Les mains levées au-dessus de la table, tenant celle de sa mère à droite, de son père à gauche, Jae Hyun écoutait ce dernier dire les bénédictions, yeux fermés, tentant de penser à autre chose. Dieu, qu’est-ce que ça pouvait bien être, Dieu ? Il avait lu la bible, avait éplucher toutes les pages de ce livre sacré, nouveau et ancien testament, on lui avait tout donné en plus de ces cours de théologie. Autour de son cou, un pendentif, une croix qu’il avait eu le jour de son baptême, il y a quelques années de cela, peu avant de fêter ses neuf bougies. Parfois, ses yeux se levaient et croisaient ceux de sa sœur assise face à lui, un sourire se formait en coin de ses lèvres. Un sourire charmeur, un sourire pervers qui le faisait rougir. Elle commençait à avoir des formes, des seins, des fesses, son visage se faisait moins enfantin. Progressivement, sa sœur devenait le fantasme interdit. L’air de rien, les mains se déliaient, il offrit un rictus innocent à sa mère qui avait cuisiné ce repas, attrapant ses baguettes pour se sustenter de ce repas qui n’était jamais à la hauteur de ses attentes. Trop fade, trop froid après la prière. Le mauvais goût du Seigneur, sans doute.

On le trouvait bien sous tout rapport. A la sortie de la messe, il entendait souvent au début combien ses parents avaient été courageux, combien ils avaient de la chance d’être tombé sur un enfant comme lui. Adopter un petit garçon de déjà six ans, c’était se risquer à une cause perdue, un gamin dont on ne savait plus quoi faire, un rebelle qu’on ne pouvait plus dresser. Planté là, comme un objet de collection, il souriait, haïssant déjà cette famille qui avait décidé de le prendre lui. Ils savaient qu’ils étaient trois, mais seulement lui. Ils avaient déjà une fille, quatre enfants, c’était trop, même si Dieu l’aurait sans doute approuvé. Au fond, il n’en avait rien à faire, il n’aurait pas forcément envie d’être avec eux, ça l’avait soulagé plus qu’inquiéter de ne pas les avoir dans ses pattes. Son frère et sa sœur étaient rapidement devenus des inconnus pour lui et il avait quitté le foyer sans même leur dire au revoir, bien décidé à, de toute façon, ne plus jamais les revoir.

Que se souvenait-il de sa vie d’avant ? Pas grand-chose. Avec les années, il avait oublié le visage de ses vrais parents, le son de leurs voix. Qui ils étaient. Son passé n’était jamais évoqué, sa famille actuelle tenait à le façonner à leur image, les bons paroissiens, la famille exemplaire. Des enfants gentils et travailleurs, qui ne faisaient pas d’histoire, une mère douce et aimante, là pour prendre soin des petits et de la maison, un père avec un travail confortable et bien payé, dévoué à ramener le kimchi sur la table chaque jour. Les amis de la famille suivait ce même schéma, comme des clones. Jae Hyun n’aimait pas cette uniformité, il détestait le système scolaire Coréen, vouait peu à peu une haine envers cette religion en laquelle il vouait une croyance mitigée, connaissant les versets par cœur, il les répétait parfois par habitude.

On le trouvait silencieux, on le décriait comme timide, comme introvertie. C’était faux, il avait des amis, sortait parfois avec des garçons de « la rue », qui n’étaient « pas fréquentables », en secret, dans le dos de ses parents. Il vivait, faisait ses propres expériences, sentant en lui cette rancœur grandir en réalisant qu’on l’utilisait, en réalisant qu’il n’était qu’un faire-valoir, pour briller en société, pour que sa famille gagne quelques points de plus vers le paradis. Tout cela était hypocrite, était-il le seul à le voir ? On agissait pour plaire, pour s’assurer une place de choix après la mort. Chaque soir, il continuait à tendre ses mains, prononçant parfois les bénédictions lui-même. Lentement, l’idée faisait son chemin, lentement, il trouvait sa vengeance, il trouvait sa façon de détruire cette famille.

