Tu retrouvais ta liberté sur les toits ; tu n'étais pas spécialement prisonnière du monde en bas non plus mais tu te sentais moins légère. C'était comme si l'air y était trop lourd. Comme s'il était plus amer, plus sec. Comme s'il te brûlait les poumons à chaque fois qu'il venait les chatouiller. Ici, tout semblait plus doux. Plus tendre. Peut-être que tu avais l'habitude d'y croiser Keeho et qu'il t'apportait cette bouffée d'air frais dont tu avais cruellement besoin. T'oublias beaucoup de choses en sa présence. T'oubliais Gayoung, le reste. Tu profitais, tu t'amusais, tu respirais. Comme quand tu dansais. L'étudiant était une danse à lui-même, mêlant plusieurs styles, apportant énergie, vigueur mais aussi tendresse et douceur. Tu aimais venir sur les toits, t'y échappant pour fuir le reste et ne penser qu'au pas suivant. Reprendre l'entraînement du jour, de la veille, revoir des pas, tenter d'en créer d'autres. Tu t'amusais tellement que tu ne voyais souvent pas le temps passer. C'était un peu le cas, alors que tu dansais et que les secondes défilaient. Tu te laissais emporter, le sourire léger, te laissant bercer par l'envie. Que ce soit celle d'être libre, de vivre ou d'être juste toi, juste heureuse. Tu suivais chaque émotion, les dessinant dans tes gestes, laissant les sentiments faire vibrer ton corps jusqu'au bout des doigts.

Un bruit te détourna de ton attention alors que tu coupais le geste, brisant brusquement le tableau que tu peignais pour te retourner. Les pupilles se mirent alors à chercher la silhouette de Keeho pour découvrir celle de Jude. Aucunement déçue, le coin de tes lèvres se leva à sa vision et tu t'approchas directement de lui. « Bonjour Jude ! », lâchas-tu, presque émerveillée, encore un peu perdue dans le rêve, la danse, le reste. « Comment tu vas ? Qu'est-ce que tu fais ici ? Tu es venu pour moi ? », que tu l'interrogeas dans un rire discret, les pommettes bien rebondies, réellement contentée de le croiser ici. « Je pensais que c'était Keeho mais t'en fais pas je suis aussi très contente que ce soit toi hein », tu agitas la main, gardant le sourire, te dandinant vaguement. Tu gardas le silence ensuite, observant simplement la vue, l'esquisse presque nostalgique. « Ca fait du bien de monter sur les toits pas vrai ? », et tu fermas les yeux pour profiter de ce petit vent frais qui venait te lécher les joues, un souffle apaisé t'échappant.
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Dire que pendant des années, la danse classique a été son carburant, un rêve à réaliser, une échappatoire… Avant de le briser avec presque autant de passion. À l’adolescence, un âge où on commence à être conscient de son corps, du regard des autres… Où on commence à se construire, à être, parfois, sévère envers soi-même. Pour Jude, cette période a été compliquée. Évoluer quotidiennement dans des salles de danse, au trois-quart recouvertes de miroir, dans laquelle on se compare avec les autres ou les professeurs le font à notre place. Les années passant, Jude a commencé à ne plus pouvoir affronter ces comparaisons, le regard des autres, son propre regard sur son corps… D’autant plus que l’univers de la danse classique est cruel… Il faut être fin pour que ce soit esthétique, les hommes doivent aussi être musclés pour les portés, pas à l’excès pour que leur physique ne devienne pas disgracieux… Du moins, selon les critères de cet art. Jude est petit, il ne mesure qu’un mètre soixante-six et sa silhouette est trapue. Il n’est pourtant pas épais, il pesait seulement cinquante trois kilos à l’époque. Aujourd’hui, on avoisine plutôt les quarante-six kilos et par période, il continue d’en perdre. Il cache les dégâts comme il peut sous des vêtements amples. L’industrie musicale coréenne n’a rien arrangé à ses complexes et la vision distordue que le chanteur avait de son corps. Au contraire, le regard des fans, des anti-fans, de tous ceux qui scrutent le moindre détails pour cracher leur venin, autant de facteurs qui l’ont poussé toujours un peu plus au bord du gouffre.

