# A bad outfit hurts my soul # Talons qui claquent au sol, lunettes de soleil de marque, tenues fashion, dix paquets aux bras : 1m68 de parfait cliché, Naomi ou l’acheteuse compulsive victime de la mode… Dépensière, allez, c’est une drogue comme une autre. Mais si son dressing occupe tout un mur de sa chambre, ce n’est pas parce qu’elle croule sous les fringues : c’est plutôt que la pièce est minuscule. Tout ce qu’elle « achète », elle le rend le soir ou le lendemain après une utilisation, quitte à pleurer à l’idée de se séparer de si belles pièces ; et pour cause, elle n’a pas les moyens de vivre dans le luxe. # Bitch please # Souriante au quotidien, tout à l’air facile pour elle et avec elle, alors même qu’elle est plongée dans la galère jusqu’au cou. C’est qu’elle est optimiste de nature et n’aime ni craquer ni inquiéter autrui. Néanmoins, les coups de putes, franchement, c’est délicieux, ça pimente la vie ; elle ne s’en prive pas, que ce soit pour passer le temps, pour se venger ou pour prendre le parti d’un(e) ami(e). # Dare or not ? # Sa vie est ponctuée par les paris et les ragots. Rumeurs, influence sur des couples, rivales à écarter… mais pas que. Terriblement téméraire et inconsciente, elle est du genre à ne pas calculer les risques, voire à courir après un voleur sans trop savoir ce qu’elle fera après l’avoir attrapé (ou plus probablement, ce qu’il lui fera). De toute façon elle est bagarreuse. Preuve en est sa tendance à enfoncer ce qui lui tombe sous la main dans les trous de nez des gens qui l’agacent ou, en cas de conflits plus graves, à mordre, tirer les cheveux et mouliner des bras en espérant toucher quelque chose. Un coup de genou à l’entrejambe peut-être aussi d’une grande utilité face à un mec... mais si par malheur elle blesse sérieusement quelqu’un, elle aura le réflexe de se répandre en excuses au lieu de détaler comme un lapin. Un peu conne parfois, avouons-le. Et puis son impulsivité lui jouent bien d’autres tours ; par exemple, bien que consciente de n’avoir aucun sens de l’orientation et d’être capable de se perdre dix fois dans cette ville où elle a pourtant grandi, elle fonce sans établir d’itinéraire dès lors qu’il lui faut aller quelque part, et est même capable de pousser l’audace jusqu’à se proposer pour jouer les guides ! # Sorry I can not hear you I’m kinda busy # Fêtarde inconditionnelle, elle ne peut pas s’empêcher de se pointer à toutes les soirées. C’est son moyen de décompresser et de garder sa bonne humeur, et puis elle a des années d’ennui à rattraper puisque la plouc qu’elle était au collège et avant n’était acceptée à aucune soirée (ou alors juste en tant qu’employée). Quand elle dans on ne l’arrête plus – le combo musique + alcool à tendance à la désinhiber complètement et c’est à ces glorieux moments qu’elle doit les rumeurs concernant sa tendance à ponctuer les soirées par des strip tease. Cette meuf est à la fois tellement bosseuse et fêtarde qu’on peut légitimement se demander quand elle a le temps d’étudier ou de s’entraîner. C’est simple : sur le comptoir du bar où elle est serveuse, dans l’arrière-boutique où  elle bosse en tant que vendeuse, dans le taxi où elle attend sa clientèle… et puis elle ne dort pas beaucoup. On se contente de dire qu’elle triche ou achète sa place, mais qu’on y croit ou non sa branche la passionne. Elle veut percer et est prête à tous les sacrifices pour. # My lips like sugar # C’est indéniable, elle a un faible pour le sucré et pourrait passer sa vie à ne se nourrir que de cela –  mais son frère et son père sont un peu sur son dos pour qu’elle mange équilibré. Ou presque. Il faut dire que les rapports de Naomi avec la nourriture sont délicats ; ancienne boulimique, elle conserve le numéro du médecin qui l’a aidée à s’en sortir, puisque la pression a tendance à la faire rechuter. # What the hell ? # Le moins qu’on puisse dire à son sujet, c’est qu’elle est une attrape-galères. Comptez sur elle pour se fourrer dans toutes sortes de pétrins et pour compliquer les choses en essayant de s’en tirer. # facts about her # Au nombre de ses manies, on peut entre-autres citer sa tendance à s’asseoir sur les tables et sur les dossiers des chaises et des bancs au lieu de se poser correctement sur les sièges. Ou encore le fait qu’elle soit un vrai cœur d’artichaut. Il suffit d’un détail pour qu’elle se croie folle amoureuse – une voix grave et sexy à tomber, des mains masculines à souhait, un style excentrique et unique, un sourire craquant, etc. Et parfois, ses bonnes raisons peuvent sembler franchement ridicules mais elle n’y peut rien : le cœur a ses raisons – et la raison n’y a guère de place. De toute façon, tout est toujours plus marrant quand.

