Ae Ra, c'est un symbole de contradiction à elle seule. Parfois, l'on peut se demander comment une si petite personne peut contenir un tel flot de sentiments si différents les uns des autres. Passant en une fraction de seconde de la joie à la colère, on pourrait la qualifier de lunatique, mais ce n'est pourtant pas l'adjectif lui correspondant le mieux. En réalité, il n'existe pas d'adjectif pouvant décrire un tel phénomène que Ae Ra, dont le coeur est aussi doux que les poings sont durs, et dont le sourire est aussi chaleureux que la colère est dévastatrice. Lui en donner un serait une tâche bien ardue, car s'il y a bien une chose de certaine concernant Ae Ra, c'est que personne à part elle-même ne la connaît réellement. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la jeune fille doit faire face à plusieurs clichés en tous genres, à des préjugés, à des cases dans lesquelles on ne cesse d'essayer de la ranger, sans que personne ne se risque à imaginer que la jeune fille soit plus que ça. C'est pourtant bien le cas.

Ae Ra, c'est avant tout la joie personnifiée. Il n'est pas rare de la voir le sourire aux lèvres, ou d'entendre résonner son petit rire semblable à une clochette. A vrai dire, certains disent même qu'à sa naissance la jeune fille avait le sourire aux lèvres, même si cela reste une pure spéculation. De toute évidence, il n'y a que le sourire qui puisse embellir le visage d'Ae Ra de telle façon qu'on ne puisse détourner les yeux de son regard étincelant et lumineux, qui semble nous communiquer une joie de vivre infinie, un bonheur intemporel. Il serait facile de se laisser croire que son expression ne changera jamais. Pourtant, Ae Ra n'est pas seulement cette personne qui collectionne les peluches, qui prend dans ses bras pour un rien, qui utilise des expressions mignonnes, qui rêve d'un monde en paix, qui participe à toutes les manifestations possibles si elle pense que cela peut aider le monde. Cette personne qui ressemble en tous points au Soleil, lumineux, chaleureux, rassurant. Non, Ae Ra ne se résume pas simplement à cela. Car Ae Ra est également la tempête.

Plusieurs ont fait l'erreur de penser que la jeune fille, si frêle, si aimante, si souriante, ne pouvait être que faible. Ils étaient à dix lieues d'imaginer qu'elle soit en réalité loin de l'être, très loin. En effet, il arrive qu'un nuage vienne masquer le Soleil, et fasse basculer Ae Ra d'un tout autre côté de sa personnalité, la rendant brusque, violente, colérique et sauvage. Qui aurait pu s'imaginer que derrière ces sourires charmeurs et ce physique des plus féminins puisse se cacher une sportive de haut niveau et combattante redoutable ? La faire changer du tout au tout n'est pourtant pas simple. S'il lui suffit d'un rien pour se mettre à hurler aussi fort que ses cordes vocales le permettent, abandonnant ainsi sa voix douce et rassurante, il est loin d'en être de même pour la mettre en colère. Si Ae Ra peut être violente, voire même dangereuse, ce n'est qu'en certaines conditions. La jeune fille, en effet, ne fait que dans la défense, comme on le lui a apprit. Tout dépend malheureusement de l'image qu'elle a de la défense. Car toute personne utilisant un ton impoli devant sa nièce, son plus grand bijou, s'expose aux pires représailles de la part de l'étudiante.

En effet, Ae Ra est avant tout protectrice. De nature à faire passer l'intérêt des autres avant le sien, elle voue également toute son énergie au bonheur des êtres aimés, au point parfois d'en devenir envahissante. Plus particulièrement envers sa nièce, dont la santé et la bonne humeur sont ses plus grands objectifs. Dès lors qu'elle se sut plus forte qu'elle, elle comprit être dotée de la mission de protéger la personne qu'elle aimait le plus au monde, en l'occurrence sa moitié. Cela ne vaut cependant pas que pour Sae Ra, contrairement à ce que beaucoup peuvent en penser en voyant son intérêt presque religieux pour sa personne, car Ae Ra possède un grand coeur, et aime un nombre conséquent de personnes. Aussi se donne-t-elle toute entière, habituée à offrir sans recevoir, et ne peut-elle supporter leur malheur. En réalité, pour la jeune fille, sa force la soumet à une mission de protection, lui conférant le devoir de mettre ses capacités au service de ceux qui ne les ont pas. Comme un super-héros, en somme. A la différence qu'Ae Ra sait pertinemment ne pas être une héroïne, simplement un outil nécessaire à la joie des personnes présentes dans son coeur.

