Les pas de Kanesuke résonnaient juste assez dans la bibliothèque pour que la responsable de l’établissement lui lance quelques petits regards torves une fois de temps en temps. Elles n’étaient vraiment pas drôles, ces bibliothécaires... Mais il n’allait pas mentir qu’il ne détestait pas l’atmosphère de ce genre de lieu. Autant Kanesuke pouvait être un vrai « animal party », autant il ne détestait pas se poser calmement dans un coin pour profiter d’un bon livre. D’ailleurs, sa jolie maison traditionnelle était recouverte de bibliothèques, celles-ci pleines de livres dans les quelques langues qu’il maîtrisait assez pour que la lecture soit confortable. Certains étaient même très anciens. Collectionneur ? À ses heures. Mais aujourd’hui, il cherchait surtout quelque chose qui l’inspirerait assez pour faire son cours de japonais le plus avancé... C’est-à-dire un cours tout en japonais, mais de grande littérature. Son préféré. Malheureusement, il n’intéressait que peu d’élèves et il avait réalisé l’an passé qu’il allait devoir se battre avec la direction à tous les ans pour qu’on ne le raye pas du plan de cours.

Il passait dans les rayons sans vraiment les voir, se dirigeant vers celui consacré à la littérature japonaise, lorsque soudainement son regard accroche un jeune homme. Pour être tout à fait honnête, il avait d’abord cru voir une étudiante, à cause de ses traits délicats et de ses longues mèches soyeuses. Mais c’était bien un garçon. Il le voyait à la façon dont le tissu restait plat contre son torse. À ses épaules peut-être un peu trop larges pour être féminines. Mais ses hanches, elles, l’auraient trompées jusqu’à la fin. Typiquement le genre de jeune homme que Kanesuke adorait faire siens. Nul doute dès lors qu’il ait été attiré par cette vue agréable. Mais l’étudiant essayait avec grande peine à remettre un livre dans les rayons. C’était trop haut pour lui et les livres qui étaient retombées les uns sur les autres ne l’y aidaient pas. S’approchant, Kanesuke se pose juste derrière lui, sûrement un peu trop près. Ses nombreux centimètres de plus que l’inconnu lui permettent de reprendre le livre. Mais plutôt que de le ranger sur l’étagère, il le redonne au garçon.

« T’as pas le droit de ranger les livres dans les étagères. », explique Kanesuke tout en arquant un sourire. Il a néanmoins un sourire devant le délicat rougissement qui prend le jeune homme. « Ce que tu es mignon, toi. Étrange que je ne t’aie jamais remarqué. Tu étudies en quoi ? »

Il fait un pas vers l’arrière, que leurs corps arrêtent de se toucher. Il commençait à se dire que le jeune homme allait partir en combustion spontanée dans quelques secondes, gêne oblige. Il était vraiment adorable. Malheureusement, il n’en faisait qu’une bouchée, des mignons trop doux et dociles. Ça lui aurait pourtant plût pour une nuit, sans aucun doute... mais Kanesuke avait des scrupules, même si personne n’était vraiment au courant ! Par contre, le jeune homme semble toujours assez largué... et le Japonais soupire en reprenant le livre, lui montrant le dos. Que plusieurs appelaient la tranche. Mais c’était ridicule. L’autre côté, c’était la tranche... Où les feuilles étaient tranchées. Oui, il savait : magie. Là, dans le bas, se trouvait une petite étiquette comportant la cote... visiblement LC. Un choix plutôt réguliers pour une Université, celles-ci se contentant rarement de la classification Dewey.

« Là. Il n’y a que les professionnels qui peuvent vraiment le replacer exactement à la bonne place. Et un livre mal placé, c’est un livre perdu. », explique-t-il brièvement avant de lancer le bouquin sur un charriot qui traînait non loin et qui servait justement aux livres à replacer plus tard. « Tu t’appelles comment, joli coeur ? »

« Silence », peut-être. Ça lui irait bien...!

J’adorais la bibliothèque. Elle était immense et je pouvais assouvir ma curiosité qui était sans limite. Je pouvais y passer des heures mais le plus difficile était de choisir un livre, un sujet particulier. J’avais tendance à m’éparpiller. Mais aujourd’hui, j’avais besoin d’avancer sur mon devoir de sociologie. J’étais plus lent que les autres et j’avais bien remarqué que j’étais un peu à la traine même si je faisais de mon mieux. Je luttais pour rester concentré et ne pas me retrouvé dans l’allée des livres d’histoire. A la ferme je n’avais pas accès à toute cette connaissance, tout était centré sur la religion et il ne fallait pas poser de questions sous peine d’être violemment corrigé. J’avais essayé une fois, je n’avais plus jamais recommencé. J’avais envie d’apprendre, sûrement un peu trop et c’était ce qui m’empêchait d’être attentif durant mes cours. Je n’avais pas trop chargé mon emploi du temps pour être capable de suivre, mais je me sentais un peu largué. Je ne savais même pas quel livre choisir pour mes recherches. J’étais sur la pointe pieds pour essayer de ranger celui que j’avais dans les mains. Il avait été plus facile à enlever.

