Personne n’ouvre cette porte. J’ai beau frappé, j’ai beau sonné, j’ai beau crié, je vais finir par penser que ma présence n’est pas la bienvenue ce soir. On me reproche d’être trop discrète, trop dans ma bulle et j’ai du mal à comprendre comment je pourrais arriver à les déranger, surtout les Chu. J’aime les membres de ma famille, réellement mais croiser le beau minois de Min Hee est une bouffée d’air frais que je ne suis pas prête d’abandonner. D’ailleurs, je finis par attraper mon téléphone, cherchant à la contacter mais je tombe direct sur le répondeur, constat qui me fait soupirer. Je suppose que je vais devoir faire demi-tour, bredouille. Elle est sûrement en train de conduire ou peut-être qu’elle a décidé de se faire un cinéma sans ma compagnie. Je crois que les gens ont tendance à faire ça, y compris avec leurs parents. Enfin… Fourrant mes mains dans mes poches, je reprends le chemin inverse avant qu’une voisine m’interpelle. Je sais bien que je suis assez connue dans les parages et que personne ne me prend pour une cambrioleuse mais cela ne m’empêche pas d’afficher une mine surprise sur mon visage. Néanmoins, ce sentiment est beaucoup moins violent et fort comparé à celui qui prend possession de mon être tout entier quand elle m’annonce que la famille est partie en hâte vers l’hôpital.

Son discours n’est pas censé me pousser à envisager le pire mais il y a des mots tabous dans ma vie. L’hôpital fait partie de la liste et je ne peux rien faire pour rayer ce terme. Non, la seule chose dont je me sens capable de faire, c’est de me mettre à courir vers le premier arrêt de bus. C’est aussi continuer à essayer de les joindre. Je contacte également Yury bien que je pourrais les déranger réellement cette fois-ci. Je suis sans réponse pendant une demi-heure. Cette demi-heure qui m’a permis d’accéder aux urgences, cette même demi-heure qui était bien trop longue et qui n’envisage rien de bon. Je n’ai donc pas le temps d’hésiter bien que je sens une force qui m’incite à rester devant le seuil de la porte. Poussant la porte, j’accède au bon service et compte demander à la réceptionniste où se trouve la famille Chu. Par ‘’chance’’, j’aperçois le frère de mon amie dans le couloir et cherche involontairement cette dernière avant de poser ma main sur l’avant-bras du jeune homme. « Yury … On m’a dit que vous étiez ici. Qu’est-ce qui se passe ? » demandai-je d’une voix étrangement calme.

« putain, yury ! » ta mère t'attrape par le bras, te relevant. elle n'ajoute rien mais son silence en dit long, t'es trop ailleurs pour le comprendre mais t'as dû l'inquiéter. après l'arrivée des flics chez vous, tu t'es sauvé. ce n'était clairement pas une bonne idée mais tu n'es plus maître de toi-même. le sol vient de s'ouvrir sous tes pieds, et t'as l'impression de tomber sans jamais rien heurter, sans que tout ça cesse. tes larmes ne cessent de couler mais toi, tu es vidé de toutes forces. tu n'es plus que l'ombre de toi-même et c'est assez flippant à voir. pourtant, respirer est devenue une épreuve bien trop difficile pour toi. chaque inspiration que tu prends et ça te fait mal, ça te fait souffrir, te rappelant que désormais, c'est sans elle que tu continueras de vivre. parce que tu viens de perdre ta moitié, oui. vous êtes à l’hôpital mais minhee est plus là. elle vous a quitté. il y avait que très peu de chance pour qu'elle survive, les médecins vous avez prévenus, tellement peu de chance que son cœur n'a pas tenu le choc plus d'une heure. tes parents sont effondrés, t'as l'impression de vivre le pire de tes cauchemars, qu'on te transperce le cœur maintes et maintes fois jusqu'à ce que tu crèves de douleur mais non, c'est encore pire, tu restes en vie. ta petite sœur est chez ta tante, encore bien trop jeune pour supporter tout ça et toi, t'es assis sur une des chaises de la salle d'attente. vous n'allez pas tarder à rentrer sûrement, t'en sais rien, tu ne sais même plus ce que tu fiches ici. ton regard est rivé sur le sol, ta mine est dévastatrice, tes larmes coulent encore, tu n'as même plus le courage d'espérer d'arrêter de souffrir. tu te laisses abattre. et puis, une main vient se déposer sur ton bras, tu aurais pu avoir espoir que ça soit minhee, que tout cela ne soit qu'un cauchemar mais même pas, de toute façon, tu sais très bien de qui il s'agit quand cette personne prend la parole. ton amie risae. ton amie... et l'amie de ta sœur. tu n'as même pas la force de relever le regard vers elle, il reste rivé sur le sol. à te voir, on a l'impression que tu es un robot complètement cassé, qui souffre d'un dysfonctionnement énorme. t'es là physiquement, mais c'est tout. tu n'arrives même pas à la regarder, à prononcer le moindre mot, usant le peu de force que tu as pour prier silencieusement que tout ceci ne soit qu'un putain de cauchemar, ce n'est pas le cas, tu le sais, mais espérer est bien la seule chose qu'il te reste.

