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ARC I - HAPPY FAMILY

Aujourd'hui est une journée parfaite, pour des milliers de raisons. Quelques-unes seulement en réalité mais « quelques-unes » peut vite devenir « des milliers » aux yeux d'un enfant. Le ciel a revêtu son costume bleu le plus magnifique ; celui qui n'est obstrué par aucun nuage. Le soleil caresse le jardin de ses doux rayons ni trop chauds ni trop agressifs. Les cris et les rires résonnent, formant ainsi une joyeuse cacophonie. Celle des jours ou tout va bien. Celle des jours ou la paix semble établie pour toujours. Hae Won joue sur le trampoline qu'elle et son frère viennent de recevoir en cadeau pour leur anniversaire. Ils ont deux ans de différence et sont nés à un mois d'intervalle mais leurs parents tenaient absolument à leur offrir ce cadeau commun. Une idée visiblement brillante puisque les yeux des deux gamins se sont remplis d'étoiles à l'instant ou ils ont réalisé quel genre de structure avait pris place sur la pelouse habituellement bien vide. A l'heure qu'il est ils se tiennent la main, leurs doigts entremêlés comme si leur vie en dépendait, et sautent le plus haut possible en riant. Regardez-les bien, déterminés à toucher le ciel. Des enfants animés par le bonheur et par les rêves. Elle 8 ans et lui 6 ; la vie devant eux et de belles perspectives à l'horizon. Rien ne saurait défaire l'atmosphère incroyable de cette journée. Leurs parents sont assis côte à côte non loin d'eux. En tailleurs sur le sol avec un verre de limonade. Le sourire qui éclaire leur visage étincelle comme un magnifique diamant. Ils sont l'incarnation de la famille heureuse, pour qui tout va bien et qui profite d'une journée presque ordinaire que la joie rend extraordinaire. Les yeux des quatre membres de la famille pétillent. Hae Won entonne avec enthousiasme une chanson qu'elle a apprise à l'école sans jamais lâcher son petit frère. Tout le monde la suit, lui y compris et ce même s'il ne connaît que le refrain. La chanson est entrecoupée par les bonds des enfants et leur respiration se fait extrêmement saccadée à force de sauter encore et encore. Un rire bruyant éclate sur le trampoline. Tout est parfait.
Près d'une heure plus-tard les deux enfants ont arrêté de s'agiter dans tous les sens. Pourtant ils n'ont pas bougé de leur place et sont toujours dehors, perchés sur leur trampoline. La journée est passée très vite et le soleil est déjà en train de se coucher. Les parents sont désormais à l'intérieur en train de cuisiner mais ils surveillent régulièrement leur progéniture à travers la grande baie-vitrée qui donne sur le jardin. Les deux petits sont allongés sur la toile de leur nouveau jeu et sourient gaiement au ciel qui s'est paré de couleurs roses et oranges toutes plus belles les unes que les autres. Ils se tiennent toujours la main. Le petit garçon quitte soudain le ciel des yeux et les pose sur sa grande sœur qui fredonne une berceuse. « Dis Hae Won, on sera toujours ensemble hein ? » Les yeux de la petite s'écarquillent sous la surprise d'une telle question. « Évidemment qu'on sera toujours ensemble ! T'as cru que t'allais te débarrasser de moi si facilement ? Tsss. J'y suis j'y reste. Jamais on sera séparé toi et moi. Je  te le promets. » Le gosse hoche doucement la tête, l'air plutôt rassuré. Mais il demande quand-même une dernière chose. « Serment du petit doigt ? » Un léger rire s'échappe des lèvres de Hae Won. « Si tu veux. » Elle lui tend son petit doigt et lui fait de même. Souriant tous les deux, ils les croisent et se répètent une nouvelle fois leur promesse avant de se blottir l'un contre l'autre. C'était eux, inséparables et dévoués l'un à l'autre quoiqu'il arrive. Cet amour pur de frère et sœur, de ceux qu'on ne peut jamais remplacer lorsqu'on le perd.