Je sursautais en sentant un corps beaucoup trop proche du mien et en apercevant une main sur mon livre. Je me retournais immédiatement mon dos butant contre les étagères. Je grimaçais légèrement et posais mon regard sur un homme que je n’avais jamais vu. Il était plus grand que moi et je le trouvais impressionnant. Le charme qu’il dégageait m’empêchait de parler, mais je devais absolument me retirer cette idée de la tête, ce n’était pas sain. Je récupérais le livre, les mains légèrement tremblantes. Le son de sa voix m’avait fait frissonner. Je me raidissais en entendant que je n’avais pas le droit.

« P…pardon, je ne savais pas. Je… je vais être puni ? » Mon frère, Lazariel, m’avait promis que ce genre de chose ne m’arriverait plus ici, mais les cicatrices ancrées dans mon dos ébranlaient ma confiance. J’essayais de me reculer un peu plus mais j’étais coincé. « M…merci. Je… je suis nouveau. J’étudie la sociologie. »

Je n’arrivais pas à contrôler mon bégaiement. J’avais choisi cette branche parce que je ne comprenais toujours pas parfaitement le concept de secte, dont on m’avait tant parlé et c’était un bon moyen de découvrir comment se comportaient les gens. Je soupirais de soulagement en le voyant s’éloigner un peu, sa présence était quelque peu oppressante. Je penchais la tête en fixant la petite étiquette. Je n’y comprenais pas grand-chose à cette histoire de classement. Je relevais le regard pour croiser le sien.

« Désolé, je ne voulais pas perdre le livre. »

Je suivais ses gestes en hochant la tête. La prochaine fois que je prendrais un livre, je le mettrais sur ce charriot. Les bibliothécaires devaient vraiment êtres intelligents pour retrouver aussi facilement leur place. Je fronçais les sourcils suite à sa question. Joli cœur ? Je baissais la tête pour regarder ma poitrine. Est-ce qu’il pouvait voir mon cœur ? Je posais ma main dessus pour le dissimuler. On ne se connaissait pas assez pour qu’il puisse l’observer. C’était mon cœur.

« Galadriel. »

On me disait souvent que mon prénom était bizarre, mais je l’avais toujours trouvé plutôt joli. Je jouais nerveusement avec une mèche de mes cheveux.

« V…vous êtes qui ? »

Je ne pensais pas l’avoir rencontré non plus auparavant, mais je n’avais pas la mémoire des visages. Les inconnus me mettaient mal à l’aise et je trouvais son attitude un peu trop familière.

« Ça se fait de toucher les gens sans leur accord ? »

Peut-être qu’après tout c’était commun dans cette culture et que je n’étais pas encore au courant. Ma question était très sérieuse. J’avais quitté la ferme depuis quatre ans, mais il y avait des comportements que je n’avais pas encore assimilés. Celui-ci en faisait peut être parti.

Puni ? Kanesuke a un éclat de rire qui provoque, chez la bibliothécaire, un petit raclement de gorge irrité. Il l’ignore royalement. Toute son attention était prise par ce singulier garçon, pour le moment.

« Attaché par les pieds dans le sous-sol de l’université, ouais. », ironise l’enseignant… avant de néanmoins froncer les sourcils. Pourquoi est-ce qu’il semblait si sérieux, soudainement, ce joli garçon ? Alors soudainement, le Japonais se sent obligé d’ajouter rapidement : « On n’est plus à l’ère médiévale… Tu ne seras pas puni, voyons… »

Est-ce qu’il rêvait ou ce gamin avait vraiment eu l’air effrayé ? Kanesuke allait probablement se trouver con dans quelques secondes, alors que le jeune homme commencerait à se foutre de sa gueule. Ou pas…? Bref… Le programme de l’étudiant lui est présenté. Sociologie. Il aurait fait un bon sujet lui-même s’il était sincère, n’est-ce pas ? Kanesuke a un petit regard pour le livre alors qu’il s’excuse. Son être entier semblait être en train de présenter ses excuses. Il n’avait plus vu un gosse aussi poli et concerné depuis au moins un trillions de millénaires. Ils n’étaient pas tous un peu je-m’en-foutistes depuis au moins deux générations ? Lui se souvenait de son propre comportement à l’adolescence. Ce n’était pas très glorieux !

« Tu savais pas. C’est pas grave. Arrête de te faire un sang d’encre… », marmonne finalement l’enseignant, en revenant au jeune homme. Il a un petit soupir, peut-être un brin stupéfait, un brin découragé ! « Tu as quel âge, dis donc ? »

Six ? Puis, un nom lui est donné. Ça donne le sourire à l’homme, malgré tout.

