tenue | Curiosité sans fin, voir voir et revoir des films. Les thèmes sont variés, le dernier le plus récent est le sport. Tu te fixes des objectifs de sujets à regarder, parfois en avance sur le programme scolaire.
Ce sujet là, tu l’as toujours mis de côté parce que t’es pas si sportive que ça Nara, du sport t’en fais à peine. Tu dirais même que tu te maintiens en forme. Amatrice de randonnées, tu es servie dans la capitale pourtant tu ne t’y intéresse pas plus que ça au sport. T’en regarde pas à la télé, t’aimes bien sortir les soirs de match mais plutôt pour filmer ou photographier, les règles faut pas te les demander.
Tu viens de finir le dernier film de ta liste sur la thématique. A un moment fallait bien t’y mettre et faut bien avouer qu’il y a une certaine esthétique dans toute cette culture physique. Un coup dans le cœur pour le patinage artistique, t’ira pas jusqu’à suivre tout ça mais un coup d'œil ici ou là pourquoi pas. T’as même une soudaine envie depuis quelques jours qui te lâche pas; vilaine rengaine ...

Alors ce soir c’est le grand soir; te voilà à la patinoire. L’appareil photo sur l’épaule, un seul objectif autant pour le boîtier numérique que pour toi: photographier patineuse ou patineur; qui le voudra bien. Tu pourrais venir à un autre moment mais le cerveau et le palpitant disent que le moment c’est maintenant. Bien qu’il fasse nuit, tu t’es là, à t’avancer sur la glace vers un jeune homme qui s’y trouve aussi. Tu l’interpelles au loin pleine d'assurance. « Bonsoir, excuses-moi … » T’es pas sûre qu’il t’entende alors tu t’avances un peu plus, sans patins, t’avais pas prévu d’aller aussi loin « Désolée de te déranger, je me présente … » Tu te présentes pas, tu tombes, le regard vers lui lâche juste un « Oupsie. » Sourire gêné, t’es clairement pas une personne maladroite à la base.
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Les cours sont terminés depuis plusieurs heures. Ses étudiants ont déchaussé leurs patins et séché leurs lames, puis se sont éclipsés de la patinoire. Yuma, lui, est resté. Il avait besoin de se retrouver seul à seul avec sa vieille ami, la glace. Ami ou ennemi ? Tout dépend des jours et de son humeur. Il a réalisé ses plus grands rêves des patins aux pieds et encaissé ses plus lourdes chutes. Ce sport qui l’a porté jusqu’au sommet des podiums, lui a brisé les ailes. La pression, la célébrité, le perfectionnisme d’un sportif… Un cocktail détonnant, qui, sur le long-terme, a été fatal pour sa carrière. Depuis les Jeux-Olympiques de 2018, Yuma s’est retiré des compétitions. Du jour au lendemain, suscitant stupeur et curiosité. Il avait tout pour lui. Il était le patineur le plus côté de son pays, dans sa catégorie. En prenant en compte le fait qu’il a son actif deux médailles d’or olympiques consécutives, il pourrait se targuer d’avoir été l’un des meilleurs dans son sport tout court, mais Yuma est du genre modeste. Après cet arrêt brutal des compétitions, il s’est aussi retiré de la sphère publique, refusant toute interview, conférence de presse, intervention quelconque ou même des invitations à des spectacles sur glace. Il avait mieux à faire. S’occuper de sa santé par exemple, avant que ses idées noires ne l’emporte. Tout cela explique sa réaction en apercevant une jeune femme sur la glace, un appareil photo sur l’épaule. Il la de suite prise pour une fan ou une journaliste un peu trop zélée.

