Quand tu tombes sur moi dans la rue, je te vois déjà te demander comment j'en suis arrivé là. Quand tu me dévisages c'est comme si j'arrivai à lire dans tes pensées, le jugement que tu me porte. Les émotions se lisent dans les yeux c'est vrai, c'est pas du n'importe quoi. Tu dois te dire qu'il y a un truc qui tourne pas rond dans ma tête. Je vivais pas trop mal et maintenant j'en chie. Et parfois j'en crève. Ah oui, faut t'y habituer je sais pas parler sans vulgarités. Je sais t'essaye de faire le lien dans ta tête entre le moi d'avant et le nouveau moi. Tu cherche à quel moment j'ai déraillé mais tu trouves pas. Parce que c'est arrivé comme ça et t'as rien vu venir. Mais je vais t'expliquer.

C'est tout con, le moi d'avant il avait pas cette rage en lui. Gamin, ado, je vivais comme je pouvais. Bien heureux quand mes parents me donnaient un peu de l'argent qu'ils gagnaient pour le dépenser en conneries. Mais voilà derrière les apparences c'est pas tout beau. Un père qui bosse dans le bâtiment parce qu'il a pas eu le droit de faire de longues études. Une mère qui se tue au travail en bossant la nuit et certains week-ends et jours fériés. Putain quelle vie. Et il y a pas que l'héritage qui se transmet de génération en génération, il y a aussi la qualité de vie. Tu sais que j'ai une sœur ? Non tu savais pas, tu l'as jamais vue. Normal elle est partie à l'étranger après avoir fait de longues études parce que c'était mort par ici. Le nouveau moi il aurait pu s'en contenter s'il avait pas grandit en voyant sa famille trimer à souhait. Les psy appellerait ça l'élément déclencheur ou un truc dans le genre.

Et les conséquences elles sont là devant toi. Pour la petite histoire j'étais un gosse intelligent. Tu vois celui qui s'en sort toujours sans bosser parce qu'il a des facilités ? Celui qui s'il s'y met est le premier de la classe ? Et bien c'était moi. J'ai même eu droit à une bourse parce que dans cette société le Q.I rapporte presque autant que la beauté, tu vois ? Alors j'ai joué les médecins, j'étais dans les premiers. Brillant avenir à l'horizon. Oui mais non. Je veux pas qu'on me dise quand me lever. Je veux pas qu'on me dise ce qui est important et ce qui l'est pas. Je veux pas qu'on m'interdise de boire ou fumer où j'en ai envie tant que je fais pas chier le monde. J'ai pas non plus envie de me la fermer quand un truc me plaît pas. Juste pour une bourse. Qui au final me donnera le droit de bosser sous les ordres de quelqu'un qui refusera d'entendre mes idées. Et qui m'obligera à m'excuser même si c'est pas moi qui ait fait de la merde. Tu l'a sens monter la rage ?

Maintenant tu sais tout. Premières année dans les premiers, deuxième année dans les premiers, moins à la fin. Troisième année, tu remarquera qu'il manquait plus qu'une année avant le diplôme, j'ai dis merde. Se serait plus juste de dire qu'ils, ceux qui payent la bourse, ont dit merde. Et l'université aussi. Faut dire que je venais plus ou alors j'étais un touriste qui l'ouvrait trop. Je te passe les détails. Bref. C'était pas bon pour l'image. Mais je m'en foutais, j'étais fier d'avoir foutu le bordel. Je suis con pas vrai ? Ouais mais au moins je suis libre de toutes leurs conneries. De toute façon tout le monde le sait, il y aura qu'une petite partie qui se démarquera et les autres auront fait tout ça pour rien. Je ferai pas parti d'eux. Tu te doute que la décision à pas du faire plaisir aux parents. C'était la crise. Prise de tête sur prise de tête, je t'épargnerai encore les détails. J'ai fini viré de la maison aussi. Paraît que me démerder seul m'apprendra la vie. Raté. Tout ce que j'ai appris c'est qu'elle me convient cette vie. Pas de métro, boulot, dodo. Je traîne, je sors, je dors, je profite et je te souhaite un jour d'avoir les couilles de faire pareil.