« Tiens donc, Dame Galadriel est parmi nous. C’est sympa. Un peu spécial, mais sympa. », convient-il, ayant toujours aussi peu de filtre qu’à l’habitude. Levant une main, l’homme chasse doucement une mèche brune des jolis yeux de biche de son vis-à-vis. Pourtant, ce n’est plus intéressé. Il reconnaissait toujours la grande beauté du jeune homme, mais il avait beau les aimer jeunes, justement, il n’en restait pas moins que celui-là était mille fois trop naïf pour lui. Il fallait avoir un fort caractère et les reins de le supporter, disons… « Aizawa Kanesuke. J’enseigne le japonais. »

Par contre, l’étudiant lui fait justement remarquer qu’il était peut-être un brin trop « contact »… Et Kanesuke a finalement un pas vers l’arrière. Par contre, c’était un peu dangereux comme comportement, à son avis. Celui de Galadriel, hein ! Bon ok, le siens était loin d’être politiquement correct, mais ce n’est pas ce qu’il voulait dire…

« Quand quelqu’un te toucher sans que tu en aie envie, tu dis « non » et quand il continue, tu lui donnes un bon coup de pied entre les jambes. », assure-t-il en arquant un sourcil. Il ne blaguait pas, cette fois. Il faisait bêtement ce que les parents de ce gosse auraient dû faire… et ne lui avaient visiblement jamais dit… « Tu débarques d’où, exactement ? Mars ? »

Il a un petit sourire en coin, ne pouvant s’empêcher d’ajouter après avoir regardé le délicat étudiant de la tête aux pieds :

« Ou de Vénus, plutôt… »

Vu ses jolies courbes pas tout à fait masculines par endroits ! Dommage qu’il ait un caractère aussi délicat que son physique !

Je sentais mon cœur s’écraser contre ma poitrine à l’énonciation de la punition. Dans le sous-sol ? Il faisait noir dans un sous-sol, et je n’avais aucune envie d’y aller. Je sentais la panique m’envahir, mais je n’étais pas du genre à désobéir. Je laissais échapper un long soupir de soulagement en entendant que ce n’était pas vrai. Ce n’était pas bien de faire ce genre de blague et je me sentais un peu fâché qu’il m’ait fait aussi peur.

« L’ère médiévale ? Qu’est-ce que c’est ? »

Je ne comprenais pas vraiment de quoi il s’agissait ? Est-ce que les gens y étaient punis sévèrement aussi ? Était-ce une ferme comme celle dans laquelle j’avais grandi ? Je savais que j’avais de grosses lacunes malgré mes années redoublées au lycée. Je ne savais même pas comment j’avais pu entrer dans cette université aussi prestigieuse. Mon frère avait payé très cher et je ne pouvais pas me permettre d’être mauvais.
Il avait beau me dire de me détendre, j’avais du mal à me dire que tout allait bien se passer. Il était vrai que depuis que j’étais arrivé ici, je n’avais plus subi aucune punition, mais rien ne m’assurait que ce cauchemar n’allait pas recommencer. Je me disais que c’était tout de même un peu grave si un livre se perdrait par ma faute.

« J’ai 20 ans. »

J’avais l’air plus jeune, on me l’avait déjà fait remarquer, mais c’était un concept que j’avais du mal à assimiler également. Faire son âge.
Dame Galadriel ? L’inconnu me l’avait également confirmé, mon prénom était étrange, mais je n’avais imaginé que cela puisse être un prénom de fille. J’étais devenu un homme lors de la cérémonie où on m’avait marqué au fer rouge. J’arrêtais de respirer en voyant sa main si proche de mon visage. C’était étrange comme sensation. Un peu dérangeante mais pas désagréable.

« Je…je suis un garçon. »

Je préférais le préciser juste au cas où il n’aurait pas bien vu. Quand il se présenta je m’inclinais un peu trop rapidement et me cognait la tête contre son torse. Je me frottais légèrement le front en le regard.

« Aish… Ravi de vous rencontrer. J’aimerais bien apprendre le japonais, mais je pense que ce serait trop difficile pour moi. »

Je me sentais un peu moins oppressé en le voyant se reculer. Ce n’était pas qu’il me faisait peur, mais il y avait quelque chose d’un peu sauvage chez lui qui me rendait un peu méfiant. Je me mordillais légèrement la lèvre. Il fallait dire non, si je ne voulais pas, ça paraissait logique quand on y réfléchissait, mais je n’avais pas voulu le vexer.

« Je dois vous mettre un coup de pied entre les jambes ? Je n’en n’ai pas très envie. »

Je n’étais pas doué pour la violence, j’avais plus de facilité à la subir.
Je ne comprenais pas pourquoi il me parlait de Mars et de Vénus. Je ne venais pas d’une autre planète. Je ne savais pas comment réagir face à ses remarques.

« Vous me trouvez bizarre ? »

Ce ne serait pas le premier. J’avais l’air un peu idiot, mais je ne l’étais pas complètement. Mon éducation avait simplement été différente. Je jouais nerveusement avec mes doigts ne sachant pas vraiment ce qu’il attendait de moi.

« Je viens d’une ferme à la campagne. C’est un peu moins loin que Venus. »

Je lui souriais gentiment. Je n’avais pas l’habitude de rencontrer du monde à la bibliothèque, je savais qu’il ne fallait pas trop parler sous peine de se faire disputer.

« Vous venez du Japon ? »

Je n’avais jamais visité un autre pays, je trouvais ça un peu effrayant et mon frère ne voulait pas que je m’éloigne. J’espérais ne pas être trop curieux. Parfois je ne me rendais pas compte que mon comportement pouvait être déplacé.

