❥ Matinée placée sous le signe de l’audace. Un devoir pioché au hasard dans sa pochette de cours que la brune a tendu à son professeur. Elle s’est souvenue un peu tard que le rendu final était aujourd’hui, qu’elle l’avait commencé la semaine passée mais que ses dorm mates l’ayant motivé pour une petite soirée dans un nouveau bar de la ville, elle avait simplement mis le papier de côté pour le reprendre plus tard... synonyme de jamais.

Les chances de réussites sont minces mais elle est prête à tenter le coup. L’enseignant a pris soin de déposer le paquet de copies au bureau de l’administration. Soo Kyung connait les habitudes du professeur, elle sait qu’il n’entamerait pas la correction des devoirs avant le lendemain. Elle dispose donc d'une journée et d'une nuit pour rectifier le tir. Rentrer au dortoir, fouiller partout l’énoncé de son DM, s’activer à le faire vite et bien, retourner à l’université à temps pour son cours de dix-huit heures et enfin s’introduire dans les bureaux de l’administration afin d’échanger sans se faire prendre un brouillon de substitution contre sa vraie copie.

La nuit tombe lorsque le dernier agent sort faire un tour. Soo Kyung sait qu’elle n’a pas beaucoup de temps et dès l’instant qu’elle le voit tourner au bout du couloir, s’avance à pas de loup dans le bureau. Elle referme la porte avec une infini précaution et s’attèle désormais à la recherche du précieux. Elle est très à l’aise à fouiner dans tous les tiroirs, les placards et n’hésite pas non plus à se saisir d’un trousseau de clefs pour ouvrir les casiers du corps enseignant… bingo. Elle jubile en se saisissant du paquet de copies. La sienne est déjà sur le bureau adjacent, prête à prendre la place de l’autre dès qu'elle l’aurait repéré en feuilletant un à un les devoirs de ses camarades.

Un post-it collé sur les voyants des deux caméras de surveillance, elle en est persuadée à présent, sa mission est sur le point de se solder par une réussite jouissive et trépidante.

❥ Il est tard lorsque Hyeon sort de la bibliothèque de l'université, après avoir longuement étudié certains détails concernant ses cours. Pour tout dire, il est même le dernier à sortir, la bibliothécaire lui lançant un regard réprobateur, lui signifiant que par sa faute, elle se doit de terminer plus tard. Enfin plus tard . . . à l'heure, mais elle a sûrement mieux à faire que de surveiller un seul étudiant et attendre la fin de la fermeture. Si c'était un autre élève, elle lui aurait sûrement déjà mis un coup de pied aux fesses pour le faire sortir, mais comme il s'agit de la famille Lee, celle de Hyeon, elle sait qu'elle doit rester prudente et que si elle veut conserver sa place, elle a tout intérêt à fermer les portes à l'heure et pas avant. Il ne comprend pas pourquoi elle est si impatiente alors que lui, il désire juste, comme tout étudiant studieux, rester quelques minutes en plus, pour mieux étudier, sans avoir le bruit des voisins ou autre qui le dérange. Son cartable en main, il réajuste sa cravate et sa veste, prêt à combattre le vent glacial. Il s'enfonce dans les couloirs déjà éteints, pressant le pas pour ne pas se retrouver enfermer à l'intérieur. Ce serait stupide de sa part. Néanmoins, alors qu'il traverse un couloir, il s'arrête brusquement à une intersection, hésitant quelques secondes. Il fait quelques pas en arrière, fronçant des sourcils. Il est certain de l'avoir vu. Et si c'est le cas il se demande ce qu'elle peut faire ici, à l'université, à cette heure si tardive. Normalement, Hyeon passerait son chemin, sans s'attarder plus, préférant avancer que de se soucier de quiconque, mais c'est légèrement différent devant un tel contexte. Il ne sait pas pourquoi mais il a comme un très mauvais pressentiment et cette personne est assez dans les problèmes pour en rajouter une couche. Il hésite quand même, plusieurs secondes, sa raison lui dictant de continuer, de rentrer chez lui, mais une autre part, l'intime de savoir ce qu'elle manigance. Il grimace, se gratte le cou et finit par tourner les talons.