Gémissements étouffés, puis de plus en plus audibles. Les sons qui rythmaient les réveils de Nao Mi depuis toujours. Elle quittait son yo à même le sol pour ramper jusqu’au matelas de sa mère, posait ses petites mains sur les joues pâles, creusées. Sourire faible, rictus fade qui se voulait rassurant mais qui lui broyait le cœur. Larmes salées sur les joues de maman. En fond sonore, les ronflements de papa, bienheureux, inconscients. Et son regard qui se perdait, hanté ; ces maudites phrases dénuées de sens qu’elle psalmodiait tout à coup et répétait en boucle. « Il a mis des barreaux à mes fenêtres, il m’a enfermée dans une cage, je vais mourir, mourir, mourir. » Mais il n’y avait rien aux fenêtres – juste un ciel gris comme leur vie. Les bras de maman étaient striés de griffures sanguinolentes, encore, et elle avait des bleus là où elle s’était frappée. Elle posait son front contre celui de Naomi et murmurait contre sa peau – « tu es tout ce que j’ai, sors-moi de là, aide-moi à partir avant qu’il ne me fasse plus de mal… » Et papa qui ne se réveillait pas. Papa qui dormait encore profondément, insouciant, alors que maman mourait de l’intérieur, se consumait sous le poids de sa folie.

« Babo, sors de ma chambre ! » « Mais c’est aussi la mienne… ! » « Dégage ! » Nao Mi, elle ne le supportait pas, ce gamin qu’on disait être son petit frère. Nao Ji. Il était l’enfant d’une autre, alors il n’était pas de la famille n’est-ce pas ? Sa génitrice à lui était grande et belle, indépendante, impressionnante. Elle intimidait un peu, elle captivait tous les regards. Pas très affectueuse cependant, plutôt froide et inaccessible. Dès le premier regard échangé la gamine l’avait un peu admirée, mais surtout détestée ; parce que la sienne, de mère, elle n’était pas du tout comme ça. Douce autrefois, farouche et agressive désormais, paumée dans un cauchemar éveillé dont elle ne sortait plus. Les cheveux en friche, le regard fou, la peau marquée, les yeux cernés, elle croupissait dans une pièce blanche depuis des années, une chambre vide et dénuée d’âme avec de vrais barreaux aux fenêtres. Et elle ne disait plus rien, si ce n’était : « Tu m’as abandonnée. Petite garce, je croyais que tu m’aimais mais t’es comme ton père ! » Papa soupirait juste, se grattait l’arrière de la tête, haussait les épaules. Peu importait après tout, puisqu’elle ne savait pas ce qu’elle disait ; elle n’avait plus toute sa tête. Naomi souriait, prétendait que non – ce n’était pas grave. Mais c’était toujours une cicatrice invisible de plus. Elle se raccrochait à son père de peur que lui aussi ne finisse par l’abandonner, mais il y avait Nao Ji, cet usurpateur qui tentait de lui voler la seule famille qu’il lui restait. « Pourquoi tu m’aimes pas ? » « Pourquoi je t’aimerais ? Même ta mère ne veut pas d’toi. » C’était vrai non ? Puisqu’elle l’avait emmené ici à sa naissance et l’y avait laissé ; elle ne passait qu’une fois tous les deux mois, à tout casser. Nao Ji était toujours trop gentil, trop doux, malgré toutes ses tentatives pour le repousser. C'était pénible : elle n'était pas naturellement vache, au contraire elle avait tendance à bien trop se laisser faire. Mais elle abusait de ces mots-là face à lui, parce qu'ils faisaient mouches à chaque fois et dégénéraient en bagarres, de plus en plus souvent. Alors Papa le confiait à la voisine, le temps que les mioches se calment et que la tension redescende. Pour Naomi c’était là qu’était sa place : hors de la maison. Autant de petites victoires qu’elle accumulait avec satisfaction. Bingo.

