Immédiatement, l’expression de Se Ah me prouve que je n’aurais pas dû le formuler de cette manière. Elle s’imagine sans doute que je viens de lui crier dessus pour rien, alors que si j’ai dit que ça n’était pas si important, c’était juste pour changer de sujet, pour qu’on ne revienne pas sur quelque chose qui nous a valu une nouvelle dispute inutile. Seulement, cette subtilité, ma mignonne amie d’enfance ne la comprend pas… et en même temps, venant de moi, de telles subtilités sont assez rares – ou en tout cas, quand j’en fais, je ne les montre jamais – donc je la comprends. « J’ai des problèmes ! J’ai jamais dit que j’en avais pas ! C’est juste qu’ils paraissent éphémères face au fait de m’embrouiller avec toi ! Notre engueulade a été le plus gros problème de la journée, pour moi, là ! » Si courte fut-elle, c’est toujours désagréable de m’embrouiller avec Se Ah. « Sinon, à la base, j’en avais plein des raisons d’être de mauvaise humeur ! Des raisons que tu aurais pu écouter si tu n’avais pas loupé le timing. » Je lui tire la langue pour finaliser ma phrase. Si ça l’intéresse maintenant : c’est trop tard. Tant pis pour elle, elle n’aura pas les ragots de la journée !

J’écoute toutes ses explications attentivement. Elle en sait un rayon sur les animaux, ça la passionne vraiment et pour faire de telles études, en effet, il valait mieux être passionnée. Je suis même fière d’avoir une amie si sûre d’elle et si amoureuse de ce qu’elle fait, sauf que ça paraît bizarre de le formuler comme ça. Après tout, c’est pas ma fille… et je voudrais pas qu’elle est la sensation que le maternise. Ce n’est pas du tout mon objectif ! Mais c’est ma petite protégée, Se Ah, quand même. « C’est sûr que pour l’instant, ni l’adjectif grand, ni l’adjectif fort ne lui correspond… enfin à en juger par ta tête quand il t’a mordue, il a l’air d’avoir des dents solides. » M’imaginer de nouveau cette tête, sortie du contexte de ma mauvaise humeur de cet instant-là, me fait exploser de rire. « Sérieux, t’aurais vu ta tête ! » Je pars en fou-rire en ne pouvant pas me la sortir de mes pensées.

Mon sourire s’agrandit au fur-et-à-mesure de ses explications… je sais déjà où elle veut en venir. Se Yong et moi, on s’entend bien – enfin il me considère sans doute comme une gamine, mais on a des bons rapports quand même. Il a même déjà subi certains de mes caprices, comme si c’était mon vrai grand-frère… et en même temps, c’est le seul garçon que j’appelle oppa. Bien sûr, le surnom de hyung est réservé à mon vrai frère, à celui qui sera à jamais irremplaçable. « C’est sûr que je peux pas t’aider avec la conduite… » Sujet tabou chez moi, mais j’accepte d’en parler à certaines personnes proches et Se Ah en fait parti. Elle n’est pas sans savoir mes nombreuses tentatives pour avoir mon permis… en vain. Il y a même une rumeur qui dit que j’ai essayé de payer mon inspecteur pour qu’il me le donne… je ne dirai jamais si c’est vrai ou faux. N’empêche que ça m’énerve d’être la seule de ma famille à pas savoir conduire. Tout le monde vante mon frère pour ses capacités et moi je suis même pas foutue d’avoir mon permis ! Bref. Je chasse cette pensée et je replace un grand sourire sur mon visage. « Bien sûr que je vais t’accompagner ! En plus, ça fait un moment que j’ai pas parlé à Se Yong oppa. Mais j’ai une question… tu comptes te débarrasser de cette petite bête quand elle sera adulte ? Tu penses pas qu’elle se sera attachée à toi et qu’elle voudra plus partir ? Si elle commence à te considérer comme sa mère sauveuse... » Enfin, j’y connais rien, mais j’ai déjà vu des reportages sur des lions qui câlinent des humains qu’ils connaissent depuis bébés ! Les animaux, ça s’attache trop vite, c’est craquant. Surtout les chiens ! Les gros chiens trop mignons !