Il ne prend pas la peine de frapper à la porte, puisque de toute manière, il n'a pas à le faire. Elle n'est pas la propriétaire du bureau. Il s'avance donc prudemment, regardant autour de lui, pour vérifier qu'il n'y ait personne autour d'eux et observe ensuite, un laps de temps, la jeune femme, qui semble bien trop obnubilée par ce qu'elle fait pour l'entendre. « Je me doutais bien que tu avais changé, mais à ce point . . . », il fait quelque pas et rentre dans la pièce, alors qu'il était resté tout ce temps au bas de la porte. « Ne me dis pas que tu triches », il arque un sourcil, sachant déjà la réponse.

❥ Echouer lamentablement à quelques secondes du carton plein, se faire prendre aussi facilement après avoir pris d’infinies précaution à se faufiler dans ce bureau. Elle s’apprête à glisser sa copie dans le paquet quand elle l’entend proférer quelques mots qu’elle apparente à de la déception. Sa voix lui glace le sang et l’espace d’un instant, elle s’imagine en conseil de discipline pour une erreur tellement stupide. Elle se mord la lèvre et tourne doucement la tête, penchée là, juste au-dessus du bureau avec l’air le plus naturel du monde. Peut-être qu’avec un peu d’aplomb, elle parviendrait à s’en sortir, à dire que le professeur l’a envoyé ici pour récupérer quelques documents mais que visiblement elle s’est trompée de pile de papiers. Avec suffisamment de confiance tout passe et même si elle n’est pas une menteuse, elle lui en faudra un peu, ce soir, pour réussir à s’en sortir.

Mais ce n’est que Lee Hyeon. Une vieille connaissance, lointaine et pas des plus amusantes. Un petit pion sur l’échiquier de sa vie, se dit-elle la pensée acerbe. Elle n’a rien à craindre. Et si elle avait du temps à perdre, elle se serait sans doute arrêtée pour lui demander de ses nouvelles et échanger quelques banalités de convenance. Mais elle n’a pas le temps. Elle n’en a plus pour lui tout simplement parce qu’elle n’en a pas envie. Et parce qu’elle n’a pas non plus envie de se faire prendre la main dans le sac dans ce bureau où ni elle, ni lui ne devraient se trouver. Elle ignore la remarque qui siffle amèrement ô combien elle a changé. C’est bien, les gens changent. Heureusement qu’elle n’est plus la même qu’à neuf ans. Sans un mot elle glisse sa copie dans le tas et remet le dossier à l’endroit où elle l’a trouvé. Un sourire qui en dit long sur ses intentions : l’ignorer et ressortir de là comme elle y est entrée. Mais elle n’a pas le temps de lui passer à côté qu’il l’accuse de triche, du moins s’il ne le formule pas exactement comme ça il le pense si fort qu’elle l’entend raisonner entre les quatre murs de la pièce. « Bien sûr que non je ne triche pas, » commence-t-elle d’un air excédé, « et puis de quoi je me mêle. » La dernière partie de sa phrase n’est qu’un murmure, un souffle dépassé par sa présence ici, par le ton répréhensible de sa voix et par le jugement qu’il semble lui porter dans son regard. Elle lève les yeux au ciel, sa définition à lui de la tricherie peut-être un peu différente de la sienne. « Si t’es venu jusqu’ici pour me tirer la leçon et me faire les gros yeux, merci, je m’en souviendrais pour la prochaine fois, mais t’es gentil de rester en dehors de ma vie. » Avec toute la condescendance dont elle est capable de faire preuve, elle lui rit au nez comme s’il parlait de choses qu’il ne connaissait pas. Ha, non, lui ne doit sûrement pas connaître les aléas de l’étudiant qui manque un devoir et ruse pour ne pas avoir à se taper une bulle dans sa note du semestre. Grand bien lui fasse mais Soo Kyung, elle, aime vivre dangereusement.

