Ils ne parlaient que de ça. Ils n'avaient que ces mots en bouche, leurs regards pour la dévisager et leurs faux sourires pour enrober leur curiosité mal placée. « Tu nous as caché que t'étais de la party vendredi dernier ! Au bras du nouveau président en plus, chanceuse~ » Elles n'en sont pas à leur coup d'essai et pour le peu que ça l'enchante, Soyi leur file le regard. Froid. Tranchant. Parfaitement désintéressé et qui les incite à aller jouer ailleurs.
Elle n'a plus envie d'y penser à cette soirée. Profil bas. C'est la seule chose qu'elle compte faire ce lundi lorsqu'en arrivant, à peine postée à son bureau, ses cartons sont montés en un rien de temps et ses affaires rangées soigneusement comme on quitterait son premier boulot.
« Soyi-ssi ! Mwo... vous avez déjà préparé vos affaires ? Aish... je savais bien que les murs étaient fins dans ce bâtiment, j'me tue à le répéter depuis des années ! Suivez-moi. Je vous montre votre nouveau bureau alors... vous ne voulez pas discuter de certains points avant de signer ? »
Un carton à bout de bras, elle se laisse entraîner ce qui lui semble un million d'étages plus haut, silencieuse et l'air, sans doute, profondément stupide. Soyi-ssi... Soyi-ssi ? C'est elle. Mais à moins de l'emmener directement à la case Pôle Emploi en guise de Farewell Gift, elle n'a pas la moindre idée de quel bureau il peut bien lui parler.
(...) Le salaire est deux fois mieux payé. (Ok pas compliqué quand on part sur la base d'un salaire de type stagiaire à tendance exploitation.) La banque a fait une erreur en votre faveur, prenez, prenez, c'est cadeau ! Difficile d'y croire, ça ressemble plutôt une mauvaise blague. Assise dans son siège, l'air perplexe et légèrement penchée au-dessus du bureau, elle demande l'air de ne pas y croire. « Excusez-moi... c'est comme ça que vous virez tous vos stagiaires ? » Bon ok c'est plutôt généreux. Ou alors terriblement cruel si l'on considère l'option de lui faire miroiter un avenir pour le plaisir de mieux la voir s'effondrer en le lui retirant. « Virer ? Haha... Hahaha-ha ! Soyi-ssi. Vous êtes très performante mais je ne vous savais pas aussi drôle. » Ah. Elle esquisse un sourire absolument perdu.
Elle n'a pas la moindre idée de ce qu'il se passe mais un entretien d'une heure lui aura suffit pour comprendre que l'aventure n'était pas finie. Comment Ji Hwan le prendrait ? Impossible d'imaginer que cette décision ait été prise en le consultant, lui qui avait émis le souhait de ne jamais la revoir. A présent qu'elle était prête à accepter un poste au sein de son entreprise... était-ce raisonnable ?
Bien sûr que non. Mais elle s'en fichait éperdument.
La signature apposée sur le contrat de travail, elle eut tout le temps de monter un à un ses cartons d'adieu pour les déballer dans son nouveau bureau, à un étage qu'elle n'aurait même jamais suspecté qu'il puisse exister. « Excusez-moi... est-ce que vous pouvez me dire pour qui je vais travailler exactement ? » Sa main effleure le bras de l'homme on ne peut plus secret, mais Soyi le soupçonne de se jouer un peu d'elle avec son sourire malicieux, surtout lorsqu'il glisse une fermeture éclaire sur ses lèvres avant de tourner la clef imaginaire dans le cadenas et la jeter derrière lui.
Mais quel âge il a celui-là, au juste ?
Elle soupire en le regardant partir. « Ahjussi ! Ahjussi !... Quel intérêt de garder le secret ? Il se fiche de moi. Ya, ce n'est pas comme si j'allais travailler pour le président ! » Mais elle se garde bien de ce dernier morceau de phrase largement moins poli lorsqu'il a tourné au coin du couloir.
congrats ! you've been promoted in hell. (♡ jiyi)
Ce soir-là, de retour à la fête, il avait eu le droit à quelques regards curieux. Sans doute n’avait-il pas pu totalement dissimulé combien il était agacé par les événements et la découverte qu’il venait de faire. Sans doute, même dans le plus grand des sourires hypocrites qu’il avait pu offrir, y lisait-on la colère qui bouillait à l’intérieur de lui. Et malgré lui, toute la soirée, toute la nuit et même les jours d’après, il avait revu l’image de So Yi appeler son père, reliant cela à pleins d’indices qu’il aurait pu voir s’il n’avait pas été aveuglé par ses performances.