Entrant sans un bruit dans la salle d'attente, je connais suffisamment la silhouette du jeune homme pour pouvoir l'identifier sans aucune difficulté. Pourtant, quand je me trouve plus près de lui, j'ai l'impression de devoir faire face à une toute autre personne. La tête baissée, j'entends des sanglots qui me poussent à déglutir. Je ne sais pas à quoi m'attendre. C'est vrai, j'ai tendance à envisager le pire mais certaines personnes ont une sensibilité plus forte que d'autres. Les larmes coulent plus facilement sur leurs joues. Alors, même si ma confiance commence à dégringoler royalement, je parviens à poser ma main sur son avant-bras. S'il pouvait saisir cette main pour pouvoir remonter son doux visage, je pourrais peut-être lire quelque chose dans ses yeux. Mais, même si je le connais bien Yury, je ne suis pas convaincue d'être la mieux placée pour interpréter quelque chose. Non, je suis beaucoup plus proche de Min Hee. Il me faut quelques secondes (qui paraissent comme des heures) avant que je ne brise le silence qui règne dans cette pièce. Je ne sais pas depuis combien de temps il l'attend, si c'est la panique mais j'entends de lui qu'il soit apte à me répondre. Comment pourrais-je l'aider ? Comment pourrais-je rebondir si je ne sais rien ? Et finalement, le jeune homme est muet comme une tombe. Encore accroupie devant le garçon, son visage me déstabilise. Le voir aussi meurtri accélère les pulsations de mon coeur pour mieux s'arrêter à la suite. Je ne l'ai jamais vu dans un tel état et ça me fait mal, terriblement mal. Il me rend incertaine au point de ne pas répéter ma question, de suite, en tout cas. Cherchant une réponse ailleurs, je scrute de nouveau la salle mais je ne parviens toujours pas à croiser un autre visage des Chu. Pourquoi le laisser seul dans cet état ? Je ne comprends pas et je ne suis plus sûre de vouloir comprendre. Je manque de m'étouffer alors que mes yeux commencent à briller. Je plante doucement les ongles de ma main libre dans ma cuisse, tentant de noyer un douloureux souvenir qui cherche à refaire surface. Je déteste les hôpitaux, je déteste le voir ainsi. Il me rappelle tellement la Risae plantée comme une idiote tandis que ma grand-mère se retenait de pleurer la mort de son fils devant les quatre gosses de ce dernier. Je ne peux pas partir mais j'ai besoin de savoir ce qu'il se passe. Peut-être que je devrais y aller petit à petit ? Je m'efforce d'appuyer un peu plus fort sur son avant-bras pour l'inciter à me regarder. Je bouge également la tête avant de lever mon autre main pour poser ma main sur son front et retirer les mèches qui couvrent son visage. D'une voix douce et fortement inquiète, je fais une nouvelle tentative, quitte à essuyer un refus. " Hey Yury... Regarde-moi. " Je pince un sourire et récupère un mouchoir. Comme toujours. Je glisse ce dernier sur ses joues et me mets à essuyer maladroitement ses larmes incessantes. J'aurais pu le prendre dans mes bras mais je ne le sens pas prêt. Il n'a même pas cherché à me regarder, il est dans une bulle et je ne voudrais pas qu'il s'énerve. Ce n'est pas une question d'être tactile ou non, mais plutôt d'une intimité. Parfois, on préfère être seul que de se retrouver dans les bras de la mauvaise personne ou que sais-je. Je me risque donc à ajouter: " Je ne vois pas tes parents. Ils t'ont laissé tout seul ? " La question pourrait paraître idiote mais ici, tout peut être si différent.