Elle remet les clefs du casier à leur place puis contourne le bureau. Elle appuie son dos à celui-ci, les bras croisés en face de lui et hausse les sourcils d’un air curieux. Il ne bouge pas. « Quoi, tu comptes me dénoncer ? »

❥ Il ne sait même pas pourquoi il perd son temps à la retrouver. Dans cette pièce. A vouloir comprendre ce qu'elle manigance, car il y a forcément quelque chose derrière cette intrusion. Il est comme poussé par une force invisible et invincible. Il reste donc devant la porte, face à la jeune femme, qui lui tourne encore le dos, ne sachant pas s'il doit regretter ou non d'être venu jusqu'ici. Les mots filent sur ses lèvres, facilement, sans la moindre hésitation, avec un ton légèrement froid. Il ne comprend pas pourquoi la première chose qui lui vient à l'esprit c'est ça. La comparer au passé. Un passé douloureux, qu'il préfère oublier. Soo Kyung a longtemps fait partie de sa vie, jusqu'à disparaître brusquement, tout aussi violemment que son propre frère. Il se souvient encore de la dureté des mots employés la dernière fois qu'ils se sont vus. Il s'était pourtant promis de l'oublier, à jamais, et il l'avait fait. Jusqu'à ce qu'il la revoit. Elle. Celle qu'il avait longtemps considéré comme son amie. Celle qui l'avait blessé par son départ soudain. Mais celle qui avait été aussi blessée par lui. Il fronce des sourcils lorsqu'elle affirme ne pas tricher, alors qu'il en doute. Surtout après avoir vu son geste, de reposer la pile de feuilles sur la table du professeur. Elle n'a rien à faire ici, et elle le sait pertinemment. Il inspire profondément, s'injuriant intérieurement d'avoir voulu intervenir. Elle a parfaitement raison. Il n'a pas à se mêler de sa vie, ça ne lui regarde absolument pas. Alors pourquoi est-il venu ? Pourquoi a t-il, certainement, ressenti une certaine inquiétude ? Il regrette déjà. Amèrement. Il reste qu'en plus, c'est leur premier échange depuis 10 ans. Dix longues années. « Il n'y aura sûrement pas de prochaine fois » dit-il d'un ton tranchant, certain de lui. Il s'est promis de ne plus avoir à faire avec la jeune femme et il se doit de tenir cette promesse. De toute manière, ils n'ont plus rien en commun. « Je ne savais pas que c'était toi, je passais juste par là. Je pensais à un voleur c'est tout ». Est-ce qu'il vient de mentir ? Oui il vient de le faire et sur un ton très certain. Il n'a qu'une envie désormais c'est de tourner les talons.

Il arque simplement un sourcil alors qu'elle se pose contre le bureau, le menaçant presque du regard. Il fait un pas vers elle, sans même s'en rendre compte. « De par mon statue, je devrai te dénoncer. Mais qu'est-ce que tu vas faire si je le fais ? Ou même si je ne le fais pas ? Est-ce que cela va changer la moindre petite chose entre toi et moi, sachant qu'il n'y a pas de toi et moi ». La rancœur est toujours présente, même s'il se sait tout aussi fautif dans l'histoire. « Mais rassure-toi je ne vais pas le faire. Ne te méprends juste pas. C'est juste que je n'en ai rien à faire que tu ais bonne conscience ou non, que tu triches ou non », c'est bien pour cette raison qu'il a été intrigué, bien sûr. Ça explique tout ! Nier l'évidence est souvent plus aisé que voir la vérité en face. « Tu vas faire quoi maintenant ? Fuir comme tu sais si bien le faire ? ».  

