La porte de sa chambre franchie, ce fut le soulagement. Bien que remplis de choses les plus intéressantes les plus que les autres, les cours avaient été terriblement longs. Plus d’une fois la jeune femme avait été tentée de faire une petite sieste bien méritée face aux long discours de ses professeurs ou bien de faire demi-tour direction le dortoir alors qu’elle se rendait dans un nouvel amphithéâtre. Mais non. Elle avait durement résisté à la paresse qui l’aguichait, repoussé toute tentation de porter son attention ailleurs. Non pas qu’elle se soit soudainement rappelé la nécessité absolue de ne pas commettre le moindre pêché, tout ceci est réellement de l’histoire ancienne pour elle mais pour la simple et bonne raison que nous n’avons rien sans rien. Erin avait complètement changé d’environnement, la culture et la langue coréenne est bien différente de la sienne. Ses cours étaient donc nécessaires pour se faire comprendre par les autres bien qu’elle s’en sorte remarquablement bien mais également pour s’intégrer dans la société.

Après une longue douche des plus agréable elle avait troqué les vêtements de sa journée troqués contre un sweatshirt large, un short de pyjama plus confortable et ses longs cheveux blonds attachés à la va vite. Assise à son bureau face à son livre de cours grand ouvert, son attention était cependant portée sur ses ongles qu’elle limait minutieusement en chantonnant au rythme de la musique jouée en fond. Du hangeul, elle en avait bouffé toute la journée elle pouvait bien s’accorder un peu de repos, non ?

C’était à se demander si c’était possible ? Hera avait-elle enfin une soirée de libre, tranquille, où rien n’était prévu ? Où toute l’administration de la fraternité était à jour ? Où elle n’avait pas d’exhibition professionnelle arasante à se farcir ? Où elle n’avait pas à garder Jethro au dortoir afin de le sauver des menaces d’euthanasie de sa grand-mère ? Où, malheureusement, Hyeon, lui n’était pas disponible et encore plus regrettable, sa fiancée ne pouvait se tenir officiellement au premier rang parmi le public de sa représentation au piano. De toute façon, il ne se produisait pas sur Seoul ce soir, et les déplacements éloignés de la capital s’avérait difficile à programmer pour la présidente gumiho. De retour de la douche également, à leur insu, Erin et elle avaient dû se croiser et se retrouvèrent finalement dans leur chambre. La singapourienne se contenta tout d’abord d’un signe de tête pour la saluer, se dirigeant ensuite jusqu’à son lit sur lequel elle s’allongea et ouvrit un livre, de médecine évidemment. Hera ne décrochait jamais vraiment, rarement, ou alors seulement dans le feu de l’action. Cependant, ce soir, peut-être fut-ce l’attitude de Erin qui l’y poussa, mais la brunette finit par refermer son ouvrage dans un soupir. Elle se redressa et s’assit sur le bord du lit pour s’adresser à sa colocataire.  « Tu t’en sors avec tes cours ? » Elle lui parlait en anglais, comme pour lui épargner d’entendre encore et encore cette langue qui n’était pas la sienne. Hera comprenait ce sentiment, ainsi que le plaisir de s’exprimer dans sa langue natale même si dans son coeur, le chinois et le singlish surtout l’emportaient. De même, elle pouvait comprendre le dépaysement, le changement de vie assez radical que Erin devait traversé. En ce sens, Hera se revoyait un peu en elle, l’an passé. Car, du fait de ses origines et des traits de son visage, on l’oubliait bien souvent, mais la renarde n’en restait pas moins une étrangère elle aussi.