ARC II - MY SALVATION, MY LOVE

Elle était tombée amoureuse d'une fille. Elle ne comprenait rien de ce qui lui arrivait mais il y avait ce truc tout au fond de son cœur qui lui hurlait que c'était vrai : elle l'aimait. Elle aurait même pu crever pour elle. Elle n'y croyait pas trop la première fois qu'elles s'étaient embrassées tant ça lui semblait tout droit sorti d'un rêve. Pourtant c'était vrai. Comme lorsque le ciel devient gris et que la pluie martèle le sol. Comme lorsque le soleil chasse les nuages. Comme lorsque le verre se brise et que le monde bascule. L'amour ne triche jamais lorsqu'il s'invite dans les cœurs. La nature de ses sentiments pour elle était tout à fait clair mais ça n'avait pas toujours été le cas. Avant elle tâtonnait, elle tentait maladroitement de comprendre et d'appréhender toutes ces émotions inconnues. Jusque là elle était toujours tombée amoureuse des garçons. Elle ne regardait pas les filles, pas comme ça. Et puis elle était entrée dans sa vie, elle avait brisé toutes les règles, bouleversé tous les codes. C'était une étrangère. Une belle italienne qui parlait coréen et qui était venu s'installer dans le pays suite à une mutation de son père. Fille d'un grand homme d'affaires et d'une mère fantôme, elle n'avait jamais reçu beaucoup d'affection et ça se voyait immédiatement dans ses prunelles mi-tristes mi-vides. Ces yeux cryptiques furent la première chose à interpeller Hae Won. Pas grand monde ne lui parlait ; parce qu'elle était étrangère et mystérieuse. Elle intimidait les gens. Et Hae Won aussi était intimidée. Elle avait deux ans de plus qu'elle et exhalait quelque-chose de profondément mature. Elle avait toute l'assurance que la jeune fille rêvait de posséder. Hae Won était une fille de 14 ans mal dans sa peau et sans grande confiance en elle tandis que l'autre mordait à pleines dents dans la vie sans se soucier des conséquences. Elle la fascinait. Mais elle se contentait de l'admirer de loin. Au final elle ne l'approchait pas plus que les autres. Sauf qu'elle avait fini par la remarquer. Elles se sont embrassées avant de réellement se connaître. Hae Won était assise dans un coin à dessiner sur une page de cahier et elle avait surgi de nulle part pour lui prendre la main et l'entraîner à sa suite jusqu'à un mur isolé. Là elle avait posé ses lèvres sur les siennes tout doucement puis elle s'était évaporée comme un songe. A ce moment là Hae Won ne doutait plus du tout, elle l'aimait.
Par la suite elles ne s'étaient plus embrassées et s'étaient mises à parler. Leurs conversations portaient sur tout et rien, des débats sérieux aux crises de rire en passant par toutes les étapes intermédiaires. Pendant presque un mois elles avaient appris à se connaître. Un jour la belle étrangère invita Hae Won à boire un café à la sortie des cours puis à dormir chez elle. Sans trop savoir à quoi s'attendre la plus jeune avait accepté. Une fois chez la plus âgée elles avaient regardé un film, s'étaient blotties l'une contre l'autre puis embrassées de nouveau. Encore et encore jusqu'à ce qu'elles tombent de sommeil. Les choses s'étaient arrêté là, mais Hae Won était heureuse. Dans sa tête elle ne se disait plus « j'aime une fille » comme si c'était une chose étrange mais « j'aime et je suis aimée », tout simplement. Le lendemain elles sortaient ensemble officiellement. Et cette relation spontanée et fusionnelle dura un peu plus d'un an. Après quoi sa copine retourna vivre en Italie et mit fin à tout ça pour éviter la relation à distance et les souffrances. Hae Won s'était effondrée. Et cet effondrement n'avait pas duré que quelques semaines. Tout venait de lui échapper en un battement de cil. Son premier amour. Toutes ses premières fois, qu'elle avait vécu avec elle. La belle envolée et plus rien que des souvenirs douloureux faisant saigner son cœur abondamment.

