Mon cœur était brisé. C’était ce que je ressentais au plus profond de moi alors que cela faisait des heures que j’errais sans fin dans les rues de la ville et mon cœur ne cessait de mourir à chaque minute un peu plus. Il m’avait quittée… J’avais fait la plus grosse erreur de toute ma vie… et maintenant j’avais perdu celui avec qui je voulais la passer. A quoi bon vivre ? C’est la question qui avait fini par naître dans mes pensées désespérées. Je n’avais plus aucune envie d’avancer mais aucune envie de m’arrêter. Na Rae, la jeune fille pleine d’énergie, souriante et douce, avait disparu ce soir-là, elle s’était éteinte et ça se lisait dans mon regard. J’étais un fantôme, personne ne se retournait lorsque je bousculais, personne ne me regardait lorsque des larmes roulaient sur mes joues. J’étais dans un état proche de la mort, je me sentais morte. Eui Geon me manquait, ses sourires étaient perdu, ses regards tendres ne se poseraient plus jamais sur moi et ses mains sur mon corps ne m’enlaceraient plus. Il me manquait et un jour n’était même pas encore passé depuis notre rupture. Il me détestait à présent et j’en souffrais chaque seconde. Je n’avais que son nom en tête, ses traits déçus, tristes, en colère, aucun sentiment positif envers moi. Il n’en aurait plus jamais et ça je ne le savais pas encore… Qu’avais-je fait ? Qu’avais-je posé comme geste par peur ? Pourquoi avais-je osé voir un autre garçon alors que celui que je voulais m’aimait déjà plus que tout ? Et je me retrouvais seule, à moitié moi-même, plus vide que je ne l’avais jamais été. Qu’allais-je devenir ? J’étais plus perdue que jamais, dans mon cœur, dans mon esprit et dans cette immense capitale que je ne connaissais pas si bien que ça.

Et ce fut dans ce labyrinthe de tristesse et de solitude qu’une voix m’attint, une voix claire, une voix qui guida mes pas. Non, ce n’était pas Eui Geon, je rêvais que ce soit Eui Geon mais jamais ça n’aurait été lui. Je connaissais cette voix, c’est pour ça que je l’ai suivie ce jour-là. J’avais besoin de voir un visage familier, entendre une voix que j’avais déjà entendue, j’avais besoin, terriblement besoin de ne plus être seule. Je marchais et je ne savais pas vers quoi, vers qui, où allait m’emmener cette voix qui chantait des mélodies que j’aurais aimé dans une autre situation... Je me rapprochais, chaque seconde un peu plus et pourtant mon pas était lent, sans que la voix ne se taise. Je tournais encore sans savoir si j’allais dans la bonne direction, si j’allais enfin rencontrer cette voix. Mais elle était là, enfin j’y étais, les yeux encore larmoyants de la tristesse qui ne me quitterait pas ce soir. Alors je le vis. Celui qui chantait. Je ne le connaissais que de vue, que grâce à ses chansons et sa voix que j’avais déjà entendue par le passé de la même façon que ce soir-là. Je m’approchais, essuyant de ma manche les larmes qui étaient rapidement remplacées par d’autres et cela indéfiniment. Mes yeux fixaient le garçon et déjà sa chanson se terminait alors que je venais d’arriver pour le regarder de mes yeux rouges, larmoyants et mon cœur brisé.

J’applaudis. Ce fut tout ce que j’étais capable de faire.