❥ C’est qu’en l’espace de dix ans, il a développé un talent surnaturel pour lui taper sur le système. Elle ne sait même pas ce qu’il fait là, lui-même n’a pas l’air de le savoir alors… y’a vraiment un truc qui échappe à Soo Kyung. « Un voleur. Et pour voler quoi ? Des agrafes, des cartouches d’encre, des copies vierges d’examen ? » Elle ricane doucement, il raconte n’importe quoi et c’est presque attendrissant si peu de suite dans les idées. « Toi aussi t’as bien changé, dans mes souvenirs t’étais pas un menteur. » Ce n’est pas le mensonge du siècle mais c’est suffisant pour qu’elle le retourne contre lui lorsque c’est elle qu’il essaye de placer dans une sale position.
Elle n’a pas peur d’être dénoncée, pas l’ombre d’une seconde. Il n’a pas les preuves et s’il y a bien une chose que Soo Kyung a appris c’est que sans pièce à conviction on ne va pas bien loin. Même si ça risquerait de faire tâche sur sa réputation auprès du corps enseignant… oh, mais attendez, quelle réputation ? Encore une fois elle n’en a pas grand-chose à faire. « Ma conscience va bien, merde mais Hyeon qu’est-ce que tu fais là si c’est pour me sortir tes grandes et belles paroles à deux balles ? Tu t’es pris pour le roi de l’hypnose ?! » Il vient là pour lui dire que c’est pas bien mais qu’il n’en a rien à faire alors qu’est-ce qu’il fait encore dans ses pattes ? Et puis là c’est le coup de grâce. Revoir sa tête après des années n’est rien comparé aux souvenirs qu’il brasse dans le fond de son cœur, tout ce qu’elle s’est tuée à déchirer et brûler depuis qu’elle est gamine, les passages de sa vie qu’il a marqué de son sceau et bafoué par ses mots. En une phrase il a vite fait de tout lui redonner sur un plateau d’argent, un crève-cœur sinistre et un peu trop mélancolique. « Quoi, t’es encore branché sur cette fréquence ? » Sa mâchoire se serre, sa voix ne laisse rien transparaître mais ses doigts se crispent sur le bureau derrière elle. Elle va pas s’éterniser sur la terminologie erronée et l’usage du mot « fuite » elle a passé l’âge et elle n’en a rien à faire qu’il rejette toute la faute sur elle, elle ne va pas chercher à se justifier aujourd’hui, ça lui semble totalement vain. C’était il y a dix ans, il ne devrait pas se hasarder à titiller le loquet de la boîte de Pandore. « T’as pas craché assez de sales paroles la dernière fois, tu veux m’en remettre un coup ? Allez fais pas celui à qui j’ai manqué, j’devrais peut-être te féliciter de t’être seulement souvenu de moi et de m’avoir reconnu ! » Ca a dû être facile, pour lui, de l’oublier.

❥ « Un voleur et un tricheur, j'ai oublié de le préciser », dit-il dans un calme olympien, ne cillant même pas une seule fois. C'est bien pour cette raison qu'il a été curieux, de savoir s'il devait immédiatement appeler les autorités ou non, par principe, enfin, c'est ce qu'il tente de lui faire croire. En vérité, si Hyeon avait vu ou pensé à un voleur, il aurait de suite appelé la police, sans même prendre le temps de s'avancer, pour en avoir la certitude. De toute manière la personne s'est introduite, secrètement dans le bureau, c'est donc un délit, quoiqu'il advienne. Il fronce légèrement des sourcils alors qu'elle ose dire qu'il ment. Ce n'est pas le cas, il détourne, selon lui, juste la vérité, en l'orientant vers une autre piste, pour rendre sa présence ici plus crédible et pas qu'elle se fasse des illusions en pensant qu'il est venu à cause d'elle. Il refuse qu'elle pense ainsi. Pourtant, ce n'est pas si grave que ça, si elle le devine, mais même, il ne souhaite pas la voir penser ainsi, ni même que lui pense ainsi. « Je ne vois pas pour quelle raison tu penses que je mens. Tu ne me connais pas Soo-Kyung, » ou plus en tout cas. Cela fait tellement d'années qu'ils ne se sont pas vus, et encore moins parlés. Il ne veut pas entamer une quelconque conversation avec elle, pas sur leur actuelle personnalité. Ils ont tous les deux changé, c'est certain. Malgré tout, malgré toutes ces années, Hyeon n'a pu s'empêcher de s'avancer jusqu'au bureau, en la voyant, et elle-même semble se douter qu'il y a quelque chose que lui-même ne saisit pas. Comme un fil qui les relie encore. « Si tu crois que j'ai que ça à faire . . . ». Il hausse simplement des épaules, l'air ailleurs.

