Les poings serrés derrière ses manches un peu trop longues. Soyi mord sa langue. Elle la mord si fort qu'elle peut sentir le goût ferreux du sang qui s'en échappe, mais c'est assez pour la dissuader de surenchérir sur quelque chose de bien plus amer, une réponse si salée qu'elle aurait fini par la regretter. "Je devrais peut-être te remercier alors." Pour la pitié qu'elle lui inspire plutôt que pour sa confiance. Alors non, Soyi ne le remercierait pas, ni aujourd'hui ni les jours suivants. Elle exprimerait sa reconnaissance en travaillant de la même manière qu'elle l'avait fait jusque là, si ce n'est plus. Elle se tuerait à la tâche et ferait pour lui tout ce que son poste, dans les termes de son contrat et au-delà à ne pas s'en cacher, lui imposerait de faire. Mais elle ne le remercierait pas. Jamais elle ne lui ferait ce plaisir.
A présent, elle devait se faire à l'idée qu'elle n'était pas seulement l'employé du directeur des finances. Un simple employé se serait contenté de quelques courbettes un peu mielleuses, complètement fausses et tellement exagérées qu'elles demandent à quiconque souhaite en abuser de se délester de son encombrante fierté. Mais Soyi avait le devoir d'être irréprochable. Elle ne pouvait pas se permettre le moindre écart en dehors des discussions purement privées qu'elle partageait avec l'aspirant PDG. Il lui serait sans doute interdit de sympathiser d'un peu trop près avec les membres des comités et autres conseils qui jalonnaient la hiérarchie de la société. Au final, elle était dévouée à Ji Hwan et rien d'autre que sa parole à lui ne pourrait justifier la moindre de ses actions. Elle était enchaînée à lui et dans un sens, lui aussi s'était un peu enchaîné à elle.
Il pourrait faire de sa vie un enfer mais serait contraint de partager secrets et stratégies d'entreprise avec elle. Dans son silence, il devait lui faire bien plus confiance que ce qu'il ne voulait y laisser paraître.
Si ce n'est qu'elle reste sans voix à sa remarque. Ses lèvres s'étirent. Elles laissent s'échapper un silence à bout de souffle qu'elle aurait préféré être une réponse pertinente, en toute honnêteté. Mais rien n'y fait. Elle reste plantée là, évitant d'un regard mal-assuré les sens cachés que son subconscient se satisferait à trouver dans ses quelques mots. Il ne fallait pas être un génie pour deviner qu'un discours trop guindé entre eux n'aurait trompé personne. "Très bien. Faisons comme ça alors." Malgré son ton conciliant, l'empreinte de sa voix garde en mémoire la méfiance que le passé lui a enseigné. "A quelle heure je dois venir demain ? On m'a dit de passer à l'accueil avant de partir pour retirer le badge d'accès au bâtiment."
congrats ! you've been promoted in hell. (♡ jiyi)
Ji Hwan connaissait assez bien So Yi pour voir combien elle s’était retenue de dire quelque chose pour se contenter de dire une phrase courte te simple sans aucune sincérité. Même sans les signes qui lui montraient qu’elle se retenait de dire quelque chose, il l’aurait deviné au simple fait que So Yi n’était pas le genre de femme à répondre à un tel pic par une simple phrase qui allait dans le même sens. Au pire, elle aurait sous-entendu qu’il était celui qui devait être reconnaissant d’avoir la chance de pouvoir embaucher une employée aussi performante que So Yi. « Ce n’est pas vraiment ce que j’attends de toi non plus. », répondit-il honnêtement. Il se fichait complètement qu’elle le remercie ou non et il savait pertinemment que jamais elle ne le remercierait sincèrement. Et même si un jour l’envie lui venait – ce qui était fort improbable – Ji Hwan trouvait que de tels mots vides ne servaient à rien. Un merci n’avait jamais servi à grand-chose concrètement.
Il se rend compte de la réelle portée de ses mots à la réaction de sa future-secrétaire. So Yi sait habituellement plutôt bien caché ses réactions et prendre sur elle mais la surprise était clairement lisible sur tout son visage. Et pour la rendre aussi expressive, il avait sans doute vraiment dit quelque chose qui le trahissait énormément. Enfin, plutôt que le trahir lui, c’était le masque du patron qui cherchait la vengeance qu’il venait de trahir.
D’un autre côté, Ji Hwan n’avait fait que dire la vérité. Ce n’était qu’une question de temps avant que les gens chuchotent dans les couloirs que les deux se connaissaient avant et que l’embauche de cette dernière n’était pas une coïncidence. Beaucoup sauteraient rapidement à la conclusion que c’était du piston et qu’elle ne méritait pas son poste. Et à la base de toutes les rumeurs qui ne tarderaient pas à animer les conversations de l’entreprise, il y avait une vérité indéniable, celle du lien qu’ils avaient entretenu avant que le mensonge de la jeune femme soit révélé. Ji Hwan pouvait faire de son mieux pour essayer d’oublier cette période de sa vie, ça ne servait à rien. Il avait trouvé en So Yi, à cette époque, quelque chose qu’il n’avait jamais trouvé chez quelqu’un d’autre – et il avait beau avoir essayé sans cesse d’oublier tout ça parce que le simple souvenir de s’être fait berné le frustrait énormément, il n’y était pas arrivé. Il ne pouvait donc pas entretenir de simples relations professionnelles avec elle. Ça l’agaçait lui-même de l’admettre mais il fallait être honnête, c’était la pure vérité. Il supporterait difficilement le visage de So Yi lui faire un sourire hypocrite, le corps de cette dernière s’incliner poliment face à lui, et sa voix lui faire des faux compliments. C’était ce que faisaient tous les autres employés mais la simple image d’elle en train de le faire le dégoûtait presque. « Les employés embauchent tous à huit heure. » répondit-il simplement.
La conversation semble se tasser. Ils ont toujours eu ce verbe bavard l’un en la compagnie de l’autre. Ce besoin de prendre le dessus sur l’autre et d’avoir le dernier mot pour ne pas être laissé en reste. Avant, la magie opérait par pur esprit de taquinerie, peut-être un peu de flirt aussi. A présent, la joute est réelle. Elle met à mal leurs moindres faiblesses cherche à se venger des erreurs du passé ; les mensonges éhontés de l’une et l’implacable élitisme de l’autre. "Bien." Répond-elle, suffisamment sèchement pour qu’il n’ait pas l’idée de la relancer. D’un pas nonchalant, quasi-mécanique, elle rejoint la porte de sortie de son bureau et s’incline avant de pivoter, sa main attrapant délicatement la poignée qu’elle enclenche avant de s’arrêter sur le seuil. "Félicitations pour la promotion." Elle est toujours de dos mais son visage lui est légèrement tourné vers lui. A ses lèvres un sourire difficile à cerner ; sincérité ou sarcasme, elle-même ne pourrait pas le dire bien que ses épaules légèrement secouées par un soupir amusé feraient pencher la balance en faveur du dernier. "Alors, à demain. Monsieur le Président." Dans un coup de vent, la porte se referme derrière elle. Et la joie qu’elle se faisait d’avoir enfin trouvé un travail qui promettait de la sortir de la précarité avait disparu.