La mort tombe dans la vie comme une pierre dans un étang : d’abord, éclaboussures, affolements dans les buissons, battements d’ailes et fuites en tout sens. Ensuite, grands cercles sur l’eau, de plus en plus larges. Enfin le calme à nouveau, mais pas du tout le même silence qu’auparavant, un silence, comment dire : assourdissant.

Je suis à ses côtés. Mon amie. Ma très chère Ye Won. Sait-elle ce qui nous attend ? Sait-elle que je vais peut-être quitter ce monde avant elle ? Sous ses yeux ? Bien sûr que non, puisque je l'ignore également. Rien ne sera plus pareil après cette journée.

J'ai quelque chose de gravé dans la tête. Dans la mémoire. Dans le coeur. Quelque chose de pur, de magnifique. C'est mon secret. Ce secret, c'est notre amitié qui durera pour l'éternité. Même si je ne suis plus de ce monde. Tu resteras à jamais ma meilleure amie. Quel est ce mal être gravé en moi ? Quelle est cette chose qui me ronge de tristesse ? Quel est ce chagrin qui fait que je ne suis plus totalement heureuse ? Ce mal être. Cette chose. Ce chagrin date depuis que je t'ai perdu. Toi. Ma meilleure amie. Mais te revoilà. Nous sommes ensemble, aujourd'hui. Pour le meilleur et pour le pire. Oui. Pourquoi m'as tu aidé ? Pourquoi m'as tu aimé ? Pourquoi as tu été ma meilleure amie ? Je peux répondre à toutes ces questions que l'on me pose sur toi. À part une seule qui me hante depuis bientôt quelques heures : Pourquoi suis-je morte ?

J'aurais voulu te dire à quel point je tiens à toi. Mais on m'a toujours appris que les paroles s'envolent et que les écrits restent. J'aurais voulu que tu saches que tu es ma raison de vivre. Ma meilleure amie. Oui, je le répète encore et encore. Sans toi, je ne suis rien. Mais... et toi ? Que deviendras-tu si je pars véritablement ? Mais, tout ce que je me dis, intérieurement, depuis tout à l'heure, tu ne le sauras jamais. Car comment t'expliquer que ma mort est proche alors que je l'ignore moi-même ?  Ce braqueur risque de me tuer. Et ça, je ne lui pardonnerai jamais.

Mais nous voilà, ensemble, côte à côte, contentes et heureuses de nous retrouver comme auparavant. Je t'aime si fort. Tu es le rayon de soleil de ma journée. Profitons et ne pensons à rien d'autre.

Une journée banale, un rire qui se fait entendre, les pleurs d’un enfant. Les râles de cet adolescent qui se loupe son bus. Un vieil homme, assis sur ce banc tout en fumant sa cigarette. Une suite d’événements, tout ce qu’il y a de plus normal dans la capitale. Ces moments de vie pourraient-ils avoir un impact sur les heures à suivre ? Certainement.

L’effet papillon, où quand les choix qui s’offrent à nous ne deviennent qu’un enchaînement incontrôlable, menant parfois à l’inévitable. Difficile d’y croire. Les battements d’aile d’un papillon peuvent-ils réellement créer un ouragan à l’autre bout du monde ? Difficile à croire et pourtant… Pourtant, à cet instant, dans cette voiture, qui aurait cru que l’impensable allait se produire ? Personne, pas même toi. Inconsciente de tes choix. Inconsciente de ces éléments si infimes. De ta façon de préparer ton café ce matin, à un simple livre oublié, tout a mené à cet instant.

Un sourire gravé sur tes lèvres, alors que ces retrouvailles deviennent impérissables. Ce lien qui vous unit, Hye Mi et toi. La plus fidèle de tes amies, la plus importante de tous. La seule à ne jamais t’avoir abandonné, osera-t-elle le faire ce soir ? Rien ne le présageait. Aucun signe avant coureur.

C’est ainsi, que t’es montée dans cette voiture, à ses côtés. Tes doigts pianotant sur ton écran un message qui ne sera jamais envoyé. Des rires qui prennent toute la place dans ce véhicule. Ce bonheur certain que de sentir sa présence. Cette soeur que tu n’as jamais eu. Cette âme soeur, quelque part. La seule à te connaître parfaitement, à te supporter à travers les années. Cette jeune femme que jamais, tu ne laisseras tomber. En seras-tu obligée ?