Isaac était véritablement de ceux drogués par la musique. Son esprit était la plupart du temps occupé à réfléchir à de nouvelles paroles, de nouveaux rythmes. Même lorsqu’il dormait, il lui arrivait d’avoir des éclairs de génie, pour dire ! C’est pourquoi il ne désespérait jamais de parvenir à atteindre son but ultime : vivre convenablement de sa passion. Alors certes, cela faisait maintenant quelques mois qu’il jouait dans les rues de la capitale sud-coréenne, devant un public complètement aléatoire, allant d’un petit groupe de collégiennes/lycéennes à un gros groupe de touristes. Pourtant, il vivait pour ce genre de moments, où sa voix et sa musique touchaient les gens. Le métisse n’avait nullement honte de se produire sur des marches d’un coin de rue. Au contraire, même ses proches ne cessaient de lui répéter qu’il fallait du courage pour oser affronter ainsi la foule. Alors, ce soir-là encore il chantait quelques unes de ses compositions avec plaisir. Il se laissait complètement emporter dans son rôle, un sourire de bonheur au visage. Ses spectateurs étaient pour une fois actifs, n’hésitant pas à le suivre sur les refrains ou suivre le rythme avec leurs mains. Un plaisir sans nom pour Isaac. Et durant sa dernière chanson, alors que son regard parcourait les inconnus face à lui, ses yeux se posèrent sur un visage familier, qu’il appréciait. Mais fois-ci, il ne portait pas cette douceur habituelle. Non, c’étaient des larmes qui coulaient le long de ses joues légèrement rosées. Cette demoiselle, sans même connaître son prénom, venait de lui serrer le cœur. Tant de questions se bousculaient alors dans son esprit, mais heureusement pour lui, le métisse ne tarda pas à arriver à la fin de son morceau. Remerciant donc les personnes qui le félicitaient et l’applaudissaient, il vit au loin la jeune femme s’éloigner. Non. Il ne pouvait la laisser ainsi. Alors, il se pressa de ranger son micro et sa guitare, et une fois le tout sur son dos il couru aussi vite que possible pour la rattraper, lui attrapant néanmoins délicatement le poignet pour la faire s’arrêter. « ... ». Elle se retourna, étonnée de ce geste, et lui prit quelques secondes pour retrouver son souffle. « Viens, on va manger ensemble. ». Vu l’heure qu’il était et son état, elle ne devait probablement pas avoir dîné. Et puis, qui dit restaurant de rue, dit alcool, si jamais cela pouvait lui faire du bien… Ce fut donc ainsi qu’Isaac emmena d’une manière tout à fait saine et protectrice cette fan récurrente en direction d’un petit restaurant de rue, réellement soucieux de son état.

La chanson s’était terminée trop vite, comme ma relation avec Eui Geon, cette pensée me brisa à nouveau le cœur et les larmes glissaient à nouveau sur mes joues. Il avait déjà fini de chanter et il s’agissait de toute évidence de sa dernière chanson. Le vide revint en moi, la solitude également et je décidai de partir, de m’éloigner du public, des gens, de m’isoler à nouveau. Je ne voulais pourtant pas être seule, je voulais être auprès de lui mais je ne serais plus jamais avec lui. Na Rae n’était plus. Je ne me sentais plus moi-même. J’avais perdu mon cœur, je pensais ne plus jamais le retrouver et j’étais celle qui était la cause de cette douleur. Si je n’avais pas vu cet autre garçon, jamais tout cela ne serait arrivé et je serais toujours avec Eui Geon… Mais je savais que je ne pouvais pas revenir en arrière, ce que j’avais fait était fait et par ma faute, j’avais perdu l’amour de ma vie. Je recommençais donc à errer dans la ville avec ce silence revenu trop vite…

C’était ce que je ressentais jusqu’à ce qu’une main se pose sur mon poignet. Je sursautai et manquai même de hurler alors que je m’étais retournée au quart de tour. Il s’agissait du chanteur que je venais de voir. Je le regardais longuement, sans comprendre pourquoi il m’avait retenue puis tentais de me reprendre. J’essuyais mes yeux de mes manches en reniflant bruyamment et de manière peu gracieuse mais dans l’état où j’étais, ce n’est pas ce qui m’importait le plus. J’avais beau essuyer mes joues, les larmes ne cessaient de couler, c’était peine perdue et je baissais la tête, trouvant cela insupportablement gênant et je ne voulais pas qu’on me voit comme ça. Il m’annonça soudainement que nous allions manger ensemble et je relevais des yeux surpris vers l’inconnu. Une peur fraya son chemin dans mon cœur, est-ce qu’il souhaitait profiter de la détresse d’une jeune fille fraîchement quittée par son copain ? Pourtant, comme je le regardais au travers de ma vue floue, je ressentis pour la première fois depuis Eui Geon qu’il n’avait pas de mauvaises intentions sans même le connaître. Il m’entraîna malgré moi dans une direction que je ne connaissais pas et je continuais de sangloter avant de m’arrêter en essuyant pour la énième fois mes larmes.