« Ya Lee Nao Ji ! T’as pas intérêt à être sympa avec ces gens ou je f’rai de ta vie un enfer, arasseo ? » « Ara… j'veux pas rester ici, mais ils m’ont vraiment bien accueilli alors… » Claque à l’arrière de la tête, phrase interrompue par un cri de surprise. « Ils essayent de t’acheter. Viens par là… » Elle se fit cajoleuse, l’attira jusqu’au rebord de la fenêtre sur lequel elle était assise et encercla son cou de ses bras. « Dongsaeng, tu veux rester avec moi non ? On a enfin réussi à s’entendre, tu ne vas pas les laisser nous séparer maintenant ? » Il secoua la tête de droite à gauche et elle lui offrit un sourire radieux, claqua une bise rapide sur son front. « En plus appa ne s’en sortirait pas sans nous. Alors on ne peut pas les laisser croire qu’on est heureux dans ces familles d’accueil, on doit leur donner du fil à retordre en attendant qu’ta mère intervienne pour nous tirer de là. Marché conclu ? » Elle lui adressa un clin d’œil, il acquiesça avec un sourire complice. « Allez, viens ! » Nao Mi sauta de l’autre côté de la fenêtre par laquelle elle s’était incrustée un peu plus tôt et il la rejoignit sans se faire prier. Comme toujours, ils ne rentreraient pas d’eux-mêmes ; des voitures de fonction ornées de gyrophares mettraient fin à cette énième fugue.

« Mais t’es complètement dingue, regarde c’que t’as fait ! » La peste s’était transformée en fontaine de soju – la boisson gouttait des vestiges de sa coiffure jusqu’à sa robe ruinée. « Lee Nao Mi, tu es virée ! » « Mais elle m’a insultée et – » « Je ne veux rien entendre ! C’est pas une façon de traiter la clientèle, t’essaye de ruiner ma boîte ou quoi ? Dehors ! » Et la porte claqua derrière elle sans autre forme de procès. « Et ma paye pour la semaine ? » Elle tambourina contre le panneau de métal, insista, vociféra sans le moindre succès ; seulement pour être interrompue par l’un des videurs, qui la fit dégager sans façon de l’arrière de la boîte. « Toi aussi tu t’es fait refouler ? » Elle hésita à répondre, mais les deux filles face auxquelles elle s’était retrouvée ne ressemblaient en rien à l’amas de gosses de riches infectes dont le club était bondée, alors... pourquoi pas ? « Virer », soupira-t-elle en se laissant tomber sur la marche à côté d’elles et en se prenant la tête entre les mains. « Pour avoir offert un bain de soju à la probable future reine du lycée, alors j’imagine que le calvaire commence tout juste et atteindra des sommets à la rentrée… oh non, qu'est-ce qui m'a pris ? » Le ras-le-bol tout simplement. Mais le prix à payer était trop élevé : elle avait besoin de cet argent et venait de perdre des journées de travail ! En plus du fait qu'elle paierait cher ce petit sursaut de rébellion. C’était ça, d’être tout au bas de la chaîne alimentaire du système scolaire : que les plus populaires vous prennent en grippe et vous vous faisiez dévorer cru. Elles s’étaient retrouvées à partager leur expérience respective, à critiquer ceux qui leur pourrissaient la vie au quotidien, à rêvasser du jour utopique où elles leur rendraient enfin la pareille… et puis il y avait eu le timide « Et si on tentait le coup ? » de la fille aux dents de métal. Une simple phrase qui avait tout déclenché. Après tout, Da Eun était la nièce du doyen de la Yonsei University ; Sun Mi la fille de l’un des architectes du projet digital city de ladite université. Deux atouts qui pourraient leur assurer un avenir extrêmement prometteur à condition qu’elles exploitent au mieux leur potentiel… Et il fallait qu’elles commencent dès maintenant, pour que leurs années lycée ne ressemblent en rien à l’horreur qu’elles avaient vécu au collège.

