Eunjin s’engouffra dans la Mercedes garée sur le parking de l’école. Il était très tôt, mais la chaleur semblait déjà s’être bien levée. Sa sœur la suivit et, toutes les deux, prirent confortablement place à l’arrière du véhicule. Pensive, Eunjin ne prêta pas attention aux propos du chauffeur, fascinée par les paysages qu’ils traversaient tous les trois. Son entrée à l’université marquait mais les souvenirs de ces dix dernières années affluaient par vagues, submergeaient son esprit, étreignaient son cœur.

L'homme, soigneusement plié dans un costume, avec une cravate en guise de nœud, ressemblait à un paquet cadeau au papier sobre. Si l'habit n'avait pas été froissé au cours du trajet qu'il avait précipitamment effectué depuis sa salle de réunion jusqu'à l'hôpital, on aurait pu croire qu'il s'était endimanché pour l'occasion. Assis sur une chaise, dans le couloir blanc, sa jambe tressautait tandis qu'il tapait nerveusement du pied, ses chaussures cirées émettant un petit claquement net en heurtant le revêtement lisse du sol. Les infirmières qui passaient devant lui souriaient tristement en se faisant des chuchotis jusqu’à ce que l’un d’eux ne se dévouent à lui avouer la sentence : Il venait de perdre sa femme et ses filles auraient à supporter l’absence d’une mère durant le reste de leurs vies.

« Je suis vraiment fière de toi, Eunjin. » La voix maternelle de madame Jonhson résonnait encore à ses oreilles. Elle avait rougi sur le coup, intimidée par la main protectrice qui venait d’ébouriffer sa tignasse brune. Les temps de récréation, Eunjin les passait plus souvent à essayer de tenir en équilibre sur une poutre qu’à courir librement dans la cours. Sa détermination juvénile avait depuis longtemps gagné le cœur de Madame Jonhson et elle avait décidé de mettre à profit son temps libre pour entraîner la fillette au potentiel intéressant. De fil en aiguille, la relation des deux sportives s’était empreinte d’une tendresse maternelle surprenante et le sport devint un abri réconfortant pour Eunjin. A la maison l’attendait pourtant chaque soir sa grande sœur à laquelle elle s’empressait de raconter ses journées et chacune de ses avancées. Elle avait aussi un père, au petit soin, un père qui avait été le centre de son monde de nombreuses années mais qui baissait à chaque fois un peu plus dans son estime quand une de leurs « nouvelles mamans » venait à la maison.

« Encore une fois. » L’ordre était tombé sous les regards altérés de ses camarades avant qu’une petite voix n’ose s’élever timidement pour protester. « Mais il commence à être tard, mes parents vont… » la courageuse sembla se dégonfler à chaque mot qu’elle prononçait et le son à chaque fois plus faible de sa voix termina dans un silence pesant et une phrase inachevée. La principale redoutée, malgré sa petite taille, se pencha vers sa partenaire pour répéter son ordre sans une once d’hésitation. « Personne ne quitte tant que vos enchainements ne sont pas maitrisés. » précisa-t-elle pendant que chacune des filles reprenaient son poste. Les murmures mauvais de ses coéquipières ne troublèrent en aucun cas sa concentration et, sans hésitation, la jeune fille pu effectuer chacun de ses mouvements rythmés et planifiés et, finalement, une heure plus tard le gymnase se vida petit à petit pour ne laisser que la capitaine de l’équipe. Seo Eujin avait été nommée capitaine un peu plus tôt dans l’année. Sa détermination, son application et son talent certain l’avaient propulsé rapidement à la tête de l’équipe sans que personne ne remette en cause son statut. Sa dévotion totale envers l’équipe, les heures passées à répéter chacun de ses mouvements l’avaient finalement suffisamment aidé à briller dans ce domaine. Fallait bien dire que depuis toute jeune le sport avait toujours été une échappatoire fidèle et rentable. Le temps passé loin de la maison et la concentration que lui demandait la gymnastique lui avaient toujours permis d’oublier quelques instants qui elle était, d’où elle venait et ce qui lui manquait mais petit à petit un piège invisible s’était refermé sur elle. Le désir d’aller plus loin, le niveau des compétitions, l’attention des médias ; tout ça participait à faire peser une pression à chaque fois un peu plus lourde et constante sur les épaules de l’adolescente. Le départ de Madame Jonhson laissa un vide impossible à remplir. La femme qui l’avait épaulé tout au long de ses années, qui avait vu Eunjin grandir jour après jour, évoluer compétition après compétition, avait finalement décidé de mettre un terme à sa carrière d’entraineuse après être tombée enceinte. A la nouvelle Eunjin n’avait pu qu’esquisser un petit sourire amer et se forcer à féliciter sa partenaire alors qu’elle avait pourtant eu l’impression d’avoir le cœur briser une deuxième fois ; celle qu’elle avait plus d’une fois songer à comparer à une mère avait décidé de l’abandonner pour se concentrer à sa propre famille.

« Vous êtes en train de nous dire que vous arrêtez officiellement votre carrière sportive ? » Eunjin hocha la tête donnant à tout les journalistes la confirmation qu’ils attendaient. Des flashs innombrables crépitèrent devant elle pendant que d’autres questions fusaient les unes à la suite des autres. L’interview dura une dizaine de minutes et dès le lendemain des articles relatèrent sur un ton polémique la fin de cette jeune étoile du sport. Au fur et à mesure des jours des commérages et des interrogations personnelles prirent le relais pour expliquer le départ soudain de la « princesse gymnaste » et le décodage de chacune des paroles prononcées lors de cette conférence éclairèrent la soi-disant relation de la jeune fille avec un garçon ; assez sérieuse pour vouloir consacrer plus de temps à celle-ci et embrasser une vie normale. Les journalistes devenus finalement harceleurs ; Eunjin et son père se mirent finalement d’accord pour livrer une nouvelle explication officielle à la presse publique et ce fut des photos de Jo Raehyun, footballeur de haut niveau, et Eunjin à l’université qui satisfirent les médias. Pour qu’on lui laisse un peu de paix la brune avait accepté de se mettre en scène avec le jeune homme en espérant calmer les journalistes et toutes leurs interrogations. Sauf que celui qu’elle avait d’abord simplement vu comme sa clef de liberté commençait à la piéger petit à petit dans une nouvelle sorte de routine à laquelle elle prenait bizarrement goût…