Kanesuke jauge un instant son vis-à-vis du regard, sans rien dire. Comment diable était-ce possible qu’il soit à l’Université, mais n’aie jamais entendu parler de l’époque médiévale dans sa grande généralité ? Il ne lui demandait pas d’être incollable sur le sujet. Mais ne pas savoir du tout ce que ça représentait, c’était quand même gros, non ? Alors l’air perplexe de Kanesuke s’expliquait largement ! En plus le voilà qui lui admet avoir 20 ans. C’était pire de ne pas avoir plus de culture G après un quart de siècle.

« Comment t’as fait pour avoir ton diplôme du lycée sans étudier l’histoire ? », demande Kanesuke, quoique ce fut davantage une question rhétorique qu’autre chose. Et plus pour lui-même que pour le jeune homme qui se tenait devant lui, il ajoute : « Tu vas te faire bouffer tout cru ici, toi… »

Par contre, lorsque l’étudiant semble trouver de bon goût de lui rappeler son genre, le Japonais a un sourire amusé et un petit clin d’œil taquin. Gouailleur ? Oui, assurément ! Il avait remarqué que cette petite beauté était un garçon, excusez-le du peu ! Mais bon… Dans le genre délicat, il y avait déjà un autre étudiant qui lui trottait dans la tête. Et au moins celui-là avait tout d’une furie, ce qui ne le dégoûtait pas du tout, au contraire. Galadriel était tellement innocent. Trop pour que Kanesuke ne se donne pas l’impression d’un prédateur s’il continuait à loucher sur lui. C’était peut-être mieux pour le gamin, à bien y penser ! Croisant les bras, Kanesuke l’écoute parler de sa langue natale, manifestant le désir de l’apprendre mais aussi la peur de se lancer.

« Il y a beaucoup de choses très difficiles, mais rien de trop difficile si tu le veux vraiment. », assure l’homme. Il était du genre fonceur. On pouvait donc l’accuser de ne considérer qu’un point de vue. Mais ce n’était pas vraiment comme si ça lui causait un problème de conscience, non plus ! Le Japonais était toujours… beaucoup trop franc et ne tournait pas sa langue sept fois dans sa bouche avant de parler. Il aurait parfois dû ! « Non, tu n’as pas besoin de me frapper. Tu vois, je ne te touche plus et tu n’as même pas eu besoin de dire « non ». »

Disons qu’il ne voulait pas finir sa journée recroquevillé dans un coin de la bibliothèque, non plus ! Toutefois, il attrape soudainement le délicat jeune homme par le poignet pour l’entraîner à sa suite.

« Très bizarre. », répond l’homme sans tourner autour du pot. Eh bien quoi ? Galadriel avait bien demandé, non ? « J’ai connu des gens de la campagne. Ils ne te ressemblaient clairement pas. Tu es plus bizarre qu’eux. »

Il s’arrête devant une section de la bibliothèque bien précise. Relâchant le poignet du garçon, Kanesuke se met en recherche d’un livre en particuliers, semble-t-il. Ses longs doigts parcourent leur dos, lisant rapidement les inscriptions qui ne semblent pas l’intéresser, puisqu’il ne s’y arrête pas. Pendant ce temps, il continue de répondre au garçon. Ok, avoir une conversation dans la bibliothèque, ce n’était pas ce qu’il y avait de plus intelligent, mais ça lui semblait assez nécessaire, présentement !

« Oui. C’est de là que me vient mon accent. J’ai longtemps habité à Sapporo. », explique-t-il, évitant pourtant de parler de sa ville de naissance, celle qu’il avait habité pendant les vingt-et-une premières années de sa vie pourtant. « Il y a de la neige là-bas l’hiver. J’adore la neige. »

Il a un petit « hm » songeur avant de finalement tirer un livre assez volumineux de l’étagère. Il le feuillette un peu, puis finalement le temps à Galadriel.

« Tu peux continuer à scander haut et fort que tu es bizarre et que tu viens de la campagne, mais si tu n’essaies pas d’apprendre, tu n’es pas bizarre. Tu es juste stupide. », assure-t-il tout en l’incitant à prendre le bouquin. « C’est un livre qui traite de façon générale et peu approfondie de l’histoire mondiale. Commence par ça. C’est important. »

Certes, il était un féru d’histoire autant qu’il l’était de littérature. Mais ce n’était pas pour ça qu’il disait ça. C’était important de savoir d’où on venait pour comprendre le monde. Et Galadriel n’était clairement pas rendu là dans son cheminement…

Je me sentais mal à l’aise suite à sa question, j’avais eu beaucoup de mal à obtenir mon diplôme et je l’avais eu de justesse la seconde fois. Je n’avais jamais appris à compter avant et j’avais encore du mal à mettre les chiffres dans l’ordre. J’avais fait beaucoup d’efforts pour apprendre toutes ces choses mais je n’arrivais pas forcément à les retenir. J’aimais beaucoup les cours d’histoire pourtant mais j’avais du sauter cette partie. Peut-être qu’on l’apprenait avant le lycée ? Je ne pouvais pas rattraper toutes ces années passées à la ferme. J’avais vraiment découvert l’école quand j’avais débarqué ici. Je n’étais pas très fier, j’étais moins intelligent que les autres et beaucoup l’avaient déjà remarqué. Ce ne serait pas la première fois qu’on me traiterait d’idiot.