Sa manucure était loin d’être dans un état plus important que ce cours face à elle pourtant cela lui semblait bien plus intéressant sur le moment. Son cours n’allait pas s’envoler et son professeur n’allait pas soudainement débarquer dans sa chambre pour lui hurler dessus. Quoi qu’il en soit, la jeune femme n’est pas de ceux qui croient au bourrage de crâne intensif. Alors elle s’accordait une pause bien méritée, limant avec attention ses ongles et chantonnant doucement pour ne pas déranger sa colocataire. Si elle s’accordait une pause, il serait impoli de déranger ceux qui n’en font pas. Pourtant, la voix de cette dernière finit par s’élever. Erin n’eut pas besoin d’un temps de répit pour traduire ses paroles, l’anglais sonnant comme une évidence pour elle. Elle tournait alors les yeux vers cette dernière qui semblait avoir abandonné l’idée d’étudier. « Hum, je crois oui. » Elle pose les yeux sur son livre encore ouvert puis à nouveau sur sa colocataire. « Mais c’est vraiment difficile, surtout le hangeul. C’est encore compliqué à retenir et à assimiler je trouve mais je vais m’y faire. Je crois. » Elle sourit un peu avant d’hausser les épaules. « Je savais que cela le serait de toute façon. » En débarquant dans ce pays dont elle ignore tout, elle ne s’était pas faite d’illusion. « Et toi les tiens ?» La questionne-t-elle en retour avant d’ajouter en riant un peu. « La médecine doit être si compliquée, je ne sais pas comment tu fais. »

Difficile ? La singapourienne avait un peu de mal à comprendre les difficultés de l’occidentale à assimiler les rudiments de cette langue qui lui était naturelle depuis la plus tendre enfance, bien que longtemps la moindre des trois qu’elle parlait depuis toujours. D’ailleurs, la présidente des gumiho prit conscience qu’elle ne savait pas vraiment ce à quoi consistait l’apprentissage d’une langue étrangère. Outre le chinois, l’anglais et le coréen, ainsi que quelques dialectes notamment indiens assimilés grâce au paysage multiculturel de son pays natal, même à l’école, la jeune femme n’avait pas eu besoin d’en apprendre d’autres. Par contre, lorsque Hera avait pris l’initiative de s’intéresser à sa colocataire et assez récente membre de la fraternité – donc à guider et aider si besoin était –, elle n’avait prévu que la question lui soit retournée. Son visage se rembrunit instantanément à l’évocation de ce sujet sensible dernièrement. « Faut croire que je ne fais pas assez bien… » Ah ça, sa note de 97/100  « seulement », Hera l’avait toujours en travers. Ses proches avaient beau lui dire qu’outre un résultat déjà excellent à leurs yeux sur le principe, cela était d’autant plus en honorable en médecine surtout lorsqu’on portait la triple casquette étudiante-présidente-égérie comme elle, la renarde ne démordait pas de son insatisfaction. « Quitte à faire une pause, et si nous parlions d’autre chose ? » Oui, les oreilles d’Erin ne la trompait pas, c’était bien Zhang Hera qui venait de prononcer ces mots, d’évincer le sujet « études », mais la singapourienne avait vraiment mal digéré son résultat  « insuffisant » aux derniers examens.

Erin avait poliment retourné la conversation vers les cours de Hera. La médecine. Cursus fort difficile paraît-il, l’américaine croyait en cette légende. Elle, elle n’aurait pas pu. Premièrement car cela n’est pas un secteur qui l’intéresse que l’on se le dise et cela demandait sûrement beaucoup trop de travail pendant les cours et en dehors de ses derniers. Si elle serait restée aux Etats-Unis, la blonde n’aurait voulu ajouter aucun diplôme qu’elle ne possède déjà. Son métier d’hôtesse de l’air lui plaisait bien trop pour en changer mais elle aimait sûrement bien plus son frère pour tout laisser tomber. Elle fut surprise d’entendre sa colocataire dire qu’elle ne faisait pas assez bien. Elle avait l’impression du contraire Erin pourtant. Voyant qu’elle avait touché un sujet sensible confirmé par l’attention de la singapourienne de changer de sujet, elle n’insistait pas. Alors comme elle, elle fermait le livre qu’elle ne regardait même pas face à elle. « Tu as un petit copain ? » La questionne –t-elle alors, priant intérieurement pour qu’elle ne fasse pas à nouveau face à une corde sensible tandis qu’elle pioche deux vernis dans sa boite de beauté. « Je choisis lequel ? »

