Yu Yong-shii, oui c’est bien lui ! Yong-shii le revoilà !
Il était de retour ! Après une disparition inopinée de la modeste durée de deux mois, Yu Yong Sun était rentré l’avant-veille de son escapade mystérieuse ! Ah les gens en inventaient bien des histoires sur les promenades du ce garçon ! Et ce dernier s’amusait bien à les entendre ! C’était fou tout ce qu’il avait pu faire dans sa vie ! La version originale s’avérait pourtant déjà bien rempli, peu ordinaire voire particulièrement cocasse, mais alors les versions réécrites par les rumeurs ! Sérieusement, il pourrait devenir le héros d’un best-seller grâce à l’imagination de tous ces curieux qui n’avaient guère mieux à faire que de se mêler de la vie des autres ! Heureusement, dans la famille Yu, on avait appris à laisser glisser les rumeurs plutôt que de les prendre trop à coeur. Ils en avaient tous bien assez souffert par le passé. Yong Sun lui en tout cas, c’était endurcit ! Il préférait en rire. Comme il se riait de la vie !

D’ailleurs, parce qu’il ne perdait jamais le goût des plaisirs simples, avant même de revoir tous les membres de sa famille… Bon d’accord, il les avait tous vus, même sa soeur sortie de taule, à l’exception d’un seul ! C’était pas sa faute ! Yong avait même envoyé un affectueux petit sms à son cher Naru adoré agrémenté dans coeur pour lui annoncer son retour. Naru n’avait pas accouru à la maison pour lui faire un gros câlin, c’était lui le seul responsable ! Yong n’avait donc rien à se reprocher. D’ailleurs, profondément déçu de n’avoir pu serrer son « jumeau adoré », le jeune homme avait dû se résoudre à dégainer derechef son téléphone pour contacter quelques amis cette fois. Un message en mode :  « Qu’est-ce vous foutez les moches ?, une réponse à la :  « Oh ! Yong ! Ptn fdp ! T rentré ? Ramen tn Q au Kurss ! », et le voici en cette soirée installé au comptoir du bar avec quelques uns de ses comparses. En vérité, Yong n’en connaissait que deux-trois gars parmi toute la bande réunie, mais il s’était dans sa nature de se sentir à l’aise en toutes circonstances. Il savait faire très rapidement connaissance et ne passait guère inaperçu.

Le groupe d’étudiants fêtards en était à sa quatrième tournée déjà, et ils se faisaient de plus en plus joyeux et bruyants. Du moment, qu’ils ne devenaient pas violents, le barman semblait pouvoir s’en accommoder. Il finit néanmoins par  leur suggérer d’aller se poser à une table plus dans le fond au lieu d’envahir son comptoir et empêcher par la même occasion des clients plus discrets mais néanmoins consommateurs de s’y installer. La bande ne fit pas plus de difficulté à se délocaliser. Chacun prit son verre de bière et ils se dirigèrent vers une table dans le fond. Yong suivait le mouvement. Mais évidemment, fallait bien qu’il cherche la connerie à faire à un moment ou à un autre. Cette fois encore pour sa défense, c’est la « connerie » qui est venue à lui. Alors qu’il traversait le bar son chemin croisa celui d’un visage bien familier :
« Oh ! Naru ! » s’exclama-t-il la vue de son « frère » qui assurément dû se réjouir de cette rencontre.
Toujours aussi chieur, Yong ne put résister à une telle occasion :
« Eheh ! Comment ça va depuis la dernière fois ? T’as même pas répondu à mon sms, je suis déçu…  feint-il une légère moue. Qu’est-ce tu fous là ? T’as rencard avec une gonzesse ? »
Il jeta un regard autour d’eux puis revint sur son interlocuteur exécutant un geste de la main comme pour balayer cette éventualité.
« Nan ! Pas toi ! Aller viens ! »
Quelque peu entreprenant et imposant un chouia sa volonté, Yong passa un bras autour des épaules de Naru – Oui ! Même s’il est plus petit, il peut le faire ! – et l’entraina avec lui à la table où ses potes s’étaient installés.
« Les gars, je vous présente mon cher petit frère, Yu Naru ! Aller, Naru fais pas ton timide et dis bonjour aux messieurs ! »