le temps s'est arrêté, tu es là physiquement mais rien de plus. ton cerveau a cessé de fonctionner, comme le reste de ton corps. t'es tout seul, tes parents doivent être effondrés mais toi, t'es là, physiquement telle une âme errante. tu ne comprends plus rien, comme si c'était un cauchemar qui ne se terminait pas et toi, tu attends simplement ton réveil. pourtant, tu n'arrives pas à en sortir, de ce cauchemar. mais c'est impossible, ça ne peut pas être la réalité, elle ne vous a pas laissé comme ça. elle n'a jamais pris ta moto pour partir, elle n'a jamais eu d'accident. elle n'a pas pu faire ça, elle n'a pas pu te laisser. c'est min hee, elle est toujours là, elle t'abandonnerait jamais et tu le sais, c'est impossible. tu ne veux pas le croire, tu ne veux pas l'accepter. une partie de toi vient de se déchirer, tu peines à te reconnaître, à savoir quoi faire. le souffrance t'aveugle tellement que tu n'as plus aucune force, t'as plus rien. en perdant min hee, tu viens de tout perdre. pourtant, il y a cette partie de toi qui a encore espoir, parce que t'as pas d'autre choix, qu'est-ce que tu ferais sans elle, hein ? ils ont essayé de la sauver, il n'y avait rien à faire mais toi, tu t'accroches. or, plus les minutes passent, plus tu décroches, plus tu lâches la corde, tu tombes peu à peu dans cette réalité. tellement que même cette voix familière d'une de tes plus proches amies ne te fait pas réagir, t'es coupé du monde, parce que tu refuses de vivre dans un monde où minhee n'est plus. tes larmes continuent de couler à flot sans même que tu t'en rendes compte. des larmes de douleurs. risae dépose sa main sur ton front, découvrant ton visage, tu la laisses faire. t'es un réel pantin, tu n'as plus aucune réaction. elle te demande de la regarder mais sa voix est si lointaine, noyée dans toutes ces pensées que tu as, toute cette souffrance. elle finit même par sortir un mouchoir pour essuyer tes larmes. tu vas devoir lui dire, t'as même plus la force de faire quoi que ce soit, mais tu vas devoir faire ça. risae, c'est votre amie. à tous les deux. elle a perdu min hee elle aussi, tu devrais sans doute y mettre des pincettes mais tu ne parviendras pas à faire ça. elle te pose une question que tu ignores involontairement. c'est étrange, tu as tous les droits de te sentir seul et c'est le cas, mais au moins, risae est à tes côtés. tu remontes doucement ton visage, plongeant ton regard dans le sien. tes yeux sont rouges, tes joues humides, tu continues de déverser ses larmes. ta gorge est nouée, tu as des difficultés à parler mais tu y arrives, quelques mots. tu essayes. « elle est morte. » souffles-tu, seulement. c'est cash, mais c'est aussi cette douleur qui te fait parler de cette manière. t'es en colère contre ce monde, contre ce qui vient de vous arriver. comment vous allez vous en sortir ? comment tu vas t'en sortir ...

Ses larmes ressemblent à des larmes tranchantes. Elles ne coulent peut-être pas sur mes joues mais leur impact ne résume pas à un simple contact. Chaque jour de mon existence, je croise des âmes esseulées, des vieux qui font des boulots ingrats pour quatre ronds, et pourtant, je me suis habituée à cette routine comme tous les autres citoyens. A leur image, mon égoïste trouve son point de chute quand mes proches se trouvent dans une impasse. Qui plus est quand il s'agit de la famille Chu. Je ne suis pas convaincue d'avoir vu Yury pleurer jusqu'à aujourd'hui. Cumulée avec la négativité dont je possède seule le secret, je ne peux que conclure à la grande gravité de cet événement. Si on peut le nommer ainsi ...

