« Je suis devant l’entrée. »
Ôtant son smartphone de son oreille, la jeune femme raccrocha, postée devant la porte d’entrée du dortoir du centre-ville dans l’attente que son amie vienne lui ouvrir. Non, Hera n’était pas venue voir son petit ami résidant dans l’une des chambres de ce bâtiment mais une autre membre des jeongals avec laquelle la singapourienne avait commencé à sympathiser. Peut-être la similarité entre elles d’être des étrangères qui les avait amené à s’apprécier ? La renarde ne pouvait qu’être soulagée et espérait bien ne pas croiser son petit ami – heureusement très peu probable du fait de son emploi du temps – dans un tel état. Telle une enfant, Hera avait les genoux et les poignets écorchés tandis que plusieurs mèches de cheveux se rebellait. La raison de tout ceci et de sa respiration encore une once saccadée qui soulevait sa poitrine ? L’animal qui se tenait assis au bout de la laisse qu’elle tenait entre ses doigts. D’ailleurs, le chiot husky de quatre mois s’avérait momentanément un peu trop sage, ainsi posté, la truffe relevée, les oreilles attentives et les yeux rivés sur la porte. Assurément, il n’attendait qu’une seule chose, lorsque la poignée tourna… Le voilà qui bondit sur Saeyeon venant leur ouvrir !
« Jethro, non ! »
Malgré la laisse, Hera ne parvint pas à le retenir à temps. Cependant, le joyeux assaut sur la jeongal ne fut que de courte durée, car tel un boomerang à la résonance de son nom, le grand chiot s’en retourna aussitôt sur sa maitresse qui finit encore une fois les fesses par terre. Jethro avait beau être encore jeune et pas bien gros, le chiot s’avérait néanmoins un beau modèle pour son âge et de surcroit, en plus de débordante vitalité, il sautait déjà extrêmement bien, extrêmement haut. Atteindre la hauteur d’un visage humain ne lui posait guère de difficulté, donnant de tout son être et de sa force dans son bond, abattant ainsi tout son poids sur la victime de ses débordements d’affection, dont sa maitresse incarnait évidement la principale cible.

Après une brève mais énergique fête, Hera parvint à se défaire du chien qui ne perdit pas de temps pour s’engouffrer au sein du dortoir, n’ayant plus personne au bout de sa laisse.
« Je suis en retard car j’ai dû le récupérer en urgence et le trajet jusqu’ici fut…, expliqua-t-elle en se redressant et tentant de remettre quelque peu ses vêtements en forme. Laborieux. »
C’était le moins qu’elle puisse dire. Il serait tout de même grand temps de trouver une personne pour promener voire dresser un peu Jethro contre rémunération. Son énergie n’était pas prête de diminuer tout au contraire. S’engageant à la suite de Saeyeon, Hera pénétra à son tour au sein du bâtiment.
« Mettons-nous au trav… »
Un fracas se fit entendre en provenance d’une des pièces de vie principale. Avant même d’aller voir ce dont il s’agissait, la renarde soupira :
« Je rembourserai les dégâts… »
Elle se hâta ensuite d’aller rattraper son chien qu’elle sermonna de se tenir tranquille. L’animal coucha légèrement les oreilles comme s’il avait été sévèrement puni et par conséquent, le chien le plus malheureux du monde, avant de redresser les oreilles avec enthousiasme l’instant suivant, paré pour une nouvelle découverte. Les yeux de Hera parcoururent la pièce. Elle essayait d’imaginer Hyeon vivant dans un lieu communautaire.