« J’ai….j’ai redoublé trois fois au lycée. »

Bouffer tout cru ? Par qui ? Cette expression me perturbait. Je ne pensais pas vivre dans une société qui autorisait le cannibalisme, mais je préférais ne rien dire pour ne pas paraître encore plus stupide face à lui. C’était un professeur après tout, il devait connaître énormément de choses et je restais admiratif.
Il n’avait pas tort, rien n’était trop difficile, la preuve, je me retrouvais dans une des meilleures universités du pays alors que je ne savais même pas additionner deux chiffres. C’était presque un miracle. Je m’étais donné beaucoup de peine pour en arriver jusque-là et c’était épuisant. Je devais toujours donner plus que les autres. Tout paraissait si simple pour les autres élèves alors que je me sentais assez vite perdu.

« Je… je pense que je devrais d’abord savoir bien compter avant de me lancer dans une autre langue. »

Une chose à la fois. J’étais déjà assez dissipé, pas la peine de me rajouter du poids. Je soupirais de soulagement, j’étais content de ne pas avoir besoin de le frapper. Je n’avais jamais fait preuve de violence envers personne et je n’étais pas certain de savoir le faire. Je sursautais en voyant sa main autour de mon poignet mais je me laissais faire, il n’avait pas l’air d’avoir de mauvaises intentions et j’étais assez content qu’il me fasse découvrir d’autres rayons de la bibliothèque.

Je souriais quand même quand il avouait me trouver bizarre. J’avais l’habitude et je ne me vexais pas. J’étais différent tout simplement et c’était ce qui faisait que je n’avais rien à voir avec les autres, ce qui me rendait spécial et j’en étais assez fier. Je haussais les épaules, peut-être qu’il n’avait pas connu des gens venant de ma région ? Nous n’avions sûrement pas la même façon de vivre que dans une autre campagne ?

« Mon frère appelle ça une secte. »

Je restais derrière lui, le regardant choisir un livre. J’étais impressionné, il avait trouvé rapidement alors qu’il me fallait toujours de longues minutes pour en repérer un qui m’intéressait. Je me trompais souvent.
Je ne connaissais pas vraiment le Japon, et encore moins la neige. Je l’enviais un peu d’avoir connu tout ça.

« Ça doit être chouette la neige ! »

Je prenais le livre qu’il me tendait, il était lourd et j’avais failli le laisser tomber. Je baissais légèrement la tête, je me sentais peiné qu’il me pense stupide. J’essayais vraiment d’apprendre, mais j’étais plus lent que les autres et je ne pouvais rien y faire.

« Je…C’est difficile pour moi. Je suis bizarre mais pas idiot. J’ai besoin d’un peu plus de temps que la normale pour assimiler les choses… »

Il y avait beaucoup de pages dans ce livre et il me faudrait sûrement des années pour le lire en entier et retenir tout ce qui était inscrit à l’intérieur et la durée pour emprunter un livre n’était que de deux semaines. Je le serrais doucement contre mon torse comme pour essayer de me rassurer. J’avais l’impression que malgré tous mes efforts je n’allais pas réussir, mais je ne pouvais pas me planter, je devais le faire pour mon frère, pour tout ce qu’il avait fait pour moi, pour son avenir qu’il avait sacrifié pour m’en offrir un.

« Est-ce que… vous pouvez m’aider ? »

Je n’avais pas beaucoup d’amis ici, je ne connaissais presque personne et je n’osais jamais demander de l’aide de peur de déranger, mais s’il était professeur, ce serait plus simple pour lui. Je relevais la tête pour croiser son regard. Il me faisait un peu peur, mais je pourrais m’y faire. Je le savais.

« Trois fois ? Eh ben putain ! », s’exclame Kanesuke, une exclamation chuchotée, si on puis dire, puisqu’il n’avait pas envie de se faire arracher la tête par la bibliothécaire. Oui bon, ce n’était peut-être pas très poli ni très subtil, mais il n’était pas de ces hommes qui savaient mettre des gants. C’était quand même dingue d’avoir redoublé trois fois. Et ça l’était encore plus que Galadriel ait été accepté dans une telle université sans connaître des bases essentielles. En fait, ce qui l’étonnait le plus, ce n’était même pas le nombre de fois qu’il avait redoublé… « Comment est-ce que tu as fait pour passer, finalement…? »

Parce que bon, vu les notions qui lui manquaient, c’était un vrai miracle. Lui-même le disait : il ne savait même pas compter correctement. Il avait bien dit COMPTER ? Pas multiplier ou diviser… Putain. Kanesuke a un moment de silence perplexe. Il avait choisi cette université en grande partie parce qu’il y avait de bons défis intellectuels parmi leurs étudiants. Il ne pensait pas à ce genre de défis-là…

« Tu es sûr que ta place est dans une université ? », demande soudainement Kanesuke, n’ayant aucune honte à remettre le cheminement du gamin en doute. « Parce qu’il y a des jobs très bien qui ne nécessitent pas d’études. »

Et il n’était pas sarcastique. Kanesuke n’était pas de ces hommes à croire qu’on fut supérieur aux autres en allant à l’université. Ou même en finissant sa scolarité de base. En fait, on l’était dans une facette de la vie, mais elle en comportait des milliers… Ça ne suffisait pas pour faire d’une personne un homme meilleur que tous les autres. Quoi qu’il en soit, un mot singulier franchit soudainement les lèvres de Galadriel. Une secte. Il y a un moment de silence. Il savait que dans une secte, les jeunes étaient quand même éduqués et pas non plus complètement laissés à eux-mêmes. Leur fonctionnement différait, mais le but c’était généralement de les éduquer juste assez pour qu’ils soient autonome et rapportent quelque chose à la secte, mais pas trop, histoire qu’ils soient encore facilement contrôlables.

