même université, même fraternité, même dortoir, tout cela me fait intérieurement très peur. J’ai passé du temps à essayer de me détacher de lui, et on en revient au point de départ. Il est en quelque sorte mon tuteur ici, et je ne sais pas si c’est une bonne chose.

Aujourd'hui je suis des études de médecine, je suis un peu la loufoque de la promo. Mon rêve est de devenir interne dans un grand hôpital et rencontrer des poissons du pénis.