Je sais que c’est stupide. Arrêter des études après s’y être consacrée un moment, changer d’avis du tout au tout… La vérité, c’est que j’ai finalement compris, après tout ce temps, que cette personne que je montre aux autres… C’est pas moi. J’aime me préparer, me faire belle, faire des efforts ridicules, mais ce que j’aimerais avant tout, c’est être capable d’aider les autres, de venir en aide à ceux qui, comme moi, on dû traverser une situation difficile. Mais j’ai encore beaucoup d’efforts à faire, et c’est le cœur serré que je m’arrête au fond de la file d’attente du secrétariat de cet établissement. C’est pas l’université. C’est sûrement pas aussi prestigieux et impressionnant que les études que Jaein a faites… Mais je sais qu’il me soutient malgré tout. Il comprend.

« T’es sûr que j’ai les prérequis qu’il faut ? » Je lui demande, inquiète, mon dossier serré contre moi. Je n’ai jamais été très douée pour les démarches administratives, et même si Taein aurait peut-être été plus à même de m’aider à ce niveau, c’est en Jaein que j’ai le plus confiance. Alors c’est lui que j’ai traîné avec moi, un peu sans lui demander son avis. De toute façon, si ça ne lui plaisait pas, il me l’aurait dit, pas vrai ? C’est bien son genre de l’ouvrir pour geindre quand un truc ne l’arrange pas. « J’ai oublié le nom de la section… Ah, tu peux tenir ça deux minutes ? » Je lui refile mon téléphone et mon sac à main pendant que je fouille mon dossier une nouvelle fois, histoire de ne pas tout faire tomber.

"You like my hair ? Gee, thanks, just bought it, I see it, I like it, I want it, I got it” Chantant à tue-tête sur une chanson du nouvel album d’Ariana ma vie, j’ouvre la porte de l’établissement pour laisser ma soeur passer. Madame a décidé de changer de filière. Je suis content. Je suis content qu’elle se soit un peu réveillée de tous ces trucs un peu superficiels. Je sais pas si elle a bingewatché Grey’s Anatomy avant de m’apprendre qu’elle voulait entamer des études d’infirmière mais au moins elle ferait un truc utile. Et pour aujourd’hui j’ai décidé de l’accompagner. Enfin non elle m’a grandement suggéré de l’accompagner. Je sens bien qu’elle est stressée la pauvre, alors avec ma tact légendaire je vais essayer de la réconforter. Puis bon, moi aussi je change de filière. Faut pas qu’elle ait peur. Certes on devient vieux, certes on va avoir 25 ans. Mais c’est quoi 25 ans dans une vie ? Plus que 3 ans d’études et elle aura du boulot pour toute sa vie. Infirmière, c’est comme les péripatéticiennes, on a tous besoin peu importe l’époque. Alors que journalisme ou communication ou je sais pas quoi là. Franchement ? Tout le monde fait ça pour pas bosser mais ça sert à rien.

« Je vais te dire la vérité Aeyeon, non t’as pas les pré-requis. Mais franchement, on s’en fout non ? J’avais pas les pré-requis pour entrer à Yonsei, j’ai du tricher pour y entrer, et regarde maintenant où j’en suis ? Je vais entrer en école d’aviation. Alors on s’en tape de tes pré-requis. Montre leur que t’es unique et que tu peux apporter quelque chose. Les gens inutiles ça a jamais intéressé personne, et ça interessera jamais personne. » dis-je avant de passer mon bras autour de ses épaules. «Toute façon, faut juste que tu réussisses le concours, et le reste tu verras sur place. L’apprentissage et la pratique n’importe qui le faire, arrête de croire que t’es conne. T’es une Kwon pas une Konne. Pourquoi tu stresses hein ? T'as peur de quoi ?» Je me retrouve alors avec son portable et ses affaires dans les mains. Haussant les épaules à sa question. Moi non plus je connais pas la section wesh. C’est elle qui va s’inscrire pas moi.