Mon bureau était dans un état déplorable, les cours se mélangeaient aux dossiers que mon père venait de me confier dans un tas de feuilles incohérent. Les coudes sur le bois, je massais mes tempes en tentant d’oublier toutes ces affaires. Je vidais mon esprit pour me concentrer sur les nombres. Derrière l’opaque de mes paupières je visualisais formules, théorèmes et autres principes sur lesquels s’appuyaient mes cours puisqu’il fallait que j’en recrache le contenu à une nouvelle élève. Je n’avais jamais donné de cours, à qui que ce soit, et je m’en voulais presque de devoir jouer l’étudiante studieuse. Le  nom de l’étudiante était écrit sur l’une des chemises cartonnées, une famille puissante, à la tête d’un empire auquel j’avais déjà fait appel par le passé et qui avait répondu favorablement à la requête d’une jeune Philippine désarmé face à un père qui se noyait dans le désir de vengeance. L’heure qu’affichait l’horloge me fit sursauter, j’étais tellement perdue dans mes pensées que je n’avais pas vu les minutes s’écouler à une vitesse affolante. D’un geste j’attrapais mon téléphone pour m’assurer d’avoir encore le temps de ranger pour accueillir Hera. « Allô ? Est-ce que… tu arrives dans combien de temps ? » Sa réponse eut l’effet d’un sceau d’eau glacé et je m’empressais de rassembler tous les papiers volants dans un coin. Du plat de la main je lissais mes vêtements, témoins d’une nouvelle nuit trop courte pour finalement ouvrir à la Gumiho. Mais je ne vis pas tout de suite la singapourienne, surprise par la tornade de poils qui se jetait sur moi avant de me délaisser pour reporter son attention sur celle qui venait de l’appeler. Jethro ? « Oh, euh… ce n’est pas grave ! Je t’attendais de toute façon ! » Faux. Je lui offrais un sourire presque sincère avant de la faire entrer. Mais avant d’avoir pu faire un pas que le chiot s’échappa à nouveau de l’emprise de sa maîtresse. Le bruit caractéristique des objets qui se renversent parvint jusqu’à nos oreilles. Je n’y prêtais pas attention, après tout, mes seules affaires se trouvaient être dans ma chambre, et il n’y avait aucune raison pour lui d’y accéder. « Ne t’en fais pas ! On s’installe ? » Je l’entrainais dans la pièce principale, vers la grande table qui occupait l’espace et sur laquelle trônaient encore quelques affaires. Sans plus de délicatesse je les attrapais pour les jeter dans un coin. « Alors est-ce que tu as des questions en particulier où tu souhaites seulement t’imprégner des cours de finance ? » Ses iris se posaient ici et là, découvrant sans doute pour la première fois le dortoir du centre-ville tandis que je continuais de nous libérer une place. « Je suis désolée, d’habitude nous sommes plutôt ordonnés. » Mes yeux chutèrent sur la pile de vêtements et de papiers que j’avais entre les mains. « Je crois que c’est à Lee… euh… Lee… Lee Hyeon ? Enfin il me semble. » J’avais beau être en Corée depuis près de six ans, me faire des amis n’était pas une priorité, et l’héritière qui me faisait face en était la preuve. Des informations compromettantes échangées sous couvert d’une amitié factice. Ce n’est que pour quelques heures ! Courage Sae Yeon, endure juste pour quelques heures, tu as l’habitude de prétendre !

Vain espoir que la présence imprévue de Jethro ne tourne pas à la catastrophe. Au moins, digne d’un gumiho, d’une certaine façon, on ne pouvait pas lui reprocher de ne pas mettre tout de suite au diapason. Comme si cela ne suffisait pas que les membres de sa fraternité sème le trouble un peu partout sur leur passage, désormais elle aussi. Quoique, seul le déni de Hera l’empêchait certainement d’ouvrir les yeux quant au fait que prônant la discipline et le calme, la tempête la poursuivait quasiment partout où elle allait et ce même en l’absence de son chiot. Enfin, pour le moment, Jethro était encore seul coupable des dégâts que les deux étudiantes s’en allèrent constater dans le salon. Le chien rattrapé, l’attention de la maitresse se perdit sur les lieux. Un léger pincement au coeur à essayer de visualiser son petit ami dans un tel environnement, puis, un discret sourire à la perspective de son incommodent à un tel mode de vie. Dire qu’elle aussi, elle fuyait les espaces communs au dortoir gumiho à son arrivée. Surprenant chemin que l’étrangère avait parcouru. Si désormais elle n’était pas plus friande des espaces bruyants agités, ils faisaient pourtant partis de son quotidien et elle s’y imposait également à sa guise. Satisfaction des instants de silence qui suivaient sous apparition dans une pièce, même si, régulièrement, le chaos ne reprenait que de plus bel, voire pire avec sa contribution. Le dortoir du centre ville était si calme. C’était agréable et pourtant, la brunette trouvait cela presque triste et ennuyeux. Il faut dire que malgré sa classe sociale, du temps où ses ainés vivaient à la maison familiale, l’ambiance y avait toujours été agitée. Le silence aussi apaisant soit-il, dans une pièce sensée être vivante lui rappelait la solitude née de leur absence suite à leur départ, la laissant seule à Singapour, avec en prime une terrible peine d’amour.

D’un léger mouvement de tête, Hera évinça ses pensées au son de la voix de Sae Yeon.
« Ici ? » s’étonna-t-elle spontanément.
