la haine réduit les anges
en monstres qui dérangent

MOON KYU & JAE MI

l'abattoir de nos cœurs ✻✻✻ Le barouf de l'orage s'accompagne toujours des miasmes saisissants en un modeste présage du mauvais temps, celui qui étiole les fleurs et ravage les feuilles. Des miasmes qui piquent mon nez sans jamais me détourner de mon objectif ; l'odeur de l'humidité n'a pas l'arôme de la détermination. Mes godillots usés traînent sur le bitume noyé dans les renforts de pluie foudroyante, évitant quelques glissades imprévues çà et là, la confiance reposant entièrement sur la membrane fine de mon sens de l'équilibre. Il ne reste plus rien de mes habituelles hardes noires, écrasées par les torrents diluviens sous un ciel lézardé d'anthracite. À ma gauche, il y a Moon Kyu. Un collègue. Ou un ami. C'est flou. Grisé, quelque peu déformé, quelque peu inachevé. Incomplet. Pas de véritable mot pour décrire le fil ténu qui nous relie. Pas de mot pour nous décrire. Hormis les maux qui nous rapprochent. Dans le gouffre, on est tous identiques. On est tous ratés. Un sourire étire mes lèvres lorsqu'on arrive devant l'entrepôt. J'ouvre la porte massive et on s'y engouffre, prêts à assumer notre tâche. Prêts à franchir la ligne de l'abominable. Dans cet entrepôt muet, une multitude de cadavres nus et étriques s'entassent contre les vieilles machines dysfonctionnelles. L'odeur putride englobe le vaste entrepôt, suintant de toutes parts. « On dirait un panda qui mange du bambou par le mauvais orifice, celui-là, tu as vu ? » La remarque m'échappe quand mes yeux rencontrent un cadavre gris. Je me baisse pour tirer un couteau de son orbite, un petit bruit de succion sensuel s'en échappe quand j'arrache lentement la lame. La faisant tournoyer dans l'orifice quelques secondes. Quelques secondes de monstruosité. Un rire étrange m'échappe quand je regarde cet amas de chairs meurtries, viciées. Le cauchemar de ces carcasses blêmes et flasques, en voie de boursouflure, se dessine sur mes cornées. « Regarde l'autre là-bas, il est empalé sur une… On dirait une branche d'arbre. J'arrive pas à voir. » Des bouts de chairs éparpillés, massacre humain de ces mafieux siciliens. « J'ai entendu dire que c'était un règlement de comptes. » Dans ce tableau morbide, je n'ai qu'un rôle infime. La première fois, j'avais ressenti de la peur. J'étais seul à nettoyer. Les fois suivantes, la solitude me tenait compagnie, l'habitude commençait à m’envelopper de ses bras malléables et translucides. Et puis, Moon Kyu est arrivé. Je tourne mon visage indifférent vers lui et lance sur un ton provocateur : « Alors, t'as vraiment envie d'aller jusqu'au bout ? » Parce qu'il y a toujours de l'espoir pour certains gosses. Un espoir que j'ai flingué depuis longtemps. Parce que l'absence de conscience ne l'a peut-être pas encore touché.

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CODES © LITTLE WOLF.

la haine réduit les anges
en monstres qui dérangent

MOON KYU & JAE MI

l'abattoir de nos cœurs ✻✻✻ Ils ont pris ma lueur, tu sais, ils ont volé ma flamme. Réduit mes yeux à ces deux fentes défectueuses, ce regard qui ne voit que les nuances de gris. C’est tantôt sombre, tantôt clair, jamais de couleurs. Ils m’ont tout piqué, mes émotions aussi. Ils ont crucifié mon cœur et remplacé mes sensations. Ils m’ont juste laissé ce dépit teinté de colère. Ils – le monde des adultes, l’humanité en général, de mes géniteurs jusqu’aux inconnus. Tous, oui, tout le monde. J’ai pas pris mes pilules Padamalgam ce matin, je m’en tape de foutre tout le monde dans le même panier. C’est la société qui accouche des gosses haineux comme moi, qui nous fout des bâtons dans les roues, qui nous rend infirmes et se gausse de nos malheurs. Ah, tout n’est qu’un morbide clair-obscur, aux contours étiolés et écorchés, les éraflures du cadre sont trop nombreuses. Soudainement, la voix de mon acolyte de fortune me sort de ma rêverie : « On dit que les italiens parlent beaucoup, faut croire que les Armani préfèrent l'action à la discussion pas vrai ? » Un sourire en coin prend place sur mon visage, lorsque je lui jette un regard en biais. « Fais gaffe, ils ont peut-être mis des micros ici pour nous espionner. » Ça serait dommage que Moon Kyu se retrouve en conserve demain pour avoir dit ça sur les Armani. J’arpente l’entrepôt, inspectant tout ce que je trouve. Je suis même tombé sur un portefeuille – vide, fort dommage. « Pourquoi, tu as peur ? » Me questionne Moon Kyu lorsque j’arrive à sa hauteur, les mains dans les poches. Je me contente de hausser les épaules : y a-t-il une réponse à cette question ? Évidemment que j’ai peur. Peur pour ma peau. Peur de la mort elle-même. Peur de l’inconnu. De l’inattendu. J’ai la phobie du futur. « On a le temps de jouer un peu avant de nettoyer, pas la peine de se presser t'inquiète. » Je ricane, en passant une main sur l’épaule de mon acolyte. « Poto, on t’a déjà dit que t’as de bonnes idées ? » Lui dis-je avec un clin d’œil. Mon regard dévie vers le reste de l’entrepôt, les sourcils froncés. « Bras ou jambes ? » C’est malsain mais je me débarrasserai pas de ces pensées maudites qui ternissent mes yeux, les jettent dans le noir. C’est malsain mais… on s’y habitue.

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