Ah oui, il était vrai que ce genre de sujet de conversations entre les filles étaient monnaie courante : les garçons. Les papotages entre amies, Hera n’y était pas encore très accoutumée. Plus encore qu’en amphithéâtre, elle apprenait beaucoup de la vie depuis qu’elle était ici. Cependant, bien que pas forcément très à l’aise avec le fait de se confier, elle ne pouvait ignorer la douce sensation de chaleur qui emplissait son coeur à la pensée de son aimé. À la possibilité de pouvoir en parler ! Tandis que presque aussitôt, Erin avait dégainé deux vernis à ongles, consultant l’avis de la singapourienne, celle-ci se leva du bord de son lit et la rejoignit. « Celui-ci »  sélectionna-t-elle celui qui lui semblait le plus assorti à la saison, au style vestimentaire qu’elle voyait Erin porté et au teint occidentale de cette dernière. Hera prit une chaise afin de venir s’asseoir à côté de sa colocataire. « Non, je n’ai pas de petit ami, » répondit-il d’un ton neutre, avant de tendre sa main à l’auriculaire de laquelle elle portait une bague bien particulière. « Je dirais plutôt que j’ai un fiancé ! » A ses mots qu’elle ne put s’empêcher de prononcer sur un ton enjoué, le coeur en émoi, ses lèvres s’étirèrent spontanément dans un sourire radieux et ses pommettes se pâmèrent d’une légère teinte rosée.

Erin est de celle pour qui papotage entre filles rime avec garçons. Elle ne saurait compter le nombre de fois où arrivée à Boston, elle a organisée ou s’est rendue à des soirées entre copines durant lesquelles elles n’ont uniquement parlé de ceux qui tourmentent leurs cœurs. Elle n’est même pas vraiment certainement n’avoir jamais parlé d’eux durant une discussion normale. Alors lorsque Hera exprimait l’envie de changer de sujet, ce fut la première chose qui lui vient. Dans la crainte d’avoir fait une bourde comme à propos de ses études, elle avait créé une porte de secours en lui demandant son avis sur le verni qu’elle devrait porter. « Merci. » Elle lui sourit, laissant l’autre de côté et dé-bouchonnant pour se mettre au travail. Elle commence par appliquer attentivement une couche sur un ongle de sa main la moins habile, tournant les yeux vers la main que Hera lui présentait en expliquant être fiancée. « Wow sérieux ? » La bouche ouverte par surprise et par envie, elle observe la bague qu’elle trouve magnifique dans les moindres détails. « Ta bague est vraiment belle ! » Elle finit par fermer sa bouche, touchant ses grands yeux étoilés vers elle. « Vous allez vous marier quand ? Il t’a fait quand sa demande ? Comment ? Je veux tout savoir ! » Enchaine-t-elle complètement emballée pour elle, l’imaginant déjà dans une belle robe blanche face à l’autel.

Elle n’était pas peu fière d’exhiber cette bague symbole de ses fiançailles. Elle qui déjà ne tarissait pas lorsqu’il s’agissait de parler de sa personne, quand le sujet de son couple était abordé, Hera ne pouvait que d’autant plus jubiler. Surtout que l’occasion lui était rarement donné à cause de secret autour de la véracité de leur relation. « Merci, mon fiancé a de bon goût, j’en suis la preuve n’est-ce pas ? » La renarde souriait, sans doute plus innocemment et purement qu’il n’avait encore été permis à sa colocataire d’en être témoin. Un éclat authentique encore plus fort que ce sourire magique dont elle resplendissait sur les affiches publicitaires. « Il m’a fait sa demande en février dernier, pour notre première Saint-Valentin. » A cette première information, Hera laissait filtrer leur engagement quelque peu précipité aux yeux de la plupart des gens. « Pour le mariage, il va falloir attendre, je n’ai pas encore avoué à ma famille que… Que nous nous sommes promis. » Petit rictus un peu moins assuré, la singapourienne saurait que sa décision ferait débat. « Je ne suis pas encore majeure dans mon pays, » précisa-t-elle ce point néanmoins essentiel et qui expliquait en quoi, même à l’intention de son père, Hera avait fait preuve de prudence. « Il est connu lui aussi, dans son domaine, alors, c’est un peu compliqué… » essaya-t-elle d’expliquer que peut-être déjà, elle n’avait que trop parler à ce sujet. « Les moeurs  vis à vis des femmes ayant un peu de notoriété dans la société sud coréennes sont intransigeantes et sans pitié. » En tant qu’occidentale, Erin aurait peut-être du mal à concevoir à quel point, le simple fait de fréquenter un homme, sans profond engagement formel pouvait être décrié dans cette société aux mentalités parfois bien arriérées.

