Je suis née aux Philippines et j’y ai grandi jusqu’à mon adolescence, une vie de rêve à l’ombre des palmiers et au rythme des vagues qui s’échouaient sur les plages de sables blanc. Une vie sans repère matriarcal, mais qui en aurait eu besoin alors que mon père s’occupait de moi avec amour et tendresse. La pauvreté ne me déplaisait pas, elle me mettait au contraire à l’aise avec la majorité de mes amis, mais mon géniteur, lui, n’entendait pas devoir trimer pour avoir un semblant de vie. Je mis très tôt le pied à l’étrier et j’embrassais ma nouvelle vocation dès l’âge de quatorze ans. Une adolescence rythmée par quelques menus larcins, des escroqueries qualifiées de minables aux yeux des nouveaux associés de mon père. Je fus plongée sans ménagement dans des affaires qui me dépassaient et ma capacité à comprendre les chiffres et les nombres sur lesquels s’alignaient les zéros fut une véritable bénédiction pour cette organisation naissante et qui se voulait devenir la plus influente du continent asiatique, un but à mon avis bien difficile à atteindre. Je savais pourtant qu’il ne fallait pas, que ces arnaques nous retomberaient dessus et qu’un beau jour il nous faudrait faire face à une justice loin d’être clémente. Mais je me laissais portée par le courant, suivant et imitant les besoins de richesse d’homme floués par le temps et les mauvaises rencontres.

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The monster was actually the best friend I ever had
Je l’entendais, du haut de mes huit ans, la voix grave de mon père filtrait à travers la porte contre laquelle je l’épiais, à l’affût d’une information, n’importe laquelle pourvut que je sache ce qu’il manigançait. D’une discrétion à toute épreuve, je tentais un regard furtif à travers la serrure, cet espace si petit que je ne distinguais rien, rien si ce n’est les rouages d’un système complexe. Ô combien j’avais vu juste. Un système, une organisation, une famille, une douleur qui réunissait quelques mécréants de l’île de Panglao, ma terre natale. La porte s’écarta soudainement, me faisant perdre l’équilibre dans une réunion à laquelle je n’avais pas été conviée. Une poignée d’homme au regard perdu, blessée, tourmenté, des requins prêts à attaquer le premier qui oserait s’en prendre à nouveau à eux. La petite fille que j’étais ne comprenait par un tel rassemblement, et la tension à couper au couteau qui émanait de l’aura de chacun d’eux. Mais je n’eus pas le temps de demander quoique ce soit. « Et ta fille ? Elle peut devenir un atout non ? On n’a pas de sang frais dans nos rangs, elle pourrait être le parfait appât ! » Une comparaison qui me déplaisait, mais j’en avais cependant saisit le sens. Le regard dur de mon père me figea sur place, l’hésitation fut encore plus douloureuse. Je le pensais fort et solide comme un roc, un phare dans la nuit, suffisamment pour me promettre une vie simple et heureuse, mais les ténèbres l’avaient gagnées pour faire de lui un escroc redoutable, cet homme au visage froid et dur, sans émotions. Un robot, façonné pour commandité des actes criminels sans le moindre remord, et pourtant, j’étais son enfant. Son bien le plus précieux. J’avais compris à cet instant que je jouerais un rôle crucial dans ses affaires, une petite poupée formée et entrainée pour récupérer des ressources, des richesses qui ne nous appartenaient pas. Je croisais ses prunelles dans lesquelles je lisais la fatigue, éclairée par cette nouvelle lueur, un désir de vengeance. « Papa ? » Mais je savais que je ne pourrais pas résister à cette douleur qu’il masquait à peine. En revanche, je n’aurais pu prédire qu’il devienne ce robot, motivé par une soif grandissante, un besoin de faire plier ceux qui s’opposaient à lui. Mon père était mon seul repère, mon meilleur ami, mais aussi le monstre caché dans l’ombre et qui se repaissait de cette nouvelle drogue qu’était la jubilation de prendre, toujours plus, à ceux qui méritaient pourtant leur funeste destin. Ce jour-là j’ai appris, qu’il valait mieux haïr ces gens de la haute plutôt que de les envier, mais la frontière entre les deux tendait à s’amenuiser à mesure que le temps passait. Je rêvais déjà de villa et de journées marquées par un rythme plus que confortable. Un nouveau paradoxe de plus à ma collection.
