Ne pesant plus mes mots quand je suis dans un conflit avec mon frère aîné, c'est ce silence qui me signale que je vais sûrement trop loin. La famille est un des éléments qui est au coeur de notre vie. Les liens du sang ne peuvent être qualifiés, et dépassent l'entendement pour certaines personnes. Est-ce qu'on peut toutefois tout se permettre vis-à-vis des membres de notre famille proche ? Il faut continuer à se chérir car aucun amour ne peut être illimité malgré les tentatives des plus courageux. Parfois, ma colère me pousse à m'éloigner de Raon car de toute manière, il ne me comprend pas. Pourtant, je n'imagine pas ma vie sans cet idiot qui m'use plus que de raison. Je devrais apprendre à le ménager, lui montrer sagement qu'il fait fausse route en condamnant ma passion. Comme un adolescent transit auquel on interdit de sortir, celui-ci prendrait peut-être plus de risque pour atteindre ses rêves. Ne suis-je pas dans le même cas ? Je ne trouve pas les réponses. J'ai essayé plusieurs possibilités mais elles ont souvent échoué pour une raison que j'ignore. Avançant d'une allure plus rapide et déterminé, je perds légèrement de ma confiance quand je me retrouve aux côtés de mon aîné. Non pas qu'il soit impressionnant mais les démonstrations de tendresse ou de pardon ne font pas parties de mes atouts. Comme une enfant, je me fais remarquer en tirant sa manche et attrape son bras afin qu'il ne s'enfuit pas, un peu comme dans mes semblants de souhait. Un léger sourire se dessine sur mes lèvres alors que mon coeur se brise légèrement à l'entente de ses mots. Pourquoi s'interdit-il de vivre ? Je ne comprends pas. Personne ne l'oblige, non ? Suis-je si naïve à mon âge ? Est-ce que je suis trop bornée pour ne pas voir les conséquences de ces disparitions sur Raon ? Il est la plus personne avec le plus de souvenirs de notre père. " Tu crois ? " dis-je. Au fond, je n'étais pas en période de crise quand il était encore vivant. Nos rapports étaient sains. " C'est ce qu'il a fait pour toi ? " chuchotai-je. Raon était plus vieux à l'époque, peut-être qu'il avait subi des remarques à ce sujet. Je ne sais pas, je n'ai pas connaissance de tous les détails. Un jour, on sera peut-être en mesure d'en parler à moins que ça soit aujourd'hui ? Cependant, Raon me sort de mes rêveries. Passant ma carte sur l'une des bornes du métro, je me dis que ce n'est pas pour ce soir. " Je voudrais bien regarder les Animaux Fantastiques. Le second volet ne va pas tarder à sortir et ma mémoire me fait partiellement défaut. Ca te dit ? " Puis, nous entrons dans une rame quelconque pas trop bondée mais il reste seulement une place réservée pour les femmes enceintes. " Assis-toi. Je ne réponds pas aux critères. " Je ricane doucement, en m'accrochant tranquillement avant de regarder les panneaux publicitaires pour faire passer le temps.  

Wearing.  | Combien de fois avait-il imaginé ce qu’aurait dit leur père ? Ce qu’il aurait fait ? Combien de fois Raon avait-il eu envie de se tourner vers lui pour savoir quoi faire avec les filles ? Il fallait se rendre à l’évidence, si leur père avait été là pour répondre à ces questions, l’aîné n’aurait même pas eu à se les poser. C’était bien le décès de leur père qui avait amené le coréen à prendre ces responsabilités. Il n’avait jamais voulu prétendre être leur père, il ne l’était pas, il ne voulait pas l’être. Mais au final, n’était-ce pas ce rôle qu’il avait endossé ? Il n’était pas fait pour ça, il n’était pas fait pour les responsabilités. Et Raon, parfois trop laxiste sur certaines choses, pouvait se révéler trop stricte et trop borné sur d’autres. Risae devait être celle qui en souffrait le plus. Il réfléchit un instant à la question de sa sœur, est-ce que leur père l’avait encouragé ou l’avait empêché de vivre ses rêves ? Il poussa un petit soupir. « Il en a pas eu vraiment le temps... » Mais Raon se souvenait de cet homme qui avait joué le rôle de père et de mère du mieux qu’il avait pu et qui avait essayé de laisser ses enfants grandir dans l’insouciance, si seulement il avait su... « Il était juste... En général. » Pas le père parfait, mais il avait fait de son mieux. Résigné à ne pouvoir marcher dans ses pas, et résigné à ne pas avoir de conclusion pour ce conflit entre Risae et lui, Raon préféra renoncer. « Va pour ça alors ! J’crois que je m’suis endormi devant la seule fois où j’ai essayé de le regarder. » Il était certain d’offusquer sa sœur avec une phrase pareille, et ça l’amusait assez. Mais elle marqua un point bien plus rude que lui. « Oh ce manque de respect... » Il lâcha un léger rire, les blagues sur son âge étaient désormais monnaie courante. Par défiance, il resta debout, toisant sa sœur de ses quelques centimètres de plus. « Du coup, t’es de corvée Ramen quand on rentre. Je le veux avec des morceaux de saucisse et du fromage. » Punition plutôt tranquille si vous lui demandiez son avis, surtout qu’il était certain qu’elle ne se ferait pas prier pour en manger également. Un silence plus confortable s’installa entre eux, silence que Raon finit par briser. « Promets-moi juste que si quelque chose comme ça se reproduit, si quelque chose t’arrive, tu m’appelleras. » Un moyen pour lui de lui faire comprendre que quoiqu’ils se disent, quoiqu’il se passe entre eux, il répondra toujours.

