Je suis un passionné, un révolté, mais mon combat est parfaitement interne. Je n'ai jamais réussi à l'exprimer. J'enrage devant les injustices, mais je suis incapable de lever le poing pour montrer à quel point je peux être en désaccord avec la société actuelle. Je suis vegan, mais je ne le crie pas sur tous les toits, en avançant le fait que je ne veux pas argumenter une énième fois contre quelqu'un. C'est faux. Je sais que je fais une bonne chose, mais je n'ose juste pas le revendiquer. On appelle ça de la timidité, j'appelle ça de la réserve. J'ai été éduqué dans ce sens.

Mon père a toujours été bon et strict, pensant que l'éducation faisait tout, que l'école était une des choses les plus importantes au monde. Je n'ai jamais vraiment eu de vacances ou de temps de relâche, juste des cours en plus et toujours plus nombreux. Est-ce que je lui en veux ? Bien sûr que non. Il a fait ça en pensant à un bien pour moi et non à quelque chose de négatif. Ma mère elle, et bien. Elle était un électron libre en total déséquilibre avec lui. Ce n'est pas vraiment étonnant qu'un divorce soit arrivé au bout de dix ans de mariage. J'étais encore jeune, j'avais à peine 8 ans, mais elle était un papillon enfermé dans une cage dorée. Elle m'a appris à aimer l'art, à rêver toujours plus grand, plus loin, plus haut. Avec elle, j'ai appris le dessin et le piano.

Avoir quitté Busan pour vivre à Cambridge m'a permis de grandir en ayant l'esprit ouvert. J'avais accès à tout, et quasiment sans aucune restriction. Venir ici fut une véritable entreprise. Un défi en soi. On me dit souvent que je suis bien trop poli, mais je ne sais jamais comment m'adresser aux gens. Si je peux être poli mais familier ou bien si je vais me faire lyncher. Malgré ma gueule de bridé, je reste un étranger parmi les miens. Je me sens comme un étranger à vrai dire. Chaque mois, je donne de l'argent à différentes associations. Dans mon placard, j'ai des dizaines d'items pouvant les représenter, mais il reste là et chaque jour, je m'efforce juste à me fondre dans la masse.

J'avais pour ordre de suivre des études, mais pas n'importe quoi. Le fils d'Ahn Won Sik n'allait pas devenir pianiste ou professeur de dessin ! Balivernes ! Non, il fallait quelque chose le représentant. Quelque chose montrant que mon cerveau n'est pas vide et que je sais m'en servir. Passionné par les astres, lorsque j'ai évoqué la cosmologie, il a d'abord été réticent, et puis un nom m'a permis de sortir du lot : Stephen Hawking. Brillant, talentueux, une des fiertés de Cambridge, un nom que mon père connaissait, mais pas forcément pour son travail, juste pour sa renommée. Alors il a accepté, parce qu'avec la tête dans les étoiles, on peut devenir quelqu'un visiblement.

Yonsei n'a été qu'une étape finale à tout ça. Il voulait que je renoue avec la Corée. Son nom m'a permis d'entrer ici en compensation de mes résultats plutôt bon, voire très bon, mais pas si unique que ça entre les murs de l'université. C'était sûr, entre l'Angleterre et la Corée, j'allais forcément pouvoir devenir quelqu'un d'important. Je sais qu'il est déçu.

Devenir vendeur de cafés, c'était une facilité. J'ai obtenu ce petit job durant ma dernière année d'études et je ne l'ai plus jamais quitté, gravissant les échelons tranquillement, sans réelle pression. Ma mère y voyait une sorte de liberté d'expression, et mon père, une perte totale d'espoir face à tous les efforts qu'il avait pu fournir dans mon éducation. De petit intellectuel, je suis devenu une déception ambulante. La vérité, c'est qu'une fois mon diplôme en main, j'avais l'impression de ne rien pouvoir accomplir en cosmologie, de ne pas être assez visionnaire, assez fou, assez révolté, assez confiant pour imposer mes théories, pour relativiser, pour vouloir changer la vision des autres et l'élargir.