Téléphone dans la main, j’reste plusieurs secondes à regarder le sms qu’j’ai reçu quelques minutes auparavant. De Yong. Non seulement, il est déjà rentré mais en plus… c’est quoi ce cœur ? Et ce message ? Il a bu ou quoi ? Putain, c’est sûr qu’il a bu. J’soupire, me frotte les yeux et finalement éteins l’écran. J’veux pas l’voir. J’suis pas d’humeur à l’voir, à supporter ses piques, et son air fier, lui qui kiffe foutre la merde. J’le verrai bien assez tôt. J’veux pas qu’il me gâche la journée.
Alors j’attrape mon sac, j’fourre mes affaires dedans, et j’envoie un sms à Daehyun pour le retrouver au Kurss. J’sais pas trop, j’aime bien voir sa tête de grand benêt, à Daehyun. Ce type qui m’a toujours soutenu quand j’foutais ma vie en l’air. Contrairement à l’autre enfoiré de Yong qu’a toujours participé à m’enfoncer. J’pense même qu’il en a toujours tiré un plaisir malsain. Et c’est con parce que lui et moi on aurait pu être pote – s’il avait pas complètement déconné.
J’prends la direction du bar, fermement décidé à plus penser à l’autre. J’étais loin d’me douter qu’ça marchait pas comme ça et qu’il allait me poursuivre. Ouais, j’crois que c’est inné chez lui, comme des aimants on est sans cesse ramenés l’un vers l’autre – et putain que ça m’fait chier. « Oh, merde. » J’grogne, j’essaie même pas de le cacher, j’sais qu’il m’a entendu. Et j’m’en fiche, en vérité. J’jette un regard circulaire, essayant de localiser la tête de mon meilleur ami. Mais j’le vois pas. Il est où encore ? « Ouais c’est ça, j’ai rencard avec une gonzesse, j’aimerais éviter qu’tu gâches tout. » D’une certaine manière, si on le regarde en fermant un œil, en penchant la tête et dans le noir complet, Dae il peut donner l’impression d’être une nana non ? Ouais, non. Probablement pas. Mais j’m’en fous, il a pas besoin d’le savoir, Yong. J’extirpe mon portable de ma poche, ouvre le message que j’viens de recevoir et grimace en voyant que c’est le fameux Dae. Et qu’il peut pas venir. J’pousse un soupir, me prépare à tourner les talons, mais évidemment c’était sans compter l’autre crétin qui me retient et me traîne de force jusqu’à ses amis. Depuis quand il a des amis lui-même ? Bon d’accord, il a jamais eu de difficultés à s’en faire même si j’les comprends pas bien. « Ouais bonjour messieurs. » J’fous mes mains dans mes poches, avec mon téléphone et j’les fixe tous un par un. Y a des visages que j’reconnais ; d’autre que j’ai jamais vu. Mais ils ont l’air tous d’être déjà bien entamés. J’arque un sourcil. « En fait j’suis pas son petit frère, il dit ça surtout parce qu’il a toujours eu honte de ressembler à un nain à côté de moi. » Et j’me permets même un sourire, sourire ironique alors que j’vois quelques-uns de ses potes pouffer. C’est pas toujours facile d’être le gars le plus petit d’la famille hein, tout le monde le sait ça. Surtout Yong qui semble pas hyper bien le prendre. J’tends le bras, j’attrape un verre qui traîne et j’l’avale fissa, sans demander son avis à personne. Déjà, ils ont l’air trop parti pour protester. Ensuite, pour pouvoir survivre à cette soirée, faut bien que j’me permette un verre ou deux. Ou trois. Ou plus. Sinon j’sens que j’vais finir par lui en coller une – et on sait tous que c’est moi qui récolterai les pots cassés. « T’as vu la famille ? » J’demande. J’m’en fiche totalement de le voir, moi. Ça m’intéresse pas d’le voir, c’est que le fruit d’une malheureuse coïncidence. Mais j’sais que les autres y tiennent. Parce que c’est la famille, une famille bancale, une famille recomposée, mais la famille quand même. Et même si j’le déteste, même si on s’en fout plein la tronche, il reste la famille. Et la famille c’est c’qui compte le plus, la famille c’est le plus important, même avec un crétin comme lui. « J’espère que t’as été sympa avec maman. » Et j’lui jette un regard méfiant. Parce que j’le connais, j’sais qu’il a jamais pu la piffer et elle j’sais qu’ça lui fait de la peine.