Hyeon ne peut s'empêcher de lui envoyer une petite pic, une pic datant de leur enfance, qui, malgré tout, est restée ancrer en lui. Il a essayé d'oublier, d'avancer. Il l'a oublié, il a avancé, mais au moment où il l'a revu, le passé a ressurgit, brusque et douloureux. Il n'a jamais rien montré, jamais rien dit, l'ignorant totalement chaque fois qu'il la croisait, mais désormais, les circonstances sont autres et les mots parlent d'eux-mêmes. Il ne dit rien et détourne les yeux, se mordant l'intérieur de la bouche, s'en voulant d'avoir parlé trop vite. Il ironise, et ne peut s'empêcher de hocher négativement de la tête, l'air désespéré, par un tel comportement. « Désolé, mais tu ne m'as pas manqué. Et ne sois pas si pathétique. Tu crois sincèrement qu'on peut oublier une personne dans notre tête si facilement, en rayant tout ce qu'elle a fait, son visage, son prénom. Et surtout quand on déteste la personne. On n'oublie jamais les mauvaises images », mais surtout, les personnes qui ont marqué sa vie. Hyeon a eu beau essayé de l'oublier, totalement, en la revoyant, cela a tout réactivé, comme s'il n'avait jamais pu l'oublier. Parce qu'elle a été son amie, et qu'il a partagé quelques moments avec elle, même si elle fait partie du passé, et un passé qui ne semble pas être heureux à ses yeux. « Ne me dis pas que toi tu m'as oublié. Tu ne m'aurais sûrement pas reconnu non plus, alors je pense que nous sommes sur la même longueur d'onde. Il est difficile d'oublier un visage et un prénom, surtout pas à l'âge de 10 ans », en dehors d'un accident. Il aurait aimé dire le contraire, mais il n'y aurait eu aucun argument en sa faveur. « J'ai été ravi de te parler », dit-il d'un ton froid, distant, en gardant cet air si inexpressif, s'apprêtant à faire presque demi-tour, craignant qu'une personne le découvre ici, aux côtés de la jeune femme. Mais avant qu'il ne puisse faire un pas, il entend du bruit . . . 

❥ Non, elle ne le connait pas. Et même le jour où elle avait cru le connaître, en réalité elle ne le connaissait pas si bien que ça et elle en garde un souvenir amer. Et malgré tout ça elle sait qu’il ment. Qu’il ne passe pas par quatre chemins, elle n’en cherchera pas la raison. Il est là, c’est bien, qu’il y reste. Du moment qu’il ne la dénonce pas, parce que oui c’est un risque, Soo Kyung se fiche de ce qu’il fait là et des raisons qui ont pu l’attirer jusque dans ce bureau, presqu’à la suivre aurait-elle envie de dire. « Attends, JE suis pathétique ? J’ai rien demandé à personne, tu t’es pris pour un pseudo-justicier tout seul alors si tu me détestes autant que tu le dis, tu fais ce que t’as toujours su faire par toi-même : tu baisses les yeux et tu marches jusqu’à la sortie. » C’est craché si spontanément et naturellement que ça résonne encore entre les murs de la pièce. Si elle était contrariée, elle en devient de plus en plus énervée. Elle en oublie presque que le tas de copies est encore bien en évidence sur le bureau et le casier de son professeur grand ouvert de façon à ce que personne ne puisse le manquer en entrant dans la salle.

