16 décembre 2003 ~ Mes doigts glissèrent contre ta peau tendrement glaciale. Mon souffle brûlant s'éteignait dans la froideur d'une nuit d'hiver. Ce jour là, j'ai tout perdu. Je m'étais éveillé à tes côtés, toi qui étais la femme de ma vie, ma génitrice, ma douce mère. Ton regard sombre et livide me rendait bizarrement très anxieux. Je tentais de bouger, je tentais de me relever pour t'aider à te relever toi aussi mais non. Mon corps me disait d'aller me faire voir. Tout semblait lourd, tout semblait bizarrement lointain, mon souffle se faisait court, ma respiration saccadée et quelques minutes plus tard, je perdais connaissance en tenant ta main fermement dans la mienne.

Je me réveillais alors quelques jours plus tard au fond d'un lit d'hôpital. Je ne comprenais pas pourquoi il faisait aussi noir alors que j'entendais les gens bouger autour de moi. D'un geste lent, mes doigts vinrent explorer mon visage en quête de réponses. Tout ce que je pouvais toucher actuellement était un bandeau enroulé autour de mes yeux que je ne parvenais pas à faire glisser. Je paniquais, tentant tant bien que mal de le faire glisser, de le retirer d'une manière ou d'une autre, en vain. Je sentais des bras qui me retenaient, des voix amplifiées autour de moi mais je ne comprenais pas. Je ne comprenais rien jusqu'à ce moment là. Il se présentait comme mon médecin. Il me signalait que l'on m'avait retrouvé à côté de la carcasse de la voiture de mon père, allongé près de ma défunte mère. Un premier coup de poignard me transperçait le coeur lorsque je comprenais que mes parents n'étaient plus de ce monde. Je retenais mes larmes. Du haut de mes dix-neuf ans, j'avais maintenant la charge de tout ce qu'avaient mes parents. Je ne pouvais pas flêchir, je devais simplement aller de l'avant. C'était plus facile à dire qu'à faire. Surtout lorsque j'entendis la suite.. il m'annonçait avec un tact certain que j'avais perdu l'usage de ma vue à un degré très important, que je verrais encore très légèrement mais qu'en même temps, il y avait des risques que je devienne aveugle après cet accident. Touché à nouveau en plein coeur, je laissais échapper des râles de douleur, sentant mes larmes ruisseler le long de mes joues. Qu'avais-je fait pour mériter un tel traitement ? Qu'avais-je fais pour souffrir autant aujourd'hui... je n'avais que dix-neuf ans ce jour-là et à partir de ce moment, c'est toute ma vie qui fut bouleversée à jamais..

24 juillet 2004 ~ je venais de me rendre compte que je ne verrais plus jamais comme avant. J'étais encore à l'hôpital, seul, assis sur un banc alors que je revoyais ma vie défiler dans mon esprit. Je voyais cet homme avec qui j'avais tissé des liens depuis tellement longtemps. Il était le fils d'un couple d'amis de mes parents. Il était plus jeune que moi, il m'avait plu au premier regard. Un jeu de séduction s'était lentement instauré entre nous si bien que je m'efforçais tant bien que mal de me retenir. Mais non, je l'avais appelé. Le raccourci 01 de mon téléphone... En entendant sa voix, j'avais été incapable de répondre, écoutant simplement sa voix me demander ce que j'avais et si j'étais là. Ce fut la dernière fois que j'entendis sa voix. Je ne voyais pas d'alternative possible, pas de moyen de retrouver une vie normale après tout ça. Mon chagrin s'en était allé. Depuis quelques jours, je ne pleurais plus le décès de ceux que j'avais aimés plus que tout. Je n'avais même pas eu le droit d'assister à leurs funérailles. J'étais détruit. Totalement.

27 juillet 2004 ~ j'entendis une petite voix me demander si j'allais bien. J'étais toujours assis au même endroit, sur ce banc, seul. Cette voix me fit penser immédiatement à jihye, la fille du couple Lim, d'anciens amis de mes parents. Je la voyais encore si timide la première fois que l'on s'était vus et ce yeobo qui me rendait dingue. J'allais regretter amèrement ces moments et bizarrement... elle me manquait beaucoup aujourd'hui. Est-ce qu'elle accepterait encore de côtoyer un homme comme moi ? J'avais beaucoup de doutes en moi, beaucoup de peine et de déception. Je la considérais comme ma petite soeur, ma chair... savoir que je ne la reverrais plus me brisait le coeur..