Pourtant, je tente de faire fuir cette facilité en gardant un peu d'espoir. Aussi minime, soit-il, j'ose chercher à la transmettre à mon ami. Sans grand succès. Essuyant ses larmes du mieux que je pouvais, je l'interroge indirectement sur le lieu où se trouveraient ses parents. Evidemment, et comme il n'y a aucune exception à ma façon de voir les choses, je me rappelle du décès de mon père. Posant ma main sur sa joue rouge, et malgré tout, humide,je lutte aveuglement contre le mutisme du jeune homme. Alors, je me montre plus insistante. Non pas par curiosité mais pour me préparer à tout et ainsi, mieux l'aider. Lui poser tant de questions, c'est pourtant remuer le couteau dans la plaie, non ? Puis, à l'image de ses larmes que j'avais comparées à des lames, Yury balance un aveu. Il n'y a pas de mot plus figuré pour qualifier son intonation. Elle est morte. Mais qui est ce foutu elle ? Mes yeux s'humidifient, dans un instinct que j'aurais souhaité brouillon, prennent cette couleur rouge que je continue de maudire, jour après jour... Me parlait-il de sa mère ou de ... ? Min Hee ? Ce qui expliquerait pourquoi sa tendre soeur ne soit pas présente ainsi que ... Son absence de réponses à mes messages. Frappé par la stupeur, j'aurais bien envie de crier: pas encore une fois. Ce n'est pas possible ! Mon coeur est à deux doigts de l'implosion. Un long s'installe avant qu'un rire nerveux s'échappe. L'envie de pleurer se fait forcément ressentir mais elle n'est rien comparé à cette colère qui envahit finalement mon être. Je répète sans cesse des non et ce n'est pas possible, à voix haute. Involontairement, j'ai rompu tout contact physique avec Yury. Je le réalise seulement maintenant. Replongeant mon regard dans le sien, je m'assois près de lui et l'enveloppe de mes bras. Je finis par chuchoter alors que mes sanglots assiègent ma gorge sans aucun ménagement. " Je suis désolée. " Désolée que ça t'arrive.. Désolée de devoir prononcer ces mots qui n'ont aucun sens. Des excuses pour quoi au juste ?! Je ne peux pas me permettre de répondre à mon besoin d'hurler pour mieux aller la voir une dernière fois. Est-ce possible ? Est-ce que j'en ai le courage ? Non... Je dois soutenir Yury, comme Min Hee m'aurait demandé de le faire. Mais comment ? Je l'ignore et mes yeux, cette fois-ci, ne parviennent plus à chercher une réponse dans son regard noyé de larmes.  

tu vis un réel cauchemar. tu souffres tellement, c’est insupportable, tout ça ne peut être réel, ça ne peut pas être vrai, tu ne pourras pas continuer de vivre comme ça.. sans elle ? non, elle reviendra, elle va revenir, ou tu vas te réveiller, peu importe, tu ne resteras pas dans cet état, c’est impossible, tu refuses de l’accepter. t’es totalement déconnecté du monde puisque de toute évidence, le monde a décidé de te retirer la personne la plus chère à tes yeux, le monde a décidé que tu devrais vivre seul, sans elle. tu n’as plus envie d’être ici, tu n’as plus envie de faire des efforts, tu n’as plus envie de rien. tellement que même parler en devient un supplice, pourtant, tu te devais de le dire à risae… mais tu ne t’y prends pas de la bonne manière, tes mots sont dures, comme la vie que tu commences à vivre. on peut entendre toute cette souffrance dans tes paroles, tes larmes continuent de couler sans que tu y aies un quelque contrôle là-dessus. respirer en devient même totalement horrible, tu en souffres, elle n’est plus là. elle n’est plus là. si tu lui en veux pour son rire nerveux ? non, pas du tout, encore une fois, tu n’as pas annoncé les choses de la meilleure manière mais tu n’as plus conscience de rien, quand elle te répète que ce n’est pas possible, tu baisses le visage. ton coeur est transpercé, il continue de souffrir, encore et encore, tu ne sais pas comment arrêter tout ça. tu veux te réveiller de ce cauchemar, tu veux que tout ça s’arrête mais ça ne s’arrête pas, t’es prisonnier de cette dure réalité, et ça te rend fou. t’es inerte, la souffrance a pris possession de toi, t’es plus capable de faire quoi que ce soit, juste.. laisser cette souffrance te bouffer, et t’es sur la bonne voie pour te laisser faire. tu sens risae reprendre place à côté de toi, ton visage n’est pas relevé, mais elle vient te serrer tout contre elle. tu aurais sans doute pris la fuite, parce que ce geste te