La plus jolie des enfants

Neriya, c'est la femme spéciale issue du milieu banal. C'est la banalité qui a construit sa spécialité.  Un père et une mère qui travaillent dans l'ombre et la poussière, spécialistes en antiquité égyptienne ; elle leur doit son nom ainsi que chaque question qui en découle après présentation. Elle n'a pas vécu dans la richesse, juste dans la suffisance de pouvoir s'en sortir à chaque fin de mois. Elle n'a manqué de rien : on ne prive pas un enfant qui passe la plupart de son temps seul. Elle n'en veut pas non plus à ses parents, plutôt heureuse d'une étreinte le soir après le travail. Elle est fille unique sans l'être pourtant : un week-end sur deux, elle se complaît d'être pouponnée. Son père a eu une fille avant elle, fille que Neriya aime comme une sœur, hait comme une lionne, jalouse comme une reine, adore comme une enfant. C'est le passé banal qui ne hante pas, nul spectre caché dans les placards fermés. Elle rêve jouets, animaux, corde à sauter. Sa plus grande crainte ? Scolairement, être mal classée. Oublier son sac toute la journée. Le loup qui peut lui attraper les pieds. C'est une enfant, tout simplement.



Son bel amant, le prince charmant
La prend sur son cheval blanc
Quinze ans, c'est l'âge amoureux, l'âge frivole. Elle papillonne, désirable, désireuse, pourtant poupée, juvénile. Son premier amour, son aîné, se déclare. Les papillons dans le ventre, la tendresse au bout des lèvres, et les premiers baisers. Les promesses éternelles, les vies entremêlées. Quinze ans c'est bête, c'est le toujours qui ne dure jamais. Il est parti en lui brisant le cœur, elle a pleuré, s'en est remise dix jour après. Elle se veut femme forte, Neriya, et inconsciemment, trouve sa voie. Les épreuves sont multiples, douloureuses, casse-gueule ; elle finit toutefois par être enrôlée comme pompier volontaire. C'est dur, ça fait mal, faut de l'endurance. Elle se crée, se façonne, se plie aux exigences. Et elle aime ça. C'est sa vocation.
Mais tout n'est pas parfait. A vingt et un an, sur une opération des plus simples, alors qu'elle conciliait avec brio sa vie à la Yonsei et son métier, elle chute. Enfant perdu en forêt, elle a la volonté de le trouver pour montrer une fois de plus sa suprématie, mais le terrain boueux la paralyse. La chute n'est pas mortelle, pas même si douloureuse, mais son nez a besoin d'une intervention d'urgence, d'une chirurgie réparatrice ; elle est défigurée. Mais elle fait confiance à la Corée pour manier son corps, ils sont doués.
C'était la promotion du jour, c'est comme ça en Corée.
Pour un nez réparé, ses yeux sont désormais débridés.



Le prince charmant a foutu l'camp
avec la belle au bois dormant.

Neriya croque la vie par crainte d'être croquée à son tour le lendemain. Reine d'un univers coloré qu'elle s'est façonné, elle rit à chaque instant et déhanche son corps sur les musiques lascives. Elle se moque des critiques, préférant ne pas perdre son temps dans les hésitations futiles et fatidiques. Le verre de trop, comme souvent. Attirance féline, exhalant. Vêtements qui glissent dans l'obscurité d'une chambre aux volets fermés. Plaisir non simulé, amusement désiré : juste une fois, comme toujours, corps en feu et âme en détour. Elle n'a honte de rien, préfère remplir sa vie de bons souvenirs avant de voir son corps se flétrir. Elle n'est pas une croqueuse d'hommes, ni même de diamants, elle est une croqueuse de vie et d'amusement. Il est parti au petit matin, sans un mot et sans rien ; elle ne s'en est pas offusquée, aurait fait de même si elle s'était réveillée. Elle n'est plus sûre de son nom, ni même de son visage. Elle repart étudier, les objectifs rappelés, la détermination vive. Lui est sans doute parti se remettre en forme pour recommencer le soir même dans les bras d'une autre. Elle s'en moque, qu'il profite de sa vie comme elle profite de la sienne.
Et puis deux mois plus tard, le ventre bombé, les incertitudes.
Pour tout dire, elle n'est même pas sûre qu'il soit de lui.



Pour ne pas voir qu'un nouveau jour se lève,
elle ferme les yeux et dans ses rêves,
elle part.

Elle se laisse pas démonter, Neriya c'est la femme que rien ne peut mettre au tapis. Elle choisit sa vie et en est fière, ne laissera rien arracher son sourire et mettre à mal son caractère. Elle plaît ou déplaît, passe ou casse, mais le fait toujours avec classe. Si elle n'est pas sûre d'arriver au terme de sa grossesse, hésitant à vouloir vraiment être mère célibataire, elle a décidé de ne pas se lamenter, que la décision viendra seule et ne sera pas regrettée. La tête dans les cahiers, dans les fiches, de nombreux stylos usés, les surligneurs avortés, les touches du clavier abîmées, Neriya c'est la fille qui aime la vie, mais qui aime aussi les cours. Fière de ses objectifs à atteindre, elle ne se laisse pas démonter, elle est pleine de projets. Lancer sa marque de produits de beauté masculin, prouver au monde que les femmes sont l'égales des hommes, en poussant l'homme à devenir l'égal des femmes. Elle met sa vie en danger par l'adrénaline du pompier, secouriste engagée, avisée. Elle est fière de ce qu'elle est, c'est un fait que personne ne pourra lui retirer. On a qu'une vie. Quand viendra le temps, on aura quarante ans, si ont vit pas maintenant, demain il sera trop tard.


Jolie petite histoire