Parce que l'étudiante possède également de l'humilité. Se regarder dans le miroir n'est pas son activité préférée, c'est même quelque chose qu'elle ne fait que rarement. Pas une seule fois ne s'est-elle fait une remarque sur sa beauté, sa force, sa voix ou quelque qualité qu'elle puisse posséder. Et pas une seule fois n'a-t-elle considéré que son rôle dans la vie puisse être autre que celui de s'offrir toute entière au bonheur des autres. En réalité, l'on ne sait pas vraiment si Ae Ra se sous-estime ou alors est simplement humble, tant sa propre idée d'elle-même est basse. C'est peut-être d'ailleurs la raison pour laquelle elle n'a jamais compris les déclarations d'amour de ses camarades masculins, pensant à une blague, à moins que ce ne soit juste dû à sa grande innocence qui la caractérise. En fait, il n'est pas nécessaire de tenter de comprendre Ae Ra. C'est tout simplement impossible. Mélange de contradictions, de joie et de colère, de lumière et d'obscurité, elle est ce que l'on peut appeler un brouillard indescriptible.

Ae Ra, ou l'homme de la situation, comme on se plaisait à l'appeler. Il ne fallut que quelques mois pour passer du surnom de tournesol à celui-ci, son côté sur-protecteur, voire masculin, n'ayant pas bien tardé avant de se manifester. Comme dans chaque école où la jeune fille était passée, en somme. Cela ne la dérangeait de toute façon pas plus que ça. L'homme de la situation, elle le savait bien qu'elle endossait ce rôle, et en tirait même une certaine satisfaction personnelle, si bien que les remarques à ce sujet, bien qu'agaçantes, ne pouvaient cependant en rien la mettre en colère. Elle n'avait pas besoin d'être traitée comme une princesse pour être heureuse. Au moins, elle se savait servir à quelque chose.

▬ Hey Ae Ra, pourquoi t'es pas née garçon ?
▬ Parce que le monde avait besoin de filles fortes.

C'était ce que la jeune fille répondait à chaque fois que les mêmes personnes lui posaient cette même question, à tel point que cette phrase était devenue presque automatique, machinale, comme un même programme qui passait en boucle. Cette question ne la vexait même plus. Elle n'y prêtait plus trop attention. Seule sa propre réponse lui importait. Le monde avait besoin de filles fortes.

A ses yeux, il n'y avait rien de plus vrai. Les hommes, à force de se voir sauver les princesses dans chaque film et jeu de leur enfance, en venaient à se croire supérieurs, ce qui agaçait au plus au point Ae Ra, la menant même à se joindre aux rangs des féministes. Selon elle, la femme pouvait être aussi forte, voire plus, que ses camarades masculins. Dans le but de prouver cette hypothèse, elle n'hésitait d'ailleurs pas à tous les surclasser à chaque cours de sport, puisant dans la force qu'elle avait acquise grâce à ses entraînements soutenus et répétés au sein de son club de taekwondo. La raison de ses efforts ? Pas seulement sa croyance au féminisme, pas seulement son envie de prouver au monde que l'expression comme une fille n'était pas nécessairement péjorative. La raison de ses efforts, c'était aussi ceux qu'elle aimait, ceux que, coûte que coûte, elle tenait à protéger jusqu'à la fin de sa vie. La raison de ses efforts, c'était tout particulièrement Sae Ra, sa nièce et, aux yeux des autres, jumelle, qu'elle aimait plus que tout, au point que la moindre égratignure de celle-ci mettait Ae Ra dans un état terrible.

▬ T'es jamais triste d'être considérée comme le garde du corps par excellence ?, lui demandait-on parfois sur le ton de la confidence.
▬ Non jamais, être garde du corps me va très bien.

Elle servait à quelque chose, de cette façon, c'était ce qu'elle se répétait sans cesse à soi-même. Elle servait à quelque chose. A la sécurité et au bonheur des autres. C'était ce à quoi elle servait.

On ne put imaginer l'étonnement de ses camarades lorsqu'Ae Ra apparut pour la première fois à la couverture d'un magazine de sport, en tant qu'égérie de son club de taekwondo féminin. Pour certains, ce fut même presque une révélation. Ae Ra était-elle donc réellement une fille ? Certains y virent même un réel charme de la jeune fille et, oubliant les terribles défaites de leurs prédécesseurs, tentèrent de toucher le coeur de celle-ci. Sans grand étonnement, la même défaite les attendit, car bien que son image aux yeux des autres ait pu changer ne serait-ce qu'un peu, Ae Ra restait la même.