As expected of brother and sister.

RAON & RAHEE

Wearing. | Elle avait attendu. Elle avait fini par rejoindre les autres au repas. Eludant leur question et rassurant sa grand-mère. Une chamaillerie passagère. Rien qui ne pourrait les dérouter tous. Rahee savait sourire et trouver les mots justes pour que sa grand-mère finisse par s’endormir sereinement dans sa chambre. Rahee l’avait aidé à peigné ses cheveux, lui retirant cette broche qu’elle glissait toujours délicatement entre ses boucles grises. Elle l’avait bordé, rassuré en lui disant que Raon rentrerait bientôt, qu’elle n’avait pas à s’en faire et embrassant son front tendrement. Il lui avait fallu peu de temps avant de voir sa grand-mère s’endormir rapidement. Attendri Rahee était sortie délicatement de la chambre, zieuter dans celle qu’elle partageait avec ses sœurs pour s’assurer que tout allait bien pour elles aussi. Bien sûr qu’elles s’étaient demandé ce qui s’était passés mais rien n’avait filtré des lèvres de la plus vieille. Parce que dans le fond elle savait que ça concernait des cicatrices bien trop douloureuses à expliquer. Que ce n’était pas qu’une histoire boulot, d’argent, de photo, ni même de sous-vêtements … C’était sûrement ça qui blessait le plus Rahee. Elle s’était rassise à table, laissant le plat de son frère mijoter au chaud. Elle avait attendu. Patiemment. Son portable en évidence. Elle avait attendu, mais la fatigue l’avait emporté. Elle ne s’était pas résignée à aller se coucher. Elle voulait l’attendre. Elle n’était même plus fâchée ni en colère, juste triste avec une tonne de choses à lui dire. Mais vas-y ! J'ai déjà pas grand-chose pète le tant que t'y es !! Ses mots résonnaient dans son esprit douloureusement. Honteusement elle avait regardé ce coin aménagé dans le salon toute la soirée, le fixant avec un dégoût évident. La fatigue l’avait emporté et elle s’était endormie, presque sans le remarquer, sur cette table. Elle se réveilla à peine quand son frère la souleva pour aller la coucher sur son futon. Elle n’ouvrit les yeux que lorsqu’il s’éloigna comme si le froid soudain qui l’envahissait lui était insupportable. Elle se tourna sur le côté persuadée qu’elle pourrait se rendormir mais elle devait se rendre à l’évidence qu’elle avait trop de choses à dire … des choses qu’elle n’avait jamais pu trouver le courage de lui dire. Après de longues minutes, elle s’enroule dans la couette et le rejoint doucement dans la cuisine. Ses pieds nus foulant le sol en silence, elle apparait à l’entrebâillement de la porte presque gênée de le déranger. Après un regard elle comprend qu’elle peut approcher et vient s’asseoir en face de lui. Dans sa tête, bien qu’elle ait passé la soirée à réfléchir à quoi lui dire, tout est blanc. Elle ne sait même plus le sujet qu’elle voulait aborder réellement … puis mue par une inspiration, et guider par ce petit silence elle finit par souffler « Quand papa est mort et que tu étais encore à l’armée j’ai dû prendre en main cette famille. Grand-mère ne comprenait rien des papiers qu’on me demandait de remplir, elle ne servait que de signature et de garant … Je ne comprenais pas la moitié des choses qu’on me demandait. J’ai fait ce que j’ai pu, avec ce que j’ai pu pour que notre famille tienne la route. » Elle marque une pause en pinçant ses lèvres « J’étais tellement paniquée et angoissée. J’avais 16 ans et je réalisais que papa ne rentrerait pas à la maison. J’ai eu peur. Je ne savais pas comment arrêter les pleurs de Rin et le silence de Risae. Grand-mère m’a dit que je faisais du très bon boulot, que j’aidais très bien mes sœurs. Du jour au lendemain j’ai dû leur faire à manger, entretenir la maison, aider Rin à faire ses devoirs, l’aider à prendre son bain. J’ai dû m’assurer que Risae ait son repas