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They’re coming to get you
Le déménagement en Corée du Sud n’était pas une nécessité, mais il fut un nouveau souffle pour les affaires de mon père. Séoul, une ville animée et peuplée de riches propriétaires qui ne demandaient qu’à se faire dépouiller de leurs biens. Une nouvelle vie, de nouveaux objectifs et un rendement toujours plus important. Un rythme effréné dans lequel je me plongeais corps et âme, un but toujours plus facile à atteindre. Il m’avait dit pourtant, de me méfier. Il m’avait prévenu de toujours écouter l’écho des pas qui me suivaient, de rester vigilante. Une fraction de seconde, le noir complet, puis une odeur de moisi. J’ouvrais les yeux dans une pièce qui ressemblait à une cave, humide, froide, dépourvue de lumière. Mon cœur tambourinait contre ma poitrine, la frayeur rendait mon souffle court et saccadé. Une simple chaise et des cordes pour m’écrouer, une prison de fortune bien plus redoutable lorsque la peur devient seul maître d’émotions qui devenaient incontrôlables. « Où est-il ? » Je sentis sa main sur ma joue avant de voir son regard. Je savais parfaitement de qui il parlait, de mon géniteur, celui qui s’évertuait à faire tomber toujours plus de dirigeants. « Je ne sais pas de qui vous parlez. » Je restais calme mais ma voix tremblante trahissait mon mensonge. Une lycéenne, je n’étais qu’une adolescente mais qui pouvait croire à mon innocence quand j’aidais une organisation de criminels ? Les jours défilèrent sans même que je ne m’en rende compte, jusqu’à ce qu’on vienne enfin me porter secours. J’avais appris bien plus tard qu’il m’avait oublié, mon ravisseur s’en était allé en me laissant mourir dans une petite pièce isolée du monde, à l’abri des regards, une vengeance bien trop cruelle. Déshydratée, affamée, faible, l’hôpital m’était pourtant hors de portée, ce n’était pas un lieu pour des voleurs. N’importe qui de censé serait parti, mais je refusais la simple idée d’abandonner ma seule famille. Ce fut un épisode plus dur à passer que n’importe lequel, bien plus que cette balle perdue, la torture mentale était un exercice qui prenait sens et cet enlèvement m’avait fait comprendre que les rouages du cerveau étaient bien plus complexe, à tel point que je m’en servais. Je faisais de mon traumatisme l’une de mes forces, un nouveau mensonge. Il n’y avait aucune force à tirer de ces journées, simplement un nouveau combat, un nouveau but à atteindre pour refaire surface. L’écho de pas qui trainaient derrière moi apparaissait régulièrement, réanimant une peur que je n’avais nullement oubliée.

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No tears please, it’s a waste of good suffering !
J’inspirais profondément avant de pousser les portes vitrées qui m’amèneraient jusqu’au bureau que je visitais régulièrement depuis quelques temps. Une mission importante, une pression qui pesait sur mes épaules et pour laquelle je m’étais pourtant jetée à corps perdu. Un homme de plus à faire tomber. Je n’avais pas prévu que ce soit un homme à peine plus âgé que moi qui écouterait les plaintes inventées de toute pièce qui me mèneraient vers la défaite d’un dirigeant crapuleux. À mesure que mes pas me portaient vers son bureau, je sentais la culpabilité m’étreindre. Combien de temps encore allais-je le tromper ? Il se montrait si patient, si dévoué à une cause pourtant perdue d’avance. Je frappais pour pousser le battant aussitôt. « Tu es prêt ? » Un sourire timide s’affichait sur mon visage. Je n’aurais pas dû, et pourtant je me retrouvais une nouvelle fois en sa compagnie autour d’un repas, une discussion orientée volontairement vers cette affaire dont mon âme brisée devait trouver repos après un procès juste et équitable. Mensonge. Je profitais, de ce repas, le dernier que je pouvais partager avec lui. J’avais échoué. Avant même d’avoir touché au but, le cartel avait décidé que je n’étais plus apte à remplir ma mission. Trop engagée disaient-ils, et ils n’avaient pas tort. Je ne supportais plus la pression et les soupçons commençaient à s’éveiller. Mais j’en étais venu à apprécier nos escapades, elles me rendaient … libre. Ce fut le dernier repas, la dernière rencontre avant de le croiser lors d’une conférence de presse. Une déclaration qui me déchirait le cœur, c’était ma faute. Je l’avais anéanti, j’avais ruiné sa carrière et pour quoi ? Je me sentais pitoyable, et le voir s’éloigné de moi était une nouvelle torture de plus. J’abandonnais l’idée de pouvoir un jour lui dire sincèrement que je m’en voulais, que j’étais désolée. Après tout, il avait sa vie, un destin sans doute bien mieux si je n’y étais pas. Mais malgré tout son sourire et sa gentillesse me manquaient. Je gardais jalousement ces sentiments, jusqu’à les étouffer pour continuer à avancer, pour marcher de nouveau « la tête haute ». Qui aurait pu imaginer que nos chemins se croiseraient encore une fois ? Non, Sae Yeon, oublie-le, tu ne mérites pas ne serait-ce qu’une parole, qu’un regard. Tu as fait souffrir trop de monde, tu ne viens pas du même univers. Il n’y avait plus rien, juste une culpabilité qui prenait le pas sur mes sens et mes émotions. Juste cette culpabilité et le regret d’avoir été une fois de plus, un monstre.