« Parle moi de toi Yoo Him. Qu'est-ce qui t'a poussé à faire ça ? » Le psychologue au fond de son siège sonde l'adolescent. Des cernes jusqu'en bas des joues, l'air épuisé, apeuré aussi. Le gamin est presque trop mince pour la combinaison du centre, mais pas de différence ici. Circonstances atténuantes ou non, il doit purger sa peine, et se plier aux obligations de l'établissement. La longue silhouette de l'adolescent s'enfonce dans son siège, il joue nerveusement avec ses doigts, grattant la peau de son pouce dans un geste nerveux. Il hausse les épaules. « Qu'est-ce' vous voulez qu'j'vous dise ? Vous avez tout dans votre dossier là. » D'un geste du menton, il pointe le dossier sur la petite table à côté du fauteuil du psy. Il n'a pas envie d'être là. L'homme d'une cinquantaine d'années reste silencieux, ça le fait chier Yoo Him, il a pas envie de raconter sa vie pathétique. Mais il sait aussi qu'il ne sortira pas s'il ne dit rien. « D'quoi vous voulez que j'vous parle ? D'mon père ? Vous dire qu'il frappait ma mère ? Qu'il lui mettait des branlées comme vous en avez jamais vu? Qu'des fois après l'avoir tabassé, de force il s'f'sait pardonner ? » Sur ce dernier mot, il fit des guillemets de ses doigts, ce qui lui donne l'envie de se mettre une baigne à lui même. Le psychologue se redresse un peu, et regarda le jeune homme qui en retour le fixe de son regard noir de défiance. « Et toi, tu ressentais quoi Yoo Him ? » De nouveau, le gamin hausse les épaules. « De la colère j'crois... Du dégoût aussi... Et d'la haine. Ouais d'la haine pour c'fils de pute... » Il serre les poings, sentant une rage sourde bouillir au creux de son estomac et remonter avec un goût de bile et de métal. « Il te frappait aussi ? » Le poing fermé, le jeune sent ses ongles dans sa peau, rien à foutre de la douleur, il encaisse, il sait encaisser. « Des fois... Mais c'était ma mère qui prenait toujours, elle s'interposait. Comme si elle voulait m'protéger... Si elle voulait nous protéger, elle s'rait partie. Mais elle est restée avec ce connard. » Le psychologue croise les jambes et se penche vers le détenu. « Nous ? Tu parles de ta sœur aussi ? » Yoo Him hoche la tête une seule fois. « Tu peux me parler d'elle ? » Et à nouveau, il hausse les épaules. « J'la connais pas vraiment. J'crois ses nouveaux parents ont changé son nom, elle s'appelait Yoo Ah. J'm'occupais pas d'elle. Elle est partie vite. J'sais pas pourquoi moi j'suis resté avec mes parents. » Ça arrive parfois qu'on enlève qu'un seul enfant visiblement. Il n'a jamais revu la petite fille, c'était sans doute mieux comme ça, alors il se voit plus comme un fils unique. « Elle m'manque pas... C'est une inconnue. » Le psychologue pousse un petit son montrant qu'il écoute. « Et ton père n'a jamais cessé les coups ? » Yoo Him a un rire sans joie, un rire glaçant. « Ça s'rait trop simple ça. Nan jamais. Mais y pas longtemps j'ai pu lui péter la gueule à mon tour... D'puis je dors chez un pote, j'veux pas m'faire buter. » Parce que c'est ce qui l'attendait après ce qu'il a fait. « Et pourquoi tu as fait ça ? » Dans sa tenue trop grande, l'adolescent hausse les épaules à nouveau. « Bah il l'avait mérité. » Après tout ce qu'il a fait c'était normal non ? « Et ta copine, elle l'avait mérité elle aussi ? » Il n'y a pas d'accusation dans la voix du psy, mais la fine carrure de Yoo Him se tend, ses poings plus serrés que jamais. « J'veux pas en parler. » Le quinquagénaire décroise ses jambes. « Il faudra qu'on en parle tu sais. C'est pour ça que tu es là. Trois côtes cassées, fractures de la pommette droite, de l'arcade droite, fracture du nez, entorse du poignet, et des dizaines d'hématomes. Pourquoi Yoo Him ? » Et la colère du môme jaillit soudainement, pas de transition, pas d'avertissement. Sa colère est vive, brute, dure et glaçante, presque déplacée chez un jeune homme de son âge. « J'sais pas okay ?!!! Elle était là à pas arrêter de me chercher !! Elle m'a trouvé okay ?!! C'est partit d'un coup j'sais pas !!! Ça s'maîtrise pas !! » Menaçant, il s'est rapproché du psy qui a prudemment fait signe aux gardiens au cas où... « Calme toi ! » Mais si ça suffisait... « Ce n'est pas parce que c'est ton père que tu es obligé de lui ressembler. » Prêt à empoigner le psy, l'adolescent s'arrête brutalement, comme si c'est lui qui vient de recevoir un coup. Il lui ressemble putain... Il est exactement comme ce connard.