Il y a cet éclat de vie qui s’empare de vous, prêt à disparaître d’un moment à l’autre. Pourtant, aucune frayeur, simplement les dires de deux meilleures amies, continuant de vivre leur vie, ensemble. Jamais l’une sans l’autre. Lui as-tu assez dit que tu l’aimes, d’un amour inconditionnel ? S’en souviendra-t-elle le moment venu ? De simples inquiétudes, auxquelles on ne pense jamais. T’aurais du, lui dire une fois de plus. T’aurais du, l’exprimer plus souvent encore. Le pourras-tu encore ?

Tant de questions, une vie entière de souvenirs avec elle. Et le tout qui part en éclat. Une seconde à peine, pour changer le cours d’une vie. Pour que la terreur remplace les rires. Pour que le néant vienne prendre en otage cet instant de vie.

Et voilà que le noir prend possession de vous.
On en parlera dans les journaux demain.
Mais pour l’instant, seule l’ombre fait face à la lumière.

Les larmes montent. J'ai envie de pleurer. Ma vie est en train de vriller. De se détruire. Et je ne peux rien y faire. Rien du tout. Je ne peux que prier. Espérer pour ma meilleure amie et pour moi même. Croire que notre vie est loin d'être terminée. La sienne, je n'en doute pas. Elle a tellement de choses à vivre. Elle a tellement de choses à prouver. Mais pour moi, qu'en est-il ? Rien. Le néant. Cela fait bien longtemps que j'ai envoyé valser ma vie. Je ne compte plus le nombre de fois où j'ai voulu y mettre fin. Mes crises d'angoisse. Mes cauchemars. Ye Won est bien entendu au courant de ces noirceurs. Mais elle n'y peut rien. Elle m'écoute mais il est difficile pour elle de me comprendre. Et c'est normal. Je veux que cela cesse. Voilà mon plus grand souhait. Mon rêve le plus sincère. Peut-être qu'enfin, la vie a décidé d'être gentille avec moi et de m'aider à tout arrêter. Et si pour y parvenir, mon coeur doit s'arrêter également... et bien soit. Je l'accepterais.

J'en viens à me demander pourquoi est-ce que nous en sommes là ? Comme si le temps s'arrêtait. Comme si une pause s'imposait. Nous permettant de réfléchir aux conséquences de cet accident qui est sur le point de nous changer éternellement. Nous permettant de comprendre pourquoi est-ce que ça nous arrive. Qui pourrait me pleurer ? Personne. Sauf Ye Won. Je ne vois personne d'autre le faire. J'ai pourtant d'autres amies et aussi quelques garçons avec qui je me sens en sécurité. Mais ils ne regretteront pas ma présence. J'en suis certaine. Et... Lui ? La raison de ma présence dans cette voiture, au final. Jeong Caïn. J'en ai tellement parlé que ma meilleure amie doit tout connaître de lui. J'ai souhaité lui parler. Ce cauchemar qui s'est révélé être un rêve, la nuit dernière. Grâce à lui. Je souhaitais me confier à lui et il m'a repoussé. Il m'a fait comprendre que je n'étais rien. Je suis ainsi partie prendre ce taxi avec ma meilleure amie. Je me suis éloignée de lui. C'était son souhait. A--il sû ce qui allait se passer ? Souhaitait-il me voir disparaître à jamais ?

La mort n’est rien. Je suis seulement passée, dans la pièce à côté. Je suis moi. Vous êtes vous. Ce que j’étais pour vous, je le suis toujours. Donnez-moi le nom que vous m’avez toujours donné. Parlez-moi comme vous l’avez toujours fait. N’employez pas un ton différent, ne prenez pas un air solennel ou triste. Continuez à rire de ce qui nous faisait rire ensemble. Priez, souriez, pensez à moi, priez pour moi. Que mon nom soit prononcé à la maison comme il l’a toujours été, sans emphase d’aucune sorte, sans une trace d’ombre. La vie signifie tout ce qu’elle a toujours été. Le fil n’est pas coupé. Pourquoi serais-je hors de vos pensées, simplement parce que je suis hors de votre vue ? Je ne suis pas loin, juste de l’autre côté du chemin. Vous voyez, tout est bien.