Je me suis renseignée, j’ai lu et relu suffisamment de fois les informations écrites sur la page de description de la formation pour savoir que je devrai certainement faire une petite remise à niveau dans certaines matières, mais la question m’a échappée malgré moi. C’est le stress, le manque de confiance en moi que je dissimule si bien d’habitude. Mais heureusement, Jaein est là, et je sais que je peux lui faire confiance. Je sais qu’il n’est pas là pour m’enfoncer et me faire passer pour une imbécile devant le secrétaire à qui j’aurai affaire. Du moins, je l’espère du fond du cœur, alors que nous progressons, lentement mais sûrement, dans cette file d’attente qui me semble interminable. J’attends tellement de cette journée, de ce changement. Je vais passer d’un univers à un autre mais, cette fois, avec un peu de chance, je suivrai ma vocation. L’appel que j’ai toujours ignoré.

« Oui, t’as raison. » Je ris un peu en replaçant une mèche derrière mon oreille, avant de bomber le buste, l’air déterminé, pour finalement relâcher la pression et pousser ma lèvre inférieure en avant en haussant les épaules. « Je sais pas moi ! Peut-être qu’ils ont déjà leur quota d’étudiant pour l’année à venir ? » Il y a tellement de raisons que je m’imagine. Un petit soupir m’échappe et je secoue la tête. « Mais non, t’as raison, ça va aller ! Tu devrais ouvrir un blog d’inspirational quote, d’ailleurs. » Celle-ci n’était pas la meilleure, mais je suis certaine qu’il peut s’améliorer.

Quand notre tour arrive enfin, je m’approche du comptoir et je présente mon dossier à la secrétaire, qui n’a pas l’air de très bonne humeur. Ses questions m’intimident un peu. « Je…Euh… Je ne sais pas ? » Je vous avoue que j’ai oublié pas mal de choses de l’époque où j’étais au lycée, comme je passais le plus clair de mon temps à l’hôpital. « Jaein, tu te souviens du nom complet du lycée où j’allais ? »

Putain. J’aurai du lui faire avaler du xanax avant qu’on vienne ici. Est-ce qu’elle se rend compte du l’état qu’elle est ? Complètement stressée. On dirait qu’elle attends les résultats d’une endoscopie. C’est bon putain. Pourquoi elle peut pas avoir confiance hein ? Même TaeIn arriverait mieux à se démerder, alors que lui déjà, faut le rouler jusqu’ici. « Mais déstresse Aeyeon…ça va aller » dis-je, en lui frictionnant un peu l’épaule.

Lorsque vient notre tour je m’assois près de ma sœur, les bras croisés, écoutant attentivement ce que la bonne femme lui demande. Putain qu’elle est moche. Vous avez vu ses dents ? Elle doit se les brosser avec du hareng fumé et des boyaux de porcs pour avoir des dents aussi moches sérieux. M’enfin. Vu la manière dont elle parle à ma sœur, soit elle est mal-baisée soit elle a pas eu sa promotion. Ou peut-être les deux. « Mmh ? ah le nom complet ? » Beh j’en sais rien moi putain on était même pas dans le même lycée pourquoi tu me fais ça wesh ? Je hais cette gamine. « Je crois que c’était…Jungang Chodeung hakkyo ! Vous connaissez ? » demandais-je à la secrétaire. « Vous savez le super lycée privé là ils ont tourné un drama Winter Sonata à l’intérieur ! Vachement réputé en plus ! Pas très loin du commissariat de Jong-no d’ailleurs ! Vous voyez ? » ajoutai-je en dessinant de mes mains une grande bâtisse pour expliquer à peu près l’endroit.

