Ces derniers temps, Sejun y pensait. C’était une idée qui venait dans sa tête, le chatouillait et repartait. Enfin, pas totalement. Elle restait un peu. Et surtout revenait vite. C’était bizarre d’y penser autant. Lui, il était plutôt le genre à avoir la tête vide parce que la tête trop pleine, c’était fatiguant. Se vider la tête en marchant, en jouant, en fumant. Se vider la tête et oublier. Mais elle, elle restait là.
Ces derniers temps, Hwang Bomi occupait étrangement ses pensées. Bien sûr, il y avait Toggo. Il pensait beaucoup à lui et c’était moins bizarre de penser à ce chien qu’il considérait un peu comme le sien. Et quand il pensait à Toggo, il pensait aussi à Bomi. Mais parfois, il n’y avait que Bomi.
Il l’entendait rire, il songeait à la douceur de son sourire, à leur vacance improvisée dans ce camping, à ce qu’il s’y était passé. Il pensait à l’air triste qui s’était doucement évaporé. Alors, il y repensait. Lui faire un cadeau. Une bêtise. Rien d’important. Il avait plus ou moins loupé son anniversaire alors, ça pourrait faire office de rattrapage.
Il s’alluma une clope. C’était bizarre d’y penser et en même temps… Bomi lui avait offert plus d’une échappatoire ces derniers mois. Si ça avait un lien, il n’en était pas sûr, mais il avait l’impression que son père ne lui avait pas gueulé dessus depuis un moment. Une nuage de fumée se forma au-dessus de son visage. Il faisait froid mais il trainait encore dehors. Le quartier était moins habituel pour lui toutefois. Une rue de boutiques de toutes sortes. Peut-être qu’il trouverait l’inspiration. Et en même temps… Qu’était-il supposé lui offrir ?
Ses yeux balayèrent les enseignes. Des bijoux, des fringues, des accessoires…. et alors, il aperçut celle-ci, plus sombre, voire dissimulée. Un magasin de jeux rétro. Machinalement, il se rapprocha de la vitrine pour en découvrir les maigres expositions. De toute évidence, le trésors se cachait à l’intérieur. Il eut une dizaine de secondes de réflexion, le temps d’écraser sa clope… et il poussa la porte du magasin.
Il pouvait bien prétendre qu’il trouverait le bonheur de Bomi dans cette boutique mal éclairée, il se mentait un peu. Quoique… Elle avait bien un pyjama pokémon.

Il parcourut les rayons, s’enfonça entre les étages un peu bordélique. L’ambiance lui plaisait. C’était comme une immense chambre d’ados. Ca sentait le jeu et la sueur. Cool.
Il repéra bien vite la section qu’il cherchait. Derrière les vieilles consoles - il s’arrêta sur un exemplaire de Gameboy Advance SP qu’il n’avait jamais vraiment eu, n’ayant que 2 ans à sa sortie - se trouvait un rayon consacré aux premiers jeux Pokemon. Ses yeux scintillèrent d’excitation. Il y avait quelques titres qu’il avait fait sur un émulateur comme la version Verte, ou encore Or. Il repéra un exemplaire de Rubis et Saphir, lesquels il avait plus ou moins fait grâce au remake sur Nintendo 3DS. Et soudain, emballé dans un petit paquet de plastique, triomphant comme une relique sacrée… la version Jaune. En son centre, s’exhibait fièrement le gros pikachu, l’original, le mythique, celui qui suivait le dresseur dans son aventure avant même que le dessin animé voit le jour. Le coeur de Sejun s’emballa. Jamais il n’y avait joué. Il n’en avait vu que des vidéos sur internet. Il lui suffisait d’acheter une gameboy et d’essayer… L’origine des origines !
Il tendit la main mais au lieu de rencontrer le plastique, ses doigts en trouvèrent d’autres. « … ? » Face à lui, un garçon venait de poser sa main dessus, en même temps que lui. Il ne connaissait pas son visage mais il s’en fichait parce qu’il allait lâcher sa trouvaille et le laisser repartir avec… « C’est à moi, » déclara Se Jun avec l’assurance d’un homme qui venait d’acheter avec le coeur. Et ses doigts se refermèrent sur sa prise. Seulement le jeu lui résista… « Lâche. »