- ATTENTION !

Je tourne la tête pour comprendre d'où provient ce cri. C'est ainsi que j'ai tout vu. La fin arriver et nous frapper de plein fouet. Cette voiture roulant à contre sens et percutant notre moyen de transport avec une violence inouïe. J'attrape la main de ma voisine. Ye Won, je regrette de t'avoir conduit jusqu'ici.

On pense toujours naïvement que la vie s'écoule, qu'elle ne s'arrêtera que dans un futur lointain. On a tendance à croire qu'on aura toujours la vie devant nous, pour rire, aimer, profiter. Même si certaines périodes semblent si sombres qu'on aimerait qu'elles se terminent. Parfois même, il est possible de tomber si bas qu'on ne désire plus qu'une chose, que cela se termine, qu'importe la façon dont cela doit se faire. Des pensées morbides qui ont traversé l'esprit de tous, au moins une fois dans leur vie.

Toi, t'as toujours tenté d'y faire face. T'as longtemps cru qu'après la tempête vient le soleil. Que la lumière est bien présente quelque part. Mais ces espoirs disparaissent peu à peu, depuis quelques temps désormais. T'as cru voir cette lueur avant qu'elle ne s'en aille, bien loin de toi. T'as cru la voir en Il Kyang, en cette journée si spéciale. Il te l'a retirée, cette fameuse soirée. Et depuis, tu penses peut-être à tord que plus rien n'a d'importance. Toi qui pensait bêtement que t'arriverais enfin à panser certaines blessures.

T'as pas voulu en parler. T'as préféré être présente pour ta meilleure amie. Tu lui doit tout, cette force que tu puises en elle pour affronter chaque jour. Elle te laisse encore penser que certains ne partent jamais, elle te le prouve à chaque moment passé avec elle. Tu t'es promis il y a longtemps déjà, d'être toujours là pour elle, quoi qu'il arrive. Et tu l'as été, ce soir. Peut-être pas entièrement à la hauteur, mais t'étais là pour l'épauler, une nouvelle fois. Parce que tu lui dois bien ça. Tu te dois d'être son support, qu'importe tout ce qui se passe dans ta vie. C'est à ça que sert l'amitié, il paraît.

Puis vient ce cri, perdu dans la nuit. Ton regard qui s'élève, ta main qui attrape celle de Hye Mi.Tu ne vois rien, ne ressent qu'un vent de panique t'envahir. Tu ne comprends pas ce qu'il se passe, même lorsque tu tournes la tête pour observer l'extérieur. T'aurais envie de demander, de crier pour qu'on te réponde, alors qu'aucun son n'arrive à s'échapper de tes lèvres. Avant que le drame ne se produise.

Un choc, brutal. Ton corps qui se projette entre ton siège et le dossier devant toi. Violemment. Le trou noir. Ta main pourtant toujours ancrée dans celle de ta meilleure amie.

La vie n'est pas un sport qu'on se contente de regarder . Gagner, perdre, ou faire match nul, la partie est en cours, qu'on le veuille ou non. Alors, allez-y, discutez avec l'arbitre, changez les règles, trichez un peu. Faites une pause et soignez vos plaies. Mais jouez. Jouez ! Jouez le jeu. Jouez vite. Jouez librement. Jouez comme s'il n'y avait pas de lendemain. D'accord, l'important n'est pas de gagner ou de perdre, l'important c'est la manière de jouer. Vous ne croyez pas ?

Le temps file. Le temps n'attend personne. Le temps guérit toutes les blessures. Tous autant que nous sommes, nous voulons plus de temps. Du temps pour se relever. Du temps pour grandir. Du temps pour lâcher prise. Du temps. Ce que je souhaite, moi ? Du temps pour vivre. Ne serait-ce encore qu'un peu de temps pour vivre quelques minutes supplémentaires. Pouvoir admirer une dernière fois le ciel et ses nuages. Pouvoir me regarder une dernière fois et me dire, à moi-même, que ma vie ne pouvait pas être mieux. Même si ce serait me mentir. J'aimerais juste un peu de temps pour ne pas partir aussi vite que je suis arrivée. Je ne possède aucun don magique. Je ne peux pas revenir en arrière et annuler cet accident. J'ai peur. Peur de mourir. J'ai froid et j'ai mal. Je souffre. J'ai peur car je manque cruellement de temps.