Eun Ha était jolie, sans pour autant être vraiment sexy. Elle était timide, suivait les règlementations de la maison, priait tous les soirs avant de dormir. Il n’avait jamais eu de grandes conversations avec celle qu’il devait légalement voir comme sa sœur. Elle était différente de lui, obéissante, dévouée. Elle n’avait connu que ça. Jae Hyun savait que c’était un long travail à faire. Elle était si pure, naïve, un peu craintive. Des regards, des sourires, puis se rapprocher, se chercher. Un jeu pervers s’était doucement installé entre eux, s’imprégnant en lui comme un poison. Il parvint à ses fins une nuit, alors qu’ils regardaient un film, les parents endormis. Il avait vu la honte sur son visage après avoir couché avec elle, ne pouvant retirer ce sourire fier de son visage en voyant cette petite tache de sang sur les draps. Elle paniquait, elle avait peur, elle avait récité plusieurs prières d’affiler.

Mais ça recommença, encore et encore, Eun Ha finit par oublier la honte, gardant ce secret alors qu’ils en redemandaient tous les deux, encore et encore, elle répétait parfois que ce n’était pas si grave que ça. Après tout, biologiquement parlant, rien ne les liait. Biologiquement parlant, ils étaient de parfaits étrangers. Jae Hyun la laissait parler, satisfait de l’emprise qu’il avait développé sur elle. Il avait minutieusement préparé son plan, choisit son moment. La scène avait été trop belle. Eun Ha, à plat ventre sur cette table, hurlant les pires blasphèmes alors qu’il la prenait avec encore plus de passion que d’accoutumée, les parents entrant dans la pièce, de retour plus rapidement que prévu. Les hurlements de leur mère, le choc du père. Un drame familial, l’unité qui se brisait.

Les sourires et la douceur habituels n’existaient plus. Après avoir fini son affaire non sans un sourire profondément satisfait, il entendit sans les écouter, les cris de sa mère qui prenait conscience du mensonge qu’était cette famille depuis le début. Qui réalisait les regrets qu’elle avait d’avoir adopté celui-là, d’avoir voulu sauver un enfant dans le besoin. Eun Ha finit sa scolarité dans un pensionnat pour filles, on le mit dehors le jour de ses dix-neuf ans, vingt en âge coréen, sa majorité. Pour sauver les apparence, on lui donna de l’argent pour se la fermer, partir étudier à Séoul, ne pas revenir, prétendre d’être trop occupé.

Convoqué chez un notaire, c’est là qu’il retrouva finalement son frère et sa sœur biologiques. S’il les avait croisés dans la rue, sans doute ne les aurait-il pas reconnus. Etaient-ils déjà si laids auparavant ? Jae Hyun n’était pas capable de l’affirmer. Des retrouvailles froides et silencieuses, personne ne donnait l’impression d’avoir manqué à l’un ou l’autre. Installés sur des chaises inconfortables dans un cabinet mal décoré, il écoutait finalement le fin mot de son histoire. Leurs parents avaient été assassinés, un meurtre non élucidé pour le moment. Pour toujours, probablement. Cette pensée lui traversa l’esprit, comme une injustice, comme un goût de révolte qui lui dévora la langue. Non sans un sourire satisfait, il écouta le partage de l’héritage laissé par leurs parents dans un testament fait peu avant leur mort, comme si l’éventualité leur avait déjà traversé l’esprit, si jeune qu’ils étaient. Un héritage injuste et mal-partagé. Peu importe, il était le mieux lotie.

Le même suspense tournait dans sa tête, le meurtre de ses parents, une étrange envie de vengeance. Jae Hyun tentait de garder contact avec eux, voulait comprendre, se demandant si ce petit côté dérangeait qu’il traînait venait de là. De ce meurtre, de cette perte. Ses études de médecines l’amenaient sur cette piste, la piste de la génétique, s’intéressant aux mouvements littéraires les traitant quand bien même cela ne valait pas grand-chose. Il était prêt à découvrir la vérité, il aurait tout le temps de vivre plus tard.