-J… Je crois… q-qu’il v-vaut m-mieux que je r-rentre chez m-moi…

Je bégayais à chaque mot que je prononçais. Pitoyable, c’était ce que j’étais mais je ne pouvais pas m’en empêcher puisque je repensais encore et encore à lui… Il me manquait affreusement et je ne savais pas comment je pouvais survivre sans son sourire à mes côtés. Et il y avait ce chanteur de rue sorti de nulle part qui me proposait de manger avec lui… Pourquoi ? Je n’avais pas la force de parler davantage mais je savais déjà que personne ne voulait passer sa soirée avec quelqu’un dans mon état.

Isaac n’avait pas pour habitude d’aborder des inconnus ainsi. Il était davantage celui qui se faisait interpeller, non pas par un manque de sociabilité mais simplement pas conscience. Celle de ne pas déranger autrui. Alors, cette jeune femme qui était en larmes, il aurait du la laisser partir, comme il le faisait à chaque fois avec les spectateurs qui avaient assisté à ses représentations. Mais ses larmes l’avaient touché, droit au cœur. Il sentait que s’il ne la poursuivait pas, la demoiselle allait faire quelque chose qu’elle regretterait plus tard. C’est ainsi qu’il se retrouva, guitare dans le dos, et sac dans une main, à courir auprès de cette inconnue, pour finalement lui proposer – ou plutôt, lui imposer – de manger ensemble. Ils firent quelques mètres avant qu’elle ne l’arrête, toujours en sanglots. Elle désirait rentrer chez elle, ce n’était pas étonnant. Avait-elle peur de lui et de cette proposition sortie de nul part ? Ou bien était-ce de la honte d’être dans cet état devant lui ? « Je t’offre le repas, et je te raccompagnerai après. Il commence à se faire tard. ». Non pas que le métisse soit de ces hommes misogynes qui pensent qu’une femme n’est pas possible de se défendre seule, mais dans l’état où elle se trouvait, il ne pourrait faire autrement que de s’inquiéter pour elle si elle venait à partir sans lui. Sortant de la poche de sa veste un paquet de mouchoirs, il le lui tendit et lui glissa d’une voix douce : « N’ai pas peur de moi. ». Et puis, la délicieuse odeur des stands de rue ne lui donnait-elle pas faim ? Elle releva la tête, et leurs yeux se rencontrèrent de nouveau. Isaac esquissa alors un petit mais chaleureux sourire, avant de la laisser sécher ses larmes. Et ainsi, après un hochement de tête de la jolie brune, ils reprirent leur chemin vers un des petits stands ne se tenant pas très loin, choisissant un coin où elle de dos ne laisseraient pas les autres clients voir ses yeux rougis. Il lui tendit l’un des deux menus : « Commandes ce que tu veux. Nourriture comme boisson. ». Et bien entendu, l’alcool était comprit dans la proposition.

Je voulais m’échapper de cette situation, m’en aller, me perdre dans cette ville devenue trop grande et trop petite pour moi. Pourquoi m’avait-il suivie ? Ce n’était pas le jour, pas le moment, s’il voulait parler à Na Rae, il aurait dû venir un autre jour. Je n’étais qu’une épave, un cœur brisé, des yeux rougis et gonflés, des larmes qui ne cessaient de couler. Je lui disais que je voulais rentrer mais ce n’était pas mes réelles attentions. Je voulais m’enfuir, aller loin pour continuer de pleurer, aller loin pour être sûre que cet homme ne puisse pas me faire de mal. J’étais un mélange d’émotions négatives, de tristesse, de panique, de peur. Il insistait pourtant, il m’annonça qu’il m’offrait le repas et qu’il me raccompagnera après. Je levais les yeux vers le ciel déjà sombre et pleurais à nouveau. Il m’avait quitté il y avait plusieurs heures de cela et mon cœur en miette ne cessait de me le rappeler.