Il profitait d’un moment seul pour reconnecter avec ce sport qu’il a eu envie d’abandonner, mais qu’il ne pourra jamais laisser derrière lui. Que Yuma le veuille ou non, le patinage artistique, c’est une partie entière de son existence. Bien entendu, en arrêtant les compétitions et les entraînements intensifs, il a perdu en capacité. D’autant plus qu’une hospitalisation et des problèmes de santé autant mentale que physique, sont passés par-là entre-temps. Il a surtout perdu en endurance, c’est ce qu’il ressent le plus. Sa technique sur la glace et son exécution des différents sauts et figures feraient pâlir d’envie bien des patineurs en devenir. Yuma ne l’avait pas entendu arriver. Il n’a pas perdu son habitude de patiner avec des écouteurs dans les oreilles. Jamais sans musique, c’est son credo. En l’apercevant, il se rapproche de la cloison qui entoure la piste, là où il a posé son téléphone. Il coupe la musique et retire ses écouteurs. Son regard froid et perçant se pose à nouveau sur la jeune femme. Yuma ne vient même pas l’aider à se relever. Sa présence est loin d’être la bienvenue.

- Qu’est-ce que vous faites là ? Qui vous a autorisé à entrer ?

Probablement personne. Yuma a l’habitude d’être ici. Il connaît les horaires du gardien. Il est seul ce soir. Enfin, normalement, il devrait être seul. Il se rapproche lentement, mais laisse une distance entre eux.

- Qui êtes-vous ?

En plus de s’introduire dans la patinoire, Yuma la trouve bien impolie dans sa façon de s’adresser à lui. Il ne la connaît pour autant qu’il sache.

- Si vous êtes venue pour une interview, c’est non. Vous feriez mieux de partir avant que je ne prenne la peine de signaler votre présence ici.

Ses paroles pourraient paraître prétentieuses. Il n’en est rien. Yuma n’a pas la grosse tête. Seulement, il n’a que trop l’habitude de la presse, intrusive et, pour certains, sans une once de compassion pour leur « proie », tant qu’il y a un bon article ou des photos qui vont se vendre à la clé. S’il a déménagé en Corée du sud, c’est justement pour fuir les journalistes de son pays, il ne pensait pas qu’à l’étranger on prendrait la peine de le déranger autant...  
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tenue | Les iris sombres qui suivent les mouvements du patineur et les pas sur la glace qui te guident vers lui. Les pupilles qui observent déjà la scène. Scène qui se dessine dans la boîte crânienne: chorégraphie qui ferait une bonne série de plusieurs photographies dont la plus cinématographique serait sélectionnée. Celle devant laquelle ont se ferait tout une histoire, scénario qu’on imaginerait du début à la fin en un regard. Juste une image pour imaginer un passé, un présent et un futur au jeune homme vers lequel tu avances.

Des mots, plusieurs tentatives d’attirer l’attention, en vain jusqu’à une chute sur la piste. Le cerveau qui s’arrête de penser, comme un appareil photo qui n’aurait plus de batterie au mauvais moment. La gêne, pas l’habitude d’être gênée en tant normal. Pas de sentiments d’insécurité à sortir des sentiers battus, peut être que la tu t'aventures trop loin. (au sens propre comme au sens figuré) L’attention du jeune homme est attirée, la réaction n’est pas celle attendue. Dans un silence, se remettre sur ses pieds sans la moindre aide et retrouver l’équilibre. Accueil aussi froid que le regard qu’il te lance, rester de marbre, regarder froidement aussi. Au loin, la politesse. « Personne. Probablement comme vous. » A vrai dire, tu n’en sais rien, tu réponds du tac au tac avec la seule certitude qu’il n’y a plus de gardien à cette heure-ci .