Peu importait, la gumiho n’avait juste pas envisagé de travailler dans le salon où il y aurait plus de risque d’être dérangée que dans la chambre de sa professeur du jour. Mais Saeyeon devait avoir ses raisons, peut-être la présence d’une colocataire endormie ou bordélique. Pendant ce temps, Jethro s’était couché. Deviendrait-t-il sage avec sa grosse pattoune grattant par grand geste de chiot derrière son oreille. L’attention de sa maitresse lui fut totalement ôtée par le prénom qui sortit de la bouche de Saeyeon aux bras chargés d’affaires, dont des vêtements.  Son intense regard se redressant sur son interlocutrice, Hera sentit son sang ne faire qu’un tour et instinctivement se mettre à bouillir. Hyeon ? Par réflexe, elle darda du regard la femme qui avait le malheur d’oser toucher des affaires qui appartiendrait à son petit ami. Puis, sa bouche s’entrouvrant, la raison se rappela à elle : jamais son beau pianiste ne laisserait trainer ses biens avec autant de négligence et encore moins dans un lieu de vie commun. Hera tendit alors la main pour s’emparer d’un vêtement et pu en avoir confirmation :
« J’ignore à qui elles appartiennent mais je peux t’assurer que le propriétaire n’est pas Hyeon. »

D’une certaine façon, cela la rassurait également un peu de savoir que non, Saeyeon, représentante du sexe féminin ne connaissait pas Hyeon au point de reconnaitre ses vêtements ou son écriture. Il vivait en partie ici, alors il vivait à proximité de femmes… Cette perspective la chagrinait et elle se rendait compte que lui aussi devait faire acceptation d’une situation réciproque, sans que Hera ne lui permette guère de faire la moindre remarque sans s’irriter. Décidément, la gumiho allait devoir se recentrer un peu plus pour rester concentrée en ce lieu. Néanmoins, Hera en avait parfaitement la capacité. Elle s’apprêta alors à prendre place, tirant une chaise, ouvrant son sac pour en extraire un livre :
« J’ai lu cet ouvrage avant de venir… »
Un doute l’assaillit soudainement lorsqu’elle ne sentit plus aucune résistance au bout de la laisse dont la anse entourait son poignet.
« Où est passé Jethro ? »
Car oui pendant ce temps là, adorable toutou pas si sage, oeuvrait de sa patte pour enlever son collier, avait avancé sur quelques pas à ras le sol en mode discretos, pour prestement filer à l’anglaise au sein du dortoir sans que les deux filles ne le remarque.

« L’endroit ne te convient pas ? » La pièce était pourtant vaste, elle nous offrait de quoi nous installer confortablement, et surtout, elle me permettait de ne pas me sentir étouffer par la culpabilité qui grondait. Je refusais qu’elle puisse mettre les pieds dans ma chambre, là où les dossiers s’emmêlaient suffisamment pour mettre à mal une crédibilité que je savais fragile à cause de ce lien particulier qui m’unissait à elle. La singapourienne ne semblait pas me reconnaitre mais je n’avais pas oublié, la générosité de ses parents pour une pauvre gamine et son appel au secours aussi dérisoire soit-il. Je m’activais à faire un peu de place alors que je pensais pouvoir identifier les membres du dortoir juste par leurs affaires, mais il fallait me rendre à l’évidence que mon calme et mon retrait par rapport à la bande de rebelles qui vivaient avec moi ne m’aidait pas à tisser des liens. « Oh. Si tu le dit. » J’abandonnais les vêtements et les livres sans m’en soucier pour reporter mon attention sur mon élève du jour, espérant bien obtenir quelques informations supplémentaires pour épaissir davantage ce dossier qui me valait une pression quotidienne d’un père pressé par le désir de vengeance. Je connaissais bien le livre qui trônait entre ses doigts pour l’avoir parcouru à maintes reprises. Un manuel basique et plutôt accessible pour les débutants en finance, mais sa phrase resta en suspens. « Pardon ? » Jethro ? Il ne me fallut qu’une fraction de secondes pour comprendre. Mon regard chuta au sol, là où devait se trouver le chien qui, évidemment, avait fait faux bond à sa maitresse. « Il ne peut pas être bien loin, on va le retrouver ! » Je me fichais pas mal des affaires des autres, et quand bien même le chiot parvenait à se faufiler dans l’une des chambres, il y avait certains spécimens qui méritaient amplement une nouvelle décoration de leur chambre façon Picasso avec des crocs ! L’un d’eux plus particulièrement, ce prétentieux vantard, cette brute de Sung Wook, lui qui se plaisait à la ramener sans arrêt appelait à une certaine justice. Sans plus de mots, je partais à la recherche de la boule de poil surexcitée qui découvrait avec joie les pièces laissées à l’abandon et dans lesquelles s’entassaient des affaires qu’il serait ravi de goûter. La première chambre était vide, mais Jethro y avait laissé sa trace : des chaussons généreusement mordus et des classeurs qui avaient élu domicile à même le sol laissant des feuilles éparpillées dans un tableau presque pittoresque. « Il a l’air de bien s’amuser ! Ne t’en fais pas, c’est la chambre de Sung Wook, au final ça ne change pas de son désordre habituel. Il aura juste un peu de bave en prime. » Le plus tranquillement du monde, nous continuions notre ascension pour passer à la chambre suivante. « J’ai une question, quand on l’aura retrouvé, comment tu comptes l’attraper ? » Je n’avais aucune raison de paniquer, j’étais sûre d’avoir fermé la porte de ma chambre à double tour… L’avais-je vraiment fermé ? Le doute m’envahissait sans que je ne le montre. T’affoler ne te ressembles pas Sae Yeon, reste calme. Il me fallait trouver une raison pour aller au bout du couloir sans qu’elle ne m’accompagne. « Il est peut-être redescendu non ? » Je tendais l’oreille, faisant mine d’entendre quelques bruits s’échappant de la cuisine, en espérant qu’elle croit à ma ruse lamentable.