confirmerait ce qu’il se passe réellement ,et que  tout ça n’est pas qu’un douloureux cauchemar mais t’as besoin d’elle. alors tu passes tes bras autour d’elle, craquant pour de bons. tu exploses, tes larmes coulent rapidement sur tes joues alors que tu lâches de légers gémissements de douleur. « c’est moi… c’est moi qui suis désolé. » tu as perdu ta soeur jumelle, tes parents ont perdu leur fille, jinhee a perdu sa soeur, risae a perdu son amie et tout ça.. tout ça c’est de ta faute. oui, tu culpabilises, tellement que tu reprends aussitôt la parole. « c’est de ma faute, elle a pris ma moto.. je n’aurais jamais dû en avoir une. » tu es beaucoup trop jeune et ton père te le répétait, mais toi, tu n’en faisais qu’à ta tête. tu étais borné à l’idée d’en avoir une quitte à attendre des années avant de pouvoir la conduire alors il avait fini par craquer, si tu avais su être patient, minhee serait toujours avec toi. à cette pensée, ton coeur se serre de douleur, se tord dans tous les sens. « min hee est morte risae... » gémis-tu, douloureusement. c’est horrible, atroce. tu ne t’en rends pas compte mais tu lui fais peut-être du mal à elle aussi, seulement là, tu ne te rends plus compte de rien. tu serres risae fort contre toi, t’as pas envie qu’elle t’abandonne, t’es totalement seul. tu te sens seul.

Naïfs sont les gens qui pensent pouvoir s’habituer à de telles tragédies. Vivre un événement où la mort frappe votre famille ne vous rend pas insensible malgré tous vos efforts pour y parvenir. Il ne fait pas non plus de vous un expert en la matière. A la rigueur, on peut essayer de se mettre à la place de l’autre mais j’ose croire que nous sommes tous uniques, c’est cette différence qui nous fait devenir humain. Seulement quelques années me séparent de la mort de mon père. Je me rappelle avoir maudis les mots réconfortants des autres et le conflit personnel dans lequel je m’étais retrouvé. Avoir une épaule sur laquelle pleurer est forcément un avantage sans nom. Certaines personnes ne peuvent pas bénéficier d’un tel sentiment. Mais envoutée par un égoïsme certain voire surtout par une rage profonde pour celui qui avait ôté la vie d’un père de quatre enfants, j’ai passé mon temps à les rejeter. J’ignore si Yury agira ainsi… Mais, je le comprendrais un minimum. Ca sera toutefois à moi de le convaincre que ce n’est pas la meilleure solution. Le truc, c’est que nous avons tendance à le comprendre quand c’est trop tard. Si seulement nous étions plus mûrs, on pourrait réaliser un grand nombre de choses au moment opportun. Mon cœur se serre dans cette vague d’incompréhension. Le jeune homme évoque sa moto alors que ses mots se font rares depuis que je suis tombée sur lui dans la salle d’attente. Se sent-il coupable de ce qui se passait pour Min Hee ? Etait-elle simplement dans un état critique ? Or, toutes ces questions parviennent à avoir une réponse. Celle-ci tombe comme un couperet, même si la voix de mon ami subit les conséquences de ces pleurs qui ne sont plus étouffés. Il me faut plusieurs longues secondes pour réaliser cette sombre évidence. Il me faut toujours plusieurs longues secondes pour que je puisse choisir entre le cœur et la raison. Mais comment faire preuve de retrait quand vous êtes vous-mêmes touchée et visée ? Impossible, il m’est impossible de garder mon sang froid. Yury est en larmes, son monde vient de s’écrouler et mon amie est partie rejoindre un autre monde que j’espère plus serein. A mon tour, j’éclate en sanglots et tremblote. Je laisse cette gamine âgée de ses onze ans refaire surface sans regrets. Je laisse mes plus beaux souvenirs avec Min Hee devenir amers, le temps de me remettre de mon chagrin. Cette sensibilité qui fait éclater ma carapace. Yury avait réussi à la transpercer. Posant ma tête contre sa jambe, j’essuie mes larmes comme je l’avais fait pour lui. La raison tente de remontrer le bout de son nez après cette longue période marquée par les pleurs. Je réagis finalement à son bref récit. «  Comment aurais-tu pu deviner ce qui allait se penser Yury. Notre vie est inondée de danger. » Je relève la tête alors que mes larmes continuent de couler, dans un profond silence malgré tout. « Tu ne dois pas te sentir responsable. » Car ça te tuera. Comme Rin, un peu. Notre mère est morte lors de sa naissance… En plein accouchement.