Alors ça le laissait quand même hautement dubitatif mais peut-être y avait-il un peu de pitié dans son regard alors qu’il le pose à nouveau sur la jolie fleur un peu trop naïve pour son propre bien.

« Et c’était comment, cette secte ? », demande Kanesuke, décidément curieux pour le coup. C’était quand même l’explication la plus probable. Et il n’avait jamais rencontré qui que ce soit qui avait fait partie d’un culte sélect et fermé. Quant à la neige, il est forcément un peu distrait. Galadriel devait avoir été beaucoup plus au sud ? Il neigeait pourtant en Corée. Mais il n’était jamais allé tout au sud alors qui sait ! Quoi qu’il en soit, il répond un peu distraitement : « C’est magnifique et paisible. »

Et froid bien sûr, mais il aimait les températures froides pour sa part ! Mais Galadriel le tire de ses pensées alors qu’il se justifie. Kanesuke a un petit soupir. Il tend une main, tapotant doucement sa tête comme on le ferait avec un gamin. C’est surtout comme ça qu’il le voyait pour le coup. En même temps, ce n’était vraiment qu’un gamin qui avait encore beaucoup à apprendre…

« Alors travaille plus fort que les autres. C’est loin d’être une tare. Au contraire… », assure-t-il tout en faisant un petit clin d’œil involontairement charmeur à Galadriel. C’est que ça faisait partie de sa personnalité, mais il ne draguait absolument plus, pour le coup ! Ça lui était passé assez vite ! Par contre, une demande d’aide est faite… et on aurait pu croire que Kanesuke était du genre à se ruer sur ce genre d’occasions. C’est bien ce qu’on pensait des enseignants, non ? La réalité était néanmoins toute autre… « J’ai pas le temps. Mais tu peux aller demander des cours particuliers. Tu devrais, même. Sinon tu vas faire du surplace. L’université est trop difficile pour toi à ton niveau actuel. »

Il fait passer son sac à bandoulière devant lui, l’ouvrant pour y prendre un bloc-note aux premières pages déjà recouvertes d’hiragana et de kanji, ainsi que de petit dessins. Il en arrache une qui n’avait plus d’importance et écrit au dos, en coréen cette fois. Puis, il tend le papier à Galadriel.

« Présente-toi là et dis que c’est Aizawa Kanesuke qui t’envoie. », explique-t-il tout en incitant le jeune homme à prendre le papier. « Tu peux avoir des cours spéciaux qui t’aideront sûrement beaucoup. Je compte sur toi pour avoir parfait ta culture G lorsqu’on se reverra et pour ne plus avoir de problèmes à compter, au minimum. »

Parce que résoudre des problèmes, c’était une chose… Mais compter, c’était la base.

Je grimaçais suite à son exclamation, j’avais l’habitude que l’on réagisse de cette façon en apprenant que j’avais refait trois années au lycée. Il allait vraiment me prendre pour un débile, mais j’avais réellement fait de mon mieux. La première année avait été la plus difficile, je me sentais vraiment perdue. « Je… j’ai beaucoup étudié et je l’ai eu de justesse …» Il m’avait demandé, je n’allais pas mentir. Je n’avais pas le droit de mentir de toute façon, c’était pêché et je ne voulais pas me mettre Dieu à dos. Je devais être exemplaire. Je le fixais, un peu blessé par sa remarque. Il n’était le premier à dire que je n’avais rien à faire ici et que je pouvais retourner d’où je venais. Mais il était hors de question que je remette les pieds à la ferme. Si on nous retrouvait, ils nous tueraient sûrement. Et je n’en n’avais aucune envie. Je baissais la tête en me mordillant les lèvres. C’était toujours difficile à entendre. J’avais l’impression d’être de trop, de déranger.

« Je… c’est mon frère qui m’a inscrit… il… il n’est pas allé à l’école pour que moi je puisse y aller. Je… je ne peux pas renoncer. Je veux qu’il soit fier de moi. Je dois avoir un diplôme, même si ça prend plus de temps que prévu. » Je ne savais rien faire d’autre à part m’occuper des animaux de la ferme. Je n’allais pas aller très loin avec ce genre de compétences.  Personne ne pouvait vraiment ce que j’avais vécu et comment je l’avais vécu. J’avais appris des choses, énormément même, mais pas des choses qui pouvaient me permettre de me rebeller. Je ne l’aurai jamais fait de toute façon. Je ne savais pas vraiment comment lui expliquer à quoi ressemblait l’endroit où j’avais grandi. Les étrangers n’étaient jamais les bienvenues et il ne fallait pas s’ouvrir aux autres.