ARC III - THOSE YEARS

« Passe-moi le briquet ! » Hae Won tire la gueule depuis au moins une demie-heure. Le gars a qui elle parle boit son verre en parlant à un pote et ne daigne même pas l'écouter. « Mais merde, ça fait vingt fois que je demande. Tu veux vraiment pas me passer ce putain d'briquet ?! » Toujours aucune réponse. Génial. Tant pis, elle décide de prendre les choses en mains. Elle se lève, titube un peu -conséquence des verres qu'elle enchaîne depuis le début de la soirée-, passe devant le type qu'elle harangue depuis tout à l'heure et choppe le briquet sur la table basse. Y a déjà trop de fumée qui s'entasse dans cet appartement mais c'est dingue ce qu'elle peut s'en foutre à ce stade là de la soirée. Elle sort une clope roulée un peu chiffonnée du paquet en imitation cuir qu'elle traîne partout puis l'allume en galérant plus que d'habitude et glisse le briquet dans sa poche au passage. Tant pis, il avait qu'à me le donner avant que j'ai à aller le prendre moi-même. Elle s'éloigne un peu du coin ou tout le monde discute pour passer devant ce qui ressemble plus ou moins à une piste de danse improvisée. Dessus les corps s'entassent, se pressent, se caressent au rythme entêtant de la musique. L'adolescente se fraye un chemin jusqu'à une amie et elles commencent à danser. Bancalement. Comme deux filles à deux doigts d'être bourrées. Pendant un moment elles sont mortes de rire sans comprendre pourquoi et quelques secondes après un gars lourd de chez lourd vient les accoster. Hae Won se barre, elle aime pas ce genre de connards. Elle se débrouillera sans moi. Elle se débrouille toujours. Le seul endroit plutôt vide actuellement c'est le balcon. Elle a besoin d'un peu de calme pour se vider la tête, qui tourne déjà énormément en fait, alors elle s'y traîne en attrapant un nouveau verre au passage. Il est déjà entamé, y a des traces de rouge à lèvres rose de tous les côtés. Mais tant pis, elle n'a pas le cœur à chipoter. Pas maintenant. Elle a juste besoin de calmer son flot de pensées et elle espère que l'alcool va l'aider. Elle trempe timidement ses lèvres. C'est de la tequila mélangée à un jus de fruits bon marché ou un truc du genre. Cul-sec !
Hae Won se trouve sur le balcon désormais. Elle est assise en tailleurs contre la rambarde et regarde du coin de l’œil un type super mignon qui n'arrête pas de lui sourire. Mais elle est venue là pour se poser, pas pour trouver la perle de la soirée. Elle soupire et joue nerveusement avec les filaments de son jean déchiré aux genoux. Pathétique. Pitoyable. Y a bien des mots pour la décrire à l'heure qu'il est. Elle est comme ça depuis la rupture. Ça fait des mois maintenant mais elle n'est toujours pas rétablie complètement. Elle a tourné sa tristesse en crise d'ado' et en rébellion mais la vérité c'est qu'aujourd'hui elle a bien du mal à en sortir, de la tristesse autant que de la rébellion. Elle sait que c'est mal mais elle aime ça sortir. Elle a pris goût aux trucs comme fumer, boire, rentrer à pas d'heureet embrasser le premier venu. Depuis la rupture elle n'a jamais embrassé de fille d'ailleurs. Elle ne veut pas. Elle ne veut plus. Elle a trop peur de souffrir à nouveau. Comme si la souffrance se limitait qu'aux filles...Elle sait bien que les garçons sont dangereux aussi. Elle sait bien mais elle oublie. Elle s'éclate la tête et elle oublie. Ado de 16 ans bien loin de la gamine timide et modèle d'avant. Elle se redresse et va rejoindre le type qui la regarde. Elle attrape sa main et se met à danser avec lui. Un peu plus-tard dans la soirée elle l'embrasse, fait peut-être même un peu plus. Le lendemain elle ne s'en souvient plus vraiment de toute façon. Elle ne se souvient jamais vraiment de rien parce qu'oublier est la clé de l'équilibre de son petit monde fragile.

