19.01.1992

« Regarde, Woo Ri est enfin là ! »

Ma petite soeur est si jolie. Maman est fatiguée et me dit de ne pas faire de bruit pour ne pas la réveiller. Nous sommes à l’hôpital, c’est la première fois que je la vois. C’est la première fois que je vois un bébé si, si petit. Papa me soulève pour que je puisse la voir de plus près et je la regarde la bouche grande ouverte, l’air béat. C’est ma petite soeur ! Je suis fasciné. Tellement qu’un filet de ma bave finit par rouler sur sa joue. Je panique, mais mon père explose de rire. C’est si drôle que ça, de lui baver dessus ? Je finis par sourire, rassuré que cette petite bêtise soit prise avec tant de légèreté. Ma mère, elle, est dépitée. Mais je peux le voir ça, qu’elle est heureuse. Moi aussi, je suis heureux.

06.12.1992

« Mais, enfin Woo Young ! Qu’est-ce que tu as fait ? »

Je retire ma langue de la joue de ma soeur et adresse à ma mère un sourire innocent. J’ai vu un petit enfant marron à la télé, j’ai voulu voir à quoi ma soeur ressemblerait si je lui donnais la même couleur. Mais j’aime trop le Nutella, il fallait que je goutte. J’en ai plein la figure et ma soeur a l’air de s’être roulée dans la boue, mais ce n’est pas grave. Je suis fier de mon oeuvre d’art. Je suis un artiste !

12.07.1996

« POURQUOI ? C’EST ELLE QUI A COMMENCÉ ! »

Tout rouge, je me mets à pleurer de frustration. Il n’y a aucun avantage à être grand frère ! Je n’ai rien fait, mais je me fais quand même crier dessus ! J’ai peut-être coupé les cheveux de ses poupées, mais c’est elle qui a joué avec mes legos avec sa copine ! Y’a qu’avec moi qu’elle joue aux legos ! Et puis ce sont mes legos, mes legos ! Ma mère sourit et se met à notre hauteur pour nous parler tous les deux. Calmé, j’essuie mes larmes et ma soeur essuie les siennes. Je lui tends alors mon petit doigt, résigné. « On fait la paix ? » Elle hoche la tête et accroche son auriculaire au mien. Je lui adresse quelques secondes plus tard un immense sourire et lui prend la main. « J’ai trouvé des chenilles, viens voir ! » Heureux à nouveau, je lui prends la main pour aller courir vers l’extérieur.

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Un étouffant silence envahit le salon lorsque sa femme le rejoint. Eteignant rapidement la télévision, peu enclin à partager ses souvenirs avec elle, il retire le DVD du lecteur avant de s’éclipser dans son bureau. La porte fermée, il se pince l’arête du nez. Plus rien ne lui semble vivable dans cette maison. Woo Young en est conscient, il est dur avec elle. Il a beau essayer de se convaincre que ce qu’il ressent n’est que temporaire, mais il sait pertinemment que c’est faux. Ca fait quoi ? Trois ans que ça dure maintenant ? Trois ans qu’elle lui pompe l’air alors que toute cette situation est de sa faute à elle ? Alors que lui n’a rien de déficient ? Un juron lui échappe. Il se sent horrible de penser cela, mais ses pensées lui échappent. Bien sûr qu’il veut l’aimer, l’aimer encore, toujours. Depuis ce jour d’été au lycée, il ne vit que pour elle, ne jure que par elle. C’est bien au nom de cet amour qu’il préfère s’enfermer plutôt que d’avoir à hausser le ton et se perdre dans une nouvelle dispute interminable. La vérité, c’est qu’il est las. Il n’aimerait ne se soucier que de lui-même, mais il sait que cet enfant hante ses rêves, il sait qu’il ne se perd que bien trop souvent dans cette autre chambre aux couleurs pastels et au mobilier soigneusement choisi. Mais voilà, cette chambre est vide et se ternit de plus en plus, jour après jour, face à cet enfant qui ne vient pas. Au bout du compte, il n’est plus sûr d’en vouloir. A quoi bon ? Sa femme ne l’attire même plus.