Il était si rare, pour Ji Hwan, qu’il considère quelqu’un. Si ce n’était sa famille, il avait très peu de personnes à ses côtés à qui il trouvait une valeur – non pas monétaire, mais bien sentimentale. Il y avait très peu de personnes avec qui il était à l’aise, très peu de personnes qui faisaient de leur mieux sans penser que tout leur était permis et tout était fait pour eux. Et si il rencontrait ce genre de personnes, c’était encore plus rare qu’il leur adresse la parole. Il se contentait de penser, tiens, cette personne a l’air bien. Puis il passait à autre chose.
Pourtant avec So Yi, il avait non seulement trouvé admirable les efforts qu’elle mettait dans son travail, mais il avait trouvé ses remarques amusantes, il était allé jusqu’à un peu trop se confier sur ce qu’il ressentait, ce soir-là. Il avait agi comme il n’avait jamais agi en présence de quelqu’un. Il avait confié des choses qu’il avait mis des années à confier à d’autres personnes. Alors de savoir qu’il avait fait confiance à une menteuse l’avait mis à bout. Au fond, ça n’était même pas sa pauvreté le problème, mais ça, il l’avait compris après que sa furie soit passée. Le fait qu’elle ait menti sur son statut social ne la rendait que plus misérable – mais ce qui l’avait vraiment rendu hors de lui, c’était de s’être confié à quelqu’un qui n’avait fait que le mentir.
Qu’avait-elle dû penser de lui quand il l’avait invité à la fête ? Qu’il était tellement stupide, non seulement il tombait dans le mensonge la tête la première, mais en plus il lui offrait un statut que même une vraie riche ne pouvait pas forcément avoir. Oui, il avait dû paraître parfaitement stupide et naïf. Ce simple fait avait fait si mal à son égo qu’il en était devenu fou. Il n’avait été, pendant quelque temps, contrôlé que par la colère qu’il ressentait envers So Yi de l’avoir pris pour un imbécile, et envers lui d’avoir été un réel imbécile.
Alors oui, il lui avait dit qu’il ne voulait plus rien avoir à faire avec elle, et sur le moment, il pensait ses mots. Sur le moment, le simple visage de So Yi lui rappelait l’imbécile qu’il avait été et l’énervait. Mais les heures passants, il avait été un peu plus honnête avec lui. Virer So Yi privait l’entreprise d’une bonne employée. Si pauvre qu’elle soit, ça n’avait rien avoir avec ses capacités et son dévouement. Il n’était pas le genre d’homme à mélanger le privé et le professionnel, il n’allait pas licencier une bonne employée seulement parce qu’elle lui avait menti sur son statut social. Mais il ne pouvait pas non plus laisser cela passer si facilement. S’il ne la virait pas, il lui fallait trouver un moyen pour hanter la vie de So Yi afin de lui rappeler qu’il connaissait son secret, qu’elle regretterait toute sa vie d’avoir menti à Lim Ji Hwan, d’avoir tenu son bras à une party où elle n’avait aucune raison d’être. Alors il y avait réfléchi tout le week-end, à ce moyen de se venger sans se priver des performances de So Yi. Et ça avait fini par lui venir en tête.
Elle savait qu’il connaissait son secret, celui qui le faisait vivre au sein de cette université. Parmi ses proches, sans doute très peu avaient conscience de son réel statut social. En soit, sa vie dépendait totalement de son secret, et par extension, dépendait de s’il révélait la vérité ou non. Sachant que sa vie ne dépendait que de lui, voir son visage tous les jours la rendrait autant anxieuse que la vérité avait énervé Ji Hwan.
« Je veux que la stagiaire Hong So Yi signe un contrat et devienne, dès Lundi, ma secrétaire personnelle. », avait-il ordonné par téléphone. Tout devait être prêt pour Lundi. Il se vengerait en la torturant à petit feu, en la menaçant de révéler la vérité tous les jours. Si elle avait pensé que tout était fini, nous faisait que commencer. Parce que si Ji Hwan ne prévoyait pas de vraiment révéler la vérité au monde – ça lui serait totalement inutile – il savait qu’il avait en sa possession une arme fort utile.
Alors le lundi matin, quand on lui avait annoncé l’arrivée de So Yi à son étage, il s’était levé. Ce n’était plus de la colère mais un désir de vengeance qui l’habitait quand il appela le nom de cette dernière, qui semblait perdue. « Hong So Yi ? » C’était avec malice qu’il avait prononcé chacune des syllabes.
La sensation est agréable ; celle de se lever un matin et de sentir qu'on l'on pourrait avoir le monde au creux de sa main. Si c'est un traquenard, si c'est un rêve, il est bien trop beau pour qu'elle s'en rende compte. Elle a plus de classe que toutes les femmes qu'elle peut croiser dans ces couloirs, peu importe qu'elles ne soient pas nombreuses. Soyi a toute confiance. Elle a trop confiance et c'est bien ça le problème.
