Un sourire en coin sur une peau diaphane, des talons qui claquent sur le plancher déjà usé de la scène, sa bouche dessinée devient pulpeuse sous le rouge intense du feutre à lèvres. Ses cheveux blonds décolorés tombent en cascade sur son visage  faussement angélique, l'effet mouillé qu'on y trouve donnerait des frissons aux plus frileux. Sa langue claque sur son palet, ses doigts font de même, imposant alors un rythme que beaucoup de connaisseurs apprécient. Homme ? Femme ? Ses longues jambes fines, dessinées par un collant noir se jouent des ombres dans la salle. Sa taille élancée ne laisse pas deviner un corps masculin, ni même, une once de féminité. Un rire a presque envie de s'échapper de sa gorge, mais il le retient docilement, s'accrochant aux barreaux de la fausse prison. Le tango qui démarre sa mélodie envoûtante le fait frissonner de plaisir. « Cicero... » La danse commence alors à prendre place dans chaque cellule de son être et l'envoûtement commence. Un véritable jeu de séduction entre eux et les clients, entre l'amusement et le désir intense. Homme aux airs féminins, il prend son plaisir dans le fait de tromper les yeux, de se dévouer avec délices aux sensations charnelles, visuelles, auditives. Sa voix fine et fluette n'aide pas vraiment les pauvres fous face à lui et il voit le trouble dans les yeux des innocents. Les habitués, eux, savent.

Le numéro est un bonheur qui s'imprègne jusque dans ses cellules souches, le sourire qu'il arbore à la fin en dit long sur l'intensité du moment. Son regard se porte sur des personnes qu'il connaît presque par coeur, offrant des clins d'oeil ou autre subtilité. Une fois dans la loge, ce rire si enfantin s'échappe enfin de sa gorge alors qu'il s'installe sur son tabouret, le faisant pivoter de gauche à droite en répondant aux sms de sa jumelle. Reposant son bien précieux, il penche la tête sur le côté, jouant avec sa chevelure douce et blonde comme les près. « Tu es attendu dans une des chambres. » Un regard vers la personne qui lui a annoncé ça, il sourit un peu, demande le numéro et se démaquille avant de se revêtir une tenue plus simple. Un slim violine, un chemisier blanc beaucoup trop grand pour lui, un maquillage léger. Ses pas le conduisent vers l'homme qui s'impatientait déjà sur le lit, le corps frémissant à la vue du jeune homme. Ces vieux cochons, on ne les refera plus n'est-ce pas ?

Cinq heures du matin, il caresse ses lèvres gonflées d'avoir été trop usées, puis la morsure à son épaule qui le fait grincer des dents. Ils savent pourtant, qu'il a le droit de dire non, de refuser des choses. Juste à cause de l'argent, ces grands hommes se pensent tout permis. Tsss. Quel manque de savoir-vivre. Son corps s'enfonce dans une tenue de faux-cuir, de lourdes bottines masculines viennent protéger ses pieds et un casque de moto se dépose sur sa tête. Prudent, il rejoint le parking puis son appartement, prenant garde à ne pas réveiller sa sœur, mais comme à chaque fois, il marche sur le chat, qui dort n'importe où et se met à hurler, pester, planter ses griffes dans une peau délicate, faisant couiner un Sky déjà bien fatigué. Rose se lève pour le fixer alors avec son regard transperçant, jusqu'à le tirer par l'oreille afin de le ramener avec elle dans son lit pour le cajoler un peu.

« Si les parents l'apprennent un jour... » « Ils ne sauront rien. » « Mais s'ils l'apprennent... » « J'ai 22 ans. » « Tu restes leur enfant. » « Je suis fatigué. » « J'en ai marre de te couvrir. » « Ne me couvre pas alors. » « Idiot... » « Crétine. » Un coup sur son thorax le fait gémir et il la frappe à la cuisse avant de la regarder longuement, puis d'éclater de rire en même temps qu'elle. Finalement, une fois débarrassé de sa combinaison, et son slim, il vient se nicher à nouveau contre elle, désireux d'un sommeil réparateur, la tête encore ailleurs.