Elle est née sur l’île de Jeju, c’est aussi à Jeju-do qu’elle a grandi. Si la capitale l’attire autant, c’est pour ses études qu’elle a souhaité effectuer loin du cocon familial. Sa décision était prise depuis longtemps, elle n’aime pas se conformer au cliché ancestral du petit oisillon enchaîné au nid tant qu’elle n’a pas trouvé un époux avec lequel s’installer. C’est tellement vieux jeu, c’est tellement… ce qu’aurait voulu sa mère. « Ô désespoir Seah-chérie, pourquoi n’as-tu pas encore trouvé de fiancé ? » Dès qu’elle a entendu ça, elle a compris que c’était le moment de se barrer tant qu'il en était encore temps. Voilà que le lycée termine à peine et ses plans sont déjà tracés : elle ira à Séoul et commencera une nouvelle vie.
Un peu aussi pour laver les zones grisâtre du passé.

Seulement bien sûr, sa mère était inquiète. Et sans parler de son grand frère qui n’arrêtait pas de lui servir les sermons habituels avec lesquels on farcit la tête des gamins en âge de faire leurs propres choix. Se Yong a insisté pour s’occuper d’installer sa sœur à Séoul. Il lui a trouvé un petit hameau confortable dans un coin sympa de la ville, avec une jolie vue. (Ce que Seah savait pas c’est qu’il prévoyait lui aussi de squatter l’endroit… ouais, le cadeau empoisonné du grand frère t’as vu.) Et il a offert de lui payer ses études parce qu’il gagne tellement bien sa vie grâce à ses bouquins qu’il peut se permettre de mettre sa famille à l’abris du besoin. Vu comme ça, l’indépendance part vraiment d’un mauvais pied. Mais son frère a su raisonner la petite tête qu’est sa sœur. « Tu n’écoutes vraiment rien, pas vrai ? Ah, tu m’en demandes toujours de l’argent pourtant ! Je t’ai peut-être trop gâtée quand t’étais petite… je suis fou ! quelles mauvaises habitudes je t’ai donnée. Mais pour une fois que ça te sera vraiment utile ! Arrête de chouiner, tu passeras le plus clair de ton temps sur le campus de ton université et moi, je serai mort d’inquiétude à l’idée de savoir où tu te trouves… et c’est bien à moi d’assurer tes études. Je dois être vraiment certain qu’il y a des choses qui rentrent et qui y restent, dans cette petite tête creuse. » Et il tape sur le haut de son crâne comme s’il cherchait à en écouter l’écho. C’est vrai qu’elle est agaçante parfois Seah… mais elle est mignonne et elle connaît les points qui feront chavirer le cœur de son grand frère en sa faveur. Comme toutes les petites sœurs.

C’est sans doute aussi parce qu’elle est la petite dernière de la famille et que son frère, plus âgé de six ans, a dû se montrer mature très jeune au décès de leur père. Une sombre histoire de factures impayées et de dettes qui s’accumulent. Voyant que le garage qu’il avait ouvert ne fonctionnait plus, que même sa saisie n’avait pas suffi à mettre sa famille à l’abris, il a mis fin à ses jours en laissant derrière lui une simple lettre. L’assurance-vie réussit à couvrir une bonne partie des dépenses et pour le reste, la jeune mère devenue veuve vogua de bars en cafés pour rapporter de l’argent à la maison. Et jamais Seah ne sut que certains soirs, elle y vendait un peu plus que de simples boissons pour pallier les fins de mois difficiles. A cette époque, la gamine avait trois ans.

Couvée d’amour par sa mère et en partie élevée par son grand frère, il n’y avait pas beaucoup d’argent à la maison et pourtant, Seah n’a manqué de rien. Comme une précieuse petite princesse, on l’a enveloppée dans un cocon d’ignorance en lui faisant croire que tout allait bien et que les mauvais jours appartenaient au passé.

Se Yong est rapidement devenu un écrivain à succès et ne se souciant plus de son avenir, sa mère s’est mise à concentrer tous ses efforts sur sa petite dernière. Elle la saoule, elle l’ennuie, elle la bassine avec ses histoires de petits amis et de fiancé ! Et quand tu te marieras… et mes petits-enfants… et tu ne devrais pas perdre de temps… c’est si agaçant que Seah serait prête à ouvrir un casting pour recruter un faux petit ami qui lui servirait de couverture le temps de calmer les folies de sa mère qui désespère de la voir un jour avec quelqu’un !