Léger courant électrique faisant frémir son échine, la singapourienne tressaillit. Un fléau avait été libéré et sévissait quelque part dans le dortoir. Laisser Jethro sans surveillance revenait à une visite de courtoisie signée gumiho. Quand bien même l’intention initiale n’était-elle, les catastrophes les accompagnaient toujours inexorablement. A croire que le karma décidait du destin à rejoindre la fraternité des renards aussi rusés que destructeurs. Alors ça, non, la renarde ne s’inquiétait pas qu’il puisse s’être envolé bien loin ni de la difficulté à le retrouver. Très certainement le pisteront-elles aisément à la trace, de dégâts en dégâts… Oui, son souci résidait plutôt là. Non pas qu’au fond, Hera eut cure que les affaires d’autrui puissent en pâtir, ce qui la rebutait s’avérait davantage la perspective d’être tenue responsable. Pire : devoir s’excuser ! Fière comme un paon - qui ne faisait pas partie de ses attributs sans raisons – la demoiselle à la tête de la fraternité la plus ravageuse du campus, même de la Digital City ne courbait jamais l’échine pour réclamer pardon des bévues de ses pairs. Un mélange détonnant pour un animal totem qui leur correspondait à merveille.

Les deux jeunes femmes se dirigèrent à l’étage des chambres là où la prudence appelait à vérifier en premier car le risque plus grand que le chiot ne dévaste des effets personnels. Elles virent juste puisque la première porte entrouverte lors offrit un petit aperçu de monde post-apocalyptique. Vague impression de déjà-vu s’imprima sur les rétines de la singapourienne. Une sensation qui trouva réponse dans les mots de Saeyeon. Les affaires de Sung Wook ? Effectivement, sa familiarité avec les lieux s’expliquait. Un rictus narquois, délectable complaisance se nicha au coin de ses lèvres.
« Oh alors là, je ne vais certainement pas m’en faire… »
Elle pourrait même bien être tentée de lui laisser un petit mot affectueux pour signer le passage de Jethro.
« Et ce sera toujours moins baveux que la trace qu’il laisse sur les oreillers ! »
La belle lâcha ses mots sans se douter des erreurs potentielles d’interprétations qui pouvaient en découler. A ses yeux, l’étudiant n’était que son ancien insupportable colocataire de chambre trop longtemps subi et à l’égard duquel sa hargne n’avait fait que croire suite à leur dernière altercation.
« Oh, ça ne sera pas un problème, il est plus collant que réellement fugueur. Parfois, je ne sais pas s’il est profondément stupide ou s’il a au contraire tout compris à la vie… » répondit-il, non plus au sujet du renard – car elle en connaissait la réponse le concernant – mais bel et bien de son canidé domestique afin de rassurer son professeur quant à la facilité de le rattraper.
La force de ce chien résidait en partie dans le fait qu’il ne doutait de rien. Leurs pas les ramenèrent dans le couloir. Hera réfléchissait à l’attitude de Jethro pour essayer de deviner sa progression. Saeyeon proposa la cuisine. Cela se tenait, cependant, plus qu’attirer par l’odeur de la nourriture, sa truffe semblait l’avoir amené à se rabattre sur l’odeur familière de Sung Wook…
« Attends… Non, je ne pense pas ! »
Un féroce doute l’emplit soudainement ! Si le chiot avait justement choisi les affaires de Sung Wook, très certainement fut-ce parce que l’odeur lui parlait alors… Sans un mot de plus, Hera pressa le pas et accourut jusqu’à une chambre dont elle repoussa la porte et
« JETHRO ! »
Sa voix claqua, aussi autoritaire et intransigeante. Le chiot sauta du lit qu’il était joyeusement en train d’éventré sans épargner la moindre surface. Il coucha les oreilles et rampa jusqu’à sa maitresse. Se faisant tout petit, il levait néanmoins des yeux tout timide dans sa direction, agitant discrètement la queue comme dans l’espoir de l’attendrir parce qu’il se savait irrésistible. Sauf que pour le moment, le charme n’opéra pas ! Hera monta des mains à la tête, froissant quelque peu sa chevelure. Elle avait vu juste, la seconde odeur la plus évocatrice au sens du canidé dans ce dortoir n’était autre que celle de son petit ami.