Raon a le goût du risque. Le regardant d'un mauvais oeil, je me demande s'il est bien sérieux. On ne pouvait pas s'endormir devant de tels films. Je ne lui demande pas de tout comprendre mais faire un minimum honneur à la production. " Tu es sérieux ? " Je finis par échapper un soupir et décide de le punir en l'humiliant un peu. Toutefois, le jeune homme ne manque pas de répondant ce soir. Finalement, il ne faut pas trop provoquer les Yeo de manière générale. " Et vous voulez que je vous masse les pieds aussi ? " Mimant une certaine lassitude, je n'ai pas le courage de répondre quand il évoque l'événement phare de la soirée. A vrai dire, j'espère que je n'aurais pas trop l'occasion de le recontacter, lui non plus mais bon, ça m'ôte une sacrée aiguille du pied. Le reste du trajet se fait en silence. Nous quittons le transport en commun pour rejoindre la demeure familiale. Afin d'honorer cette promesse très autoritaire, je me dirige vers la cuisine après avoir retiré mes chaussures. " Je te laisse installer le film. " Scrutant le contenu du frigo, j'allume également les plaques de cuisson pour me faire des oeufs brouillés, un peu comme nous tout à l'heure. Je balance une moquerie. " Hey Raon, j'ai oublié de te préciser que c'est un dvd, pas une VHS ! " Grand-mère n'a jamais voulu se séparer de son lecteur cassette mais je ne peux lui reprocher. Il y a en effet quelques fans de jeux vidéos qui n'ont pas su se séparer de leurs premières consoles. Au bout d'un quart d'heure, tout est fin prêt. A table !  

Wearing.  | Raon ne savait pas comment gérer ces situations. Autant il pouvait faire preuve de finesse et d’un sang-froid incroyables dans certains cas, autant dès que les filles étaient concernées ce n’était plus du tout la même chose. Il n’avait plus qu’elles. Un jour, il avait dit à Risae que si elle était prise en otage, il irait en mission commando pour la trouver et n’aurait aucun mal à abattre celui qui oserait la toucher (c’était qu’elle se moquait de sa tenue entièrement noire avec un « tu pars en mission ou quoi ?! »). Evidemment, elle avait roulé des yeux et ils avaient fini par en rire, mais lui ne riait qu’à moitié. Il finissait toujours par rire, comme si ça rendait ces discussions plus à faciles à gérer, plus neutres. Il n’était pas fait pour ça, pour l’inquiétude, l’autorité, les décisions. Les années passaient et le doute de Raon face à ses sœurs s’amplifiait. Faisait-il ce qu’il fallait ? Étaient-elles heureuses ? Raon n’était pas fait pour ce genre de questionnements, ça le rendait dingue.