Bien sûr qu’il y a des timings pour les soucis ! Il y a des timings pour tout dans la vie, ais-je envie de répondre. Un timing pour dormir, pour manger, pour respirer, pour parler, pour penser, un timing pour vivre. Donc, les soucis, c’était pareil. Le plus grand des soucis, en quelques secondes seulement, devenait un souci minuscule face à un plus gros qui venait de débarquer et donc, le timing était perdu. C’était exactement ce qui s’était passé, là ! Je fais une grimace en l’entendant parler et en la voyant me pointer du doigt. « Yah ! Tu pointes du doigt ta eonni ? Pour qui tu te prends ! » Cris-je avec un sourire que j’essaie, en vain, de masquer. Les règles du respect, telles que le langage formel ou autre, je m’en fiche pas mal, et encore plus quand c’est Se Ah. Ma Se Ah. Ma petite protégée. « Tu écoutes ce que je te dis, c’est tout ! J’ai dit que le timing était passé ! Tant pis pour toi ! Qui va à la chasse perd sa… chance ! » Je ne suis pas vraiment faite pour employer des expressions, je le sais pourtant.

Je continue de rire en voyant sa tête analyser l’état de son doigt précédemment blessé. « Tu aurais ri aussi si ça m’était arrivé ! Une telle tête, ça se voit pas souvent… » Dis-je, à bout de souffle. « Et puis surtout… tu disais que tu faisais le ménage…  pfff… » Je me remets à rire en pensant à ça. Se Ah ne ment pas beaucoup mieux que moi, voire moins bien. Faire le ménage… et hurler sur un écureuil juste après. C’est ce qui s’appelle une gaffe. Une bonne et grosse gaffe. « Ça se trouve, il t’a mordue parce qu’il a faim ! » Suppose-je, plus pour essayer de tourner le sujet avant que ça dérape que pour vraiment dire qu’il a faim… je doute que les animaux ne mordent que pour ça. Mais bon, puisque c’est un bébé sauvage, c’était une possibilité.

Je croise les bras en gonflant les joues à l’entente de son conseil à la noix. Je n’arrive pas à croire qu’une telle rumeur se soit propagée dans mon dos… je sais très bien que je suis pas très maligne, et pas douée pour la conduite. Et il m’est peut-être, je dis bien peut-être, arrivée une ou deux fois de faire allusion à l’inspecteur que je lui donnerai un peu – juste un peu – d’argent s’il était prêt à me donner mon permis… mais jamais au point de lui donner une réelle somme ! Et jamais ne m’imaginant que ça fonctionnerait. Mais quoi que je puisse affirmer, les gens se limitent toujours à la première partie et ne se rappelle que du fait que j’ai fait allusion à ça, peut-être, une ou deux fois. « Tu m’as l’air d’en connaître un rayon dis-moi ! Tu n’aurais pas eu ton permis comme ça, au moins ? » Mon ton ne se fait pas agressif et c’est loin d’être un reproche, je me défends juste. Attentivement, j’écoute cependant son explication passionnée sur les animaux sauvages comme les écureuils. Se Ah qui parle des animaux et de les aider, c’est une femme avec des étoiles plein les yeux, un ton engagé et enthousiaste, qui là se faisait un peu plus triste à l’idée de se séparer de cette petite bête à qui, je n’en doute pas, elle s’est déjà attachée. « Peut-être que si on l’habitue à la compagnie, il serait capable d’être en liberté mais de revenir te voir ? Avoue, ce serait mignon comme peinture. L’écureuil qui s’en va et qui revient tous les jours, en sautant d’arbres en arbres, pour revenir au dortoir, te voir. » Ça paraît peut-être très peu probable, mais il ne faut pas sous-estimer les animaux ! Ils sont capable d’un attachement et d’un comportement bien plus adorable et intelligent que les gens ne le pensent. « Ça marche ! Allons-y ! »

Le regard de jugement de Se Ah vers moi ne me plaît pas du tout et sa réponse encore moins. Toujours obligée de remettre sur le tapis mes échecs pour mon permis, cette sale gamine. « Figure-toi que je m’arrête aux stops ! Quand je les vois. J’y peux rien s’ils apparaissent au dernier moment, la Corée les place mal sur la route. Je m’engage et là, hop ! Que vois-je ! Un stop ! » Légère mauvaise foi qui fait mon personnage, je me sens obligée de me justifier avec une excuse bidon. Pourtant, au fond, c’est vrai. Je suis persuadée qu’il y a un complot autour de moi pour ne pas que je parvienne à avoir mon permis.