Naru avait bien répété le « messieurs » dans ses salutations nonchalantes. Yong étouffa un rire. Quelques uns de ses amis avec lesquels il changea un regard complice aussi. Le petit sourire au coin des lèvres s’effaça néanmoins suite aux propos de son frère le charriant sur sa taille. Yong Sun était le plus petit des quatre frères de la famille, même le cadet le dépassait ! Enfin, ce dernier les dépassait tous. Pis dans le cas de Yong Sun, même Sana était plus grande que lui… Alors, oui ! Il complexait un chouia sur le sujet ! Cependant, l’énergumène ne perdait pas la face si facilement ! Quand on est un emmerdeur de première, il faut savoir être préparé à se confronter aux pics des autres. Il donna donc une franche tape dans le dos de son « jumeau adoré » et s’exclama jovialement à l’intention de ses amis :
« La nature a décidé de m’enlever quelques centimètres au-dessus de la ceinture pour les mettre dans mon pantalon, on ne peut pas tout à voir dans la vie ! »
Yong Sun se tourna ensuite vers Naru, les lèvres étirés dans un faux sourire délibérément forcé et grinça entre ses dents :
« Et puis, c’est vrai que nous ne sommes en rien des frères tous les deux. Tu as juste pris le nom de ma famille. »

Là-dessus, l’ainé de quelques heures des faux frères tira une chaise à son cadet l’incitant à s’asseoir et prenant place à côté de lui.
« La famille ? Hum, j’ai vu les jumeaux. Ah ! Et j’ai croisé Sana aussi ! Son côté bad girl ne la rend pas moins sexy ! »
Il lui jeta un petit coup d’oeil, fourbe. Les points sensibles de Naru étaient si facile à toucher. Franchement, quand on voyait cette tête qu’il tirait, comment résister à l’envie de le taquiner ? Et Yong ne semblait pas prêt de vouloir s’arrêter en si bon chemin.
« Maman ? C’est qui ça ? Ah ! Tu veux parler de ta mère ? T’es vraiment certain de vouloir que je sois gentil avec elle ? » sous-entendit-il.
Parfois, il se demandait si son frère le pensait vraiment capable d’aller jusqu’au bout de ce qu’il laissait croire. Peut-être bien. Après tout, Naru restait convaincu que Yong avait tenté de séduire la voisine. Un trou est un trou certes, mais honnêtement, aussi chaud lapin puisse-t-il être son instinct l’avait toujours mis en garde contre les coups foireux ! Il y a des nanas, il ne faut pas y toucher si tu ne veux pas avoir le droit à un torrent de larmes sur ton épaules après ! Les femmes a tendance dépressive, il vaut mieux les fuir qu’essayer de les toucher ! Et si tu les écoutes, tu t’y attaches, et tu finis dans le même état que Naru, il fut un temps…
« Aller ! Fais pas la gueule petit frère ! Je te taquine ! Bois un coup ça va te détendre ! »
Le Dragon farceur lui refila son verre et fit signe au barman de leur en resservir deux autres.

Les amis de Yong festoyaient encore cependant, on pouvait observer la manifestation de l’instinct de survie naturel même chez l’être humain enivré. S’agglutinant peu à peu à l’autre bout de la table, ils laissaient une distance de sécurité entre eux et les deux frères. Un Yu, ça passait ! Ça pouvait même être fun ! Deux Yu… Il valait mieux être prudent. Notamment lorsqu’il s’agissait des faux jumeaux Naru et Yong avec lequel, on ne savait jamais trop à quoi s’attendre. Difficile de savoir sur quel pied danser pour tous ces gens qui finalement ne connaissait la complexe famille Yu qu’en surface. Incompréhensible même. La plupart ne savait finalement pas si les deux frères étaient vraiment des jumeaux ou non ? S’ils étaient demi-frère ou non ? D’ici quelques verres, le défi de la soirée pour le groupe de fêtard serait sans doute d’oser les interroger. À qui poserait la question de savoir s’ils avaient au moins le même père, auquel, ce mec se serait tapé deux femmes en même temps ? Ouais, ils avaient beau commencé à envisager de s’aventurer dans ce dangereux interrogatoire, un regard dans la direction des deux frères en train de discuter et les voilà convaincus qu’ils n’avaient pas encore assez bu pour relever le défi. Provoquer des membres de la famille Yu pouvait rapidement s’avérer à leurs risques et périls.

Du côté des frangins, la nouvelle tournée venait d’être déposée devant eux alors que Naru finissait tout juste de s’avaler le reste du verre refiler par son frère.  Yong trinqua avec leurs nouveaux verres.
« À la tienne, Naruto ! Alors quoi de neuf chez les Yu en l’absence de vos aînés ? J’espère que vous n’avez pas fait trop de bêtises les petits ? »
Le dragon farceur s’en était allé un peu plus de deux mois auparavant, puis le Grand Frère de la famille, Jasun avait lui aussi fait ses valises pour parcourir un peu l’Australie. Il n’était d’ailleurs pas encore rentré. Avant la libération de Sana, Naru s’était donc retrouvé dans le rôle de l’aîné de la famille durant quelques semaines.