Toujours parler de drama à une secrétaire, en générale ça fait son charme. « Et si vous vous demandez pourquoi y a une année en plus sur le CV de ma sœur c’est parce qu’elle a eu des petits problèmes de santé au lycée mais justement c’est une battante regardez !! Tous les médecins disent que c’est une battante et que c’est une fille qui ira loin ! D’ailleurs vous connaissez Le docteur Kim Min Seon, néphrologue au CHU de la Seoul National University ? Demandez-lui. On a sa lettre de recommandation d’ailleurs si ça vous intéresse ! » Surprise Motherfucker. Toujours anticiper et toujours en faire trop. Toujours plus que pas assez. (Sauf pour les madeleines. Les madeleines faut toujours en faire moins que trop. Sinon ça devient moche.) Est-ce qu’elle connaît le docteur Kim Min Seon ? Non certainement pas. C’est celle qui s’est occupée de ma sœur durant des années, et du coup de moi aussi pour les dernières étapes. Faut toujours des lettres de recommandations. Surtout en Corée. Je sais pas pourquoi ils kiffent autant ça. M’enfin. Si le docteur il dit que ma sœur ira loin, c’est qu’elle ira loin pas vrai ?

Jaein a raison, il faut que je me calme, que je pense à autre chose. Je vais juste changer d’école, apprendre quelque chose que je veux vraiment faire, qui sera utiles à moi autant qu’aux autres. Pourquoi je stresse autant ? « Non, oui, t’as raison… pardon. » Je le sais qu’il a raison, il a quasi toujours raison. Je sais pas ce que je ferais sans lui. J’inspire profondément pour me calmer et je reprends courage. Allez, ça va aller.

Hélas, les questions s’enchaînent, quand j’arrive au comptoir, et mon regard passe nerveusement sur mon frère et sur la secrétaire qui a l’air d’attendre autre chose que ce que je lui donne. Elle veut quoi ? Elle veut quoi ? Je dois arrêter de paniquer. Je hoche la tête, espérant que Super Jaein va me venir en aide, et quand il reprend la parole, je hoche la tête en souriant. Elle a l’air de noter. Elle s’en moque sûrement, enfin, des détails qu’il donne… Quoique ? Je ris un peu. Puis, quand il parle de la lettre de recommandation, j’ouvre un peu plus grand les yeux. « Vraiment ? » Je n’ai pas ça dans son dossier ! Est-ce qu’il s’en est occupé sans me le dire ? « Tu me l’as donnée ? » Je fronce les sourcils, visiblement intriguée. « Pourquoi tu me l’as pas dit avant ? » Mais je ne mentirai pas, je suis vraiment contente, alors un large sourire me vient aux lèvres.

Dire que j’étais un père pour elle, peut-être pas. Un frère non plus. Un jumeau oui. Un vrai jumeau. Le plus beau des jumeaux. Le plus parfait des jumeaux. Le plus cool des jumeaux. Celui qui s’occupait de sa sœur comme de la prunelle de ses yeux. Ou plutôt du prépuce de son pénis. Car pour moi c’était tout aussi important. Quoi qu’il en soit, ma fratrie j’y tenais et savoir qu’Aeyeon voulait changer d’orientation m’avait tout de suite alerté. Où, quand, comment, pourquoi, combien ? Toutes les informations je les avais cherché de mon côté. Juste par curiosité. Pour voir si elle ne se dirigeait pas au mauvais endroit. Mais au final, même si elle se dirigeait au mauvais endroit, peut-être bien qu’il fallait surtout qu’elle fasse ce qu’elle voulait. Et qu’elle change d’orientation a quasi 25 ans n’était en soit pas un problème. Pas pour moi en tout cas.

« oui je l’ai avec nous ! » Je garde mon sourire super confiant et explique à la bonne femme que la lettre se trouve à la toute fin du dossier et qu’elle hésite pas à regarder à l’intérieur. Petite lettre de motivation rédigée expressement pour l’occasion. Faut dire que ce docteur nous aimait bien et qu’elle connaissait particulièrement bien la famille. Bon okay je lui avais raconté quelques bobards comme quoi Aeyeon avait toujours au fond d’elle voulu être médecin comme elle, qu’elle était son modèle puis c’était passé crème. M’enfin bon quand la meuf verra que le docteur a été diplômé de SNU elle sera bien contente. Puis je les laisse parler. C’est vrai qu’elle en pose des questions cette dame. J’en profite alors pour gentiment sortir mon portefeuille, pour en extirper une carte de visite sur laquelle se trouve mon nom, mon diplôme, mon e-mail et mon téléphone. Et bien entendu en gros, en géant, en plus de mon sourire de lover : le logo de Yonsei. C’est ce qui est triste dans ce pays, devoir vendre le nom de ton école pour espérer avoir plus de chance que celui à côté. Et ensuite ils s’étonnent qu’il y ait un fort taux de suicide. Pas compliqué en même temps. Putain qu’est-ce qu’elle est moche quand même.