28 juillet 2004 ~ cette petite voix me demandait encore comment j'allais. Finalement, je me rendais compte que je n'étais pas seul assis sur ce banc. elle se présentait alors, kee young. C'était mignon comme prénom mais je ne trouvais rien à lui redire. J'avais peur de l'effrayer avec cet énorme bandeau que je portais toujours sur mes yeux. Le médecin m'avait dit que ce n'était plus nécessaire mais, je n'arrivais pas à faire le deuil de ma vue. Je préférais rester comme cela pour le moment, ça m'évitait de regarder vers l'avenir. De plus, cela faisait plusieurs mois que je ne parlais plus, la gorge nouée par les émotions que je ressentais. Elle me demandait pourquoi je restais là comme ça et j'étais incapable de lui répondre correctement. De toute façon, j'étais totalement incapable de faire aller ma voix à nouveau, même devant tant d'innocence..

03 mars 2009 ~ cela faisait maintenant six ans que j'avais perdu mes parents dans ce terrible accident. Je ne me serais jamais douté que je finirais comme cela, paumé au fin fond d'un village proche de la frontière avec le Nord. Je portais des lunettes de soleil. Il faisait beau aujourd'hui, je le sentais. Il n'y avait pas d'odeur d'humidité dans l'air si bien que je sortais de la maison en m'étirant et en baillant de tout mon long. Je n'avais toujours pas retrouvé la vue. Cela faisait quelques années maintenant que j'avais appris à vivre avec ce handicap... et avec cette femme qui me secondait tous les jours. J'avais 25 ans. J'étais jeune oui mais j'avais l'impression d'avoir cent ans déjà. J'avais pris un café d'un geste naturel en saluant la voisine qui passait. Elle n'avait rien vu. Aujourd'hui, je commençais à bien maîtriser mon corps et je me félicitais de cela. J'avais envie de le partager avec la femme qui me soutenait depuis tant d'années. On s'était rencontré un peu par hasard, à l'hopital. Je ne savais pas qui elle était ni pourquoi elle avait accepté de m'aider comme elle le faisait mais ... elle était la seule à savoir pour ma maladie. La seule à savoir que j'avais laissé la direction de la boîte de mon père en suspend le temps que je revienne au meilleur de ma forme. La seule à me comprendre aussi facilement. Aujourd'hui, on vivait ensemble lorsqu'elle venait me rendre visite sinon je restais terré dans mon coin, trop anxieux à l'idée de me retrouver seul et presque sans défenses...

16 décembre 2011 ~ aujourd'hui, c'était l'anniversaire de la mort de mes parents. J'avais rendez-vous pour mon check-up du mois à l'hôpital c'est pourquoi, elle m'avait accompagnée. J'étais anxieux. Je voulais aller le plus rapidement possible sur la tombe de mes parents. Je voulais honorer leur mémoire mais ce que m'annonçait ce docteur me fit l'effet d'une douche froide. J'étais opérable. Ils pouvaient opérer mes yeux et me faire retrouver la vue moyennant une certaine somme d'argent. Je n'en revenais pas. Mon avenir semblait s'éclairer à nouveau et même si c'était une somme conséquente, je me préparais à travailler durement pour réunir l'argent au plus vite.  Kee semblait aussi ravie que moi et enfin, je pouvais envisager de reprendre une vie normale..

22 avril 2012 ~ j'avais appris que kee s'était fiancée. J'avais du mal à me dire que je devais rester le même avec elle. Ces moments de tendresse, de douceur, je ne pouvais plus les lui offrir. Elle s'était engagée et je ne voulais plus être celui qui briserait peut-être une union. Elle m'avait soutenu pendant toutes ces années, elle était la personne que j'avais aimée passionnément pendant près de dix ans mais aujourd'hui, je devais m'en aller. C'est pourquoi je quittais la maison que j'avais habitée pendant plus de dix ans, sans un mot, sans une adresse. C'était trop difficile pour moi de dire au revoir, de briser un coeur et de l'assumer. Pas après tout ça. J'espérais qu'elle comprendrait, qu'ils comprendraient tous pourquoi j'étais devenu comme ça mais je ne me berçais pas d'illusions. Il était trop tard pour m'apitoyer sur mon sort. Il était temps de reprendre le chemin de Séoul, de l'entreprise familiale et d'assumer enfin mon héritage.