-Non, je… je ne veux pas… je…

Il sortit un paquet de mouchoirs de sa poche et je le regardais plusieurs secondes avant de le prendre du bout des doigts. Il me dit alors de ne pas avoir peur et je fixais mon regard dans le sien en essuyant mes yeux pour pouvoir mieux le voir. Il me souriait légèrement, je devais faire pitié pour qu’il refuse de me laisser m’en aller. J’essayais de reprendre contenance, je me mouchais et essuyais à plusieurs reprises mon regard humide. J’avais compris qu’il n’abandonnerait pas alors je hochai la tête et acceptai de le suivre. N’aie pas peur de moi… L’homme que j’avais aimé à 17 ans m’avait soufflé la même chose avant de me violenter… Est-ce qu’il comptait me faire subir le même sort ? Des larmes de peur remplirent mes yeux et je baissai la tête pour les cacher. J’étais sensible à tout ce qui m’arrivait bien plus que je ne l’étais d’habitude. Je le suivais sans rien dire, j’essayais de calmer ma respiration saccadée. Il choisit alors un endroit et nous étions placés de sorte que les clients ne puissent pas voir mon visage détruit par la tristesse. Il me tendit le menu, je le pris fébrilement et osais à peine regarder le jeune homme. Il me poussait à choisir ce que je voulais et j’essuyais encore mes yeux avant de le regarder. Dans mon état, je voulais choisir de l’alcool, je voulais oublier tout ça, ne plus pouvoir y réfléchir mais j’étais seule et face à un inconnu qui ne m’avait aucunement prouvé que je pouvais lui faire confiance. J’avais envie d’abandonner toute peur et de penser qu’il ne me ferait pas de mal. Je sanglotais et levais mon regard vers lui, je ressentais mille douleurs, celle de la rupture et celle, physique, que m’avait infligé un garçon en qui j’avais fait confiance avant qu’il ne me brise en me… Je passai une main dans mes cheveux puis sur mon visage et je le regardais longuement en tentant de me redresser, brisée mais toujours méfiante.

-Pourquoi… Pourquoi est-ce que je te ferais confiance… ? Tu as l’air de vouloir me protéger mais… mais qui me dit que tu ne vas pas me faire de mal ?

Isaac ne comprenait pas vraiment ce qu’il lui arrivait, en dehors du fait que cette demoiselle m’avait touché droit fans le cœur. Ce n’était nullement son habitude de se mêler des affaires des autres. Chacun a sa vie, avec ses hauts et ses bas. Alors pourquoi elle ? Pourquoi ces larmes plutôt que d’autres ? Il n’en savait rien. Il avait, pour l’une des rares fois de sa vie, agit avant de réfléchir. Alors il se retrouvait ainsi, en pleine rue, à tenter de convaincre cette inconnue en pleurs sans passer pour un psychopathe ou un détraqué sexuel. Il voulait simplement l’apaiser. Et que ce si beau sourire qu’il avait eut jusque là la chance de voir retourne sur son doux visage. Le métisse réussit plus ou moins habilement, forçant malgré lui la jeune femme, même si au fond il savait qu’il faisait quelque chose de bien. La laisser seule n’était vraiment pas la chose à faire. Il lui choisit la place la plus discrète tout en lui assurant que tout ce qu’ils allaient consommer était pour lui. Elle n’avait qu’à se détendre, oublier, pleurer, crier, bref ; ce qu’elle voulait. Mais l’inconnue lui demande une preuve de sa bonne foi, ce qui était tout à fait compréhensible. Clignant un instant des yeux, il eut un léger bug : que pouvait-il bien lui montrer ? Il n’avait sur lui que sa guitare et son matériel de chant… Éclair de génie ! Se penchant sur son sac, il l’ouvrit et en sortit son passeport bleu ; son passeport américain. Il le lui glissa sur la table, et son épaisseur peu commune laissait comprendre ses nombreux tampons et laisser-passer, souvenirs de son tour du monde. « Tu peux prendre en photo la page avec ma photo et mes informations. ». Ainsi, elle n’aurait qu’à l’apporter à la police si quelque chose se passait. « Je n’ai rien de mieux à te proposer... ». Levant finalement le bras, il commanda deux bières et une bouteille de soju, ainsi que des teokbokki. Isaac avait remarqué que c’était ce genre de choses que les coréens commandaient le plus souvent lors d’évènements comme celui-ci. Son regard se posa de nouveau sur la demoiselle, qui sembla étonner face à ce passeport étranger qui détonnait avec le visage si asiatique du chanteur.