Je suis sûr que cette meuf doit être une de ses vieilles ahjummas qui fait de la prostitution sur le pont du marché aux poissons, et qui fait genre de vendre ses moules géantes à 60 000 W pièces alors que la seule qu’elle vend c’est la sienne à des vieux pépés. C’est malheureux non ? vous trouvez pas. Putain j’espère que je finirai pas comme ça. Ni Aeyeon. Faut qu’elle se trouve un mec, un mec bien. Connor il est bien. « Est-ce que vous mesurez les enjeux d’une telle formation ? ça ne sera pas de tout repos vous en êtes consciente ? » Je sors soudainement de mes pensées à cette phrase, cognant involontairement mon genou contre le bord de la table. Douleur que je contiens entre mes dents, me contentant de frictionner doucement le dos de ma sœur, discrètement pour qu’elle reste calme en répondant à la question. Elle fait ça pour la destabiliser. Pour lui faire croire qu’elle en sera pas capable. Ils font tous ça ces cons. Allez Aeyeon. Tu peux le faire.

Je dois vous avouer que changer d’orientation maintenant, après toutes ces années passées à travailler pour obtenir mon diplôme de communication, m’intimide beaucoup plus que je ne veux l’admettre. C’est comme un saut dans le vide, une tentative désespérée de trouver une chose qui me rendra plus heureuse que tout ce que j’ai fait jusqu’à aujourd’hui. Elle va de paire avec ma récente décision d’abandonner la chaîne YouTube pour laquelle j’ai travaillé avec tellement d’acharnement au cours des dernières années. Et je ne saurai vous dire à quel point être là, aujourd’hui, accompagnée de l’un de mes frères jumeaux, de Jaein, plus particulièrement, me permet d’affronter cette décision avec plus de sérénité. J’ai l’impression d’être moins seule, moins effrayée à l’idée de tomber, à l’idée de me planter lamentablement. Qui sait, avec un peu de chance, peut-être cette décision sera-t-elle couronnée de succès, au contraire de tout ce que j’ai entrepris jusqu’à aujourd’hui ? Il n’est jamais trop tard pour changer d’avis. Il a raison.

Mon regard se pose sur Jaein, à la question de la secrétaire, et je ne peux réprimer un sourire quand je l’entends affirmer qu’il a le papier en question. Je ne me rappelais pas avoir mis ce document dans ma pile, quand je préparais le dossier, et il ne m’a pas prévenue, alors j’ai bien senti passer cette poussée de stress. J’aurais pu me l’épargner ! Je souris, un peu crispée, en écoutant la Jaein parler avec la secrétaire, l’observant avec une pointe d’admiration. Il a l’air tellement plus confiant. Tellement plus intelligent que moi, aussi. Je me sens profondément stupide. Sans doute parce que je n’ai jamais eu les mêmes capacités. Mais il paraît qu’on n’est pas tous égaux. L’égalité des chances, ça n’existe que dans la théorie. On part tous avec des différences, et certains sont plus doués que d’autres, peu importe ce qu’on dit.

« Oui, j’en ai conscience. » Je réponds presque du tac au tac. Je ne sais pas trop si c’est la présence de Jaein à ses côtés, le fait qu’il tente de me soutenir ou autre chose, mais je n’ai pas envie de me laisser abattre par des questions aussi sournoises. « Je me suis bien renseignée au sujet de la formation et j’ai beaucoup réfléchi avant de prendre ma décision, ne vous inquiétez pas. » Je lui offre un sourire, espérant qu’elle me laissera m’inscrire sans essayer de me dissuader davantage. Je ne sais pas si je tiendrais le coup. Je la regarde alors qu’elle me lance un regard de vieille meuf pas contente de sa coupe chez le coiffeur, et quand j’obtiens les documents qu’elle me rend, je me redresse avant de sourire poliment et de la remercier. J’ai tellement hâte. Je souris à Jaein, une fois à l’extérieur. « C’est fait… Tu te rends compte ? C’est enfin fait ! »