Avant que Hera ne vienne à lui avouer, Erin n’aurait jamais imaginé que la jeune femme est fiancée. Bien que sa bague soit exceptionnellement et réellement belle, elle ne l’avait jamais vraiment remarquée à vrai dire. Enfin, elle avait bien vu qu’elle avait une bague mais le fait qu’elle ne s’arrête pas tant que ça sur les mains de ses camarades ne l’avait pas laissée percuter. Il est vrai que son fiancé a vraiment de bon goût et il est vrai que sa colocataire est une très belle jeune femme elle aussi. Alors Erin acquiesce ses dires avec un hochement de tête agrémenté d’un sourire. Si elle ne serait pas aussi jolie, elle ne serait certainement pas égérie, sans aucun doute, personne à part les mauvaises langues n’est capable de le nier. Ce qui la surprise davantage est le fait qu’il ait fait sa demande durant leur première Saint Valentin. A moins qu’ils ne l’aient jamais fêtée auparavant, il est fort probable qu’ils soient ensemble depuis moins d’un an. Un engagement peut-être précipité mais qu’elle est loin de juger. Du moment qu’ils sont heureux ainsi, qui est-ce que ça peut déranger ? « Tu attends d’être majeure pour leur dire ? C’est à quel âge la majorité là-bas ? » Erin n’a réellement aucune connaissance au sujet de son pays alors tout naturellement, elle aurait dit dix-huit ou dix-neuf ans. Apparemment, ce n’est pas le cas. « Connu dans quoi ? » Questionne Erin en haussant un sourcil avant d’hausser les épaules. « Je ne comprends pas pourquoi, ce n’est pas comme si vous n’étiez pas des êtres humains avant d’être des célébrités. » Il n’y a pas si longtemps que ça sur les réseaux sociaux elle fut choquée par les propos de certaines fans vis-à-vis de leur idoles victime de rumeurs de date. Jamais ce genre de chose n’arrive aux Etats Unis ou du moins, pas autant.

Quand l’annoncerais-je à mes parents ? C’était une bonne question. « Hum… J’attends le bon moment, » réfléchis-je sans avoir prévu de date butoir fixe. « Le moment où je sentirais mes parents prêts à entendre la nouvelle et que mon fiancé aussi soit prêt à faire face ! » j’en ris légèrement, imaginant ô combien il pourrait être embarrassé et intimidé face à mes parents qu’il connaissait pourtant déjà. « Pour ma part, je sais mes beaux-parents déjà acquis par ma beauté et ma fortune. » Je ne mâchais pas mes mots et ne cherchais pas à cacher le fond de sa pensée. Ma voix s’était faite franche sans être acerbe. « La majorité à Singapour est à 21 ans, donc je le serais en avril prochain. Cependant, je ne pense pas leur cacher mes fiançailles aussi longtemps. »  J’aurais l’impression de leur mentir, or, ma relation avec eux n’avait rien de particulièrement conflictuelle, voire tout au contraire, ils me chérissaient comme un inestimable trésor sans égal. « Même, dès la prochaine fois où je viendrais à voir mon père en chair et os, je ne pourrais le lui cacher bien longtemps. Je n’ai aucun secret pour lui ! » Spontanément, je souriais. Chaque fois que je l’évoquais, mon attitude ne pouvait certainement que trahir ma complicité et mon attachement à mon père. Parler des deux hommes de ma vie ne pouvait qu’égayer ce petit moment de la journée tout en simplicité. « C’est un virtuose du piano. » Je me munissais de mon smartphone afin de te dénicher une vidéo de lui lors d’un concert que je pourrais te montrer et faire écouter. Pendant mes recherches, je continuais de te répondre. « Chaque culture est différente… » en soupirais-je presque de lassitude. « Tu dois être bien dépaysée par rapport aux États-Unis. Ton pays ne te manque pas ? »  Être deux étrangères immergées dans une nation qui n’est pas la nôtre pourrait aussi nous rapprocher en tant que colocataires.