Elle veut lui répondre, elle brûle de lui dire tellement de choses, mais il a déjà annoncé son départ et c’est ce qui rend Soo Kyung encore plus furieuse. Ce n’est pas à lui de partir, c’est à elle. Ce n’est à lui de mettre un terme à la conversation, c’est à elle. Et puis merde, ce n’est pas non plus à lui faire la morale quand il est la seule et unique raison pour laquelle elle le déteste autant. Mais elle ne peut rien dire. Ils parlaient sans doute trop fort pour entendre que dehors, quelqu’un remontait le couloir. Une ombre passe sur le pas de la porte et Soo Kyung échange un regard avec Hyeon. Elle peut le lire sur son visage, il n’est pas serein et il a bien raison. S’ils se font prendre ici avec la caisse de copies grande ouverte à portée de main, ils sont cuits. Soo Kyung se mord la lèvre inférieure. Elle ne peut pas s’empêcher de trouver l’atmosphère un brin excitante en dépit de l’enjeu crucial qui se joue pour elle. Elle efface un sourire au creux de ses lèvres et plante ses yeux dans ceux de Hyeon. Il ne se passe rien mais la présence est là, juste derrière cette porte… elle pose le flanc de son index contre ses lèvres pour lui signifier de ne pas faire un bruit, ne serait-ce que faire un geste traître ou respirer trop fort.

On entend comme un bruit de clés et la seconde d’après il n’y a plus personne dans le couloir. Les pas s’évanouissent au loin et l’expression sur le visage de Soo Kyung se déforme lorsqu’elle craint le pire. Elle s’élance vers la porte d’un pas pressé, elle passe à côté du garçon sans même le regarder, à peu de chose le pousserait-elle-même. Et quand elle tire sur la poignée de la porte pour sortir « c’est fermé, putain. » Elle pousse un gros soupir et tirant sur la poignée avec beaucoup plus d’ardeur, mais rien n’y fait. « Bien. Fallait vraiment que tu trouves le moyen de te ramener là toi… d’entre tous les jours passés et à venir tu pouvais pas choisir un autre moment pour me prendre la tête ?! » Elle se retourne face à lui et balance sa tête en arrière contre le bois de la porte.

❥ Hyeon sert légèrement les poings, se sentant soudainement énervé par les propos de la jeune femme. Et très certainement touché. Mais il n'en dit rien, ne montre rien, gardant un rictus, le visage  passif. « Tu as bien raison de me dire ça. C'est beaucoup plus facile pour moi de baisser les yeux et d'aller jusqu'à la sortie. Je préfère ça que d'agir en subissant les conséquences de mes actes. Autant être obéissant que désobéissant. Nous n'appartenons vraiment pas au même monde ». Au fond, il saut que ce n'est pas bien, au fond, il aimerait être différent. Lui aussi il souhaiterait pouvoir combattre ces normes, ces valeurs, qui pèsent sur ses épaules. Lui aussi il aimerait être, juste un peu, lu-même. Lui aussi il aimerait marcher la tête haute, au lieu de toujours regarder le sol. Mais il n'y peut rien. Il a toujours fonctionné ainsi et il préfère rester ainsi que de changer, parce que le changement, ça le terrifie. Il s'apprête à partir mais, il entend des pas qui s'avancent progressivement vers eux. Il se fige quelques secondes, un frisson parcourant son échine. Son cœur se met à palpiter, plusieurs secondes, tandis que ses yeux s'écarquillent, face au danger imminent. Il est certain de se faire prendre. Mais de se faire prendre de quoi ? Il n'a rien fait, lui. Il est juste tombé au mauvais moment, au mauvais endroit. Il n'aurait pas dû la suivre, stupide homme. Il ne veut pas que cela ruine quoique ce soit. Il sait pertinemment les conséquences de ses actes, si ses parents apprennent, pensent qu'il aurait essayé de tricher, de voler quelque chose. Au vu de la situation, il risque d'être pris pour un complice, même s'il ne l'est pas. Il en veut alors à Soo Kyung de l'avoir entraîné là-dedans. Il a envie de lui faire des reproches parce que tout est toujours de sa faute. Lui, il évite toujours ce type de contexte. Lui il gère toujours tout parfaitement bien, sans faire d'entrave aux lois qu'on lui a instruit et elle, à chaque fois, elle vient modifier ces lois imprégnées dans son éducation. Il ne respire plus et encore moins quand, soudainement, Soo Kyung pose son index contre ses lèvres. Ses sourcils se froncent. Il n'aime pas avoir une quelconque proximité avec elle. Il a l'impression qu'elle est toxique pour lui. Il veut la repousser mais il ne peut pas car derrière la porte, une personne approche. Ils ne peuvent plus bouger, jusqu'à ce que la personne soit assez éloignée pour pouvoir respirer de nouveau.