Ten Years Later...

« Yoo Him... Pourquoi tu paniques autant ? » Les cheveux du psy sont un peu plus blancs, et ses traits un peu plus ridés. « Les dortoirs ça me rappelle le centre... Je n'ai pas été en collectivité depuis deux ans. Et puis suivre les cours en classe... Je n'ai même pas terminé le lycée normalement. » L'adolescent est devenu un homme. Bien que sa silhouette soit toujours élancée, ses épaules sont un peu plus carrées, sa voix grave et profonde. Son visage est plus serein, plus mature, on y voit que les choses n'ont pas toujours été facile pour lui. Il n'a pas réussi à s'asseoir aujourd'hui, il est trop nerveux. Plus qu'un jour avant son entrée dans les dortoirs de la Yonsei, et deux semaines avant la rentrée universitaire. Il en a une boule dans la gorge, ça lui fait un peu peur tout ça. « Ton parcours n'est pas commun Yoo Him, mais pas moins déméritant. Tu as travaillé pour avoir un studio à toi. Tu as obtenu ton diplôme d'entrée à l'université, tu as loupé ta deuxième année mais te voilà maintenant prêt pour la troisième... Et surtout, tu es beaucoup plus serein.  Tu as juste besoin de te faire confiance, de croire en toi. Qu'est-ce qui te fait si peur ? » Yoo Him pince les lèvres, il réfléchit. « Je ne sais pas trop... Les autres en parti... Et moi. » C'est là que le bas blesse. Il a beaucoup travaillé sur lui, il sait qu'il n'est pas son père, il sait qu'il n'est pas obligé de lui ressembler, la preuve, le parcours qu'il a choisi... Mais cette peur, cette violence, cette rage... Le volcan n'est pas éteint, il reste impulsif, agressif. « Ça prend du temps Yoo Him, mais tu as beaucoup progressé. » Le jeune homme eut un sourire un peu tordu, Il aimerait voir les choses de cette façon. « Je me demande aussi si j'ai choisi la bonne voie... Regardez moi ! Je veux devenir psy, mais je suis encore moi-même un patient ! » Ça n'allait pas ensemble son ? Le psychologue lâche un rire franc. « Tous les bons psy ont été en thérapie au moins une fois Yoo Him ! Moi y comprit. » Un peu surprit, le jeune adulte regarde son médecin, et un sourire finit par étirer ses lèvres. « Ah parce que vous pensez être un bon psy ? » Après dix ans, ils ont une certaine complicité, et il n'a pas peur de plaisanter de la sorte avec lui. Le psychologue lève les yeux au ciel en riant. « Bien sûr ! Regarde toi, tu en es la preuve. » Son sourire est chaleureux et réconfortant, rassurant même. « Tu continues de venir pour te rassurer, parce que tu ne te fais pas confiance... Tu ne t'es toujours pas pardonné ce que tu lui as fait. » Yoo Him serre le poing et ravale sa salive avec difficulté. Il entend encore parfois les cris de sa petite amie de l'époque qui pleure et lui demande d'arrêter, et il entend encore le son de ses poings sur son visage. Il a le souffle court... « Tu as déjà pensé à la revoir pour lui présenter des excuses ? Je suis certain que ça te ferait du bien. » Le coréen laisse échapper un soupir tremblant. Mais est-ce que ça lui ferait du bien à elle ? Il ne veut pas savoir, il ne veut pas lui répondre, il n'est pas prêt. Tout comme il n'est pas prêt à arrêter les séances. « On se voit la semaine prochaine alors ? » Et c'est la seule réponse qu'il offre à son psychologue avant de partir, il n'est pas prêt, il lui ressemble trop encore.