Bon et bien j’espère que tout va bien aller pour Aeyeon. Mais je reste confiant. On a cette chance dans la famille pour savoir se vendre comme des professionnels. Et je suis certain qu’avec tout le baratin prononcé il y a quelques minutes, le dossier de ma sœur va être accepté. De toute manière, c’est pas comme-ci elle postulait pour être une chanteuse k-pop.  Là, en infirmerie, plus y en a mieux c’est. C’est un secteur en demande alors je ne vois vraiment pas qu’est-ce qui pourrait faire obstacle à son intégration dans cette formation. Je trouve ça bien d’ailleurs, qu’elle ait enfin sauté le pas, qu’elle se soit comme qui dirait redécouverte. Comme on dit, l’adolescence c’est jusqu’à 24 ans. Alors voilà, maintenant qu'elle a terminé son adolescence avec ses conneries de youtube à la con, elle va pouvoir intégrer ce qu’on appelle l’adulescence. Un mix entre l’adolescence et le monde adulte, qui peut perdurer jusqu’à environ 35 ans. Preuve qu’il y a encore le time pour s’amuser comme des cons, et pourquoi pas, changer complètement de formation. Quitter la fac ça m’a fait un gros choc par exemple. Mais au final c’est pas plus mal. Enfin non, le désavantage c’est que j’ai plus trop de meufs à mater. Faut dire que l’école d’aviation où je suis est composée à 98% de mecs. Et que les filles qui y sont me font presque peur. Sauf Ha Rin. Oh putain elle. Si belle. Et si bonne. Heureusement qu’on est en cours ensemble, ça me donne une raison de venir le lundi et le mardi. M’enfin j’ai déjà une meuf, et puis y a instagram au pire. Toujours des petites nenettes en maillot de bain pour me rincer l’œil.

«Tout va bien aller va ! Bon aller ! On va grailler ? » je demande à ma sœur avant de lui coller un bisou sur la tempe, gardant mon bras autour de ses épaules. « Tu vas être prise, et tu vas réussir tes études. Tu deviendras l’infirmière Joëlle. T’inquiète, on t’appellera tous en cas de soucis. Et tmtc y en a des soucis dans la famille » petit clin d’œil avant de se remettre en route pour aller manger. C’est marrant. Parfois j’ai l’impression de faire du baby sitting avec ma propre sœur. Marrant ou flippant. Je sais pas trop. « Dis, des vacances juste nous deux cet été ça te dirait ? Je sais que t’en avais déjà parlé, mais là, ça serait concret ! » je lui demande alors qu’on entre dans la voiture et que je démarre celle-ci. «Bon je te préviens cette-fois on mange pas vegan je sais pas quoi là » Non. Direction un petit bouiboui faisant des mandus et du bibimbap de la mort. C’est 100% coréen, y a zéro originalité, mais c’est ce que j’ai envie de manger. Puis comme ça je pourrais le prendre en photo et rendre Naeun jalouse. « Les Etats-Unis ça te dit ? Ou un autre pays ? » Je crois que ça faisait longtemps que Aeyeon demandait à voir les USA. Une année ils y avaient été à trois, Aeyeon, TaeIn et Nayeon. Techniquement j’aurai dû être un peu jaloux, mais sachant que j’étais en train de me dorer la pilule au Brésil avec Hansoo et sa mexicaine, pendant que mes deux sœurs devaient galérer à faire rouler notre Bran national, croyez-moi que j’avais préféré jouer mon égoïste en profitant de la plage de copacabana. Bref, retourner aux états-unis ça serait pas mal ouais. Sauf si elle voulait aller ailleurs. J’étais prêt à accepter toute sorte de pays bizarre. Surtout la Suisse. Parce que là-bas ils avaient un fromage qui s’appelait du Roblouchone, et le roblouchone c’était vraiment une tuerie.