Désormais, c’est à moi de la juger du regard quand elle affirme faire le ménage si bien que ça. Je n’y crois pas un seul instant et quand bien même ce soit vrai, pour le coup, là, elle ne faisait vraiment pas le ménage mais elle essayait de cacher un foutu écureuil… très mignon, mais un écureuil qui n’est pas à sa place dans un dortoir, c’est certain. Je ne sais pas comment réagirait hyung s’il apprenait ce qui se passait dans ma chambre… et en même temps, je ne suis pas sûre que sa chambre soit beaucoup plus dans les règles que la nôtre. On a toujours été doué pour dévier les règles, sans forcément le vouloir, après tout. « Oh, eh bien j’ai hâte de voir tes capacités en ménage. Je te laisse nettoyer toute la chambre, je te donnerai un balai en or à la fin de l’année – un vrai balais en or. » Je rigole en lui tirant la langue. Elle a voulu exagérer mais elle a oublié combien son amie – cet à dire moi – était bonne pour exagérer davantage. Je fais une moue en entendant qu’il a sûrement faim et je suis remplie de compassion pour cette petite bestiole. Avoir faim, c’est le plus grand des supplices du monde… et être un écureuil qui ne peut pas goûter toutes les merveilles gustatives du monde, c’est encore pire… Dieu, faîtes que je ne renaisse pas en écureuil… je veux bien aller en enfer, mais pas renaître en animal qui ne peut pas manger des merveilles de plats… « Mais euh, les animaux se déshydratent vite non ? » En tout cas, les chiens, oui. Parce que niveau animaux, même si j’aime bien, je n’y connais rien, à part pour les chiens.

En voyant Se Ah déjà prête à partir, je prends mon manteau et mon sac, en prenant soin d’y glisser mon précieux téléphone, et je la suis, toujours contrariée par son désir de relever que moi, je n’ai pas eu mon permis. « Ouais c’est ça, tu verras le jour où je l’ai mon permis, tu vas regretter tous tes mots tellement je serai une bonne conductrice. » Avec plus de dix tentatives, j’ai intérêt à une très bonne conductrice, sinon ce serait vraiment honteux… enfin de toute façon, ça l’est déjà, honteux. Je remarque les regards curieux des gens autour et j’ai une bonne envie de leur foutre quelques tartes qu’ils méritent, à toujours juger ceux qui les entourent, mais je me retiens pour aller plus vite. Vraiment, ils ont de la chance aujourd’hui.

Je rentre dans la voiture de Se Ah du côté passager et je l’entends réfléchir à haute voix sur comment on devrait s’y prendre, ce qui me fait réaliser pour de bon ce qui s’apprête à se passer : je vais devoir tenir une petite bête fragile entre mes mains de brute… oh là là, je n’aurais jamais dû accepter, ça c’est sûr… J’écoute ses avertissements silencieusement, soudainement très préoccupée par ce qui va se passer. Je sens la bête entre mes mains et sans m’en rendre compte, je m’arrête de respirer et de bouger, par peur totale de lui faire du mal ou quoi que ce soit. J’entends Se Ah me reprendre d’un air sévère et désespéré et je reprends alors un peu d’air, ce qui ne calme pourtant pas mon angoisse. « Ouais ouais… euh… respirer… ne pas serre trop fort… ne pas le laisser partir… respirer…. Ne pas serrer trop fort… ne pas le laisser partir… respirer… » Je répète ses mots comme si ça allait m’aider mais ça ne fonctionne pas réellement.
Du coup, j’entends à peine Se Ah me dire le nom qu’elle va donner à cette boule de poils que j’ai peur d’étouffer. « Ouais… nuggets… » Je réalise enfin après un moment. « Nuggets ?! Non c’est hors de question hein ! Tu vas me donner envie de le bouffer ! »

Je fais une grimace à sa provocation. « Tu crois que je n’aurai jamais mon permis, c’est ça ? Vous me sous-estimez tous ! Je vous promets, le jour où j’ai mon permis, si vous ne m’offrez pas un truc incroyable pour admettre vos torts, alors je vous tuerai un par un dans d’atroces souffrances ! » Et quand je dis m’offrir quelque chose, bien sûr, je ne parle pas du permis. J’écoute son speech sur l’eau et je me demande si elle se moque de moi en disant ça ou si elle est juste devenue folle. Je sais très bien que c’est l’eau qui déshydrate, je ne suis pas complètement stupide non plus. « Ouais voilà, de l’avenir et du génie, c’est tout ce que tu n’as pas, quoi. » Je lui tire la langue après voir dit ça. Elle était facile, mais trop vraie pour ne pas être dite.