Mon cœur était brisé mais je n'en oubliais pas ma méfiance envers les garçons. Celui face à moi était trop gentil pour que ce soit vrai, je n'arrivais pas à croire qu'il ne me veuille que du bien. Alertée par son insistance pour manger avec moi, j'étais obligée de tenter de me calmer pour me protéger. J'aurais préféré qu'il me laisse rentrer chez moi et m'enfermer dans cette bulle de tristesse qui veut engloutir tout mon être et cela, pour toujours. J'avais trouvé un réconfort en entendant sa voix mais je ne voulais pas qu'il me remarque, voulant juste me contenter d'être un fantôme regardant les autres sans qu'on le regarde. Souhaitait-il que je lui offre une confiance aveugle? C'était impossible pour moi, la confiance n'existe jamais vraiment même quand on veut le croire. Je vois que mes questions ont surpris le jeune homme que j'ose à peine regardé à travers mes larmes. Il se penche alors pour attraper quelque chose et j'ai un mouvement de recul avant de soupirer de soulagement alors qu'il me tends son passeport. Je prends celui-ci entre mes mains et l'ouvre sur sa photo et ses informations suite à sa proposition. Il semble vraiment vouloir m'apaiser et je sors fébrilement mon téléphone pour prendre le passeport en photo. Tremblante, j'étais certaine que le résultat n'était pas très convaincant mais je n'y prêtais pas vraiment attention. C'était une preuve de bonne foi suffisante.

-Merci...

Je m'apprêtais à le lui rendre quand je fus sans le vouloir attirée par les informations sur le petit carnet. Passant le dos de ma main sur mes yeux pour mieux voir, je laissais ma peine de côté pour la transformer en curiosité. À côté du visage du jeune coréen se trouvait un prénom loin d'être asiatique et une nationalité tout aussi étrangère. Je levais un regard intrigué vers le prénommé Isaac, essuyant à nouveau mes yeux pour me permettre de le voir sans encombre.

-Tu n'es pas coréen...?

Je me doutais de la réponse mais j'étais trop étonnée par ce que je venais de découvrir. Isaac, américain aux traits à 100% asiatiques. Je ne trouvais pas sur son visage de quoi le relier avec l'Amérique. La surprise devait se lire sur mes traits mais je ne pouvais pas la ravaler, mes émotions ce soir-là étaient impossible à dissimuler et même si j'aurais dû avoir honte, je n'avais pas envie de penser à cela. Je regardais à nouveau le passeport puis Isaac puis de nouveau le passeport et restais longtemps bouche-bée. Cette rencontre, sans que je ne m'en rende compte à ce moment-là, avait dès l'instant où il a gagné une partie de ma confiance réussi à me changer les idées. Je cessais un peu de pleurer malgré quelques dernières larmes qui s'échappaient encore de mes yeux. Il avait commandé des teokbokki et des boissons et sans le dire, je lui en étais reconnaissante.

-Comment est-ce qu'on prononce ton prénom? I-Iz...? Izaku?