tous les jours. Qu’elle soit à l’heure pour l’école et qu’elle ne perde pas pied … C’était les pires semaines de ma vie. » Elle serre sa couette autour d’elle. Rahee n’a jamais pu faire réellement son deuil, se dire qu’elle aussi pouvait pleurer. Autant que son frère elle le savait. « Alors quand t’es rentré et que je t’ai vu si … sûr de toi … j’ai fait la seule chose que j’étais capable de faire à ce moment-là … et la seule chose que tu m’as demandé de faire pour toi … » elle retient ses larmes qui montent subitement à ses yeux en plantant ses ongles dans sa paume à la marquer de croissant de lune. « Je me suis reposée sur toi. Je t’ai tout laissé gérer. Les papiers, l’organisation de la maison … » Au moins les premiers temps avant qu’elle ne reprenne ce rôle de mère qu’elle avait finalement toujours eut depuis la mort de leur vraie mère. « On n’a pas demandé ce qui nous arrive Raon » lâche-t-elle dans un gémissement qui trahissait à quel point elle avait du mal à retenir ses larmes. « On a fait de notre mieux, on fait de notre mieux, tous les jours mais … mais ça n’empêche que … » elle sanglote en gardant le visage baissé, espérant que son frère ne la coupe pas « Si pour toi c’est normal de sacrifier ta vie pour notre famille et que je te remercierais jamais assez pour tout ce que tu fais pour nous … pour moi c’est … je … Je culpabilise. » elle bafouille, cherche ses mots, ses idées deviennent confuse alors qu’elle relève un visage remplie d’émotions. Un peu de colère, de tristesse, beaucoup de remord aussi et de culpabilité. « Tu crois que ça me fait quoi de te voir assis derrière ton bureau quand je dépense une fortune qu’on a pas pour payer mes études. Que je te vois si fatigué, roulé en boule dans ton futon en ayant même pas ta vraie chambre ! Tu refuses qu’on bosse pour t’aider à payer, parce que tu veux qu’on ait une vie normale, une vie de jeune fille de nos âges et tu décides de prendre toutes les responsabilités sur tes épaules et nous, nous, on ne peut rien dire. » Elle renifle secoue la tête pour chasser ses larmes. Elle ne sait plus si ce sont des reproches ou des faits qui lui pèsent sur le cœur. Elle tente de faire bonne figure mais gémit de sa voix cassée « T’es mon grand frère Raon ! Et t’as pas la moindre idée de tout ce que je serais capable de faire pour toi ! Ces photos je m’en contre fou, je les ferais pas ! Mais je ne peux pas rester assise là à te regarder te démener du matin au soir pour qu’on soit heureuse ! » Rahee ne s’était jamais rendu compte à quel point ça lui pesait tout ça … bien sûr elle se chargeait de beaucoup de choses à a maison mais elle savait qu’elle pouvait se reposer sur Raon, mais quand bien même parfois son frère se reposait sur elle ce n’était que pour les choses minimes. Il n’avait pas de roc, et elle avait l’impression de ne pas être capable de le soutenir comme il le méritait. Après quelques secondes qu’elle prend pour essuyer ses joues elle reprend « T’es pas tout seul Oppa … On est là … je suis là … » Sa voix tremble mais elle s’agite beaucoup moins. « Je veux juste que tu sois heureux … je veux juste que tu sois heureux Oppa mais tu l’es pas. » lâche-t-elle dans un sanglot qui laisse cette fois libre cours à son chagrin. Mais tu l’es pas. Elle enfouit son visage dans ses mains et se cache sous sa couette pour tamiser le bruit de son chagrin et ne pas réveiller la maison et ne pas infliger cette vision douloureuse à son frère. T’es pas heureux quand bien même tu souris tous les jours. Mais je le vois à ton regard. T’es là où t’aurais envie d’être. Mais t’as pas eu le choix toi. On ne t’a pas laissé le choix. D’une voix étouffée et lointaine on peut l’entendre dire « Ils me manquent tellement Raon … » et je n’ai pas envie que tu gâches ta vie pour nous.