Ses airpods dans les oreilles, il rentabilise depuis peu son nouvel investissement. Auparavant, il écoutait principalement sa musique avec un vieux baladeur cd. Mais entre-temps, Moon Guwon a vécu un traumatisme. Si évidemment, le format était une contrainte pour accéder à certains morceaux, c’est surtout la réaction d’un morveux dans le bus qui l’a vexé. Oui, lui qui a tant côtoyé d’ enfants dans le cadre des colonies de vacances, il n’a pas su garder son sang-froid cette fois. Lui ? Un ringard ? Il rumine encore un peu chaque jour à ce souvenir. Alors, il augmente le volume quitte à perdre un sacré bout d’audition. Il déambule dans les rues, ses mains dans les poches de sa veste en jean en fronçant les sourcils pour se donner un charisme dont personne ne peut douter. Ce morceau de rap le transcende, un peu malgré lui. Ce n’est pas du bon vieux hip hop comme il l’aime, mais plus cette chanson rythmée qui rentre malheureusement dans votre tête. “ *ue ta mer sous la cannebiese, n*que tes morses sur le vieux porc. “ Bien sûr qu’il s’y croit quand il pense chanter correctement, surtout depuis qu’un groupe de touristes français l’a hypé comme jamais. Les cris ont résonné dans toute la rue quand le coréen a fait un signe des mains assez populaire dans le sud de leur cher pays du romantisme… Au même titre que ses douces paroles, d’ailleurs.

Enfin, Guwon ne perd pas le nord. Il est peut-être concentré sur sa musique, il ne néglige pourtant pas les boutiques du quartier. Parfois, il est possible de trouver des magasins dignes d’un trésor de pirate. Il ne sait pas ce qu’il cherche, quoique si. Son sourire s’agrandit d’excitation quand il aperçoit une vitrine très alléchante. Le contenu à l’intérieur n’est pas ridicule. Il retire ses airpods, voulant se plonger dans l’atmosphère très gaming de cette boutique. Des génériques et des bandes son qui l’ont accompagné sur plusieurs heures de jeu, il inspire un grand coup. Le bonheur ne se résume pas à grand-chose, pense-t-il avant d’être touché par la folie. Est-ce qu’il a une illusion optique ? Impossible que de son perchoir, un jeu mythique brille de mille feux. Comment ça se fait ? Est-ce que c’est à vendre ? Est-ce que le gérant de la boutique se vante d'exposer cette œuvre d’art ? Oh, son coeur accélère au même rythme que sa cadence. Il se dépêche pour le voir de plus près. Son sourire ne le quitte plus, même quand un autre garçon semble être dans le même état d’esprit. Ce jeu est pour lui. C’est évident. C’est son destin et personne ne se mettra plus longtemps entre eux deux. Même ce petit gars dont l’assurance ne présage rien de bon. “ Ah ouais ? Appelle le vendeur pour voir ? T’es bien trop heureux pour un gars qui ne va pas manger pendant dix ans. “ Au fond, Guwon serait sûrement dans le même état, même si ses économies disparaissent du jour au lendemain. “ Lâche toi. Tu devrais déjà être content de l’avoir à peine effleuré. “ Et il tire un peu dessus, histoire de marquer son territoire. Bientôt, il lèvera la patte contre un arbre. “ Pikachu m’a choisi. “

