» Je suis une poupée de cire, pas une poupée de son.

Des mouvements graciles qui quémandent un peu de tendresse, laissant des traînées d'or dans l'air. Ce corps trop agressé qui demande un peu d'attention, qui demande qu'on le marque de mots plutôt que de coups de ciseaux.  Une fragilité inavoué, un déni total.  Au bal, c'est bien toi la plus belle. Mais c'est bien toi la plus froissée. Tu n'es que jeunesse et vivacité alors que dans cette carcasse, tu sens  ton cœur s'éfriter comme de la cendre.  Ce n'est pas beau, pas beau du tout.  Tu ne peux t'empêcher de voir cette transparence, dans le miroir. Ce tissu de peau qui recouvre tes os et tes organes, ce déguisement affriolant tu ne peux plus l'enlever.  Tout aurait été plus simple, si on avait laissé à Bo Ja ce qui était à Bo Ja.  Et c'est avec tes yeux que, dans tes plus sombres jours, tu crie à la terre entière ce que les mots coincés dans ton ventre ne pourraient jamais exprimer.    
Après tout, quand la parole n'est pas, tous deviennent sourd et aveugles.


» C'est en mon sein que coule le nectar de la vie.

C'est en donnant un peu de vie à autrui, que toi même tu renais. Comme l'oiseau aux plumes écarlates, tu sais t'élever comme tu sais mourir. Tu embrasse la profonde tristesse pour la rendre félicité. Un cycle perpétué par ton désir de les voir heureux, de te voir heureuse aussi. Car si en suçant ce téton, ils s'abreuvent de consolation, c'est dans leur sourire que tu puise l'énergie nécessaire pour rendre ton cœur plus solide. Fidèle à qui sait être ton amie, sensible aux douleurs et aux joies d'autrui, tu  n'es pas toujours ces éclairs que tes yeux peuvent lancer. Soleil de minuit, douceur incarnée, quand tes rayons frappent toute ces âmes moroses, alors tu t'allonge à nouveau... jusqu'à qu'une autre vienne te ranimer.


» Et je l'ai senti lacérer mes boyaux.

Que peut-on faire, face à l'impuissance, si ce n'est la regarder dans les yeux, vide et plein à la fois ? Quand tu sens ces effets couler dans tes veines, te brûler l'épiderme, t'attaquer le cerveau, c'est comme si tu approchais de la scène finale. L'échec, un mot que tu vomis, un mot qui te retourne le ventre. Un peu trop perfectionniste, tu as besoin d'être au top de tous les niveaux. Tu es prête à y mettre toute l'énergie nécessaire pour ne plus avoir à endurer un tel supplice. Jusqu'à que mort s'en suive, peut-être. Tu évites les bains de sang, le but est juste de n'avoir aucun bâton dans les roues. Tu n'en es pas moins agréable, mais sur ton terrain de chasse, tu as toujours besoin de régner en maîtresse des lieux. Car c'est ainsi. Et pas autrement.


» Ne jamais cesser d'embellir le laid.

Un joli rouge à lève, de beaux bijoux, une belle robe et de nouveaux dessous.  C'est peut-être fou. Tu n'es pas excessivement dépensière, mais tu as toujours besoin de maquiller ce visage de poupon, d'habiller ton corps de mannequin, de coiffer tes cheveux de sirènes. Tu as beau détester le personnage qu'on a fabriqué à main nue, tu adore pourtant le parer. Une beauté affligeante, une beauté indécente, qui contraste avec la pureté de ton être.




C'est inné, c'est en toi. Ca se voit, des fois pas. Tu es tout tout ce qui ne devrait pas être,  ce qui est interdit.  Parfois loup, parfois brebis.

Son visage n'a pas toujours été éclairé par les lumières de Tokyo. Avant de voir cet arc en ciel de couleur, Bo Ja vivait dans un tout petit appartement, à Busan avec ses parents. Une chambre pour trois et un espace ridicule pour le reste.  Un père qui travaillait dans le bâtiment, une mère au foyer qui ne savait jamais comment s'occuper.  Pas d'amis, presque pas de famille.  La jeune femme n'était pas déjà très bavarde. Son éducation était très stricte et de toute façon, elle ne pouvait vraiment parler que quand elle y était invité. Timide, elle avait quelques amis, mais difficile de s'imposer... alors elle préférait tomber dans l'oubli.
La nourrir, l'habiller, la loger... tout ça demandait beaucoup d'efforts. Et le couple Ok n'était plus très jeune. L'argent se faisait de plus en plus rare et il fallait trouver une solution. Faire travailler la mère ? Jamais de la vie. Changer de travail ? Impossible, les temps sont trop durs.  Et c'est dans la noirceur de leurs esprit qu'ils trouvèrent l'idée la plus immonde. Ils avaient son sort entre leurs mains, et ils comptaient bien lui en délivrer un terrible.

A 11 ans, Bo Ja partit pour le Japon sous le nom de Ran, Gotô Ran. Ses parents l'avaient vendu – c'est le terme exact – à un énorme réseau de proxénétisme. A peine entrée dans l'adolescence elle dut faire face à un quotidien terrible. Quel choc de savoir que vos parents vous aiment si peu – pour ne pas dire pas du tout – qu'ils prennent l'initiative de vous donner au premier connard avec un peu de sous. On ne l'entendit plus jamais adresser la parole à personne. Aucun mot ne daignait sortir de sa petite gorge, peut-être trop nouée par le chagrin.  Aujourd'hui encore, elle est incapable de parler. C'est que l'on s'habitue très vite au silence.
D'abord escort girl, puis prostituée de luxe, la coréenne resta jusqu'à ses seize ans dans cette sombre affaire avant que tout soit démantelé par la police.  Mineure, elle fut rapatriée en Corée dans un nouveau foyer. Bo Ja est alors méconnaissable, perfectionnée par les machine. Dents, yeux, menton, joues, nez, seins, ventre... tout y est passé.   Elle a aujourd'hui tout ce que les jeunes filles peuvent envier : un physique de rêve. Mais on ne ressort pas aussi belle, d'une expérience pareille.

» J'veux pas mourir toute seule.