Quand il est pas là, j’en oublie presque à quel point ce type est insupportable. Presque. Parce que y a toujours un moment où il revient et le cirque r’commence. J’sais vraiment pas comment il fait, comment il arrive à s’supporter lui-même. Par contre j’sais qu’j’tiendrais pas deux minutes dans sa tête, il s’y passe trop d’choses, y a trop d’conneries qui circulent, ça doit être invivable. « Oh crois-moi j’aurais préféré garder le nom d’mon père. Et jamais croisé l’tien. » J’parle calmement, les yeux dans les yeux. Parce que j’le pense tout ça – et j’sais qu’il est au courant. Probablement que j’regretterais Chaemi. Et les jumeaux. Mais rester seul avec maman et Sana, ça m’pose pas de problème. Au contraire. Y a qu’elles pour m’faire vivre, qu’avec elles que j’me sens à ma place. Certainement pas dans cette famille beaucoup trop bancale, cette famille beaucoup trop dérangée – où j’crois qu’personne a jamais vraiment réussi à trouver sa place.
J’lui jette un regard noir, j’pousse la chaise pour m’éloigner d’lui (et lui montrer qu’j’suis pas son chien, ni une meuf qu’il veut pécho, il a pas à tirer ma chaise comme ça, ‘manquerait plus qu’il me chante la sérénade tiens). Mais j’m’assois quand même. Et j’sais pas pourquoi. Ca s’explique pas. Mais j’me le reproche à l’instant ça c’est sûr. J’regrette immédiatement. J’aurais dû m’tirer, rentrer dans la chambre et puis plus en ressortir de la soirée. Peut-être que j’pourrais en profiter pour parler un peu avec Fuuko. Elle est sympa Fuuko. Un peu bruyante. Un peu dérangée aussi. Elle fait du bien dans la chambre. Comme un courant d’air, elle rend l’endroit respirable. Contrairement à Yong qui empoisonne tout. J’soupire. Il est là depuis deux minutes qu’il m’épuise déjà. Mais quand j’tourne la tête vers lui, j’me contente de lui renvoyer un regard indifférent. Indéchiffrable. Comme s’il était rien d’plus qu’un inconnu. J’sais l’faire, ça. J’sais jouer la comédie. J’l’ai joué pendant bien trop longtemps. « Si tu touches à un seul cheveux d’ma mère, t’es mort. T’es trop con pour être suicidaire. Alors j’m’inquiète pas pour ça. » Et j’détourne la tête, j’fixe mes prunelles sur le verre qu’j’attrape sans me soucier d’l’autre. Ouais, tant qu’à rester, autant boire. Surtout si c’est lui qui paie.
J’laisse le liquide couler le long d’ma gorge et pendant une seconde j’envisage d’retomber dans mes vieux travers. J’revois les soirées au goût d’alcool, les nuits passées perché au-dessus des cuvettes, les retours titubants. Et puis les autres, au volant, à m’sentir vivant alors qu’j’suis en train d’crever. Et j’sais pas lequel est mieux. J’sais pas. Mais quand j’repose le verre – il est vide. Et mon regarde s’pose alors sur la nouvelle tournée pendant qu’mon cerveau analyse. Qu’est-ce que j’veux, au fond ? A part crever ? « Oh crois-moi on était trop occupés à être heureux et à profiter de ton absence pour faire des bêtises. » J’hausse les épaules, attrape le remède alcoolisé et boit une nouvelle gorgée. J’redécouvre l’goût. Ça fait du bien. J’crois. J’en sais rien. Mais j’m’en fous. « Rien d’neuf mais t’aurais dû penser la question aux jumeaux, soonae t’aurait abreuvé d’informations inutiles. » Et j’hausse les épaules. J’donne l’impression d’être avoir rien à foutre – et c’est ça l’but. Même si elle est bancale, même si elle est pas forcément à moi, j’l’aime ma famille au fond. J’me soucie d’elle. Y a pas grand-chose de plus important pour moi. A part ma vraie famille. Maman, Sana. Kali aussi, peut-être. Elle est importante Kali. Elle l’a toujours été. « J’sais pas pourquoi tu m’as invité, mais j’vais pas rester. » J’lui jette un regard, reporte mon attention sur le verre, boit une nouvelle gorgée. Puis une autre. Encore une autre. Ça brûle. C’est bon. Et j’regrette de devoir ce moment à l’autre glandu – mais j’me console en m’disant qu’son absence aurait rien changé. Enfin j’me serais plus amusé, sûrement.
J’fixe mes yeux dans les siens, sans expression. Pas même un petit sourire. J’suis pas d’humeur à sourire. « J’sais pas à quoi tu joues, Yong, mais j’commence à en avoir assez. On est pas à la maison là y a pas b’soin d’faire semblant. Alors arrêtons cette comédie et faisons comme si on s’connaissait pas. Ca vaut mieux. » Parce que j’le sais qu’un jour il va réussir à m’faire perdre patience. J’sais qu’un jour j’pourrais plus faire comme si de rien n’était. J’sais qu’un jour j’vais devenir violent – et qu’ça va s’retourner contre lui. Parce qu’il sera là. Parce qu’il m’aura poussé à bout. Parce que j’pourrais plus m’contrôler. Et si ça arrive, ça cassera tout j’le sais. Et autant j’en ai rien à foutre d’le blesser, autant j’en ai quelque chose à foutre d’la déception que j’verrais dans les yeux d’ma mère. Et j’veux pas ça. J’ai jamais voulu ça. J’me déteste d’lui infliger ça à chaque fois.

