Je suis un boulet, un mec qui plane à cent mille. Je fume pas pourtant, j’ai jamais eu assez de fric pour le faire. Non, je préfère l’alcool. La bibine, c’est mon âme sœur. On se comprend elle et moi. Mais je suis pas alcoolique, attention. Sinon, je suis le mec maladroit qui se viande la gueule en pleine rue parce qu’il s’est fait un crochet tout seul, celui qui regarde pas devant lui et qui se paye un poteau dans la face, le gars qui fait tomber son portable dans les chiottes après avoir largué une bombe. En général, je rate tout ce que je commence. Ça doit être le karma. Mes études, c’est sûrement ce que j’ai le plus foiré et ça me fait un peu de peine, pour être honnête, mais qu’est-ce que vous voulez, mon cerveau est pas coopératif. Bon, j’ai quand même terminé le lycée sans trop de dégâts alors ça va, je vais pas trop me plaindre. Maintenant je vis un peu le cul serré avec mes deux jobs pour pas finir à la rue. J’ai réussi à décrocher un emploi de surveillant à l’université et la nuit je fais des livraisons pour un combini. C’est pas la folie mais c’est mieux que le chômage. En tout cas, je suis apprécié dans mes jobs parce que j’ai pas pour habitude de me toucher la nouille pendant que je bosse, je fais tout à 200% (mais genre vraiment tout, ma vie c’est comme un rush à mcdo).  Un truc qui m’énerve, c’est qu’on me dit que je suis un pervers. Faux. Je sais juste apprécier comme il faut la vue d’un joli cul et d’un gros poitrail. C’est tout. Sinon, un petit détail, je suis hyperactif. Ouais, c’est peut-être bien de le préciser, vu que ça joue pas mal sur mon caractère. Mes parents auraient pu me soigner quand j’étais gamin, avec des médocs qui gèrent et régulent un peu l’hyperactivité, mais c’est pas comme s’ils s’en souciaient vraiment. Au final, ils ont un peu regretté je crois, vu qu’avec les années tout ça a empiré. Je suis devenu instable émotionnellement, incapable d’obéir et de me concentrer plus de quelques minutes. Impulsif, agressif, violent, j’étais un petit monstre pour eux. Déjà qu’ils voulaient oublier ma naissance, j’ai rien fait pour être dans leurs bonnes grâces. Bon, avec le temps (et avec ma tante) j’ai appris à me contrôler, vite fait. Ça m’empêche pas de m’amuser et de voir la vie du bon côté, je suis un type toujours heureux moi.

Je vois pas ce que je pourrais dire de plus sur moi, alors je vais m'arrêter là. Si vous voulez me demander des trucs, vous gênez pas, y a mon numéro écrit dans les toilettes des filles.

C’est dans un bidonville à Bangkok que j’ai vu le jour, alors on peut tout de suite oublier l’histoire du gamin qui a eu une vie de palace et qui pisse dans des chiottes en or. J’étais loin d’être un enfant désiré, juste une grosse erreur que l’on peut  facilement mettre sur le dos d’une capote périmée. Une ou deux fois par an, mes parents suivaient un rituel familial : tenter de me vendre aux étrangers, histoire de se débarrasser de moi et qu’on m’emmène loin, très loin. L’amour des parents pour leur enfant, c’est beau. Enfin, il faut croire que le karma n’était pas avec eux vu qu’ils n’ont jamais réussi. J’ai donc vécu toute mon enfance entre les cartons et les sacs poubelles, me ramassant des coups par mon père adoré lorsqu’il était fin bourré. Alors autant vous dire que j’étais plutôt heureux lorsqu’une de mes tantes, que son mariage a permis de fuir la pauvreté, a appris ma situation. Elle s’est ramené dans notre magnifique demeure, a passé un deal avec mes parents pour finalement m’embarquer sous son bras jusqu’en Corée. Je dois avouer qu’au début, j’ai pas vraiment saisi ce qu’il m’arrivait. J’étais en mode « oh cool des vacances chez la tantine ! » mais en fait, non. C’est plus tard que j’ai appris que mon oncle et ma tante, dans l’incapacité d’avoir des enfants, avait tenté l’adoption sans franc succès. Au final, ils se sont rabattus sur moi et c’est pas plus mal comme ça. C’étaient de petits fonctionnaires mais ils ont fait tout leur possible pour me donner une vie confortable. C’était plutôt bizarre au début, voire pas naturel du tout pour moi. Je n’allais plus jamais voir mes parents, ça me faisait mal, et en même temps ma nouvelle famille me donnait tellement d’amour… Bizarre, oui. Mais bon, j’ai fini par m’y habituer. Aujourd’hui, il ne me reste que ma tante, mon oncle étant mort d’un cancer quand j’avais quinze ans. Et moi j’ai décidé, à la sortie du lycée, d’aller vivre seul et par mes propres moyens pour la laisser vivre calmement en paix et pour ne pas bouffer toutes ses économies. La vie est assez dure comme ça, j’ai pas envie de la lui compliquer. Maintenant je vis dans un appartement rikiki et pas très en forme, cumule deux boulots pour ne pas finir à la rue et trouve toujours le temps de profiter de ma jeunesse. On verra bien ce que l’avenir me réserve, j’en suis pas encore là.