Depuis que Jude a déménagé en Corée du sud, il a coupé tous les liens qu’il avait avec la danse classique. Il arrive régulièrement que lors d’émissions de divertissement, on le ramène à son passé de danseur. On lui demande alors de faire une démonstration. Jude fait le dos rond pour ne pas recevoir de critique et il s’exécute à contre cœur. Il n’a pas gardé beaucoup de lien avec la danse classique. La plupart de ses camarades de la Royal Ballet School ne sont que des lointains souvenirs. Il faut dire que la distance n’y est pas pour rien. Jude a déménagé à l’autre bout du monde presque du jour au lendemain. Il y a bien Miho… Ils ne se sont pas rencontrés à Londres, mais il faut croire que le destin n’avait pas envie que Jude coupe totalement les ponts avec sa première passion. Au hasard d’un coin de rue, ils étaient tout les deux pressés, ils se sont bousculés et il se trouve que Miho était en tenue de danse. Elle l’a d’ailleurs confondu avec un de ses anciens camarades. Ce qui était impossible, puisque Jude n’a jamais fait de danse classique depuis qu’il est arrivé à Séoul. Toutefois, il l’a écouté sans rien dire lui parler de son art et de sa passion. Il aurait aimé préserver son engouement pour ce sport… Il a vaguement évoqué le fait qu’il avait aussi été danseur, sans entrer dans les détails. Pas par volonté de mentir, mais parce que c’est encore difficile pour lui de repenser à ces années de sa vie. Il aimait la danse classique de tout son cœur, mais elle lui a brûlé les ailes et l’a brisé de toutes les façons possibles.

Plusieurs fois Miho lui a proposé de venir la voir danser. Chaque fois, il a refusé, prétextant être occupé ce jour-là. Ce n’était pas toujours un mensonge, après tout, il a un emploi du temps chargé, mais souvent, c’était aussi pour fuir son envie de renouer avec la danse classique. Aujourd’hui, Jude avait un peu de temps libre et il s’est retrouvé à proximité de l’appartement de Miho… Il s’est dit qu’il pourrait passer la voir et si elle n’est pas là tant pis. L’absence de réponse de la jeune femme quand il a frappé à la porte de l’appartement, ne l’a pas inquiété. Elle est peut-être absente. Néanmoins… Jude sait qu’elle adore aller danser sur les toits… Alors, avant il se doit d’aller vérifier. Un sourire se dessine sur ses lèvres lorsqu’il aperçoit la silhouette de Miho qui se découpe dans un bout de ciel. Sa passion pour la danse classique crève les yeux. Jude se demande s’il en était de même pour lui, à l’époque où cet art était encore toute sa vie…

- Bonjour ! Je vais bien. Et toi ?

Si on exclue l’énième repas qu’il a sauté, son corps qui lui a fait comprendre que ça n’allait pas être possible de tenir à ce rythme… En quittant l’agence, il s’est contenté d’avaler deux clémentines, non sans peine.

- J’étais dans le coin, du coup je me suis dis que je pouvais passer te dire bonjour. J’ai frappé chez toi et comme tu ne répondais pas, je me suis dis que tu étais sois absente ou sur le toit pour danser. On dirait que je ne me suis pas trompé.

Jude jette un coup d’œil autour de lui.

- La vue est magnifique c’est vrai…

Et la sensation de liberté sans doute inégalée. Jude n’a jamais dansé dans un tel cadre, mais le grand air doit donner une vague impression de voler.
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Et les ailes poussaient quand tu dansais. Quelque chose qu'une de tes professeures avait déjà suggéré en te regardant : c'était comme si tu flottais. Dans un nuage d'eau sur lequel tu rebondissais, tu déployais tes ailes pour aller toujours plus haut, plus loin. Cette sensation n'était aucunement comparable à d'autres. Chaque émotion était unique. La liberté que tu ressentais en présence de Keeho était différente de celle que tu ressentais en dansant. Tout comme la passion n'était pas la même ; la douceur non plus. Chaque instant avait ses sentiments bien distincts les uns des autres et tu les appréciais tous tout autant, à leur façon. Car chaque émotion t'apportait quelque chose. La danse était une façon de t'exprimer sans te tromper. Les expressions, les mots, le sens de ceux-ci n'avaient pas lieu d'être ici. Et tu pouvais te délaisser de la colère, de l'injustice ou tout autre sentiment négatif qui pouvait te plomber le moral. T'aimais rêver, t'évader, et venir sur les toits pour laisser liberté à tes pensées et tes émotions. C'était comme si sur le toit du monde, tu criais ta joie, ta peine, ta détresse. Tout le monde pour voir, personne pour entendre – simplement celles et ceux qui avaient cette capacité à ressentir. « Ca va bien merci ! », que tu articulas rapidement, le visage se hochant alors que tu te pinçais les lèvres, sautillant à peine. Comme pour retenir une joie trop grande, sentiment secouant le palpitant, admiration pulsant dans le regard. Et ton sourire qui ne cessait de grandir au fil des secondes, les prunelles concentrées sur cette silhouette que tu ne pensais pas voir ici, avec toi, un jour. « Oh c'est vrai ? », demandas-tu, surprise, heureuse. « Tu voulais me voir ? Me dire quelque chose ? Tu voulais peut-être te reposer ? », tu clignas des paupières dans un air penaud. Après tout s'il était passé chez toi, ce n'était pas pour grimper sur le toit et te voir danser. Non ? « Tu me connais comme le dos de ma main ! », lanças-tu dans un rire contenté, observant alors les alentours toi aussi. C'était tellement agréable ici. « N'est-ce pas ?? C'est encore mieux par là parfois ! On voit le soleil », que tu indiquas la position exacte en allant t'y mettre, le dos droit et le sourire radieux, la main balancée vers la bonne direction dans un mouvement presque trop gracieux pour si peu.