Il y avait pas à dire, dans la famille Yu si Yong Sun était le merdeux insupportable, Naru lui incarnait assurément le joyeux lurons respirant la joie de vivre. Une véritable touche de fébrèze qui permettait de mieux apprécier la brise fraiche caressant vos narines. Ironiquement. Tout comme Yong ne manqua pas de faire preuve d’une certaine ironie lorsqu’il rétorqua le plus naturellement du monde :
« Ah ouais, tu dois avoir raison… J’imagine que c’était une preuve d’intelligence quant t’as failli te flinguer en moto ? Pour un fils aimant, tu penses que si tu avais voulu anéantir le coeur de ta mère, tu n’aurais pas pu mieux t’y prendre, non ? »
Parce que oui, sans doute la plus grande différence  entre ces deux-là fut l’amour maternel. Alors que Naru avait toujours reçu de l’affection de sa mère, Yong avait incarné la pire des malédictions aux yeux de la sienne. Il aurait pu en recevoir de la part de sa belle-mère, s’il ne s’y était refusé. Mais c’était là un tout autre sujet qui n’avait pas lieu d’être ce soir-là.

Et l’ainé des prétendus jumeaux fixait son cadet. De ce regard dont très peu étaient à même de soupçonner la perspicacité. Ce pov’ con qui pourtant semblait secrètement doté d’une capacité semblable à celle de lire dans les pensées. Il pouvait le voir dans les yeux de Naru, qu’il y pensait. Ce néant au fond de ses iris. Le même qu’à cette époque. Son frère était-il aussi persuadé qu’il y n’avait pour lui sur cette terre ? Alors, ils étaient semblables. Pourtant, pour rien au monde, Yong ne succomberait à l’envie de crever. Ouais, peut-être était-il juste trop con, mais lui, il préférait pouvoir faire un doigt d’honneur à la vie en la défiant plutôt que de le laisser embobiner par la mort. Et puis, au-delà de sa propre personne, il préférait partir loin, quitte à crever comme un chien à l’abris des regards, sans que personne ne sache afin que le seul être qui le regretterait n’ait pas à le pleurer : Jasun.

Naru était si froid avec Yong, et pourtant, celui-ci n’en perdait jamais son sourire. À croire qu’il aimait ça que ce faux frère le déteste tant.
« Ahaha oui ! J’imagine ! Tu as bien fait d’en profiter ! Ça aurait été regrettable que tu laisses passer une telle occasion ! »
À moins que Naru ne se décide un jour à le foutre à la porte ? Au fond, il était sans doute le seul susceptible de le faire, alors était-ce que Yong cherchait en vérité ? Un alibi, un coup de pousse avant de faire le grand saut en s’éloignant définitivement la famille ? Repoussé son départ à la fin de ses études était-ce véritablement par acquis de conscience ou par lâcheté ? Pitoyable couard incapable de couper le cordon avec son frère ainé ? Le seul. Le vrai.