Elles avaient fait un Pacte : ne plus jamais se laisser marcher sur les pieds, passer du statut de ploucs impopulaires rejetées à celui de reines de la nuit et d’objets de convoitise. Et pour atteindre ce but, elles s’étaient battues contre elles-mêmes jusqu'à changer du tout au tout, intérieurement comme extérieurement.

« Vous êtes vraiment immondes, mon père est en train de mourir et vous voulez quand même nous prendre notre télé ? » Mais s’accrocher au dit objet ne mena à rien : l’homme fit signe à son comparses de la déloger et l’autre type la ramassa par la taille comme si elle ne pesait rien pour la flanquer sur son épaule large, sur laquelle elle tapa des poings. En deux temps trois mouvements ils avaient vidé leur appartement moisi de tout ce qu’il restait de leurs maigres possessions et Naomi balança un torchon sale au visage de l’un des types. « Ramasse ça aussi pendant que tu y es, puisque vous prenez tout. Bande de rapaces. »

Cette scène n’était même pas exceptionnelle. Une journée banale de plus dans leur quotidien d’embêter – au moins cette fois il n’y avait pas eu de menaces. Naomi claqua la porte et se précipita jusqu’à son père, essayant de le ranimer : il avait fait une crise cardiaque. Ça arrivait de plus en plus souvent, sans doute à cause de la pression ou de… – « Ils sont partis ? », souffla discrètement le prétendu trépassé en ouvrant un œil pour s’assurer de lui-même que leurs créanciers avaient vidé les lieux. Dans tous les sens du terme. « Aish, ils ont même emporté ma balle de baseball dédicacée ! Aigoooo… » Naomi cligna des yeux, complètement prise de court et incertaine quant à la réaction appropriée. « Tu… faisais semblant ? » demanda-t-elle simplement, et il lui offrit un clin d’œil complice. « Brillant, hein ? Je ne voulais pas devoir les passer à tabac devant toi, pour leur sécurité il valait mieux que je fasse semblant d’être inconscient. » Oh. Mais oui, bien sûr. Elle lui offrit un sourire un peu forcé, pas dupe pour un sou mais incapable de lui prendre après. « Et… tu sors ? » « Je sens que je suis en vaine ce soir ! Je vais en profiter et lancer quelques paris, ton frère et toi vous verrez : d’ici quelques jours on sera riches ! » Le sourire de sa fille se fana, mais il était déjà trop loin pour s’en rendre compte.

Entrer à la Yonsei University, chez les Pyobeom plus précisément, revenait presque à concrétiser un rêve. Presque parce qu’il s’agissait tout de même d’un second choix : Naomi avait passé des années à tenter de se faire remarquer par des labels de musique – sans succès, apparemment (évidemment elle ne pouvait pas se douter que son père s’empressait de faire disparaître toutes les réponses qu’elle obtenait, depuis le début). Tout de même, les choses avaient bien changé depuis qu’elle y était entrée. Et continuait de trimer comme une dingue pour envoyer à son père les sommes exorbitantes dont il avait constamment besoin et pour, en parallèle, régler les dépenses que sa bourse ne couvrait pas. Mais pas que. Amies, cours, sorties, crew d’artistes, soirées, shopping et excès rythmaient désormais son quotidien, certes chargé mais agréablement palpitant selon elle. Autant dire qu’elle ne le troquerait pour rien au monde.