Lorsque l'on meurt ou que l'on souffre d'une horrible perte, nous traversons tous cinq étapes de la peine. Comme j'ai pu le vivre au décès de ma mère. On passe par le déni car la perte n'est pas envisageable, on ne peut imaginer que c'est réel. On s'énerve contre tout le monde, contre les survivants, contre nous-mêmes. Puis on trouve un arrangement, on supplie, on implore, on offre tout ce qu'on a, on offre nos propres âmes en échange d'un jour de plus. Quand les négociations échouent, la colère est difficile à contenir. On tombe dans la dépression. Le désespoir. Jusqu'à ce qu'on accepte finalement que l'on a tout tenté. On abandonne. On abandonne et on accepte. Le chagrin peut être une chose que l'on a en commun mais il est différent pour tout le monde. Il n'y a pas que la mort dont on fait le deuil, de la vie, d'une perte, d'un changement. Et on se demande pourquoi ça bloque autant parfois, pourquoi ça fait tant de mal. Mais la chose dont on doit se souvenir, c'est que ça peut changer.  C'est comme ça qu'on reste en vie, quand ça fait si mal, qu'on ne peut plus respirer, c'est comme ça qu'on survit. En se rappelant, qu'un jour, qu'en quelque sorte, vous ne le ressentirez plus de la même manière, ça ne fera plus aussi mal.

Le chagrin vient à chacun en son temps, de sa propre manière. Alors le mieux que l'on puisse faire, le mieux que chacun puisse faire est de recourir à l'honnêteté. La pire partie du chagrin est que vous ne pouvez pas le contrôler. Le mieux que l'on puisse faire est d'essayer de laisser nos sentiments quand ils viennent. Et les laisser partir quand on peut. La pire chose c'est qu'à la minute où vous pensez l'avoir surmonté, ça recommence. Et toujours, à chaque fois, vous ne pouvez plus respirer. Le chagrin comporte cinq étapes. Elles nous semblent à tous différentes, mais il y en a toujours cinq.

Le déni. Je ne peux pas mourir. Pas ici. Pas maintenant. Pas comme ça.

La colère. J'ai été si stupide. Pourquoi suis-je montée dans ce taxi ? Pourquoi suis-je tombée sur un conducteur pareil ? Et sur ce fou, voulant tuer tout le monde sur son passage ? Tout ça est de leur faute !

Les négociations. Faites que je puisse survivre à cet accident. Faites que tout ce sang ne soit pas le mien. J'offre mon âme en échange d'une heure supplémentaire de vie. Je vous en conjure. Laissez-moi vivre une petite heure supplémentaire.

La dépression. Tout ceci ne rime à rien. C'est terminé. Je suis condamnée. Le conducteur du taxi ne réagit plus. Et, même si le responsable de ce drame se trouve être encore envie, je ne pourrais pas compter sur lui pour me porter secours.

L'acceptation. Je vais donc mourir comme ça. Ici. Seule. Bêtement.

Non. Je sens toujours sa main dans la mienne. Ye Won est là. Comment va-t-elle ? Je ne peux déplacer ma tête pour pouvoir regarder dans sa direction. Je ne sens plus aucun de mes membres. Si ce n'est ma main tenue dans la sienne. Pitié. J'offre ma vie à la place de la sienne. Sauvez-la.

Dans toutes les radios de la ville:

Une soirée chargée, un épuisement qui me gagne alors qu’il me reste encore des minutes avant de rentrer. J’ai bossé toute la journée, encore un de ces petits boulots que je hais. Je n’y resterais pas longtemps, juste assez pour avoir un peu d’argent et je changerais une nouvelle fois ur quelque chose qui m’irait mieux. J’écoute de la musique, pour faire passer le trajet plus rapidement. Dans ma voiture, je tente de me détendre et d’oublier ce qui me pèse sur le cœur depuis des jours. Je ne cesse de repasser cette soirée dans ma tête. Comment a-ton fait pour en arriver là ? Nous avions tant avancer l’un et l’autre. Je suis triste… je n’ai pas osé aller lui parler. Même si il y a une part de vrai dans tout ça, ce qui est certain c’est que je ne suis plus comme avant. Mais comment pourrait-elle me croire ? J’ai consommé oui, sans être accro. Est-ce que ça excuserait d’avoir encore toucher à la drogue ? Je me hais, j’ai tout gâché et j’en veux énormément à Young Min. C’est un peu sa faute aussi. Pourquoi était-il là avec elle ? Amis… pff, ça me fait rire. Ce n’est pas ce que font des amis. Se bourrer et se droguer ensembles. Je juge, je recasse sans cesse. Et une fois de plus j’ai le cœur lourd. Sortant de mes pensées, je continue ma route, pressé de rentrer. Une banalité, juste un court instant à me poser des questions. Finalement pas si importantes que ça… une tranquillité troublée soudainement. Un bruit énorme qui vient non loin de devant. De la fumée, des klaxons et tout part en vrille. J’ai le réflexe de freiner, mes yeux grands ouverts, le cœur battant, je vois devant moi une scène d’horreur. Toutes les voitures paniquent, des gens crient déjà. Les mains tremblantes, je sors sans savoir ce que je fous vraiment. Devant moi, un taxi renversé, plafonné de plein fouet par une autre voiture. Je déglutis, stupéfait. « Appelez les secours » crie une voix non loin de moi. D’autres regardent sans savoir quoi faire. « Y’a des gens là-dedans. » La fumée devient plus sombre, plus étouffante aussi. Une odeur horrible me brûle le nez alors que je me mets à courir vers elle. Je m’approche assez pour pouvoir crier « Vous allez bien ? » j’essaie de voir des visages, d’écouter des voix qui pourraient m’entendre. J’ai peur brutalement de voir des choses qui me marqueraient et quand mon regard croise la silhouette de l’homme au volant, je retiens une remontée, détournant aussi vite mon visage. C’est horrible ! Je paniquerais presque, mais j’aperçois subitement à l’arrière des silhouettes qui se dessinent. J’ai les yeux qui brûlent, m’approche doucement sans oser rien toucher avant de voir deux jeunes femmes. Toutes les deux insconcientes. Mon cœur rate un battement, en apercevant davantage leurs visages… je… je les connais. C’est Hye Mi… et… Ye Won. Des larmes viennent envahir mes yeux, alors que la peur me submerge. « Oh non non non non. » dîtes moi que je rêve. Dîtes moi que c’est faux. La panique me prend à la gorge, je suis terrifié tout à coup. Il faut que je fasse quelque chose. Sans réfléchir, j’observe la scène, des gens se postent derrière moi alors que je m’avance vers elles. Ye Won semble être la moins amochée des deux. Je n’ai pourtant aucun soulagement. Seul la peur guide désormais mes mouvements. Je me précipite pour tirer sur la portière et tenter de la dégager. « Aidez-moi s’il vous plait. » un homme s’exécute. Venant m’aider à l’attraper. « Tenez-la bien droite. » surtout ne pas la brusquer, pour ne rien aggraver. J’ai si peur, peur qu’elle ne soit… non non. Impossible, je refuse de penser à ça. Alors je me glisse comme je peux vers elle, entoure mes bras autour d’elle et laisse l’homme faire de même. Dans un geste incertain, nous la sortons doucement. Le temps semble s’être brusquement arrêté. Tout s’éternise, j’ai le temps de voir son visage abîmée, tout ce sang… est-ce que c’est le sien ? Je retiens un sanglot, me sentant brusquement nauséeux. Une personne au téléphone nous informe qu’elle est avec les secours et qu’ils arrivent rapidement. Je la dépose doucement au sol. Dans un geste paniqué, je viens embrasser son front « Je t’en supplie me fais pas ça Ye Won… accroche-toi stp. » j’ai les larmes aux yeux, mais je me redresse aussitôt pour aller aider Hye Mi. La situation semble plus compliquée pour elle… je demande un peu plus d’aide. Un homme s’avance, pousse ce qui pourrait la bloquer avant qu’on se mette à plusieurs pour la sortir. Elle est dans un état horrible… Hye Mi et moi n’avons jamais été amis. Mais la voir ainsi me fend le cœur. J’ai peur pour elle aussi et en la déposant au sol, j’ose à peine la toucher. Les gens se bousculent, alors que les sirènes retentissent au loin. Et tout devient flou subitement, les hommes sortent des camions, des pompiers, la police, les ambulances. Je me redresse, comme ralenti par le temps alors qu’on me demande de m’écarter. Je reste en retrait, apeuré, terrifié par ce qui pourrait leur arriver. Mon regard de pose sur Hye Mi avant de se détourner vers Ye Won. Les premiers soins leurs sont accordés. Et mon monde s’écroule doucement… Cette dispute me parait futile. Et je n’ai plus le cœur à ne penser à rien. L’angoisse me rend nerveux, je ne sais plus quoi faire. Ce n’est que lorsqu’on les montes dans les ambulances que je m’écrie « Je peux venir. S’il vous plait. Je suis un proche. » L’homme n’hésite pas, me proposant de monter à bord de l’une d’entre elle. Je ne fais pas de choix, je monte dans la première qui se présente devant moi. Et je retrouve avec Hye Mi, son corps étendu, alors qu’ils s’agitent encore autour d’elle. « Elles… elle vont s’en sortir ? » dîtes-moi oui s’il vous plait.