Dans le magasin, la musique de fond changea. On entendit un thème de Street Fighter et, presque, les acclamations de la foule en 8bits. Se Jun n’y preta pas attention. Il avait le regard planté dans celui de son adversaire. Un voleur de la plus basse espèce qui comptait s’emparer de sa trouvaille. S’il avait été un chien, il aurait grogné. Ses doigts raffermirent leur prise sur le jeu. « Pas besoin de l’appeler, je vais aller le voir pour acheter ce jeu. Alors lâche. » Son ton était toujours calme, quoiqu’un peu menaçant. Se Jun ne lâcherait pas mais a priori, l’autre garçon non plus. Pour qui se prenait-il ? Il ne pouvait pas connaître la valeur de ce jeu autant que lui. Il n’y avait pas plus nerd de pokemon que lui dans cette foutue ville, il en était certain. Il se lamentait même de ne pas être né à la bonne époque pour en avoir connu les débuts gamin. Mais il pouvait exaucer ce souhait désormais… avec cette cartouche et une gameboy, ce rêve lui était accessible. Mais il fallait que ce rappeur de pacotille lui fasse obstacle. « T’as pas la tête à savoir allumer une gameboy. Va danser dans la rue et laisse moi acheter ce qui est à moi.  » Il tira un peu plus sur le jeu avant qu’un ricanement nerveux ne s’échappe de sa bouche à sa dernière phrase. C’était peut-être bien un nerd…. mais c’était peut-être aussi une coïncidence et de toute façon, Se Jun n’avait pas l’intention de céder : « Ouai ? Et à part ce bon vieux Pikachu, j’paris que t’es pas capable de me citer plus de trois Pokémon. Starter interdits. Je céderais pas cette précieuse relique à un faux fan qui va sûrement la vendre à un prix fumeux sur un site douteux. » Se Jun présumait beaucoup mais Se Jun voulait cette cartouche plus que n’importe qui.

Héros d’un shonen, tous les regards sont braqués sur le musicien, qui dans sa générosité sans faille, offre un spectacle de musique. Il entend, malgré ses airpods, les soupirs d’un public déçu de le voir terminer sa prestation pour entrer dans une boutique de geek. En accumulant les expériences, Guwon connaît désormais toutes les bonnes adresses de Séoul. Finalement, il ressemble un peu à ce personnage principal qu’est Sacha. Lui aussi, il vient de la cambrousse et maintenant tout le monde le craint depuis qu’il réside sur Séoul. C’est donc avec cette pensée et les yeux très brillants qu’il aperçoit le Saint-Graal dans une vitrine. L’objet est placé en hauteur, peut-être pour éviter les mains indélicates mais aussi pour justifier de sa valeur. Le TOP 1. Il est prêt à appeler Onyx pour rejoindre son précieux. Il n’a peur de rien, même du vaurien à côté de lui, qui casse complètement son délire. Des gens ont perdu leurs dents pour moins que ça. Guwon est prêt à se servir des siennes pour croquer les doigts maladroits qui tâchent l’objet vintage. Leurs regards électriques se croisent et le duel commence. “ J’attends ce moment depuis toujours. Crois-moi, tu seras le premier à lâcher. “ C’est l’épreuve des poteaux ? Par chance, l’étudiant a eu le temps de dévorer un petit truc avant de débarquer. Il pourrait même déstabiliser son adversaire en chantant à tue-tête. De quoi le rendre fou… Car Guwon a beau être un chanteur, il se forcera sans rechigner pour chanter faux. “ Par-don ? “ Il se met à rire, quelque peu nerveux. Bien sûr qu’il sait allumer une gameboy. C’est lui le roi du vintage. Ce n’est pas possible d’avoir croisé la route d’un tel ignare. “ Je suis surpris que tu saches prononcer le nom de cette console correctement, dès le premier essai. “ Chance du débutant, sûrement. Il lève les yeux au ciel. “ Tu rigoles, j’espère ? N’importe qui peut citer plus de trois Pokémon. C’est un classique. Ne sous-estime pas ce chef d'œuvre. “ Il ne mérite pas cette cartouche s’il sous-estime autant le pouvoir de Pokémon. “ Tu parles à un type qui est capable de faire le Poké-rap. Toi, t’as qu’à me citer la première génération des Pokémon dans le bon ordre et sans bégayer. “ Et bientôt, ils vont sortir la règle pour déterminer qui a la plus grosse ? Les coqs se battent et vont bientôt s’arracher les plumes. Il lève le menton pour se donner des airs hautains, alors qu’il est le plus petit des deux.