« Aish… Comment je vais dire ça à Hyeon ? »
Très certainement de but en blanc : « Salut mon amour, comment vas-tu ? J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle ! La mauvaise c’est que Jethro semble encore être un peu jaloux et à dépecer ton lit au dortoir ! Mais la bonne c’est que tu vas avoir de la literie tout neuve ! » L’idée de pousser à l’incitation en suggérant de l’apprécier ensemble sera évidemment précédente dans son esprit mais peu sûre que la singapourienne s’y ose jusque-là. A voir, après tout, sa langue – ou ses doigts en l’occurrence dans l’envoi d’un sms – pouvait parfois la prendre de vitesse formulant à haute voix le fond de sa pensée. Avant de dégainer son smartphone, Hera s’en retourna vers son professeur du jour, un sourire un soupçon factice aux lèvres :
« Le monstre ayant été capturé, ne ferions-nous pas une petite séance de shopping en ligne avant de commencer la leçon ? Si Sung Wook n’y verra pas à la différence, Hyeon va forcément le remarquer et je doute qu’il comprenne… Alors, je préférerai m’assurer de lui avoir tout remplacé à neuf avant de le prévenir ! »
Et ainsi, il penserait à elle jusque dans son lit, dans ses songes – auriez-vous pensez à autre chose ? – si ce n’était pas déjà le cas. Il lui appartiendrait jusque dans ses draps. Finalement, petite moue fanfaronne et satisfaite sur le visage, Hera accorda un regard favorable à son animal qui n’avait pas fait du si mauvais boulot que cela à la réflexion.

La chambre de mon compère saccagée, je riais intérieurement de l’état furieux dans lequel il se mettrait après avoir retrouvé ses affaires éparpillées. Hera semblait d’ailleurs aussi heureuse à l’idée qu’il reçoive enfin une justice à hauteur de son intelligence. Je ne relevais pas la remarque empreinte de dégoût qui passa la barrière de ses lèvres, mais je n’en perdis rien. L’habitude dira-t-on, celle de fureter là où mes oreilles ne devaient pourtant jamais se trouver. J’avais pu acquérir cette faculté à entendre et voir ce qui avait vocation à ne pas être dévoilé. Mais l’attention fut de nouveau reportée sur le fugitif à quatre pattes qui sévissait dans le dortoir, comme une tornade soufflant sur la tranquillité d’une maison qui ne connaissait pas le calme. Il était à l’image des habitants de ces lieux : instable et révolté. « Tu connais certainement mieux ton animal, je te fais confiance ! » Faux ! J'avais beau lui vouer, à elle et ses parents, un culte pour la générosité dont ils avaient fait preuve il y a quelques années, je n'étais pas folle au point de baisser ma garde pour un chien. Mais dans notre ascension, le doute d'avoir laissé à sa portée des dossiers marqués par l'illégalité m'étreignait, si bien que je tentais de détourner Hera des chambres pour l'emmener vers le rez-de-chaussée. Mais je n'eus pas le temps de la convaincre davantage qu'elle courrait déjà vers une chambre qu'elle connaissait. « Quoi ? » Je la suivais d'un pas précipité jusqu'à la demeure de Hyeon dans laquelle le chiot avait élu domicile. Le cri d'Hera déchira le silence, et même le canidé se savait en danger au point de se figer sous le regard interloqué de sa maîtresse. La chambre avait des allures de champs de bataille et Jethro semblait particulièrement satisfait de son œuvre malgré la colère à laquelle il faisait face. J'étouffais un rire face à l'ampleur du désastre, soulagée d'avoir retrouvé la tornade poilue sans passer par une pièce que je voulais conserver à l'abri des regards. « En lui disant la vérité ? Après tout, ce n'est pas ta faute, il n'est encore qu'un chiot qui cherche à s'amuser ! » Quelle ironie ! Je conseillais l'honnêteté et la franchises alors que je me jouais de la naïveté dans laquelle je plongeais mes victimes. Mais si elle n'en disait rien, je savais que dans son esprit se livrait une bataille dans le but de trouver les mots pour annoncer la nouvelle au pianiste. Je m'attendais presque à ce qu'elle ne décide de partir et d'abandonner le cours de soutien que je lui avais généreusement proposé, tiraillée par l'inquiétude d'être la cause d'un tel carnage. Mais au contraire, elle tourna vers moi une moue déterminée. « Pardon ? » Des emplettes en ligne ? « Tu es d'une dévotion... » J'ignorais si je devais rire ou applaudir devant une ténacité aux allures de directives presque militaire. Si elle s'était mise à marcher au pas, je n'en aurais pas été plus surprise. Je l'accompagnais de nouveau jusqu'au salon aux côtés du fanfaron qui haletait joyeusement en trottinant, omettant volontairement l'ordinateur qui traînait dans ma chambre et dont je voulais garder le secret. « Je ne sais pas de qui c'est l'ordinateur, mais on peut utiliser celui-là ? » Je tendais le doigt vers l'appareil endormi paresseusement sur la table avant de me pencher pour l'ouvrir. Il était déverrouillé. Je commençais à croire que la chance était de mon côté, mais lorsque l'écran afficha enfin les images des dernières visites de son propriétaires, les corps graciles des femmes exposées comme dans une vitrine vinrent arrondir les yeux innocents des deux étudiantes en quête de tout autre chose. Je n'étais pas gênée, juste surprise de constater qu'un imbécile puisse laisser libre accès à son ordinateur avec de telles recherches sans aucun remords. « Je ne sais pas à qui il appartient, mais apparemment il ou elle est en grand besoin de tendresse ! »

