Un jour de pluie parmi tant d'autre, encore un matin aux allures d'automne morne. Jae Sun déteste l'automne, autant qu'il hait d'être né. Un regard par la fenêtre lui suffit pour deviner qu'aujourd'hui ne sera qu'un jour déduit du décompte inconnu. Loin de lui l'idée de s'apitoyer sur sont sort, ou d'être de ces personnes aux envies suicidaires voire dépressives, simplement il aurait souhaité ne pas naître dans de telles conditions. Jae Sun est malade, il est le fruit des nombreux cheveux blancs de sa mère et des multiples rides sur le front de son père. Il sait ô combien son état de santé fait de lui un fardeau familial, puisque bien entendu lui-même n'en souffre pas autant que son entourage. Dans ce genre de situation les proches sont le plus souvent les victimes, ironiquement.

Une sarcoïdose, aussi barbarement nommé maladie de Besnier-Boeck-Schaumann, est le mal qui l'habite depuis le début de son adolescence. Généralement sa tranche d'âge n'est pas concernée, et puis c'est une pathologie plutôt rarissime et lorsque présente, minime dans l'organisme. Dire qu'il a à peine une vingtaine d'années, la nature est mal faite. Et puisque le mauvais sort ne fait pas les choses à moitié, le jeune homme souffre de plusieurs endroits dans le corps, les petits amas de cellules indésirables ont pris plaisir à s'infiltrer dans ses poumons mais également dans ses reins ou encore son cœur. Il a tout de même dans son malheur, un point positif, il est en vie.

Bien que la sarcoïdose aient des causes encore troubles à l'heure actuelle, divers traitements l'ont probablement sauvé d'un décès foudroyant. Jae Sun aussi étrangement que cela puisse paraître n'est pas effrayé à l'évocation d'une possibilité que tout s'arrête à n'importe quel moment, n'importe où, en compagnie de n'importe qui. Il est conscient que la Faucheuse peut se pointer à l'ombre d'une ruelle, à l'heure d'un dîner, aux lueurs de l'aube, aux rires d'une assemblée, aux flammes d'un feu d'hiver, à la chaleur d'un lit ou au paysage d'un rêve. Après toutes ces années, il a comme qui dirait composé avec cette éventualité, car l'on n'apprends pas à vivre avec la mort au-dessus de sa tête.

Le soleil aurait beau être haut placé à l'horizon, Jae Sun tousse régulièrement et ce sans l'ombre d'un rhume amené par une dégradation de la météo. Au quotidien, on finit par s'habituer au son sec de la toux qu'il émet et puis, sa maigreur n'est pas si visible au premier coup d’œil, il faut remercier les standards de l'Asie sur ce point. Bien entendu le jeune homme est dispensé de tout activité sportive trop intense, susceptible de lui procurer des palpitations ou un essoufflement de mauvais augure.

Parce qu'être de santé fragile ne l'empêche pas, en dépit de la fatigue, de mener une vie tout à fait normale. Peut-être plus qu'il ne le devrait d'ailleurs, car le rythme qu'il s'impose n'est pas au bon goût des recommandations de son médecin. Oh non, Jae Sun n'est pas de ces accablés incapable de vivre sous la fatalité. Chaque matin, il se lève et s'en va courir une quinzaine ou trentaine de minutes, qu'il vente, neige ou pleuve. Un peu comme ce matin-ci, alors que le réveil s'est fait sous une constatation récurrente et des pensées virevoltantes.

Imprudent ? Il vous répondra posément, quitte à ce que la vie lui soit subitement enlevée, autant que cela se passe pendant qu'il fait quelque chose dont il a envie et non pas dans un fauteuil parce qu'on l'aura assigné à se ménager. Quand bien même vous vous acharnerez à lui faire la morale, à être indigné, à vous inquiéter ses mots resteront les mêmes sans jamais qu'il n'eut à hausser le ton. Parce qu'en fin de compte, l'on ne peut comprendre sans être dans la présente situation. Il n'a pas de temps à perdre pour expliquer, et puis pourquoi devrait-il donner des explications ?

Jae Sun est un adulte, il reste un étudiant mais il est en mesure de se débrouiller de par ses propres moyens et de vivre au quotidien avec sa pathologie sans que quiconque n'ai à s'en mêler. C'est pourquoi au premier abord, il ne se présente pas sous l'angle de l'élève à problèmes et il a fait le choix de ne pas informer l'établissement de son état de santé. Un peu reclus, le jeune homme d'un calme discernable autant dans son attitude que dans ses conversations, s'éloigne des groupes. D'une part, parce que la discrétion est l'un de ses attraits, d'autre part à cause d'un petit monde dans lequel il s'enferme.

Il préfère bien souvent quelques feuilles blanches et un stylo à la compagnie humaine, toutefois il ne faut pas le catégoriser tel un asocial. Lorsque l'occasion se présente il lui arrive d'accepter une ou des invitations, tout simplement. C'est quelqu'un de jovial, la plupart du temps en présence de son entourage proche et si bien qu'on dit qu'il arbore presque deux personnalités distinctes tant il peut passer d'un hémisphère à l'autre. Rassurez-vous, il n'est pas bipolaire.

Mais un être aussi calme d'apparence se doit d'avoir quelques parades futiles et grotesques afin de lâcher prise sur son environnement, aussi Jae Sun ne peut s'empêcher de compter silencieusement jusqu'à dix à l'instant où vous direz quelque chose de déplaisant, d'irréfléchi ou de complètement aberrant pour lui. Parce qu'il ne fait pas dans l'impulsivité, ce laps de temps lui permet de réfléchir à une réponse appropriée sans dissimuler ses intentions tout en restant politiquement correct. Ou parfois, l'aide à se murer dans le silence quand il juge inutile de répondre.

Parce que sa naissance est un événement douloureux, une douleur tapie au fond de son être, Jae Sun est naturellement une personne d'une immense bonté bien qu'il ne puisse s'en rendre compte. Malgré sa réserve, ses émois ou ses aspirations, il aide son prochain et n'accorde guère d'attention au jeu que la société veut faire valser à ses côtés. Un peu à part, en marge de son temps, comme si l'horloge s'était déjà arrêté, il vit.