Isaac avait de nouveau une preuve qu’il devait continuer ses effort pour intégrer les mœurs coréennes, et calmer ses origines qui le rendaient bien plus… proches des inconnus. En effet, à part dans les dramas à l’eau de rose, qui donc poursuit les jeunes femmes en pleurs à part les psychopathes ? Il avait vraiment eut de la chance que la demoiselle ne se mette pas à hurler en plein milieu de la rue… Dans tous les cas, puisqu’elle désirait une preuve de sa bonne foi, il n’eut d’autres choix que de lui laisser son passeport, bien qu’il n’y voyait pas de problème puisqu’elle ne semblait pas être une voleuse – ça serait un comble, tout de même ! La chanteur la laissa s’en saisir et en profita pour leur commander de quoi boire et manger, à la coréenne. Et son regard se reposa ensuite sur la jolie brune, dont l’expression du visage avait changé, pour passer de la tristesse et de la peur à la surprise et la curiosité. Et c’était tout à fait compréhensible. « Je suis américain. Ma mère est canadienne, et mon père coréen, mais je suis né là-bas. ». Et autant dire qu’il avait principalement prit des gênes de son père, ce qui ne le dérangeait pas vraiment. « Je suis arrivé ici il y a quelques mois. ». Voilà qui expliquait certes son coréen parfait, mais aussi ses lacunes avec les mœurs du pays. Isaac retint alors un rire lorsqu’elle tenta de prononcer son prénom : là, c’était plutôt la version japonaise qu’elle faisait ! Se pinçant les lèvres et esquissant un sourire attendrit, il finit par hocher négativement la tête. « A-i-za-k. ». Il le prononça de cette façon découpée, avant de le dire d’une traite, normalement. Et c’est ainsi que leurs commandes arrivèrent, et qu’il prit l’initiative de leur servir les bières mélangées au soju, comme ses amis lui avaient montré. « Et toi ? Comment tu t’appelles ? ». Tendant son verre pour trinquer, Isaac gardait son léger mais sincère sourire au visage, priant qu’elle accepte de lui fournir cette information.

J’avais pu me donner cette respiration grâce au jeune homme, ce moment où je n’avais plus trop envie de pleurer et où mes pensées n’étaient plus fixées sur la rupture qui contribua à ruiner une partie de ma vie. Le garçon en face de moi avait dû prendre pitié devant mes larmes pour réagir de cette façon mais je l’en remerciais silencieusement. Je n’avais pas vraiment eu envie d’être seule en l’étant pourtant complètement et lui était arrivé au moment opportun avec sa voix, avec sa gentillesse. J’avais pu détourner ma tristesse et la transformer en curiosité, je savais que ce moment où je me sentirais « mieux » ne durerait pas mais il me faisait du bien tout de même. C’était comme si je me trouvais dans une autre dimension pendant quelques précieuses minutes et c’était cet inconnu qui m’y avait emmené. Je m’étonnais alors sur la nationalité inscrite sur son passeport et le chanteur confirma rapidement qu’il était américain malgré une mère canadienne et un père coréen. Mes sourcils se haussaient légèrement alors que les traits étrangers ne se lisaient pas du tout sur son visage.

-Tu tiens tout de ton père alors ! Je n’aurais jamais pu dire que tu es américain !

J’esquissai un sourire détonnant un peu sur mon visage encore humide de larmes et de tristesse. Je prenais donc un mouchoir et essuyai rapidement mes yeux pour avoir l’air plus présentable… moins triste. Je me mordillais la lèvre déjà rougie et me permettais encore d’être curieuse mais en apprendre plus sur lui, sans raison apparente, m’apportais un réconfort, une distraction dans une rencontre des plus inattendue. J’avais envie d’entendre sa voix me répondre comme si c’était elle qui me permettait de tenir, de ne pas continuer à m’effondrer encore et encore en repensant à lui…

-Ce n’est pas trop indiscret de te demander pourquoi est-ce que tu es venu en Corée ?

Je posais ensuite mon regard sur son passeport et y découvris son prénom : Isaac. J’étais perplexe, je devais bien l’avouer et je n’osais pas trop me lancer dans une prononciation désastreuse de son prénom. Au point où j’en étais, je savais que ce n’était pas le pire alors je tentai quand même en lui demandant de me corriger puisque les chances que ma prononciation soit correcte étaient minimes. C’était plus fort que moi, mon accent japonais était ressorti lors de la prononciation de son prénom et cela provoqua sur son visage un léger sourire. Était-ce de la moquerie ? Je n’en savais rien mais j’avais plutôt envie de croire qu’il était simplement amusé devant cette prononciation nippone. Il me corrigea alors et je hochais la tête en mon concentrant pour bien retenir la façon de le dire.