Ils burent. Chacun dans leurs verres, en silence, le temps de quelques gorgées. Puis, leurs visages se confrontèrent à nouveau. Miroir de parfaits opposés. Les yeux de Yong brillaient pour ceux de Naru ayant perdus leur éclat. Les lèvres de Naru se muraient dans l’inexpression tandis que celles de son vis-à-vis semblaient avoir été figé dans un sourire. Mais pas ce sourire frais et resplendissant, un sourire qui en disait loin sur son esprit espiègle, voire narquois.
« Parce que ça ne serait pas une comédie encore plus ridicule que de feindre d’être de parfaits étrangers ? Si c’était aussi facile, ne l’aurait-on pas fait depuis longtemps ? »
Yong étendit les bras au-dessus de sa tête avant de venir poser ses mains à l’arrière de son crâne. Il jeta brièvement un regard en direction de ses amis qui continuaient de festoyer en veillant à bien se tenir à distance des deux frères. Puis, son attention revint sur son interlocuteur, rabaissant ses bras.
« Mais bon, qui suis-je pour te retenir, hein ? Je ne suis qu’un frère qui tente de sympathiser avec son cadet, même s’ils ne sont pas liés par le sang mais par la vie, en lui offrant un verre ! »
Il prit le sien et en avala les dernières gorgées, puis reposa le contenant désormais vide sur la table.
« Tu peux partir, si tu veux. Par contre, je ne sais pas comment tu es venu, si c’est en moto, en voiture ou à pieds, mais si t’as des clés de véhicules, je dois te les prendre. Tu as trop bu pour conduire. »
Là-dessus, Yong en avait rien à battre si Naru pensait que s’assurer de ça était un rôle légitime pour sa méprisable personne. Comme dit précédemment, ils étaient frères liés par le même nom de famille. Qui disait famille disait encore d’autres personnes, et Yong ne pouvait se permettre de prendre le risque qu’un nouvel incident se produise. Ils avaient déjà tous bien assez de mal à se remettre de tous les évènements qui avaient frappé cette famille.

Et là il dit quelque chose ouais. Quelque chose qui m’fait serrer les points, qui plantent un peu plus les griffes d’cette putain de haine dans mon cœur. J’tourne mon regard vers lui, j’plante mes yeux dans les siens et j’ai qu’une envie, lui faire regretter ses putains d’mots. « C’était. Un. Accident. Juste un putain d’accident. J’ai pas voulu m’flinguer et j’t’interdis d’croire que si. » Parce que si j’avais vraiment voulu j’me serais pas loupé. Mais que j’pouvais pas, que j’voulais pas. Enfin si. Ouais, si, bien sûr. J’avais qu’une envie, celle d’crever. Mais j’les aurais jamais laissés, eux. Mais j’les aurais jamais laissées, elles. Maman et Sana. Kali aussi peut-être. Kali aussi un peu. Les femmes de ma vie – ouais j’aurais pu mourir pour elles. Mais c’pas ça qu’elles m’ont demandé. Elle m’ont demandé un sacrifice bien pire. De vivre pour elles – et j’ai promis. J’ai promis alors j’vais vivre ouais. Et tant pis si ça m’tue.
Et j’sais pas. J’sais pas pourquoi j’reste. J’sais pas pourquoi j’fais des efforts pour c’putain d’connard qui ose parler comme ça, ose dire de telles saloperies. Mais j’reste. J’sais pas pourquoi. Mais j’reste. Même si ça bout à l’intérieur, même si j’ai qu’une envie, celle d’dégager, celle d’lui en foutre une, ou peut-être les deux à la fois. J’sais pas vraiment, y a trop d’trucs, c’est trop l’bordel dans ma tête. Alors j’me contente d’rester là. Et d’boire. Même si j’finis par tout lâcher. Parce que j’peux pas, j’arrive pas à retenir ça, ça m’met hors de moi-même si j’lui dévoile un visage parfaitement inexpressif. « Oh bien sûr que c’est si facile. Enfin ça le serait, si tu prenais pas un malin plaisir à vouloir foutre ma vie en l’air. » Parce que ça m’dérangerait pas d’le faire, j’en ai rien à foutre de devoir l’ignorer. Au contraire. Sûrement qu’ça me ferait plus de bien que d’devoir supporter ses plaisanteries et ses piques à tout bout d’champs. C’est un putain d’poison dans mon existence, Yong. Et j’sais qu’il le sait. Et j’sais qu’il en joue, j’sais qu’ça lui fait plaisir. Et d’continuer à raconter d’la merde aussi. « Comme si tu voulais sympathiser. Pourquoi t’assumes pas hein ? Qu’c’est toi qu’a tout foutu en l’air depuis l’début. Tu nous a jamais accepté dans ta p’tite famille, maman et moi. J’sais même pas pourquoi et j’ai aucune envie d’savoir pourquoi. T’as juste tout foutu en l’air. Essaie même pas d’reporter la faute. » Et j’m’apprête à m’lever et j’ai juste envie d’dégager, d’prendre ma moto et d’rouler loin, plus loin, toujours plus loin. D’arriver dans une autre ville peut-être, dans un autre pays ça aurait été mieux ouais – traverser la mer pour rejoindre la chine peut-être. Même si j’ai aucune foutue envie d’aller là-bas, j’ai encore moins envie d’rester ici. Sauf que y a ce p’tit con qui reprend la parole. Et j’peux pas m’empêcher d’lui jeter un regard surpris. Parce que j’m’y attendais pas. Parce que j’sais qu’il en a rien à foutre de moi, rien à foutre que j’crève – alors pourquoi il fait ça ? « J’suis venu en moto. Et crois-moi c’pas toi qui vas m’empêcher d’repartir avec si j’en ai envie. » J’en ai besoin, j’ai besoin d’ma moto, j’ai besoin d’rouler, d’sentir le vent, l’adrénaline, la vitesse. J’en ai besoin pour pas crever sur place. « J’ai pas suffisamment bu pour pas pouvoir conduire. J’connais ma bécane sur le bout des doigts et l’trajet aussi, j’pourrai m’y rendre les yeux fermés et arriver à bon port sans une seule rayure. » Et j’me détourne. J’étouffe ici. J’ai besoin d’air, d’respirer. Et j’sais qu’ça j’peux l’faire vraiment que quand j’roule sans réfléchir à où j’vais, quand j’roule en m’laissant porter par ma moto. Mais j’m’arrête. J’tourne la tête vers lui. Sourire moqueur. Pâle copie du sien néanmoins. Mais j’m’en fous c’pas non plus un concours. Et j’sors mes clés, pour les lancer en l’air. « A moins que tu t’inquiètes tellement pour moi que t’as envie de m’accompagner ? J’peux te conduire si tu veux, tu verras comme ma conduite est irréprochable. Même quand j’ai un coup dans l’nez. » Et vous verrez, tous, que j’ai changé, que j’suis plus prudent sur la route que j’l’ai jamais été auparavant, qu’même en étant bourré j’sais qu’il m’arrivera rien. J’en suis convaincu et en soit j’sais pas vraiment pourquoi. Sûrement parce que j’ai promis, j’ai promis d’vivre, et y a rien qui pourra m’faire revenir sur ma promesse. J’jette une nouvelle fois les clés en l’air, j’les rattrape et j’continue de fixer Yong.

