Tenue ★ Elle ne réalise pas qu'elle se confond en paroles, encore trop frappée par la violence et l'adrénaline du moment. L'adrénaline, ça la connaît. C'est un sentiment grisant, qui pimente la vie et qui corse le quotidien, et maintes et maintes fois Chae Rin a su s'y coller, devoir l'affronter et s'en accoutumer. Et présentement, ce jeune homme qui lui fait face dans une expression presque murée, déformée par la frayeur des conséquences que son acte héroïque aurait pu avoir, venait tout bonnement de lui sauver la vie et de lui épargner une fin douloureuse. Elle ne veut pas mourir, Chae Rin : c'est son dernier souhait, sa plus grande peur. Cette simple pensée de se voir trépasser, d'oublier le goût de la vie ainsi que la vision de la lumière du jour suffit à la faire frémir et à lui dresser les poils sur la nuque. L'inconcevable éventualité la terrorise, tout simplement, et lui arrache l'espace d'un instant un hoquet de malaise. Elle a encore trop de mal à croire que désormais, elle peut demeurer saine et sauve ; titube ici et là, parce que son esprit vient tout juste de se dérober dans un laps de temps invraisemblable, beaucoup trop court pour le rythme jadis paisible de ses pensées. L'orpheline ne peut s'empêcher de remercier réellement et du fond du cœur cet inconnu au vif-argent dans les veines, ainsi qu'au souffle refréné, à en juger par son débit de paroles latent et ses traits crispés par l'angoisse encore fraîche. « Ne vous excusez pas, ce n'est pas du tout à vous de le faire. Je vais bien, c'est surtout à vous que je dois des remerciements ! » Articule la chanteuse en guise de réponse, dans une nuance qui se veut chaleureuse, mais qui s'en retrouve plus tremblante qu'autre chose. Elle époussette sa robe précipitamment, encore désorientée par ce sauvetage risqué, et bientôt, son regard rencontre à nouveau celui du jeune homme qui lui aussi semble dépassé, bien trop pour se comporter naturellement et ne pas laisser la peur et la colère suinter de ses pores. Elle peut comprendre. Après tout, la mort s'est malicieusement faufilée sous leurs paupières à eux deux et dans le même temps. Les regards sceptiques des passants tout autour en attestent, en plus de l'atmosphère pesante qui s'atténue plus rapidement désormais.

Le jeune homme est indiscret. Un héros indiscret, mais un héros quand même, alors Chae Rin ne lui en veut pas et s'amuse plutôt de ses yeux curieux braqués sur elle, aussi compréhensive que spontanément souriante. La miraculée peut en effet sentir le regard perçant de son sauveur l'observer minutieusement, comme si ce dernier était aux-aguets de chaque détail, de chaque petite parcelle d'elle qui ferait pencher la balance ou qui lui permettrait de la sonder de part et d'autre. L'enfant aux empreintes bordées de fleurs et d'insouciance se laisse cerner du regard, touchée : liant ses mains encore moites ensemble, alors qu'elle semble dans l'attente d'une réponse de la part de celui qu'elle s'assurerait de remercier, par le biais d'une bonne action. Comme un échange de bons procédés, avec le cœur qui y est. « Je ne sais pas... » Confie-t-elle alors lorsqu'elle écoute le garçon se redresser, légèrement rieuse en l'entendant s'arrêter subitement et dériver rapidement sur le sujet initial. Peut-être de peur de se faire mal voir. « Vous savez, les mauvais garçons ou les antihéros dans les dessins animés et les dramas... Ça existe aussi, après tout ! Il faut savoir se méfier. » Suggère Chae Rin en guise de réponse, d'un ton qui se veut naturellement naïf et bordé de curiosité. Elle n'oserait pas placer toute sa confiance envers n'importe qui, et ce encore moins envers un inconnu tout bonnement croisé dans la rue — quoi que, d'une manière très peu banale, cette fois-ci — mais son interlocuteur est un sauveur et, les personnes courageuses et n'ayant pas froid aux yeux, c'est ce que Chae Rin s'applique à admirer quotidiennement. Lorsque le garçon au regard tout à coup plus implorant qu'à l'accoutumée s'ouvre à cœur ouvert et lui exprime son insoutenable envie d'aller manger un bout, la chanteuse ne peut empêcher un rire franchir la barrière de ses lèvres et se redresse à son tour vivement, après un soupir expiant tout le stress et le mal-être de tout à l'heure. « Bien sûr que je peux vous offrir ça, il fallait le dire plus tôt ! Il n'y a pas meilleur remède que la nourriture pour se remettre des sensations fortes... Pas vrai ? » Elle fait un pas en arrière, comme dans l'optique d'attirer son sauveur à elle sur le chemin du fast-food le plus proche. « Allons-y, je sens que je ne vous serais pas assez reconnaissante si je ne fais pas au moins ça ! » Et aussitôt, Chae Rin s'éloigne en le sachant sur ses talons, d'un pas presque enfantin quoi que toujours un peu chancelant.

C'est alors après une dizaine de minutes de marche que nos deux héros du jour parviennent enfin au point de rendez-vous, là où l'étudiante saura payer généreusement son camarade pour l'avoir sauvé aussi naturellement. La file d'attente n'est pas longue, fort heureusement, et Chae Rin se met à chantonner éperdument lorsque les plats sur les pancartes murales semblent défiler sous ses grands yeux pétillant d'innocence. « Yah ! Je ne vais pas savoir choisir, moi ! Vous désirez quelque chose en particulier, monsieur le héros ? » Plaisante-t-elle, rieuse. « Je veux bien vous offrir un big mac, ce n'est pas si cher... Mais c'est bien parce que je vais devoir faire avec les moyens du bord. » Elle acquiesce toute seule, avant d'appeler d'une voix qui se veut forte la serveuse qui semble encore inoccupée. La demoiselle songe à aller prendre place plus loin, le temps de patienter, mais ignore encore si le jeune homme a ses côtés préfère rester sur place ou prendre à emporter... Après tout, n'avait-il pas autre chose à faire avant de s'être mis à la sauver au beau milieu d'un passage piéton ?