son monde s'écroulait sous ses pieds. il venait de perdre sa moitié, une partie de lui-même que personne ne pourra jamais remplacer. une partie qui restera sombre et vide à tout jamais. il souffrait tellement qu'au final, il avait du mal à réaliser, pleurer ne la ramènerait pas, l'accepter non plus, et accepter, il ne pouvait pas le faire. comment accepter le fait qu'il ne verrait jamais plus son visage ? qu'elle ne serait plus jamais là pour lui, près de lui, pour le guider, pour franchir les étapes de la vie ? il n'avait que seize ans. seize ans, et on lui retirait sa moitié. il entendait risae, leur amie de toujours, éclater en sanglots. mais il ne pouvait rien faire. la consoler ? il n'était même pas foutu de se consoler lui-même, la scène était encore plus déchirante, ses larmes ne cessaient de couler, il vint même se pincer la lèvre inférieure, reniflant difficilement. qu’est-ce qu’il avait fait de mal ? pourquoi on lui retirait min hee ? pourquoi elle ? risae vint déposer sa tête contre les jambes du jeune homme. bien trop jeune pour subir tout ça. il sentait davantage sa présence, même si ce moment était tapissé de pleurs, de souffrance, quelque part, il n’était pas seul. il ne s’en rendait pas compte, en fait, il ne se rendait plus compte de grand chose à cet instant, et sûrement pas du soulagement que provoquait en lui, la présence de la jeune femme. non, il ne s'en rendait plus compte de rien. pour lui, ce n'était qu'un foutu cauchemar, il allait se réveiller... il allait forcément se réveiller. mais comment pouvait-il souffrir autant ? son cœur était déchiré. au final, cette douleur ne faisait que lui prouver qu'il était dans cette dure et horrible réalité. à aucun moment, yury pouvait cesser de pleurer. ses larmes avaient raison de lui, des gémissements de douleur passaient même la barrière de ses lèvres à certains instants. il n'osait même pas déposer sa main sur le bras de risae, comme si la moindre petite chose était destructrice, comme si le fait de la toucher pouvait la faire souffrir d'autant plus, parce que même s'il en avait pas conscience, au fond de lui, il savait ne pas être le seul à souffrir de cette perte. min hee était sa jumelle, sa moitié. mais elle était aussi la soeur de jin hee, la fille de ses parents, la petite-amie de tadashi, l'amie de risae. mais il gardait sa tête baissée, il était incapable de relever le regard, même lorsque risae reprit la parole pour le rassurer. non, ses larmes continuaient de couler, il secoua même doucement la tête, incapable de reprendre la parole tant les larmes le contrôlaient. il n'avait pas à se sentir responsable ? pourquoi n'arrivait-il pas à la croire ? risae lui avait pourtant jamais menti, mais sa culpabilité était bien trop forte. de nouveau il renifla, laissant ces sanglots rouler le long de ses joues. « j'sais pas c'que j'vais devenir risae. » phrase prononcée avant tant de difficultés, phrase qu'il arrachait de son être. c'était horrible à voir, mais ça se voyait : il ne savait pas ce qu'il allait devenir. elle était tout pour lui, elle le guidait. il allait devoir s'en sortir seul, mais il s'en savait incapable. de nouveau, il éclata en sanglots, articulant difficilement : « qu'est-ce que j'vais faire sans elle. » comme s'il commençait à réaliser, mais c'était loin d'être le cas. il ne pouvait pas réaliser, il ne voulait pas se plier à cette horrible réalité.

