Rahel n'aimait pas déranger. Ni mendier. Elle jouait généralement à la diva, à la grande princesse, ou même, reine ultime, mais la réalité était toute autre. Lorsque les gens comptaient pour elle, lorsque cela concernait son cercle proche... Elle n'aimait pas déranger. In Ha avait toujours été l'un de ses très bons amis, outre leurs rapports physiques réguliers. Il comptait pour elle puis, il était dans l'ensemble un garçon droit dans ses bottes, bien rangé. Elle ne voulait pas lui causer des problèmes, elle ne voulait pas l'embête non plus. Une sorte de respect mutuel, aussi étrange que cela puisse paraître venant de Rahel, et surtout connaissait la seconde nature de leur relation.
Mais, c'est aussi parce qu'elle le savait capable et avenant qu'elle avait fini par se tourner vers lui dans cette situation si délicate. Il n'y avait que lui pour accepter de l'héberger à une telle heure de la nuit. Il n'y avait que lui auquel ne penserait pas Kwang Ho, lorsqu'il se mettrait à sa recherche. Elle allait entrer dans l'appartement, éteindre son portable et y rester jusqu'au lendemain en espérant se faire oublier avant d'enfin rentrer.

Elle eut néanmoins une petite inquiétude une fois face à la porte. Et s'il n'était pas là ? Il serait naturel qu'il soit en train de faire la fête, ou de donner un concert, tout était possible. Et s'il n'était pas là, elle allait être dans la merde, car il ne lui restait même plus d'argent pour aller ailleurs. Et puis, aller ailleurs... Où ? Elle n'avait nul part où aller. C'est donc la boule au ventre qu'elle se mit à sonner. Et ce fut un soulagement lorsqu'il ouvrit enfin. Elle ne put retenir ses larmes plus longtemps et craqua presque sur le moment. Elle essayait de faire bonne figure, mais ce n'était pas une mince affaire. Elle reniflait un peu, tentant malgré tout de parler distinctement, de faire comme si de rien n'était. Mais son état suffisait à montrer que quelque chose d'étrange était arrivé, et il n'avait pas manqué de le remarquer. Puis, qui de normalement constitué viendrait demander l'asile à trois heures du matin ? C'est que quelque chose n'allait pas.

Elle ne montra aucune résistance. Bien au contraire. Lorsqu'il attrapa sa main et l'incita à entrer à l'intérieur, elle le fit aussitôt, le regard un peu fuyant. Elle ne sut quoi répondre au départ. Qu'est-ce qu'il se passait. Elle ne pouvait pas vraiment le lui dire, si ? « R-Rien... Juste quelques problèmes... Rien de grave mais... Mais vaut mieux pas que je rentre ce soir... » Un frisson la parcourut lorsqu'elle sentit ses doigts sur sa joue. Et elle finit, enfin, par relever ses yeux vers lui. L'indomptable Rahel ressemblait plus à une petite poupée brisée qu'autre chose. « J'ai pas mangé mais... J'veux pas t'embêter, c'est rien. En plus t'étais sûrement en train de dormir. Sexy le pyjama. » Elle sourit un peu, essayant de détendre l'atmosphère tant bien que mal. Son plus grand soucis était de ne surtout pas l'embêter. Pas plus qu'elle ne l'avait déjà fait.

Sa relation avec Kwang Ho avait toujours été très particulière. Dès le départ. A vrai dire, la vie de Rahel n'avait rien de normal depuis le départ. Retrouver un enfant dans une poubelle... Ce n'est clairement pas ce que l'on peut qualifier de banal, non ? Orpheline, recueillie par un grand parrain de la mafia. Puis traitée en véritable princesse. Elle n'avait manqué de rien, pas même d'amour : le grand-père lui en avait donné plus qu'à ses propres petits-enfants. Et il avait essayé de la préserver de cet univers sombre, mais c'est bien difficile lorsqu'on grandit en plein dedans. Parfois, des hommes louches à la maison. Plus rarement, quelques cris. Toutes les pièces étaient quasiment insonorisées, donc cela restait exceptionnel, mais malgré tout...

Enfin, pas que ça l'ait traumatisée pour autant. La gamine qu'elle était ne s'en souciait pas, tant qu'elle avait sa chambre de princesse et ses poupées. Puis, l'arrivée des jumeaux. Jae Sun, avec qui sa relation était banale et... Kwang Ho. Kwang Ho. Tout avait toujours été différent avec Kwang Ho. Pour se faire accepter par la petite-fille qu'elle était, il lui avait offert des poupées. Puis s'était amusé à en faire sa poupée grandeur nature. A la coiffer, l'habiller, parfois dormir avec lui. Puis elle avait grandi. Et il en était devenu plus possessif. Jusqu'au jour où une certaine limite fut dépassée. C'était son quotidien, alors elle s'y était presque habituée. Mais... Les violentes disputes, elle ne parvenait pas à s'y faire. Elle l'aimait à en crever, mais en était aussi atrocement effrayée lorsqu'il entrait dans des colères noires, comme celle-ci.

Alors ne lui restait qu'In Ha. Elle avait toqué à sa porte, et avait visiblement eu raison, puisqu'il lui ouvrit aussitôt. La douceur avec laquelle il la traitait et s'adressait à elle la rassurait, et l'apaisait. Lorsqu'il lui demanda si elle s'était disputée avec quelqu'un, elle tenta de détourner la discussion sur un autre sujet. Elle ne savait pas si elle pouvait. Si elle pouvait lui dire. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, Rahel était plus que secrète sur tout ce qui concernait sa famille, et donc notamment, son frère. Elle sourit un peu à ses réponses, voyant qu'il tentait de lui remonter le moral. « Je ne vais pas te juger, je sais à peine faire cuire un œuf. » Puis, un dernier sourire, lorsqu'il lui dit que tout allait bien, avant de commencer à manger. « C'est plutôt bon. Tu vois que tu t'en sors bien. » Elle essayait de détendre l'atmosphère, avec quelques remarques banales mais... Lorsqu'il lui parla d'appeler Kwang Ho, elle sentit son cœur bondir dans sa poitrine. « Non ! N-Non... Pas Kwang Ho...» Elle déglutit. Elle allait devoir faire preuve d'au moins un peu d'honnêteté, elle n'avait plus le choix maintenant. « Je me suis justement disputée avec Kwang Ho... » Voilà. C'était dit. Ils s'étaient disputés. Elle n'était pas obligée de développer plus, non ? « Tu sais comment il est. Il est très... Il n'aime pas trop quand je sors, ou quand je suis avec des gens qu'ils n'aiment pas. Et là, j'étais avec des gens qu'il n'aimait pas alors on s'est disputés... » Des gens qu'il n'aimait pas. Des garçons, en d'autres termes. Des hommes. Il ne voulait de personne du sexe opposé.