Janvier 2015, deux heure du matin, Gangnam.

« Dans le quartier le Gangnam, une jeune fille saute agée de vingt ans saute du Banpo Bridge, les secours sont arrivés sur les lieux ... »

Les radios du quartier deviennent folles.
Tes parents se morfondent sur leur sort.
Ton frère n'a pas bougé de son fort.

L'eau congelée t'enveloppe violemment et ne te laisse pas le temps de respirer, tu portes seulement une robe légère pour te protéger. Une protection qui ne t'aidera pas et tu le sais, tu l'as fait exprès. Sait-on jamais, si tu avais décidé de porter quelque chose de plus chaud peut-être allais-tu survivre. Et ce n'était pas le but. Les bulles remontent, tu les sens s'échapper de ta bouche avec hâte, elles ne demandent qu'à être libérées. Tout comme toi à ce moment même. Tu réussis à ouvrir les yeux quelques secondes avant d'être assénée par la fatigue d'une vie, la pression de l'eau et ton corps vidé d'energie, ils se referment et tu ne te débats pas. Tu entends les girofards des ambulances qui arrivent au loin. Viennent-elles pour toi ? Je vais bien cries-tu intérieurement. Puis plus rien. black out pendant ce qui semble être une eternité.

Quelques jours plus tard, au SNUH (Seoul National University Hospital).

Ca fait maintenant une semaine que tu as fait ta tentative de suicide. Tu ne parles plus, tu ne manges plus, t'es blanche comme un cachet parce que le manque te monte à la tête. Ton regard est vide, ton corps est sans vie même si ton coeur bat et que tes poumons se remplissent d'air. Si tu n'avais pas été "secourue", tout ça se serait arrêté. C'est ce que t voulais. Que tout ça s'arrête. Que cette sensation de vide trop envahissant s'estompe, s'en aille, disparaisse. Mais l'égoïsme de l'humain, son besoin de se faire passer pour un héros, t'as empêché d'atteindre ta destination finale. Maintenant tu es là, complètement léthargique. Un moment allongée sur ton lit, les yeux fermés. L'autre, par terre, dos contre le mur et les yeux qui scrutent le ciel. Et puis quelques on te retrouve sous la douche gelée toute habillée. Tu n'es plus ce qu'on appelle Humaine. Tu n'es que l'ombre de toi même.
Après cette semaine passée à l'hôpital, ton père décide de t'envoyer dans un centre spécial à Los Angeles, aux Etats-Unis. Personne n'est prévenu, et personne ne le saura. Même pas ton frère. Tout ce que tu laisses derrière toi sont des rumeurs, des jugements. « Elle a foutu pas mal de monde dans la merde avec ses addictions bizarres et maintenant elle se barre parce qu'elle n'assume pas. »
Tu ne t'opposes pas à la décision du chef de famille et tu prends l'avion pour L.A le lendemain.

Année 2015 - début 2016, Los Angeles.

Lorsque tu es arrivée là -bas, très sincèrement, tout s'est passé très vite. Ta liberté s'est envolée en un claquement de doigts comme ta capacité à parler, à manger, à vivre, tout simplement. Dès ton arrivée, tu n'as plus vu le soleil et cela pendant cinq mois. Enfermée dans ta chambre d'hôpital. L'impression de mourir un peu plus à chaque minute qui passait. Ce vide qui ne se comblait pas mais qui pourtant prenait beaucoup trop de place. Ces yeux vides, froids, sans vie et désespérés. Toutes ces choses sont devenues ton quotidien pendant à peu près cinq mois.
Cerveau ramolli par les médicaments, peau blanchie par les néons, humanité prise par ce qu'on nomme [i]les choses de la vie. « T'as survécu, pourquoi tu te plains.» Questions rhétorique qui ne cherchent pas de réponses. « Fais un effort, ton père ne va pas payer une blinde pour que tu te laisse crever de faim. » Tes yeux qui se fixent sur ces femmes habillées en blanc. Tu n'as pas remarqué la présence d'un seul homme dans ta chambre. Pas un seul n'a mis les pieds dans ton espace privé et tu sais pourquoi. « La fille Cheong est nymphomane, aucun homme dans sa chambre. Sous aucun pretexte. ». Plus tu restais seule, dans cette chambre froide et sans vie qui ne se remplissait pas d'effets personnels, plus tu te rendais compte de certaines choses. Sur ton existence. Celle des autres.
Peu à peu, ton cerveau s'est remis en marche. Peu à peu tes yeux auparavant vides, se sont remplis de larmes. Ce n'était pas le meilleur signe de vie, mais c'en était un. Petit à petit, tes joues ont rosies.