Il respire enfin quand elle se détache de lui, et que la personne semble loin, très loin. Assez pour qu'ils puissent s'en aller. Enfin . . . s'ils le peuvent. Soo Kyung s'approche alors de la porte, essayant de l'ouvrir, mais n'y arrivant pas. Sur le moment, Hyeon ne comprend pas et pense à une mauvaise blague de sa part. Juste pour le surprendre, le faire peur. Alors, il s'approche et tente, à son tour, d'ouvrir cette satané porte, qu'il ne parvient pas à ouvrir. Elle est fermée. Réellement fermée. Est-ce que cela signifie qu'ils sont coincés ? Tous les deux ? Jusqu'à demain matin ? Et comment vont-ils faire pour sortir de là sans se faire prendre ? N'est-ce pas là un malheureux destin qui les unit en cette nuit mouvementée ? « Ah parce que tu penses que j'avais le désir, l'envie, de te parler, de rester coincer, là, avec toi, dans ce bureau ? ». Il ne peut s'empêcher de passer une main dans ses cheveux, mais reste tout de même calme. « De toute manière, nous sommes coincés jusqu'au lendemain, alors ça ne sert à rien d'avoir une quelconque dispute ou même d'avoir de tels enfantillages. Je n'ai pas de temps à perdre avec ça ». Il fronce des sourcils et s’assoit sur une chaise. Il se demande encore pourquoi est-ce qu'il l'a suivi ? Pourquoi est-ce qu'il a fait une telle sottise ? Parfois son corps réagit plus vite que ses pensées. Et cela le désespère. « Toi qui sembles avoir l'habitude, tu ne connais pas un autre moyen de s'en sortir ? ». Il regarde la pièce, avec attention, essayant de trouver une voie de sortie.  

❥ Ils n’appartiennent pas au même monde. Une ironie un peu trop crue, que Soo Kyung a du mal à contenir alors qu’elle n’a d’autre choix que d’observer le silence au risque de se faire prendre et avoir de gros ennuis. Jamais elle n’aurait laissé Hyeon encaisser l’image d’un tricheur alors qu’elle est la seule à blâmer. Et bien qu’elle nie tout en bloc, qu’elle ne considère même pas son acte comme de la triche mais plutôt comme un rattrapage de temps mal-géré, elle reste loyale et honnête même s’il ne le verra jamais. Elle s’élance vers la porte avec crainte. Elle est quasiment certaine d’avoir entendu l’irrémédiable, une clef qui tourne brièvement dans la serrure et elle ne se trompe pas. Hyeon a beau ne pas la croire, ce qui en dit long sur la confiance qu’il place en elle, ils sont bel et bien enfermés pour la nuit dans un bureau administratif. Une punition qui, sans doute, ne fait que retarder la pénitence car lorsqu’ils se feront prendre demain au petit matin, ce ne sera pas pour triche mais probablement pour tentative de délinquance et pour trespass.

Soo Kyung ne perd pas de temps. La première chose à faire c’est de tout ranger, d’effacer les preuves et de balayer la scène du délit. Elle n’écoute pas le garçon, du moins que d’une seule oreille, plus ou moins attentive. Elle se dépêche de ranger le tas de copies à sa place, s’empresse de refermer le casier de son professeur et repose le trousseau de clefs à l’identique, à l’endroit où elle l’a trouvé. Elle remet les fournitures sur le bureau à leur emplacement exact, comme si elle avait tout mémorisé, comme si elle l’avait déjà fait un milliard de fois. Et puis elle se retourne vers lui, l’air agacé. « Tu veux pas te taire ? » Il parle depuis tout à l’heure et ça provoque un sifflement très désagréable dans les oreilles de la brune. Elle le regarde s’asseoir sur une chaise et lui demander ce qu’ils faisaient, maintenant. Comme un petit oisillon qui attend que sa maman revienne pour lui fourrer dans le gosier le résultat de son vol de chasse. Et ça fait doucement rire Soo Kyung qui se dit que décidément, ce gamin surprotégé ne connait rien de rien à la vie. « Depuis quand t’approuves mes méthodes ? Y’a pas deux minutes tu te ventais de préférer l’obéissance à la désobéissance, il t’arrive quoi tout d’un coup ? » Elle se moque bien, mais elle non plus n’a pas de temps à perdre. Elle scanne la pièce en tournant sur elle-même et puis elle repère une fenêtre. Elle s’en approche, fait sauter le verrou de sécurité et l’ouvre avec un peu de difficulté. Elle passe sa tête au travers, c’est le troisième étage. Plutôt haut, vraiment même, mais elle n’a pas l’air de s’en rendre compte. Elle calcule déjà les points d’accroche, les distances, elle repère une canalisation à laquelle il serait possible de se suspendre le temps d’atteindre la fenêtre du deuxième étage et poursuivre la descente… elle ne jette même pas un regard à Hyeon, elle est attirée par le vide, elle pose ses deux mains sur le rebord de la fenêtre qu’elle est prête à enjamber, sans la moindre considération du risque qui se trame dans toute cette histoire. « Par-là ! »