Son mariage ? Bel et bien une erreur, la plus grosse de sa vie. Il l’aimait tellement à l’époque, bon sang ! Mais comme à son habitude, il n’avait pas réfléchi. Il avait foncé dans le tas, s’était précipité pour lui faire sa demande avant de s’envoler pour son service militaire. Pour ne pas perdre ce premier amour, il fallait l’enchaîner. Il n’avait pas compris que la chaîne avait deux bouts, qu’à vouloir l’épouser il serait le premier à s’y coincer. Et maintenant, une partie de sa vie traîne tel un poids mort accroché à sa cheville.

Heureusement, des échappatoires, il en existe plein. Les femmes, pour commencer. Il s’en voulait, au début. Revenait à la maison avec des fleurs. Maintenant, même cet effort a disparu. Et puis, il y a le foot, avec les copains, quand il a le temps. Temps qu’il est ravi de ne plus avoir depuis qu’il a ouvert son restaurant, en réponse à sa passion de toujours, la cuisine. Il se revoit encore, tout jeune, fourré dans les jupes de sa mère à la regarder cuisiner. Les odeurs, les gestes, l’amour… Sa sensibilité a très tôt été touchée par ce qu’il considère comme un réel art.

Pourtant, il n’aurait pas pensé tenter en vivre un jour. Oui, il aime ça. Mais il adore le foot depuis tout petit et s’est sans doute plutôt imaginé comme une future star du gazon quand il était enfant plutôt qu’en génie du maniement de casseroles. Cette idée évanouie, il s’est mis plus tard à penser à l’école, à un avenir sérieux. Woo Young est certes un enfant turbulent, bagarreur, intenable, mais c’est surtout un très bon élève. Le genre a ne jamais avoir de félicitations à cause de son comportement, mais dont les résultats méritent tous les honneurs. Les maths, les chiffres… C’est ce qu’il adore. Alors, pour faire la fierté de ses parents, pour pouvoir offrir une grande maison à sa mère, il travaille dur, intègre la SNU. Il est fier mais son mauvais comportement lui fait à nouveau défaut. Etait-ce sa gueule qui ne lui revenait pas ? Son porte-monnaie qui n’était pas assez rempli à son goût ? La compétition entre eux trop intense ? Quoiqu’il en soit, Woo Young est accusé d’un acte qu’il n’a pas commis. L’insurrection ne le mènera nulle part, il le sait. Woo Young comprend au bout du compte que le monde est fait d’injustices et c’est encore grâce à ses résultats scolaires qu’on lui facilite un transfert vers Yonsei. Il a alors 19 ans.

A cette époque, il est bien loin de se douter de tous les changements qui vont avoir lieu dans sa vie. Pendant longtemps il n’a d’yeux que pour sa douce, donne son maximum pendant son service militaire pour pouvoir la revoir autant de fois que possible. Ses parents sont heureux qu’il se soit marié avec une fille comme elle et attendent très vite la venue d’un petit-fils. Quel bonheur lorsqu’elle tombe finalement enceinte, si vite après qu’il soit rentré de son service ! Son bonheur n’a plus de limites. Mais là où 2012 a échoué à provoquer la fin du monde, c’est le sien qui s’écroule.

Fausse couche.

Sa femme. Insuffisance lutéale ?

Qu’est-ce que c’est que ça ?

Il perd pied, mais ne peut pas la laisser tomber. Et sa soeur qui elle, tombe enceinte et se montre si irresponsable… Il croit devenir fou.

Et très vite, sa vie conjugale ne finit que par tourner autour des soins, d’un enfant, d’une grossesse qui tarde à venir. Ces obsessions de sa femme l’étouffent. Leurs disputes n’ont d’égales que leurs silences, le sexe n’est plus qu’un moyen et le plaisir n’y est plus. Comment faire quand les images dansantes de d’autres femmes est tout ce qui le stimule ? Il ne sait pas où trouver la réponse, où peut-être qu’il ne veut pas la voir…

En attendant, tout va bien dans sa vie.