« Qu'est-ce que tu faisais par le coin ici ? », l'interrogeas-tu doucement, trottant avec lenteur et souplesse vers lui dans un son amusé. « C'était pour le travail ? », et tu le fixais, pupilles grandes ouvertes, émerveillées et brillantes. « Tu as le droit d'en parler ? Peut-être que non. Si c'est pour le travail... Mais je sais entretenir les secrets c'est promis », les mains jointes, la curiosité sur la frimousse, tu attendais patiemment. Puis tu ris quelque peu, le nez retroussé, te dandinant vaguement. « Est-ce que tu veux rester là avec moi un peu ? Tu veux danser ? Ou juste me regarder ? », vins-tu demander encore, la voix plus basse, plus douce et plus calme que précédemment, une esquisse fine sur les lèvres. « Sinon on peut aller à la maison si tu préfères. On a du thé, du café. Maman m'a rapporté plein d'oreo et mon cousin m'a envoyé plein de pocky », et tu pouvais partager avec lui s'il le voulait. « On a d'autres trucs aussi cela dit »

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Sa passion pour la danse classique lui paraît parfois si lointaine… Comme si elle concernait une autre version de lui-même qui n’est plus aujourd’hui. Une passion qui lui a donné des ailes, avant de laisser tomber plus bas que Terre. Jude a laissé de côté cet art, pour son bien. Du moins, c’est ce qu’il pensait. En réalité, intégrer l’industrie du divertissement sud-coréen a exacerbé son malêtre. Cela fait bien longtemps qu’il ne s’est pas laissé porter par la danse classique. Depuis qu’il a quitté l’Angleterre… Si on ne compte pas les quelques émissions où on lui demande de donner un aperçu de ce qu’il sait faire. Il n’aime pas que les animateurs ressortent cette facette de son passé, mais il ne peut pas dire grand chose. Jude ne veut pas créer de malaise, ni engendrer le moindre scandale. Il fait quelques pas, une pirouette et tout le monde est content. Il serre les dents pour éviter que ses mauvais souvenirs ne remontent. Il admire Miho pour sa détermination et son talent. Il y a une époque où ils auraient pu partager cette passion. Jude se contente d’observer de loin. La jeune femme sait qu’il faisait de la danse classique… Et qu’il a arrêté. Officiellement, parce qu’il a rejoint Éclipse. Jude ne lui a jamais fait part de la vraie raison. Il doit bien reconnaître que danser dans un cadre comme celui-ci donne envie. La hauteur du toit de l’immeuble donne une vue imprenable sur la ville en contrebas.

- Je voulais savoir comment tu allais, on ne s’est pas vus depuis quelques temps.

Ce n’est pas la seule raison, mais il hésite toujours… Puis, il se lance finalement. Il sait que cette nouvelle fera plaisir à Miho.

- La dernière fois tu m’as proposé de venir voir une de tes représentations… J’ai dis que je verrais en fonction de mon emploi du temps.

Il comptait refuser en prétextant être occupé par les activités d’Eclipse, en réalité, c’est le fait de renouer avec la danse classique qui l’effraie. Cependant, aller voir Miho ne l’engage à rien. Personne ne va le pousser sur scène.

- Je vais pouvoir me libérer à la date que tu m’avais donné, si ça tiens toujours, je pourrais venir, il ajoute avec un sourire.

Jude regarde la direction que lui indique son amie. Le soir, au couché du soleil, ce doit être particulièrement joli.

- On a enregistré une émission. Je ne peux rien dire de plus.

Les tournages se font souvent bien en avance pour alimenter la chaîne YouTube du groupe ou pour leurs passages dans diverses émissions de divertissement. Il ne peut donc rien dire tant qu’il n’y a pas eu d’annonce officielle.

- Oh, je ne veux pas te couper dans ton élan, tu peux continuer de danser, ça me donnera un avant goût de ta représentation.

Cela lui rappellera des souvenirs, aussi…

- Je n’ai pas très faim, c’est gentil.

Encore une fois… Jude ne lui dévoile pas la vraie raison de son refus… C’est quelque chose qu’il garde pour lui et qui le détruit petit à petit…

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