❥ Il ne dit plus rien, alors qu'elle lui intime de se taire, lui qui d'ordinaire n'est pas très bavard, voilà qu'on exige de lui de se taire, alors qu'en règle général, on lui demande de parler plus. C'est le monde à l'envers. Il se contente alors de se tenir droit, et de regarder autour de lui, essayant de trouver une éventuelle voie de secours, même s'il sait pertinemment que c'est perdu d'avance. Ça ne sert à rien de tergiverser pendant plusieurs heures sur une voie de secours, il sait parfaitement qu'il n'y a aucune chance. Il garde tout de même un faible espoir, au vu des capacités surprenantes, ironiquement dit, de la jeune femme. Certes il n'est pas en accord avec ce type de méthode mais de toute manière, ils sont tous les deux dans de beaux draps, et c'est peu dire. Ils vont forcément se faire prendre demain matin, alors oui s'il y a un moyen de sortir de ce bureau, avant le lever du soleil, il n'est pas contre l'idée. « Je préfère l'obéissance, mais que puis-je faire ? On est tous les deux enfermés dans un bureau et ce jusqu'à demain matin, très certainement. Du coup, il y a de forte chance qu'on se fasse attraper par le professeur et par la suite, par le directeur. Je n'ai pas besoin de te faire un dessin pour que tu comprennes la situation ». Hyeon lui en a pleinement conscience. S'il se fait prendre et que cela remonte jusqu'aux oreilles de ses parents, il risque une forte sentence. En tout cas, ses parents risquent de lui faire la moral pendant un certain temps, lui expliquant les bases de l'éducation, et tout ce qui risque de s'ensuivre. Il préfère donc éviter, à tout prix. Elle semble néanmoins avoir trouvé une voie de sortie, comme il s'en aurait douté. Il s'approche alors d'elle, imaginant tout type de scénario sauf celui-ci. Il fait un mouvement de recul en voyant le vide qui se trouve face à lui. Elle est sérieuse ? Elle veut vraiment passer par là ? Elle semble déterminée puisqu'il la voit déjà prendre le chemin. « Non » dit-il simplement en se mettant un peu plus en arrière. Si elle veut descendre elle n'a qu'à le faire seule, il ne veut pas la suivre. Il préfère encore se faire prendre que de tenter le diable. Il sait qu'elle, elle en est capable, car elle a assez d'assurance pour survivre, pour parvenir à son objectif, mais lui non. Il n'a jamais connu une telle adrénaline et ce n'est pas ce soir qu'il va la connaître. « Prends le risque si tu veux. Mais moi je reste à l'intérieur », il s'éloigne donc de la fenêtre et s'en va s'asseoir de nouveau sur la chaise, la regardant tout de même du coin de l’œil, pour vérifier tout de même. Il ne veut pas lui dire de rester, il ne veut pas l'empêcher de faire une sottise, au risque de se blesser, ou même de se faire mal, il en a assez fait et de toute manière, il n'a pas à intervenir dans sa vie. Si elle veut sauter, elle le fait, mais sans lui.