Tu as pris une première bouchée.
Tu t'es mise à parler.
A marcher.
A crier, à pleurer.

D'un seul coup, toutes ces émotions qui semblaient avoir quitté ton corps pour toujours, t'ont frappée de plein fouet, toutes en même temps, tellement fort que tu en as eu le souffle coupé. Il fallait que tu bouges, que tu sortes toute cette frustration qui bloquait toutes ses émotions. Les garder profondément enfouies était une mauvaise idée, et tu ne pouvais pas. Il y a eu le calme. La tempête. La libération. Tout sortait et tout rentrait en même temps. Petit à petit, tu t'es mise à sortir dans la cour et raconter ce que tu ressentais à de total inconnus. Tu t'es mise à parler comme si on t'en avait empêché toute ta vie. Pour raconter quoi ? Tu t'en foutais. Juste parler t'allait. Il fallait que tu prouves que tu étais vivante.
Tu ne sais pas vraiment ce qu'il s'est passé, comment cette délivrance t'as frappé et tu  ne cherches pas vraiment à savoir.

Après quelques jours de procédures et d'attente d'accords de la part de ton paternel, de la direction, tu as pu sortir de cette prison. Une prison de fleurs, comme les infirmières aimaient appeler cet endroit. Parce que quand on en sortait, et tout ce qu'on nous faisait à l'intérieur, c'était pour nous aider à nous contenir, à nous gérer. Tu n'as pas franchement cru à cette merde au début. Puis quand tu as été mise dehors et que ton seul but était d'aller mieux, tu as en quelques sortes compris. Pas question de retomber dans tout ça. Tu ne veux plus jamais te retrouver à terre sans quiconque ou nul par où t'accrocher. La retenue. La retenue était tout ce que t'avais pour continuer les pieds sur terre.

MAKING UP FOR TEENAGE CRIMES.

Dès ta sortie de l'hôpital, tu t'es remise à dessiner, restant à l'hôtel et en essayant de ne pas trop penser à tout ce que tu pouvais faire dehors. C'était ton nouveau "tout ce que tu avait". Tu dessinais le désespoir loin de toi.
Puis un jour pas fait comme les autres tu as décidé d'aller voir ce que les rues de Los Angeles avaient à t'offrir. Tu marchais sans but et tu t'es posé à une table, dans un café, un milkshake à ta droite, ton crayon à ta gauche et tes ébauches de dessins, voir des dessins complets, en face de toi. Étrangement tu souriais. Et tu penses que tu ne serais pas là où tu es sans ce sourire, alors tu lui en es reconnaissante. Pourquoi ? Un homme, attiré par ce sourire qui souffre disait-il, t'as abordé pour jeter un coup d’œil à tes dessins et à ta grande surprise, ce fût le coup de foudre entre lui et eux. Il t'a proposé de dessiner pour lui, dans son salon, ton style pourrait en attirer des vingtaines disait-il. Et c'est ce que tu as fait. Tu as mis ta peur du monde de côté et tu as doucement recommencé à vivre. Au salon, la vie semblait différente. Le temps passait différemment, les gens étaient changeants, tu souriais gentiment. On pouvait voir tes yeux briller de jours en jours. Puis tu as fini par demander un tatouage toi aussi, à force de les voir tous tatouer autour de toi. Le premier, puis le deuxième, il n'en n'a pas fallu plus pour que tu t'y mettes toi aussi et tu t'es même tatouée ton propre corps. Au bout de trois mois ton corps était rempli de ces dessins qui portaient plus de sens que tout ce que tu avais pu voir ou faire. Tu t'es crée ton propre corps, un endroit "pure" de tout ce qui avait bien pu se passer avant, mais qui porte en même temps le sens ta souillure parce que c'est quelque chose qui fait partie de toi.

Début du printemps, et comme la saison, tu décides de tout recommencer à zéro. Recommencer là où tout s'est arrêté. Tu coupes tes cheveux plus courts que tu ne les as jamais eu, tu brûles toutes tes affaires pour te rhabiller avec des choses qui te conviennent mieux. Plus discrètes, plus sensées aussi. Tu es méconnaissable et ça te va très bien. Face au miroir, tu souris.