Je tiens l’écureuil dans mes mains en osant à peine avaler. Elle conduit d’un air détendu tandis que moi, je suis en panique totale. Ce truc bouge à peine, impossible de savoir s’il est en train de mourir entre mes mains ou pas. Les bêtes aussi petites et fragiles, déjà, ça ne devrait pas être mis à ma portée. C’est très mignon, tant que je ne les touche pas. Je suis réellement capable de les écrabouiller violemment sans le désirer et je m’en voudrai longtemps. Et Se Ah m’en voudra encore plus longtemps. Je remarque, du coin de l’œil, son regard changer quand je lui parle de bouffer son écureuil – mais en même temps, elle cherche un peu les embrouilles en appelant ainsi son écureuil… « Marché conclu, une grande frite ! » Je rigole quelques secondes et j’arrête immédiatement, en regardant l’écureuil d’un air paniqué. Encore une fois, impossible de savoir à quoi il pense parce que ces trucs sont clairement inexpressifs mais il a l’air encore vivant. En panique, mais vivant. « N’empêche que je serai pas la seule à vouloir le bouffer si tu l’appelles nuggets… et si tu comptes donner des grandes frites à tous ceux qui veulent le bouffer, c’est mieux pour tout le monde de l’appeler autrement. Artichaut ou épinards, par exemple, ça donne vachement moins envie de le bouffer, même si on reste sur le thème de la nourriture. »

C’est clairement ce qu’elle avait dit. J’en ai totalement conscience, parce que je connais Se Ah, que ce n’est pas le première fois que j’entends ça et que je sais combien mes capacités de conductrice sont remises en question. Pourtant, je suis persuadée que j’en suis capable et que je n’ai juste pas de chance… soit l’inspecteur est de mauvaise humeur, soit je tombe sur la seule chose que je ne maîtrise pas totalement… Je suis persuadée que ça ne vient pas de moi. Mais ça, bien sûr, personne ne veut y croire ! Et en plus, elle n’assume même pas ses mots. Je soupire un « Humpf », pour éviter de me disputer et je continue de tenir fermement l’écureuil après m’être rendue compte qu’avec tout ça, j’ai failli le lâcher. « J’ai mon code de la route ! » est la seule exclamation qui sort de ma bouche quand elle me dit qu’elle m’en offrira un. Je n’y peux rien si théoriquement, la conduite je l’ai eue du premier coup et dans la pratique, je n’y parviens pas. C’est juste que dans la théorie, il n’y a pas de question de chance… alors qu’il y en a pour la pratique. Tout part de la chance, je vous dis ! C’est incroyable qu’il n’y ait pas une seule personne qui veuille croire à ma malchance.
Les grands gestes de Se Ah me perturbent et mes doigts lâchent Nuggets le temps qu’il se déplace sur mes jambes. « Oh, oh, oh ! » Sont les seules exclamations qui sortent de ma bouche tandis qu’on frôle le drame – heureusement, miraculeusement, je parviens à le rattraper de mon autre main avant qu’il ne parte trop loin. Quand je reprends le fil de la discussion de Se Ah, la seule chose que j’entends, c’est qu’elle, au moins, elle a son permis. « Attends, t’as dit quoi ?! » Je fronce les sourcils vers elle en prenant bien soin de tenir fermement l’écureuil. « Y’a ton… nuggets… qui vient de… » Mais je ne vais pas plus loin, parce qu’à mon avis, soit elle a tout vu, soit elle a entendu. Je suis déjà assez agacée par le fait qu’elle relève pour la énième fois le fait qu’elle a son permis !

Je m’apprête à lui répondre quand elle prend une voix excessivement mielleuse, et je comprends immédiatement à qui elle s’adresse de cette manière. Il a attrapé le côté louche du côté de sa voix, mais comme toutes les petites sœurs savent faire, elle lui ment parfaitement bien pour lui faire croire que tout va bien… En effet, tout va bien, en dehors de ce nuggets de poulet que j’ai entre les mains. Quand elle raccroche, je sens que je peux enfin respirer et je ne m’en prive pas. Même l’écureuil, entre mes doigts, semble relâcher ses muscles et soupirer – mais je remets ça sur mon imagination, parce que ça me semble improbable.

« Dix minutes ? » Répétais-je, avec un air supérieur. « C’est large ! Cinq minutes, et c’est réglé ! » Continuais-je, avec une confiance excessive en moi. En réalité, ça n’est pas du tout large, mais si on dramatise la situation, alors autant ne rien tenter.