Évidemment, la singapourienne accordait à son « professeur » que sa responsabilité n’était que partiel dans cet incident. D’ailleurs le saccage des affaires de son ancien colocataire ne lui causait le moindre soucis, au contraire, elle pensa même à dresser son chiot pour accomplir de telle tache à sa demande. Eh bien quoi ? Avec sa bouille adorable – celle du chien, hein – qui pourrait vraiment lui en tenir rigueur ? Et qui penserait à un acte prémédité de la part de la maitresse ? Oui, bon, depuis qu’elle avait ôté son masque de manipulatrice, dès lors qu’on apprenait un tant soit peu à la connaitre, on ne donnait plus aussi spontanément le bon dieu sans confession à la renarde. Car, oui, s’il ne faisait pas parti des animaux symboles ayant accompagné sa naissance, cet animal réputé pour sa ruse ne lui en sciait pas moins comme totem. Enchainant les directives comme à son habitude, Hera ne prit donc pas la peine de répondre qu’effectivement, sa culpabilité était moindre, ou de penser à justifier pourquoi elle faisait preuve d’une telle…dévotion, pour reprendre le terme de Saeyeon qui résonna légèrement à ses oreilles. Son attitude spontanée la trahissait. Elle se mordit légèrement la lèvre. La jeongal ignorait – en principe – la nature de sa relation avec le pianiste. L’habile menteuse d’antan perdait incontestablement de son savoir-faire dès lors que ses sentiments les plus pures et sincères se trouvaient impliqués. Sur l’instant, l’égérie préféra faire mine de ne pas avoir entendu, de ne pas relever et continua sa démarche qui les conduisit dans le salon commun derechef. Qui aboutit à ce que les deux jeunes femmes se retrouvèrent, les yeux innocents écarquillés, face à une page au contenu pornographique. Si l’aînée sembla en rire avec légèreté, la cadette se fit plus sèche. « Certains hommes sont vrais de minables obsédés. » Mais n’était-ce déjà pas mieux que d’aller aux putes ? Un soupir désabusé, elle ferma la page et découvrit le fond d’écran principal… Soit le propriétaire avait été trollé par quelqu’ami à l’humour douteux, soit, il souffrait vraiment du mal de la solitude.  « Je préfère même pas chercher à savoir à qui il appartient… » Et puis, en toute honnêteté, elle s’en contrefichait royalement. Sa seule certitude résidait dans l’innocence de Hyeon et cela lui suffisait. Ce serait un comble que lui, Lee Hyeon, consulte de telles pages, et si elle venait à l’apprendre, le pianiste en prendrait assurément pour son grade. D’autant plus maintenant que sa petite amie s’apprêtait à lui racheter de literie, hors de question que ses draps soient imprégnés des souvenirs d’une autre femme, même seulement en pensée ! « Hum… Utilisons le pour la recherche mais je préfère effectuer le paiement depuis mon téléphone. Je n’ai pas confiance, » émit-elle sa réflexion à haute voix. La taille de l’écran conférait un certain confort cependant, la sécurité ne semblait pas être de mise avec le propriétaire de cet ordinateur. La présidente des gumiho ne tenait pas franchement à se faire pirater son compte bancaire – même si celui-ci s’avérait bien minable en comparaison de l’ampleur de la fortune familiale. Tandis qu’elle effectuait la recherche sur un site spécialisé, ses yeux glissaient régulièrement sur son téléphone portable posé à côté sur cette même table. L’incrédulité précédente de Saeyeon lui était restée en mémoire et un léger malaise flottait en elle. Les lèvres de la singapourienne finirent par s’entrouvrir : « En fait, je… Si, je tiens tant à réparer cet incident c’est parce que…» Elle hésita, attitude qui ne lui ressemblait pas. Etrangement, considérant Saeyeon comme une amie – sans doute ? –, Hera ne se sentait pas à son aise de ne jamais avoir révéler ce fait des plus importants dans sa vie : « Hyeon et moi, nous nous fréquentons… » Rare expérience où les mots les plus adéquats lui faisaient défaut, jusqu’à ce que finalement, la brunette opte pour son usage le plus habituel de la langue : le but en blanc (et pas l’escalope de Wook) « Notre sortons ensemble plus ou moins secrètement temps que nos fiançailles n’ont pas été officialisées, mais je sais que je peux compter sur ta discrétion. » Un fin et doux sourire vint même orner ses lèvres. Oui, elle avait confiance et partager le secret de sa relation au goût de miel suscitait en elle l’impression de se tenir face à une véritable amie…