Il est vrai que l’avenir me fait peur, que je m’inquiète de ne pas être à la hauteur du défi qui se profile devant moi, mais je pense avoir finalement trouvé la voie qui m’appelle depuis que je suis jeune, bien involontairement. Après avoir passé des années parmi les machines de dialyse, avant de recevoir le rein de Jaein, j’ai toujours porté en moi ce besoin d’être là pour les autres, de les aider à traverser des périodes difficiles. Quelque part, c’est ce que j’ai essayé de faire pendant des années, par le biais de ma chaîne Youtube, sans jamais parvenir à véritablement rendre service aux autres. J’ai été écrasée par le poids de ceux qui voulaient profiter de mon image pour des questions d’argent, et cet univers matérialiste ne correspondait pas exactement à l’idée que je me faisais d’un support moral, quand bien même j’aurais aimé en vivre. Alors, tout simplement, je me suis dit que devenir infirmière n’était peut-être pas une mauvaise idée. Cela me demandera beaucoup de travail, des heures études que je ne pourrais peut-être pas assumer seule, mais j’ai bien l’intention de me battre pour y parvenir. C’est cela, une vocation : quelque chose que l’on veut faire même si tout le monde continue de nous dire que ce sera difficile, que nous ne sommes pas prêts. Je suis prête, et si je ne le suis pas, je le serai un jour.

« Oui, allons-y ! » Je meurs de faim. Je souris aux mots de mon frère jumeau, plus heureuse que jamais à l’idée d’être enfin inscrite. Pour de bon ! J’aimerais bien devenir comme ça, même si je n’ai aucune idée de qui est l’infirmière Joëlle. C’est sûrement un personnage de jeu ou de série, le connaissant. « Ah ça, j’en sais quelque chose. » Pendant très longtemps, j’ai été le souci, la personne à toujours aider, avec Taein. J’ai souvent eu l’impression d’être le boulot qu’ils devaient traîner, parfois sans en avoir envie. Je sais qu’à d’autres endroits dans le monde, quand ils constatent que les gosses ont un problème, ils les empêchent de venir au monde. On ne peut pas faire ça chez nous. En plus, avec quatre enfants, le sacrifice aurait été bien trop grand pour nos parents. Et quelque part, c’est bien mieux comme ça. J’aime mes frères et ma sœur, plus que n’importe qui au monde. Je ne pense pas être un jour capable d’aimer plus que je ne les aime eux. Même si on ne s’entend pas toujours parfaitement bien, même si c’est parfois difficile de mettre tout le monde d’accord, j’ai envie d’y croire.

Quand je m’installe dans la voiture, sa question m’arrache un vif hochement de tête. « Oui ! » C’est peut-être ambitieux, mais il a posé la question, non ? « Tant que je trouve quelque chose de mangeable, ça me va. » À savoir quelque chose qui ne va pas flinguer mon rein. « Oui ! New York ? Ou en Californie ! Ou un endroit où il fait beau ! Miami ? » Si je peux me mettre en maillot et dormir sur la plage, ça me va. Au pire, j’utiliserai de la crème blanchissante, si je bronze de trop. « Ça te dirait ? Avant que tu reprennes les cours dans ton école là… » Encore. Au moins, il réalise son rêve. Il a toujours eu la tête dans les nuages, pour ne pas dire dans les étoiles. Quelque part, ça me fait plaisir de constater que ma famille a trouvé sa voie, même si elle la fait avant moi. Je n’ai pas eu cette chance, mais mon tour est finalement arrivé. « Je pourrais manger un ours. » Ce qui est rare, venant de moi. « J’ai envie de friture. » Une folie ? Peut-être. « T’as pas envie de manger du poulet ? Un truc gras comme t’aime bien ! » Allons, une fois ne me tuera pas.