Il fallait reconnaitre que Naru était doté d’une patience incommensurable face à Yong. Ce dernier aurait mérité depuis belle lurette son poing dans figure. Il en avait conscience mais ça ne l’empêchait pas d’aller plus loin. D’ailleurs quand Naru commença à s’énerver, il s’en fallut vraiment de peu pour que son prétendu jumeau n’en rajoute une couche ! Sans s’en rendre compte, Naru lui tendait un nombre infini de perche dans ces propos. Si le simple fait de continuer à sourire comme un idiot provocant ne lui avait été suffisamment délectable, Yong ne se serait probablement pas fait prier pour exprimer à voix hautes toutes ses pensées. Cependant, il tourna finalement la conversation d’une toute autre façon lorsqu’il comprit que Naru avait l’intention de partir.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, il était sérieux. Yu Yong Sun était sincèrement sérieux lorsqu’il avait l’intention d’empêcher son « frère » de conduire après avoir bu. Il ne pouvait pas se perdre de prendre le risque qu’il arrive quelque chose à Naru. S’il était capable de prétexter que ce geste lui était dicté par son intention de s’épargner à lui-même toute culpabilité, en vérité, Yong s’en fichait pas mal d’avoir la mort de Naru sur la conscience. Non pas que cela ne l’affecterait pas, mais quitte à choisir, il préférait que ce soit son fardeau plutôt que celui d’un autre membre de leur famille. Autant que ce soit lui qui soit détesté et rejeté. C’était un peu son rôle, non ? Cette perception de lui-même qu’il s’était inconsciemment forgé dans son esprit depuis sa plus tendre enfance. Plutôt que d’être une malédiction, à défaut de pouvoir apporter du bonheur, ne pourrait-il pas juste être une sorte de talisman qui aspire tous les maux de ses proches ? Mais ironiquement, il incarnait plutôt l’un des maux qui pourrissait la vie de Naru.

Yong se contenta d’acquiescer d’un air peu convaincu et toujours décidé à prendre les clés de son frère tandis que celui-ci affirmait être en parfaite capacité de conduire. Son assurance fut néanmoins balayée lorsqu’il entendit Naru prononcer cette proposition à l’accompagner. Yong le fixa alors, presque hébété. Avait-il bien entendu ? Il s’esclaffa alors :
« Chiche ! Même si j’ai un vague doute que tu veuilles tenter de m’assassiner en me prenant sur ta moto ! Je suis prêt à prendre le risque pour te laisser une chance de me prouver la véracité de tes affirmations ! »
Sur ce, Yong fit signe à ses comparses qu’il prenait congé d’eux, donna une tape sur le bras de son prétendu jumeaux avant de l’accompagner à l’extérieur du bar. Là, il passa un bras autour des épaules de mon frère. Et si, il pouvait avec Naru ! La différence de taille n’était pas aussi prononcé qu’avec Sangae ! Certes, Yong était le plus petit des frères Yu, mais faut arrêter, c’était pas un nain non plus !