J’aurais pu rire face à ce qui s’offrait à nos yeux, mais je restais bouche bée devant la débilité du propriétaire de l’ordinateur témoin d’un cruel manque de relations. Mais si je me fichais de ce qui se reflétait dans mes prunelles, Hera apporta un jugement dur et sans appel. « De minables obsédés… sans doute oui. » En faisais-je partie ? Si je ne surfais pas sur quelques sites proposant une alternative numérique à ce besoin animal, j’en éprouvais néanmoins l’envie. Comme n’importe quel humain non ? La seule différence, c’est que je ne parvenais pas à m’intéresser à quelqu’un d’autre que celui qui m’était interdit. Je ne voulais que lui et lui seul, faisant preuve d’un acharnement complètement débile, je reportais mon attention sur l’écran toujours allumé. Et lui ? Avait-il recours à ce genre de recherches ? Oublies ça Sae Yeon… il n’est pas pour toi. Le soupire m’échappa alors que je fermais la page. « Oui… » J’avais beau le repousser dans un coin de ma tête, il revenait avec plus de force encore. Hera ne perdit pas de vue sa mission première : offrir une literie flambant neuve à Hyeon, pour se faire pardonner des incartades d’un chiot dont le seul but était de jouer.  Néanmoins, j’étais ravie de la voir à ce point décidée à s’occuper de ce problème, tout était bon pour l’écarter des autres chambres, et surtout la mienne. « Comme tu veux ! » Peu m’importait de la façon dont elle voulait procéder, je ne cherchais pas non plus à creuser sur ce besoin qu’elle avait de sauver à tout pris la chambre d’un camarade qu’elle ne croisait que peu sur le campus jusqu’à ce qu’elle ne prenne à nouveau la parole. Des aveux ? Tout y était : le regard fuyant, les gestes nerveux, les mots qui ne parvenaient pas à s’échapper de sa gorge. Était-ce si important que cela ? « Pardon ? » Le voile était levé sur sa détermination sans faille. « Oh… je vois. » Fiançailles. Si la rumeur avait été lancée sur le campus, jamais je n’aurais pu y croire. Même venant d’elle, je peinais à imaginer leur relation apparemment sérieuse, et je fus plus étonnée encore lorsque mon cœur se serra. Elle me ressemblait davantage en cet instant. Une jeune femme amoureuse et qui ferait n’importe quoi pour celui qu’elle aime… seule la situation était différente quand je creusais la tombe de celui vers lequel battait mon cœur, elle jouissait au contraire d’une véritable relation. J’en étais presque jalouse. « Je… je ne dirais rien ne t’en fais pas. » Était-ce une information valant la peine d’être relatée auprès de mon père ? Définitivement ! Comment passer à côté d’un couple dont les deux familles décidaient de s’unir pour capitaliser davantage de richesses ? Néanmoins, la boule dans ma gorge se faisait plus douloureuse encore. « Donc… tu vas te marier… félicitation ! » Je parais mon visage d’un sourire presque sincère. Mentir était naturel pour moi, mais la difficulté résidait en cette reconnaissance que j’éprouvais pour cette famille qui avait presque pu nous sauver. Je me sentais honteuse de mémoriser tout ce qu’elle se plaisait à me confier, mais comment refuser d’obéir au seul membre de ma famille qu’il me restait ? « Et le mariage est prévu pour quand ? » Fallait-il frapper avant, pendant ou après ? « Que je sache quand t’offrir un présent pour ce grand jour ! » Le mensonge glissa sur ma langue avec tellement d’aisance qu’il me semblait presque naturel. Néanmoins, je me demandais ce que l’on ressentait en décidant ainsi de promettre amour et fidélité. Une promesse que je ne pourrais jamais faire.

Peut-être Saeyeon se dotait-elle d’une aura qui mettait en confiance. Peut-être était-ce son calme et sa douceur apparent qui donnait d’elle une image posée et sûre. En tout cas, Hera aimait parler avec elle. Sa confiance difficilement acquise ne se faisait guère récalcitrante à l’égard de la jeongal. Au contraire même sa langue, certes énergique mais sélective, se déliait aisément sur des sujets qu’il ne lui était que trop rarement permis d’évoquer alors qu’ils emplissaient son coeur d’une chaleur suave, paradoxalement aussi exaltante qu’apaisante. Évidemment, d’entre tous, certainement le plus tabou, Hyeon en incarnait l’un des premiers. Un sourire ornait ses lèvres tandis que son visage se pâmait d’un voile soyeux de clarté. « Oh ? C’est gentil, ne t’inquiète pas je te tiendrais au courant le moment venu ! » Heureuse de cet échange, comme si elle partageait des confidences avec une amie proche. La réaction de Saeyeon lui faisait plaisir même si une poignée d’instants, son sourire se fit un peu plus fébrile. « Mais, ce ne sera pas pour tout de suite… » Poussée un peu plus forcée à la commissure de ses lèvres, Hera ne s’imaginait pas encore du tout échanger les voeux devant l’hôtel. Non pas qu’elle ne le désirait mais en vérité… Peut-être il y avait-il encore trop d’étapes à braver avant d’y parvenir pour qu’elle n’ait déjà commencé à visualiser ce moment ?