Le jeune homme se rapproche, tu l'observe, le détaille rapidement. Tu ne le connais pas, physionomiste tu te souviendras si tu l’avais déjà vu. Cette entrée en matière, tu en oublierais presque pourquoi tu es là. Tu ne comprends pas pourquoi il te parle d’interview, pourquoi ta présence à toi devrait être signalée, tu n’as rien fait de mal. Tu es confuse, un peu perdue mais n’en laisse rien paraître. Tu t’avances d’un pas, le regard moins froid mais la parole toujours aussi directe. « Je m’appelle Im Nara, étudiante en huitième année de cinéma. Je fais partie du club de photographie. Je n’ai aucun rapport avec le journalisme et j’ai encore moins une tête de journaliste. Pas besoin de se mettre dans cet état. »  Finalement, tu ranges ton appareil photo dans sa sacoche, tu n’es pas de ces photographes qui prennent des photos sans autorisation. « J’étais juste là pour faire des photos à titre personnel rien de plus, maintenant je peux savoir qui est la personne qui veut me dénoncer ? » Avant de partir, tu veux savoir qui se trouve devant toi et pourquoi en si peu de temps la situation est devenue si tendue ? (L’est elle vraiment ?)
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Avec le temps et la forme de harcèlement que Yuma a subit au Japon de la part d’une poignée de journaliste, il est devenu intransigeant. Pour son bien, pour se protéger, il n’aime pas mettre tout le monde dans le même panier, toutefois, il n’a pas eu le choix. Son retrait des compétitions à surpris, il peut l’entendre, d’autant plus que sa blessure n’était un secret pour personne, bien que minimisée aux yeux du grand public. Certains ont eu envie de savoir, ont eu espoir de déterrer un scoop vu la popularité qu’il entretenait dans son pays natal. Il était un symbole dans le monde du sport japonais, double médaillé d’or consécutif aux Jeux-Olympiques et tout un tas d’autres titres à l’international. Son palmarès en faisait pâlir d’envie plus d’un et laissait rêveurs les athlètes qui le côtoyaient. Malheureusement, une trop grande popularité pour parfois certaines personnes à ne plus remarquer les limites qu’il ne faut pas franchir. Il était presque traité comme une star, alors qu’à ses yeux, il n’était qu’un sportif qui excellait dans son domaine. Il n’a jamais compris cet engouement. Il était talentueux certes, mais pourquoi lui ? La popularité grandissante du patinage artistique en tant que sport n’a probablement pas aidé à calmer les esprits, la diffusion de Yuri On Ice ! au Japon non plus. C’était amusant quand il était plus jeune, mais au fur et à mesure de sa longue descente en Enfer, Yuma n’a plus trouvé cela drôle du tout. Il n’a jamais été du genre à s’étendre sur vie privée, il a toujours fait la distinction entre sa vie sportive et sa vie personnelle, même plus jeune. Aujourd’hui, c’est encore pire. Il se protège autant qu’il peut par peur de voir ses secrets les plus inavouables dévoilés.

La réponse de la jeune femme ne le pique pas. Yuma n’a jamais couru après la célébrité. Être en présence de quelqu’un qui ne le connaît pas et qui n’a jamais entendu parler de lui est plus rassurant, mais peut-il lui faire confiance? Le patineur fronce les sourcils. Une étudiante en journalisme ? Il ne se souvient pas l’avoir déjà croisé, mais la Yonsei est grande et compte de nombreux étudiants, ce n’est pas si surprenant. Sur le moment, Yuma s’en veut de s’être emportée si rapidement. Il a trop l’habitude d’être sur la défensive lorsque l’on braque un appareil photo dans sa direction. Il reste néanmoins méfiant.

- Pourquoi venir faire des photos ici ?

Elle n’était pas censée pouvoir entrer. La patinoire n’est pas ouverte au public à cette heure, c’est bien pour cela qu’il vient patiner, à l’abri des regards. Être professeur de patinage artistique à la Yonsei lui donne certains avantages. Être une ancienne étoile montante de la discipline aussi, mais il préfère laisser ce pan de sa vie de côté.

- Miura Yuma, professeur à la Yonsei et patineur artistique, il se présente brièvement. La patinoire n’est pas ouverte au public sur cet horaire.

Il la toise une nouvelle fois. Yuma a encore quelques réserves, mais sa curiosité est piquée.

- Je peux savoir pourquoi une étudiante en cinéma souhaite prendre des photos ici ? Qui est ton enseignant ?

Au moins, il pourra essayer de corroborer la version de la jeune femme après coup… Il ne connaît pas tous les enseignants de l’université, mais il pourra toujours se renseigner. Il soupire et ajoute malgré sa méfiance.

- Pardon d’avoir été sur la défensive.

Il ne s’attarde pas sur le sujet. Il n’en a pas envie et cette gamine n’a pas besoin de le savoir. Son coréen s’améliore de jour en jour, il n’a pas eu le choix en arrivant à Séoul. Il a appris sur le tas et progresse rapidement. Ce qui lui pose surtout problème, c’est le vocabulaire et sa prononciation de certains mots trahit inévitablement ses origines étrangères.
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