-A-i-zak… Aizak !

Je répétais deux fois pour m’habituer à ce prénom étranger avant que les commandes n’arrivent et je laissais à Isaac le soin de servir les boissons. Il semblait tout à fait habitué aux coutumes coréennes malgré son arrivée relativement récente et j’étais admirative. Il me retourna alors d’un coup la question sur mon prénom et je me suis rendue compte que lui n’avais pas eu accès à mon passeport ou une pièce d’identité et ne pouvait pas savoir mon nom. Je le regardais longuement alors qu’il tendait son verre pour trinquer, j’hésitais encore et cela même devant le visage chaleureux et souriant d’Isaac. Je pinçais les lèvres avant de prendre mon verre en main et de le faire tinter contre le sien en ancrant mes yeux un peu rougis dans les siens.

-Je m’appelle Na Rae…

Isaac avait l’habitude de ce genre de remarques sur sa nationalité, et pour tout vous dire, il en avait pleinement conscience. Voilà pourquoi cela ne le braquait pas, ou ne le touchait pas. Ces personnes avaient raison : ses traits étaient entièrement asiatiques ; peut-être sa couleur de peau, très laiteuse comme les occidentaux. Mais il en était fier, de ses yeux en amande et de son nez un peu large. Il n’avait jamais eut honte de son métissage, et au contraire cela avait toujours été une force pour lui. « En effet, si je parle coréen, on pourrait me prendre pour un menteur. ». Pourtant, le chanteur avait tout de l’américain, sauf peut-être l’amour pour les hamburgers bien gras. Mais il n’allait pas se mettre à parler anglais devant la demoiselle pour lui faire écouter son accent chantant et friendly. Ou bien encore français ; même s’il ne l’avait pas pratiqué depuis un moment. La regardant s’essuyer les yeux, Isaac fut agréablement surprit qu’elle ose poser des questions sur sa vie. Mais si cela pouvait lui faire oublier la raison de ses larmes, alors il lui répondrait sans problème. « J’avais finit le lycée, et ma tante et mon cousin sont venus s’installer ici suite au décès de mon oncle. Un retour aux sources, pour elle en tout cas. Je voulais découvrir ce pays, mon père m’en a souvent parlé quand j’étais petit. Et je ne voulais pas les laisser seuls, surtout Elijah. ». Ce cousin qu’il considérait comme son réel petit frère. Il lui montra alors l’épaisseur de son passeport. « Je suis resté quelques mois ici à Séoul, avant de partir faire un tour du monde, d’environ 18 mois. Et je suis rentré il y a peu. ». Voilà, à présent la jolie brune avait toutes les bases concernant la vie d’Isaac. C’était sûrement intime pour les coréens, tout ce qu’il venait de lui raconter, mais lui n’avait aucun problème à évoquer ce genre de choses. S’en suivit une adorable tentative de prononciation de son prénom par l’inconnue, et il hocha la tête pour lui assurer qu’elle l’avait désormais bien apprivoisé. Même si un léger accent demeurait, ce qui, n’allons pas le cacher, lui donnait un charme tout particulier. Tous deux verre en main, ils trinquèrent enfin et il apprit son prénom. Na Rae. C’était doux, tout comme elle visiblement. « Enchanté, Na Rae. ». Un chaleureux sourire, et les voilà tous les deux à prendre une longue gorgée de leur alcool. Son verre de nouveau posé sur la petite table, il se saisit d’un tteobokki et l’avala avec plaisir. Il poussa ensuite les assiettes davantage vers elle. Qu’elle mange, qu’elle ne se prive surtout pas. « Je t’ai souvent vu m’écouter. Mes chansons te plaisent ? ».