Rentrés chez eux, le coréen essaya de chasser tout ça loin de lui, s’apprêtant à passer un bon moment avec sa sœur. Pendant qu’elle cuisinait, il mit le lecteur DVD en route et leur installa les futons pour plus de confort au sol. « Dixit l’une de celles qui refusent de balancer leurs VHS et cassettes de TVXQ. » Le jugement était si présent dans sa voix. « Vous me faites bien rire Rian et toi quand vous me dites ça. » Installé dans les futons, il n’avait plus qu’à attendre et il manqua de piquer du nez. Heureusement Risae arriva avec le plateau et il put lancer le film avant qu’il ne s’endorme et qu’elle puisse le traiter de vieux. Tout en mangeant, son regard se porta sur sa sœur plus que sur l’écran, il l’observa manger avec appétit et regarder le film, les yeux pétillants. Elle l’avait déjà vu tant de fois, comme pouvait-elle ne pas être blasée de ce DVD ? Il la détailla, réalisant une nouvelle fois que tous ses traits enfantins l’avaient quitté. Risae n’était plus une enfant, ni une ado... Et pourtant Raon avait du mal à se dire que cette femme-là pouvait évoluer seule dans un monde tel que le leur et tel que celui qu’elle voulait atteindre. Instinctivement, il replaça une mèche de cheveux derrière l’oreille de la jeune femme, son regard à la fois mélancolique et tendre. « Faudrait qu’on se fasse ça plus souvent... » Plutôt que de passer leur temps à se disputer. Son attention n’était absolument pas sur le film pour le coup, mais au moins, il ne dormait pas. « J’aurais aimé être juste ton frère pour pouvoir t’encourager. » Mais il était obligé d’être plus que ça. L’était-il vraiment d’ailleurs ou voulait-il juste trop bien faire ? Comme s’il sentait que l’instant était solennel, le chien vint s’affaler entre eux deux, sans aucune grâce, se moquant bien de les bousculer au passage. La scène arracha un rire à Raon, la bête était définitivement bien un Yeo.

La famille ne manque pas de talent quand il s'agit de vous lancer des vâcheries. Il faut dire qu'ils ont facilement des dossiers sur nous et ces derniers ne remontent pas forcément à notre enfance. En effet, lorsque le ménage du printemps doit s'effectuer dans la demeure familiale, nous ne sommes pas forcément en mesure de jeter des objets qui ne sont plus inutilisés par aucun membre de la famille. Certes, les souvenirs sont peut-être marqués dans notre esprit mais avoir un quelconque accessoire correspondant à ces derniers le rend bien important. Ainsi, quand mon grand-frère évoque ces fameuses cassettes, je ne peux que le regarder d'un air hautain. " Tu ne peux pas comprendre. Tu n'as jamais eu foi en Yunho. Jeter ses cassettes constitue un déshonneur terrible. " Nous avons déjà eu assez de drames dans cette famille, pas la peine d'en rajouter un autre à la liste. Retournant à mes occupations avec une fierté non dissimulée, je prends encore plusieurs minutes pour préparer le plateau. Manger devant la télévision fait grimper nos kilos à la hausse. En tant que mannequin, je devrais me mesurer sauf qu'après la soirée que j'ai vécue, j'ai bien envie d'un bon retour aux sources. Au point de voir la femme servir l'homme ? Pas la peine de faire le scandale, c'était un peu notre deal de départ.

A peine installée, mes mains ne perdent pas une seule seconde pour attraper les baguettes. Je commence à faire honneur à ma préparation ridicule, mangeant les oeufs sans jeter un seul coup d'oeil vers Raon. En même temps, nous avons un charmant jeune homme à la télévision, et si le jeune homme évoque ma seule période de fangirlisme, je peux toujours lui montrer que j'en ai encore quelques rester. Or, il m'est impossible de crier la bouche pleine. Les joues gonflées tel un hamster, le monde serait secoué par mon élégance. Sentant les doigts de Raon jouer avec une de mes mèches de cheveux, je l'observe avec une mine faussement étonnée: " Devant les Animaux fantastiques, vraiment ? " Je sais bien qu'il ne parle pas de ça... Ca se confirme à l'entente de la suite. Cette fois-ci, c'est une petite grimace qui apparaît sur mon visage. Qu'est-ce que je peux dire à ça ? Vraiment trop d'émotions en une seule soirée... Je n'ai plus le courage d'en parler, bien que notre conversation là-dessus est restée de courte durée... Et pourtant, c'est déjà un grand pas. Nous sommes tous les deux doués pour éviter d'en parler, que ce soit à nos soeurs ou à nos proches. Pourquoi on devrait le faire après tout ce temps ? Est-ce que tout le monde ressent ça après la perte d'êtres chers ? Je ne sais pas... Je finis par lui adresser un beau sourire. " Allez, concentre toi sur le film. Il faut faire attention aux détails pour comprendre. " Pour finir, je le menace avec mes baguettes, et m'amuse à lui pincer la joue dès qu'il ne porte plus son attention sur le film.