« C’était… dans une grande ferme et il y avait la maison pour les enfants et la maison pour les adultes. On devait s’occuper des animaux et du potager, mais sil on le faisait mal, on était puni. » Mon dos en était témoin. « J…j’ai souvent été puni. » Je n’étais pas très fier mais j’avais toujours été un garçon maladroit et un peu trop curieux. « J’allais à l’école pour étudier la bible et on ne devait surtout pas oublier de faire nos prières ! » Je hochais la tête pour lui signifier que c’était sûrement le point le plus important. « J’ai jamais appris l’histoire…sûrement pour éviter de mettre en doute tout ce qu’on nous racontait. » Si mon frère ne m’avait pas sorti de cet enfer, je serais sûrement marié avec une des filles. « Et puis il y a la cérémonie aussi pour devenir un homme, c’est un peu douloureux, mais on n’a pas vraiment le choix. » Je haussais les épaules comme si mon histoire n’avait rien d’anormale.

Je me sentais un peu déçu qu’il n’ait pas le temps, mais il avait mieux à faire que de m’enseigner ce que j’aurai du déjà connaître depuis longtemps. J’avais vraiment l’impression d’être un poids. « Oh… d’accord. » Je n’étais pas très à l’aise avec les inconnus, même si lui en était un, il dégageait quelque chose de rassurant. « Je… peut être plus tard. » Je devais d’abord finir on devoir et j’y réfléchirais. « Je vais pas y arriver ? Vous pensez ? » Il était honnête, il n’avait pas hésité à me dire qu’il me trouvait bizarre, sans prendre des gants, et même si c’était un peu blessant, c’était la vérité. « Aizawa Kanesuke » Je répétais encore son nom pour être sûr de bien l’avoir imprégné. « C’est vraiment un joli nom ! » Je lui souriais avant de commencer à paniquer. « Vous allez m’interroger la prochaine fois ??? ». Je n’allais jamais m’en sortir entre mes devoirs et ce retard que je devais rattraper. Je commençais sérieusement à désespérer, mais je ne pouvais pas baisser les bras. Peut-être que si je me couchais une heure plus tard, tous les jours, je pourrais m’améliorer.

La perplexité de Kanesuke avait atteint des sommets. Il n’avait pas de mal à croire que Galadriel n’ait pas eu de très bonnes notes, bien qu’il ait eu celle de passage. Mais, mine de rien, cette université n’aurait pas dû l’accueillir. Ça n’avait rien à voir avec un quelconque côté élitiste. S’il y avait bien une chose que le Japonais n’était pas, c’était celle-là. Il avait été élevé par des parents qui l’étaient à l’extrême et plutôt que de lui donner cette valeur au sens moral discutable, ça l’en avait plutôt dégoûté. Sûrement parce qu’il n’avait jamais rempli leurs standards personnels et n’était donc pas éligible à leur fierté. Mais Galadriel avait de toute évidence de grosses lacunes. Et s’il était vrai qu’il n’était jamais trop tard pour entrer à l’université, peut-être aurait-il donc mieux fait de combler ces lacunes avant de faire le grand saut. C’eût été préférable pour lui. Bref… Il a un petit soupir, certes, mais ne répond pas. À quoi bon ? Il ne comptait pas non plus blesser intentionnellement le gamin.

Par contre à propos du frère, probablement l’aîné, Kanesuke fronce les sourcils, nettement désapprobateur cette fois.

« Tu ne vas quand même pas vivre ta vie pour lui. », grogne-t-il tout en levant les yeux au ciel. Putain… Encore un bon pensant qui faisait les choses pour son petit frère sans réaliser qu’en fait il lui mettait la pression de suivre une voie qui ne lui convenait peut-être même pas. « Si tu as quitté ta… secte… Ce n’est pas pour refaire la même chose avec ton frère cette fois, non ? Enfin. Vous faites ce que vous voulez… Mais n’oublie pas que tu n’es l’obligé de personne. »

La vie sur la ferme lui est ensuite racontée… et ça lui foutait le cafard de réaliser qu’il y avait encore de tels endroits en 2017. C’était dingue, quand on y pensait bien. Par contre quand il parle de cérémonie pour devenir un homme et de douleur, Kanesuke a des images peu glorieuses en tête et grimace, arrêtant rapidement la discussion !

« Sympa, merci. Je crois que j’ai tout ce que je voulais savoir ! », déclare-t-il rapidement, n’ayant finalement vraiment pas envie de s’étendre sur le sujet. Surtout qu’en quelque part, Galadriel semblait toujours un peu endoctriné. Alors ça le mettait vraiment mal à l’aise. « Tu sais, il y a des organismes pour aider les jeunes comme toi qui ont été victimes de ce genre d’actes… Tu devrais te renseigner à ce sujet. On ne sait jamais… »

Ça pourrait l’aider. Même si au final, Kanesuke n’était pas certain que Galadriel ait envie d’avoir l’aide de qui que ce soit… ou même qu’il croit en avoir besoin tout court. Puis, une question. Le garçon allait-il y arriver ? Il y a presque une petite onde de culpabilité qui se fait sentir du côté de Kanesuke. Presque. Mais il la chasse rapidement. Ça ne lui ressemblait pas de ressentir ce genre de truc.