ARC IV - MISTAKES & DISASTERS

Au cours de cette période plutôt désastreuse de la vie d'Hae Won, un bouleversement de plus est venu subtilement s'ajouter. Elle sortait toujours beaucoup et n'avait pas spécialement arrêté de déconner mais elle avait -enfin- retrouvé un semblant de stabilité sentimentale. Cette bonne nouvelle aurait pu contribuer à la remettre doucement sur les railles, mais les choses se sont vite dégradées. Elle était heureuse avec son copain. Oui, un copain et pas une copine car on ne tire pas un trait sur des souvenirs douloureux aussi facilement. Ou en tout cas elle n'y arrivait pas. Heureuse donc, depuis quatre mois. Tout se passait pour le mieux. Des sentiments réciproques, une relation complice, des hauts et des bas. Un vrai couple qu'elle aurait aimé solide. Mais il fut bel et bien ébranlé. Un soir que le couple était sorti faire la fête chez des amis, ils terminèrent la soirée dans un état douteux et dans une chambre quelconque. C'est là qu'ils eurent un problème qu'ils ne réalisèrent que bien trop tard, alors que le « mal » était déjà fait. Un mois plus-tard, alors que nausées, migraines et absence de règles se mêlaient, l'annonce terrible d'une grossesse était confirmée. A 17 ans, Hae Won se retrouvait dans une situation très compliquée qu'elle n'avait jamais ne serait-ce qu'envisagé. Ses parents lui en avaient voulu, manquant de se brouiller sévèrement avec elle, et certains de ses amis se permettaient de la juger. Elle se sentait très seule. Même son copain s'était éloigné pour « prendre du recul et faire le point », alors qu'elle avait espéré qu'ils resteraient soudés tout au long de cette épreuve. Seul son frère demeurait là pour elle. Toujours à l'écouter, à apaiser ses terreurs nocturnes et ses crises de larmes, à la conseiller quand elle hésitait sérieusement entre l'avortement et garder le bébé. Puis, comme elle et son copain s'aimaient vraiment à ce moment là, il avait enfin accepté d'en discuter avec elle. Après près d'une semaine de discussion, à peser le pour et le contre, il ne lui restait plus beaucoup de temps pour avorter. Mais contre toute attente elle avait décidé de garder l'enfant. Elle s'était rendue compte qu'elle avait fait de sa vie un bordel monstrueux depuis quelques temps et qu'à présent elle avait envie de stabilité et de rééquilibrer tout ça. Évidemment elle n'aurait jamais cru qu'avoir un enfant serait son moyen de remettre les pieds sur terre mais maintenant que l'opportunité se présentait elle avait envie de voir ce que la vie lui réservait. Elle avait envie de croire au bonheur. Alors elle s'était laissée porter et avait assumé cette grossesse, événement bouleversant pour son couple mais finalement peut-être pas si négatif.
Cependant le cours de la vie n'étant pas figé, rien n'aurait jamais pu la préparer à ce qui s'est passé ensuite. En weekend chez ses grands parents avec le reste de sa famille, tout allait pour le mieux jusqu'à ce qu'une violente douleur au dos ne survienne. Pliée en deux alors qu'elle se trouvait face à l'escalier, elle s'était accrochée à la rampe comme elle avait pu mais avait tout de même basculé en avant car la prise n'était pas vraiment ferme. Elle avait basculé en avant, avait dévalé plusieurs volées de marches et atterri au sol, sur le ventre, avec en prime la paumette fendue et l'arcade sourcilière ouverte. Transportée à l'hôpital d'urgence dans l'heure alors qu'elle ne faisait que pleurer, prendre son ventre en coupe dans ses bras et s'inquiéter pour son enfant ; le verdict du médecin avait été sans appel. Le petit cœur à l'intérieur d'elle avait cessé de battre et à l'instant même ou l'homme face à elle prononça ces mots elle ressentit une immense douleur dans son propre cœur. Une douleur morale et cruelle qui la foudroyait de part en part. Elle était tombée à genoux et s'était mise à hurler. Le lendemain les médecins forçaient des contractions et elle du accoucher d'un fœtus inerte qu'elle refusa catégoriquement de nommer et de prendre dans ses bras. Le garçon qu'elle aimait ne vint pas la voir à l'hôpital une seule fois durant les trois semaines qu'elle y passa. Il avait reçu un coup de fil du médecin juste après l'accident mais ne s'était jamais manifesté. Elle ne l'avait jamais revu.
Les semaines qui suivirent furent un véritable enfer pour elle. La double déchirure qu'elle ressentait au niveau de son cœur ne semblait pas se résorber et elle ne s'arrêtait pas de pleurer. Elle ne laissait personne la toucher, ni les amis qui étaient restés proches d'elle après l'annonce de la grossesse ni ses parents ni même son frère. Elle était entrée dans ce qu'on appelle la dépression et tout son monde semblait s'être voilé de noir.