la souffrance, cet étrange concept. nous sommes tous dotés d'une sensibilité différente, et chacun est libre de gérer un deuil de la façon qu'il le souhaite. je ne voudrais pas punir mon camarade, le sermonner car il ose pleurer de toutes ses forces. la seule chose que j'ose espérer, c'est que ses larmes soient libératrices mais nos échanges peu nombreux prouvent à quel point la culpabilité le ronge, parmi d'autres émotions. de mon côté, je n'en mène pas large. une vague de sentiments me frappe en plein visage qui devient de plus en plus humide à cause de mes nombreux sanglots et hoquets silencieux. je voudrais tellement rassurer mon ami et qu'il sache que mes mots sont sincères. malheureusement, son constat me brise le coeur. je ne sais pas quoi lui répondre. perdre un proche est un événement horrible à vivre mais sa soeur était son tout, plus que quiconque. nous avons beau une identité propre, chacun d'entre nous. le truc, c'est que les liens que nous tissons avec les autres forment une partie de nous. elle était tout le temps avec lui, c'était sa jumelle, l'enfant de quelqu'un. y a t-il une solution à ce problème ? est-ce que ça passera avec le temps ? non, bien sûr que non. la seule possibilité qui nous est offerte, c'est pouvoir vivre avec, tant bien que mal. je serais bien égoïste et stupide de lui demander une telle chose. il est beaucoup trop tôt. il doit affronter cette horrible vérité. je n'ose pas imaginer l'état de ses parents. d'après les gens, perdre un enfant est certainement la pire des douleurs. beaucoup de couples ont du mal à s'en remettre, d'ailleurs... mon coeur se serre une nouvelle fois, et je constate amèrement à quel point ce sentiment me paraît si commun. je me relève d'une traite et glisse mes bras autour de la taille de yury, qui, a encore la tête baissée. je le serre si fort qu'il pourrait presque éclater. pourtant, je ne suis pas spécialement violente, ni musclée. je crois que ce geste témoigne de ma force de conviction, et surtout du besoin vital de le convaincre lui. " tu n'es pas tout seul. je serais là si tu as besoin de moi. " non pas que j'ai envie de piquer la place de sa soeur. premier point, je n'en aurais pas la prétention. second point, elle ne peut pas être remplacée. cette fille, bon dieu, elle me manque déjà. " tu ne peux pas trouver de réponses à ces questions, yury... pas de suite, en tout cas.  " protège-toi, sois fort.  puis, sois patient.

pourquoi se sentait-il si seul ? il ne l'était pas. il y avait ses parents qui venaient de perdre leur enfant, qu'y a t-il de plus horrible que de perdre son propre enfant ? il y avait sa petite sœur aussi, souffrant de cette situation de son si jeune âge. tadashi, le petit ami de min hee, et tous ses amis, dont risae. non, yury n'était pas seul à souffrir de sa mort, et c'était horrible à avouer, mais il se sentait tout de même abandonné, seul dans cette tragédie qu'avait frappé la famille chu. une partie de son cœur avait été arrachée, une partie de son âme.. sa moitié. il pouvait tout ressentir, yury, il était lié à elle comme les doigts d'une main. inséparables, unis, liés. voilà ce qu'ils étaient, voilà ce qu'ils n'étaient plus. il devait se relever, affronter ça seul. ce moment où il avait besoin d'elle plus que jamais, ce moment où elle n'était plus là. il n'était plus présent. il l'était, physiquement, mais son esprit était ailleurs. le jeune garçon était dévasté, anéanti. aucun mot n'était assez fort pour décrire son état actuel. les paroles de risae lui faisaient pourtant tant de bien. elle serait toujours là, près de lui. bien évidemment, ça n'effaçait rien, absolument rien, mais il pourrait se sentir moins seul. pourquoi ce n'était pas le cas ? pourquoi n'arrivait-il pas à passer au dessus ? il était trop tôt, oui, mais il se répétait qu'il n'y parviendrait tout simplement jamais. il en serait incapable. il acquiesça les paroles de son amie, d'un geste de la tête, bien qu'encore une fois, sa présence était brouillée. il avait l'impression de n'être plus que l'ombre de lui-même, sans elle. aucun son ne sortit de sa bouche, ses larmes continuèrent de couler sans qu'il s'en rende compte. c'était cette souffrance qui avait pris possession de lui. « j-j'vais me réveiller. » murmura t-il, plus à lui même qu'à quiconque. il était perdu dans ses pensées, dans cette douleur impansable. il restait accroché à cette version, ce n'était qu'un horrible cauchemar. il ne pouvait pas réfléchir autrement, il ne pouvait pas accepter cette réalité. « il faut que je me réveille. » reprit-il, toujours d'une voix basse, coupée par ses sanglots. il fixait ce point sur le sol, attitude qui soulignait davantage son éloignement, de ce monde, et de cette réalité. il fallait qu'il se réveille, il fallait que min hee soit là. près de lui, qu'elle ne l'abandonne pas.