Ça me fait sincèrement plaisir de voir qu’elle est contente. J’espère avoir pu lui apporter un peu de confiance en l’accompagnant ici. Faut dire que Aeyeon est pas la fille la plus confiante que je connaisse. C’est sûrement pour ça qu’elle s’est lancée dans ses histoires de make up à la con. Mais au final à quoi ça sert le make up ? A rien à part à cacher ce que tu es. Alors okay c’est joli un peu de rouge à lèvres, un peu de mascara tout ça la. Mais celles qui mettent des pots de peintures pour embellir leur nez à quoi ça sert ? Au final à la fin, le mec te baiser, tu transpires, toute ta BB cream se barre, ça salit les draps et en plus ça dévoile ton vrai visage. Alors à quoi ça sert ? C’est comme leurs filtres à la con aux meufs là. On sait que c’est pas vous. Y a vraiment des mecs qui bandent pour des fausses femmes ? Non parce que okay bander pour du mmo rpg avec des meufs badass qui se battent et qui ont des armures qui cachent strictement rien : ça c’est la vie. Mais ça reste sur ordi. Mais des vraies nana là, qui se cosplayent chelou avec des cheveux de toutes les couleurs et qui ressemblent à des droïdes là ça vous fait kiffer franchement ? Ma foi. Chacun ses goûts. Quoi qu’il en soit je suis bien heureux que ma jumelle ait changé de voix. Et pour fêter ça je lui offre le restau. Toute façon c’est toujours moi qui offre quand on sort. Un jour je la laisserai payer, promis.

« Toi tu veux manger gras ? Etonnant tiens…mais je vais pas dire non » petit clin d’œil discret à l’attention de ma sœur. Sur le chemin, on parle un peu de tout, et surtout de n’importe quoi. Aeyeon et moi c’est compliqué. C’est pas comme avec Taein ou Nayeon. Non avec elle c’est beaucoup plus compliqué parce qu’on ne se ressemble pas tant que ça. Et pourtant on s’apprécie réellement. On a une relation fusionnelle qui peut péter à chaque instant. Qui a déjà pêté plusieurs fois au cours de ces dernières années. C’est un peu comme vivre sur une bombe à retardement, ou jouer à ce jeu à la con du démineur sur ordinateur. On clique un peu partout sans savoir quand est-ce qu’on a perdu. Et pourtant, à chaque fois que ça éclate. A chaque fois qu’on voit le Game Over apparaitre devant nos yeux, on remet une pièce et on appuie sur Try Again, tel un jeu d’arcade. C’est parce qu’on peut pas vivre sans l’autre sans doute.

« Bon je t’emmène manger du gras, mais du gras classe » Et pour ce faire, je l’emmène dans un restau américain de la ville. Tenus par des gars du Texas, qui font des viandes au barbecue du tonnerre. Et je parle pas de fastfood. Je parle de vraie nourriture. Y a quasiment que des américains dans le coin. Du coup direction Itaewon. J’espère qu’ils ont un parking pas trop loin. A moi les ribs. A moi les ribs. A moi les riiiiiiibs. Une fois à l’intérieur et assis, je demande directement les cartes pour le menu. Car j’ai la dalle. « Bon…ça te dit du coup Miami comme t’as dit ? Là-bas t’as pas peur que ce soit un peu surfait ? Par contre faut que je dise à ma meuf que du coup je pars sans elle…j’espère elle va pas me casser les couilles. » Ouais en vrai j’ai envie de me barrer au Texas. Genre, vivre comme un vrai Ranger. Mais en même temps, peut-être que New-York c’est mieux ? « Vous avez été où la dernière fois avec la mifa ? On a qu’à aller sur la West Coast tiens, je suis sûr y a des trucs à faire la bas, ça se trouve même tu te trouveras un petit amerloque à ramener à la maison ! par contre demande à papa de te filer un peu de fric s’te plait, parce que je suis pauvre aussi poulette » Faut dire que maintenant que j’avais intégré mon école d’aviation, une grosse partie de mes économies étaient parties dedans. J’avais rien demandé à mes parents. Je m’étais débrouillé sans eux depuis gamin, j’avais pas besoin d’eux maintenant. Et j’en aurai jamais besoin.  « Bon allez tu manges quoi ? » Je lui demande, ayant déjà vu un menu de cro-magnon spécialement pour les estomacs comme le mien.