ARC V - CAN'T GO BACK

Hae Won est à l'arrière de sa voiture avec son frère et tous les deux rient à s'en déchirer la gorge. Deux ans ont passé depuis sa grossesse désastreuse. A force d’anxiolytiques, de thérapie et de soutien de ses proches, elle a réussi à s'extirper de la dépression qui menaçait de la submerger. Aujourd'hui elle réapprend doucement à vivre, à profiter et à sourire. Ce soir elle est sortie avec des amis pour la première fois depuis bien longtemps. Son petit frère avait insisté pour venir avec elle maintenant que ses parents sont un peu plus permissif sur ses sorties. Il tenait à être là pour voir sa sœur émerger de sa longue période sombre. Il lui parlait de cette soirée depuis des semaines et au départ elle n'était pas spécialement pour mais il s'était montré si insistant qu'elle avait fini par accepter. Ils se sont rendus tous les deux en voiture sur les lieux de la fête. La jeune femme a obtenu son permis récemment et est toute fière de pouvoir se déplacer par elle même à présent.
A l'heure qu'il est ils sont sur le retour. S'ils se trouvent à l'arrière c'est tout simplement parce qu'Hae Won ne conduit pas. Elle a pas mal abusé de l'alcool tout à l'heure. Elle pensait rester dormir sur place mais un de ses amis a proposé de les raccompagner. Il a l'air plus alerte et conscient qu'elle. Du coup elle lui fait confiance pour les ramener chez eux. Il a l'air. Les kilomètres s'égrainent sur le compteur et elle continue de discuter de manière plus ou moins cohérente avec son frère. Ce qu'elle ne voit pas ce sont les kilomètres/heure qui défilent tout aussi vite ainsi que les yeux vitreux de son ami qui lutte pour ne pas les fermer. Ce qu'elle ne pressent pas c'est l'approche d'un tournant majeur dans sa vie. Ce qu'elle n'entend pas c'est le crissement soudain de huit pneus. Mais trop tard. Deux voitures se percutent dans la nuit sur une étroite route. Un concert de taule froissée, d'os brisés, d'airbags qui s'ouvrent et de hurlements. Surtout les hurlements. Aussi bien de la douleur que de la peur panique. Qu'est-il en train de se passer ? Hae Won, qu'une immense douleur à la cuisse fait pleurer, tâtonne et attrape la main de son frère. Elle est tiède et moite mais étonnement inerte. Elle la serre mais ne reçoit aucune réponse. Elle la serre de nouveau, encore plus fort, mais toujours rien. Alors elle se met à paniquer, à hurler, à suffoquer. Il y a la douleur, il y a la terreur. Elle ne parvient pas à le voir car sa vision est brouillée par un voile de sang qui coule du sommet de son crâne. Alors qu'elle essaye de se tourner un peu plus le craquement d'une côte achève de la réduire à l'impuissance et de la faire tourner de l’œil. Elle sombre doucement dans l'inconscience en gémissant le prénom de son frère.
Lorsqu'elle se réveille dans une chambre blanche immaculée, quatre jours ont passé depuis l'accident. Les seuls sons qu'elle entend se résument aux tintements de diverses machines. Elle met un moment avant de comprendre ou elle se trouve. Elle se souvient de pourquoi elle est ici. Des flashs la bombardent. Elle a mal partout. Mais c'est la panique qui la submerge avant tout. Ses parents qui n'ont pas bougé de son chevet viennent de remarquer qu'elle se réveille. Elle les regarde, atterrée. Ils appellent le médecin. Tandis qu'Hae Won se met à crier. D'abord des cris sans logique, puis son prénom à lui. Encore et encore elle hurle pour une réponse qui ne vient pas. Le médecin entre en trombe dans la chambre, lui intime gentiment le silence et lui explique qu'elle a le tibia gauche cassé, la rotule droite déplacée, une commotion cérébrale ainsi que trois côtes brisées. Autrement dit, un peu plus et elle aurait pu ne pas survivre. Mais elle s'en fiche éperdument. Une toute autre question lui brûle les lèvres. Quelque-chose de bien plus dramatique. Mais elle n'a pas le temps de la poser que ses parents la prennent dans leur bras. Jusque là elle n'avait pas remarqué leurs épaules tremblantes et leurs yeux aussi gonflés que rouges. Alors elle comprend. L'éclair la frappe. Les souvenirs la poignardent. La réalité la submerge telle une vague d'un million de mètres. Et elle se met à hurler puis à gémir. Encore. C'est en partie de sa faute. Elle rentre ses ongles dans ses paumes et se mord la lèvre à en saigner. Aucun mot intelligible ne sort de sa bouche. Pourquoi a-t-elle survécu et pas lui ? Pourquoi alors que c'est de sa faute s'il s'est retrouvé dans la voiture ? Elle n'aurait jamais du l'écouter et l'emmener. Elle est responsable. Jugée coupable par sa conscience. Pour toujours coupable.

ARC VI - BECOMING SOMEONE ELSE

Trois ans ont passé depuis le tragique accident. Hae Won est aujourd'hui en troisième année de cursus photographie au sein de l'université Yonsei. Ses parents l'ont envoyée là-bas dès la rentrée qui a suivi le décès de son petit frère. Même si elle restait leur fille, même s'ils ne pouvaient pas la rejeter complètement, ils avaient compris sa part de responsabilité dans l'affaire eux aussi. Alors ils avaient préféré l'éloigner pour pouvoir avancer, et pour qu'elle même puisse avancer. D'ailleurs c'est ce qu'elle tente de faire depuis trois longues années. Elle a même l'impression d'être devenue quelqu'un d'autre depuis qu'elle est ici. Bien que toujours rongée par ses démons, elle s'est forcée à reprendre une vie normale. Pour faire honneur à la chance que ses parents lui ont offerte mais aussi -et surtout- pour que son frère ne la haïsse pas de là ou il est. Elle vit la vie pour deux en permanence, en espérant qu'il lui pardonnera un jour et qu'il aimerait qu'elle soit heureuse maintenant.