« Nous devons déjà nous concerter avec nos parents, rendre nos fiançailles publiques… » Portée par l’enthousiasme du sujet, malgré les quelques inquiétudes qu’elle pouvait exprimer présentement, Hera ne percevait même pas les petites failles qui pouvaient percées dans le masque de son interlocutrice. « Organiser une réunion de famille… Ce qui risque de ne pas être une mince affaire ! » Elle en rit, avec douceur et légèreté, bien qu’assurément, le moment venu un tel humour l’aura quitté. « Je ne suis pas pressée, cette promesse que nous partagerons notre vie me suffit. » Etait-ce étrange qu’elle ne se dresse pas tant le tableau du jour J mais que par contre, la jeune femme se projetait sans mal dans leur vie à deux par-delà ? Sur le long terme, juste pouvoir vivre enfin ensemble, partager leurs journées et leurs nuits. « Nous avons le temps pour le mariage d’autant que… » Si Hera ne l’avait encore défini dans ses projections, une chose était certaine : « Je veux un mariage exceptionnel ! » Depuis toujours, tel avait été son souhait. Ses fêtes d’anniversaires avaient toujours été les plus fastueuses et éblouissantes, chaque année toujours plus que la précédente et moins que la suivante, dans le jeu de la surenchère que se menait les mères des enfants les plus riches de Singapour, de sa génération. « En tout cas, je te remercie car tu ne sembles pas nous juger, parce que nous sommes jeunes et riches alors nombres n’y voient qu’une relation d’intérêt. » Les apparences et les préjugés prêtaient à s’y méprendre, mais il n’était agréable de voir une relation sincère, profonde et réciproque jugée de la sorte. « Et toi, tu fréquentes quelqu’un ? » Bien que la question ne découlait premièrement qu’en conséquence de ses efforts pour tenter d’apprendre à consolider les relations sociales, elle ne s’agrémentait pas moins d’une once de curiosité sincère. Apprendre à s’intéresser en retour à ses amis…

Elle était sincère, amoureuse et apparemment heureuse à la simple pensée de son mariage prochain. Mais si son bonheur éclaboussait ses traits, il rebondissait sur moi, heurtant au passage un cœur déjà flétri par le manque qu’il avait laissé dans ma poitrine. Il avait creusé un trou et face à Hera, je me sentais ridicule, petite et insignifiante. Je l’écoutais sans dire mot, sans autre réaction qu’un sourire factice sur mon visage lisse et sans émotions. J’aurais voulu rire à gorge déployée alors qu’elle me promettait de me prévenir de l’organisation de son mariage, mais ses paroles m’accablaient, elles me transperçaient en me rappelant que jamais je ne saurais prétendre à une telle vie. Je survivais dans l’obscurité, me nourrissant du malheur des autres, à l’instar d’une faucheuse, je n’étais qu’un mauvais présage pour ceux qui croiseraient ma route. Telle une ombre, j’évoluais dans l’obscurité pour finalement dévorer ces êtres superficiels et vindicatifs qui se targuaient d’un confort superflu. « Exceptionnel… » J’acquiesçais d’un sourire entendu. À quoi m’attendais-je ? Une union dans la plus grande intimité entre deux des plus grandes fortunes d’Asie ? J’avais envie de hurler, la faire taire tant je ressentais l’absence de Yoon Joon alors qu’elle se pavanait, mais il me fallait garder les idées claires. Je repoussais l’avocat dans un coin de ma tête, cet homme que je ne parviendrais jamais à oublier avant de me concentrer davantage sur ces informations dont elle me gratifiait. « En quoi ce ne serait pas une mince affaire ? Si vous êtes déjà fiancés quel est le problème ? » Je sentais mon cœur frapper contre mes côtes et le sang affluer à une vitesse folle en tentant d’analyser au mieux les nouvelles possibilités qui s’offraient à moi. « Qui suis-je pour juger l’affection entre deux personnes ? » La question glissa sur mes lèvres sans pour autant attendre de réponse, si seulement elle pouvait entendre mes pensées, elle saurait. Elle comprendrait qu’il était temps pour elle de fuir et de rompre ce lien d’amitié qui nous unissait. Ce que je n’avais pas prévu en revanche, c’était cette nouvelle curiosité qui vint à nouveau me frapper de plein fouet. Mes yeux chutèrent, cherchant ce nouveau souffle qui me permettrait de répondre. « Je… non. » Mentir Sae Yeon, n’oublie pas de mentir. Mais son visage s’imposa à moi, sa mâchoire taillée, ses yeux rieurs, son sourire timide… Sans même m’en rendre compte, je m’occupais nerveusement, rangeant les affaires qui trainaient, fuyant son regard. Je lui laissais tout le loisir de lire la gêne sur mon visage sans même trouver un moyen efficace de la cacher. Elle avait trouvé ma faiblesse, et je me sentais prise au piège. « Tu sais, avec les études… » Les études et la carrière que je menais en parallèle. Il me fallait un moyen d’orienter la conversation vers un autre sujet, mais même Jethro semblait porter une attention particulière à l’ambiance soudainement plus lourde. « On se met au travail ? » J’aurais voulu la renvoyer, mais n’aurais-je pas provoquer un peu plus sa curiosité ?