Ses ongles glissent sur ses cartons maladroitement fermés, déposés en hâte sur le bureau par des techniciens qui auraient peur d'y croiser le démon. Elle n'y pense pas sérieusement. Qui aurait cru pourtant que l'on accédait aux Enfers par la voie royale ; en y grimpant plutôt qu'en s'y échouant lamentablement.
Les syllabes de son nom glissent à la fois fermes et délicieuses. Un ton qui est froid comme il est malicieux, qui l'oblige à dresser les épaules en même temps qu'elle pivote gracieusement sur ses escarpins. « Oui ! » Elle répond avec entrain et professionnalisme, curieuse de connaître le visage de l'homme ô combien secret ; celui dont l'identité jalousement gardée n'a pas fuitée malgré son indiscrétion quasi insolente.
En toute bonne impression qu'elle aurait voulu faire, le souffle court et le sourire crispé, elle sent l'inquiétude nouer des nœuds dans sa gorge dès qu'elle aperçoit son visage. Peu importe l'homme et peu importe le titre ; il a tout les traits d'un bourreau heureux d'abattre sa victime. Ses traits sont tirés et son regard parvient difficilement à transmettre une seule émotion parmi toutes celles qui l'animent ; lui qui d'ordinaire n'est pourtant pas fichu d'en afficher une seule à la manière d'un robot parfaitement programmé.
Lim Ji Hwan sourit. Or, tout le monde sait qu'il n'est pas du genre à dispenser des sourires par pur esprit de charité. Et Soyi ne saurait dire la signification exacte de celui-ci, sinon peut-être qu'il ne lui inspirait pas la confiance d'un saint. Le loup lui-même lui aurait plutôt conseillé de ne pas rester trop longtemps par ici.
Et reliant petit à petit les points obscures de l'histoire, elle semble comprendre le triste dessein qui vient de l'attirer dans la gueule du requin. La mâchoire pendante, elle ne trouve rien à dire devant la flagrante réalité et pourrait gober les mouches pour un nouveau premier jour de boulot complètement raté.
« C'est un bureau derrière cette porte ? » Elle n'ose même pas lui demander honnêtement si c'est son bureau qui s'y trouve. A sa voix si calme se mélange un soupçon de nervosité qui la trahit. Impossible.
Voir So Yi ainsi décomposée n’avait pas de prix, songea sérieusement Ji Hwan. Il était fier de lui, il avait eu la meilleure idée de vengeance. Voir le visage de la femme tous les jours, lui, ne le dérangeait pas. Il n’avait rien à cacher et voir la tête de ceux qu’ils détestaient quotidiennement était une habitude, puisqu’en tant que fils du Président, il était souvent haï par les employés jaloux. Alors oui, lui, ça ne lui coûtait rien – elle, en revanche, c’était lui rappeler en constance la menace qu’il représentait. Lui rappeler qu’il savait, que rien, absolument rien d’autre que sa gentillesse ne l’empêchait de révéler ce secret à toute l’université. Des contacts là-bas, il en avait encore, et plusieurs – et il pouvait très bien passer par la Trouble Maker. Bref, des solutions pour rendre la vie de So Yi invivable, il y en avait des dizaines – et c’était ce qu’il fallait qu’elle se rappelle en le voyant tous les jours.
C’était aussi un moyen d’avoir une secrétaire compétente. Au moins, So Yi faisait bien son travail et le ferait encore mieux sous la menace de Ji Hwan. Elle ne l’embêterait pas non plus, même s’il ne doutait pas qu’elle ne manquerait pas de lui répondre témérairement de temps à autre comme elle l’avait fait. Elle connaissait Ji Hwan, elle savait que communiquer avec lui était déjà une dure tâche mais le faire quand on était pauvre était impossible. Bref, dans cette situation, il était clairement le gagnant, et si cela pouvait encore plus faire rager So Yi, ça lui plairait davantage.
Il sentit, dans la question de la jeune femme, une pointe d’espoir. Que ce soit un cauchemar, une coïncidence, tant qu’elle n’était pas sa secrétaire, elle pouvait tout entendre. « C’est exact. », se contenta t-il de répondre. « Mon bureau est derrière cette porte. », rajouta t-il, comme si c’était nécessaire d’enfoncer le couteau dans la plaie.
Ji Hwan souhaitait de tout coeur montrer à la jeune femme qu’elle s’en était prise à la mauvaise personne, qu’on ne bernait pas Ji Hwan, qu’on ne lui mentait pas et qu’on ne profitait pas du pouvoir qu’offrait sa compagnie quand on était pauvre. C’était une leçon de vie. Elle s’était prise dans son propre mensonge et autant qu’elle s’était crue invincible quelques secondes, elle était maintenant à sa merci. Mais c’était surtout une vengeance, un moyen de la torturer doucement. Ji Hwan était un pro en la matière – il était très doué au combat, mais plus que les coups physiques, la torture morale était efficace. « Une objection ? » surenchérit-il. Il s’amusait.