« T’es mal parti. », admet-il sans mentir, parce qu’il était de ceux qui croyaient dur comme fer que les pieux mensonges nuisaient plus qu’ils aidaient. Ce garçon en était la preuve, non ? Et son frère ne semblait pas vraiment mieux pour le pousser trop tôt dans un périple tel que l’université… « Tu devrais rattraper ton retard avant de suivre des cours que même les élèves sans retard ont du mal à comprendre. C’est l’évidence même… Mais essaie. Rappelle-toi juste que si tu te plantes, ce n’est pas la fin du monde. Il y a toujours un plan B. Et il n’est jamais trop tard pour retourner aux études. »

L’enseignant a toutefois un petit sourire alors que Galadriel semble trouver son nom joli. Bien mieux que celui dont il avait hérité à sa naissance, si vous vouliez son avis ! Par contre pour ce qui était de faire une interro surprise au jeune homme, il grimace un peu.

« J’en ai déjà bien assez avec mes propres élèves. », assure-t-il tout en hochant négativement la tête pour répondre plus directement à la question. « Non. Mais c’est pour toi que tu étudies. Tu n’as pas besoin d’un prof pour te motiver, rassure-moi. »

Il a un petit clin d’œil pour le délicat jeune homme, montrant une dernière fois le livre d’un signe de la tête.

« Lis. Lire, c’est la vraie liberté. »

C’était là une leçon importante que ses parents n’avaient pas cru bon de lui apprendre, à lui…

Je n’avais jamais réfléchit à ce que je voulais faire de ma vie. J’étais allé à l’école pour m’instruire, pour découvrir ce qu’était le monde en dehors de la ferme. Je n’étais pas encore très à l’aise dans cette société qui ne me comprenait pas. Je savais que j’étais loin de leur critères de normalité mais je faisais ce que je pouvais et comme je le pouvais pour m’intégrer. J’avais longtemps vécu isolé, coupé de tout ce qui pourrait contredire les paroles du Seigneur. Mon frère avait toujours tout fait pour moi, pour me protéger. C’était peut-être maladroit, pas forcément la meilleure façon de faire, mais ça me convenait. Je voulais faire des efforts pour lui. Je ne savais pas comment, mais il avait toujours réussi à ramener de l’argent à la maison, de plus en plus au fil des années. On était passé d’un appartement miteux sans chauffage, à un loft dans un beau quartier. Il m’avait dit de ne jamais posé de questions. J’obéissais. « Il a payé très très cher pour que je puisse entrer ici. C’est important l’argent, je ne peux pas le gâcher en ratant mon année. » Même si j’étais sur le point de le faire. J’avais du mal à comprendre ses propos concernant mon frère. « Il ne me frappe pas, et il ne me fait pas de mal. Il ne m’a jamais enfermé dans le coffre, ce n’est pas du tout la même chose. »

Je penchais légèrement la tête sur le côté. Des organismes spécialisés ? Je n’en n’avais pas vraiment entendu parler, mais je n’avais pas l’impression d’avoir besoin d’aide. « J’ai ma veilleuse pour éviter les cauchemars, c’est suffisant non ? » J’avais appris à ne pas avoir peur e beaucoup de choses qui faisaient parties du quotidien, mais le noir me terrifiait toujours autant. J’avais sûrement passé l’âge de dormir avec la lumière allumée mais je ne pouvais pas faire autrement si je ne voulais pas me réveiller en hurlant, le dos brulant de douleur. Ce n’était jamais très agréable. De toute façon, je ne dormais pas beaucoup ces derniers temps, je passais beaucoup de temps à étudier, mais toutes les informations se mélangeaient dans mon esprit et je me sentais perdu.
Il confirmait mes craintes. Je n’allais sûrement pas y arriver malgré tous ms efforts. Je ne savais pas être organisé comme certains élèves. Je ne respectais aucun planning. Je soupirais presque de désespoir, mais je savais qu’il avait raison. « J’ai déjà refait toutes les classes au lycée…je n’ai pas vraiment envie d’y retourner. » Je haussais les épaules. Même si ça ne se voyait pas, j’avais déjà vingt ans, et je ne voulais pas me retrouver avec des adolescents qui allaient encore se moquer de moi. Si je n’allais pas à l’université, qu’est-ce que je pouvais bien faire d’autre ?

Je voulais absolument lire le livre qu’il m’avait conseillé, un peu déçu de savoir qu’il n’avait pas de temps pour moi-même si c’était compréhensible. « Je suis trop bizarre c’est ça ? Vous n’avez pas envie de me revoir ? » Ce ne serait pas le premier et je ne lui en voudrais pas vraiment. Je le trouvais plus intéressant que les autres et j’avais envie de passer un peu de temps avec quelqu’un d’aussi cultivé. Je me mordillais un peu la lèvre, une idée me triturant l’esprit. « Si je le lis en entier, on se revoit ?» Je lui offrais un de mes plus beaux sourires. C’était un moyen de me motiver, de me lancer un défi. J’avais vraiment envie de m’instruire, de connaître toutes ces choses qui pouvaient changer notre vision du monde. « Je sais que j’ai l’air d’un boulet qu’on doit se trainer mais… C’est pas le cas vous savez. » Je me disais que moi aussi je pouvais être intéressant. A ma manière.