Flashback : 3 ans plus tôt. 
21 ans, à la recherche de ce truc-là qu'on appelle le bonheur.

❝ C'est une espèce de douleur vive et lancinante, qui t'arrache et t'immole la peau lentement, comme si tu n'étais qu'une simple bougie de cire qui fond à mesure que la flamme subsiste, mais ça n'est jamais trop douloureux pour te faire clamser définitivement. Je ne me l'explique pas, et je n'ai pas vraiment pris le temps d'y réfléchir, mais j'ai survécu : j'ai continué de passer mon temps à demeurer comme je l'ai pu, à sentir du bout de mes doigts rougis par les brûlures l'insupportable et inéluctable sensation de vide et à me battre, toujours plus, parce que je sentais le vent refroidir mon enveloppe meurtrie et ronger mes joues d'orpheline, imprégnées de plomb et de cette élixir de courage. Parce que ouais, tout ce que je peux faire c'est passer la journée à brûler comme une braise partout et n'importe où, à faire ces sourires jaunes d'arnaqueuse, avec toujours ces dents et ces lèvres sans couleurs, et cette langue si sèche collée contre mon palais. J'ai juste l'impression d'être retombée autre part, d'avoir retrouvé la peine habituelle et insatiable de se nourrir de mon âme, et pourtant je refuse de clamser, je refuse de céder, de pleurer, de tomber. Cette peine mélangée à cette envie farouche d'exister, c'est la même que lorsque j'ai appris la vérité au sujet de mes vrais parents, quand je n'étais encore qu'une enfant esseulée, enfant abandonnée. Elle demeure présente, là, ardente et saisissante, et puis elle s'en va quelques temps, pour toujours mieux revenir et saccager tout sur son passage, sur mes lèvres serties de cicatrices invisibles. Oui, je suis Iseul, et j'ai de la peine apposée sur ce cœur que j'essaie de préserver, au-delà des dangers et des coups bas de la vie. 

Je traîne encore dans les ruelles malfamées, diront les passants sans doute un peu trop curieux, qui lorgnent d'un air méfiant cette sombre artère de la ville, celle-là ne sachant accueillir en son sein que les plus marginaux, les plus misérables et les plus défaillants de cette vie. Moi, je déambule comme un spectre trop pressé, mais je ne suis pas comme eux. Je ne suis pas abandonnée à moi-même, je refuse d'être l'enfant perdue de la ruelle, à qui on attribuerait encore des années et des années d'errance sans but apparent. Je suis une battante, je suis celle qui veut vivre, qui veut hurler qu'elle peut aussi bien faire, qu'elle n'a pas sa place éternelle au détour des bouches d'égout et des clochards aux cœurs trop fermés pour espérer les sauver. De leur cutter, ils se prennent à graver quelque chose sur une façade hasardeuse d'un de de ces immeubles, perdu dans cette ville pourrie et sans avenir. Ce simple petit geste inutile, c'est comme écrire dans un carnet, c'est absolument la même chose ; sauf que cette fois, tout le monde a l'exclusivité de voir ce qu'ils ont décidé d'inscrire, en tant que marque irréfutable et indélébile de leur insurmontable souffrance. Moi pourtant, je ne gravais pas sur les murs au hasard. Quand je laissais ma marque, c'était pour attester de ma rage et de mon envie de bonheur, de mon envie d'horizon — de mon envie d'être vraie et de claquer la porte au nez de la misère, de montrer au monde qu'un jour ou l'autre, j'allais aussi être heureuse.  ❞ UC