Une fois de plus, il ne manqua pas une occasion de dire des conneries :
« Anw ! Je suis toute émoustillée de monter derrière toi, Oppa ! Je pourrais m’accrocher très fort à toi si j’ai peur ? »
Cette expérience ne s’annonçait vraiment pas comme une bonne idée. Si ces deux-là ne finissaient pas par avoir un incident cela tiendrait presque du miracle : entre l’alcool dans leurs veines, la patience et la concentration de Naru qui risquaient d’être mises à rude épreuve par la connerie de Yong… À moins que celui-ci ne se résigne à être raisonnable mais ça, ce n’était pas gagné…

Et j’provoque, un peu, j’veux faire disparaître ce sourire d’son visage, beaucoup. Mais j’pensais pas qu’il accepterait d’venir, j’pensais pas qu’il se montrerait si enthousiaste. Même si ce serait pas une si mauvaise idée d’en profite pour l’assassiner, j’ferais jamais ça (pas parce qu’j’ai pas envie, surtout parce que j’me donnerais jamais c’mal) (et qu’ça risquerait d’faire de la peine aux autres, c’est tout c’que j’veux pas). J’le laisse alors m’entraîner dehors même si j’ai la fâcheuse envie d’l’envoyer bouler. J’aime pas qu’il me touche (en vérité j’aime pas qu’on m’touche) (et il doit probablement l’savoir).
On sort, j’nous dirige vers la moto et j’lève les yeux au ciel après sa remarque. Il en rate pas une ouais, jamais. J’me demande même pourquoi j’lui ai proposé, j’aurais mieux fait d’me casser sans lui. « Non le mieux c’que tu t’accroches pas, comme ça si y a un virage un peu trop brutal, tu tombes. C’est amusant tu verras. » Et j’lève à nouveau les yeux au ciel avant d’grimper sur la bécane. J’mets la clé, j’lance le moteur, j’écoute le vrombissement si familier qui emplit ma tête. Et j’souris. Parce que même si y a l’autre connard pour gâcher c’moment, ça reste ma moto. Ça reste ce passe-temps que j’adore, qui m’détend, dont j’pourrais plus m’passer. J’me relève pour ressortir le casque que j’lance dans les bras de l’autre type. « Tiens mets ça j’m’en voudrais qu’tu crèves. » J’roulerai pas vite de toute manière, pas besoin d’casque (maman serait folle si elle m’entendait, j’ai toujours pris soin d’enfiler toutes mes protections, pour pas qu’elle s’inquiète). Le chemin est court, j’le connais comme ma proche, il devrait pas y avoir de problème. « Et maintenant grimpe ou j’me tire sans toi. » J’me détourne, j’fais plus attention à lui, pourtant j’attends qu’il monte avant d’démarrer. J’aurais pu m’casser mais j’sais pas, j’sais honnêtement pas c’qui m’a retenu. Peut-être la connerie. Peut-être le fait qu’ça reste un frangin. Peut-être aussi le fait qu’il aura beau tout faire, tant que j’suis sur ma bécane, j’en ai plus rien à foutre du monde. Et il a à peine le temps d’s’agripper que j’file. Moins vite qu’à l’accoutumée, peut-être un peu trop rapidement quand même. J’contrôle plus rien quand j’suis sur la route, c’mon corps qui parle, ça a toujours été comme ça, c’est sûrement pour ça qu’c’est la meilleure thérapie, pour moi.
Mais le chemin est bien trop court, j’arrive au dortoir des gumihos bien plus tôt qu’prévu. J’le dépose là, comme un putain d’fardeau (c’qui est pas totalement faux) et me contente d’un « ouais bye » en guise de salut, avant d’me tirer. Pas envie d’perdre du temps en des au revoir dramatiques, pas non plus envie qu’il essaie d’me retenir une nouvelle fois, prétexte qu’il en a pas assez vu, qu’j’ai trop bu pour conduire, que j’vais m’foutre en l’air. J’sais qu’c’est faux, j’sais qu’j’vais pas crever, j’peux pas de toute manière, j’en ai pas l’droit. J’vivrais pour eux, à défaut d’vivre pour moi.
Alors j’l’abandonne sans adresser un geste de plus, pour m’rendre à mon propre dortoir, seul endroit où j’ai la paix, loin d’la famille (même si j’l’aime).