On pense tous naïvement qu’on aura du temps. Pour partager ses sentiments, grandir, s’amuser. Qu’on aura des journées entières devant nous, pour se remettre en question, marchander la douleur. Mais parfois, il ne faut qu’un coup du sort pour se rendre compte que le temps peut s’arrêter à tout moment. Sans compte à rebours, sans sonnette d’alarme. Que tout peut disparaître, avec les joies et les peines que notre coeur a emmagasiné pendant ces années de vie. Alors, inconsciemment, certains regrets prennent place. Des images qui, en temps normal, laisseraient un goût amer, qui ne deviennent qu’un grain de poussière face à l’immensité du monde. Face à la valeur que peut avoir sa propre vie.

Quelques secondes, avant le choc. Quelques secondes à peine pour te rappeler. Le sourire de Yejun, celui Damon et Lilith. Vos vacances à l’autre bout du monde. Un instant pour te souvenir de cette dernière accolade avec Hye Mi. Serais-tu encore capable de vivre ça ? Vient à ton esprit ces moments heureux avec Il Kyang, une jeunesse teinté de liberté, d’un autre monde qui s’était ouvert à toi. Vas-tu en découvrir un de plus ? Les rebondissements d’une vie marquée par les épreuves, les regrets qui restent ancrés. Mais aussi ces instants qui paraissent si futiles désormais.

Ton corps projeté d’avant en arrière. Ta ceinture te retenant difficilement à ton siège. Tu ne comprends pas ce qu’il se passe, observe ces dernières images défiler devant toi. Seule ta main vient serrer davantage encore celle de Hye Mi, dans un geste incertain. Ce besoin de t’accrocher à quelque chose, à quelqu’un. Et voilà que le néant déjà, prend place autour de toi. Tu ne sens plus rien malgré ce coeur qui palpite encore face à l’adrénaline. Aucune douleur, aucune sensation. Simplement ce noir constant qui reste là, te plonge dans un sommeil profond. Les cris de l’extérieur ne sont qu’un sifflement à tes oreilles, ces quelques gouttes de sang coulant déjà sur tes joues se mêlent à ces larmes qui s’échappent sans que tu ne t’en rendes compte.

Plus rien n’a d’importance, à cet instant. Les cris, les disputes. Plus rien ne compte, à part ce combat qui commence au fond de toi. Corps inerte que l’on déplace, ta main qui lâche finalement celle de ta meilleure amie. Tu n’as plus la force de lutter contre tout ça. Tu n’as plus la force de prendre conscience de ce qu’il se passe. Déposée sur le sol, il n’y a que le froid du bitume pour t’envahir. Trouver le courage d’ouvrir les yeux, sans y parvenir. Laisser tes membres bouger au rythme des secouristes faisant les premiers soins. Tu ne peux sortir de ce sommeil, malgré cette voix intérieur qui te demande, te supplie de te réveiller.

Perfusion, minerve. Vêtements découpés, tâchés de sang. On te soulève, te déplace sans que tu ne le comprenne, une fois de plus. Pendant une brève seconde, tu crois finalement entendre la voix d’Il Kyang. Un doux son qui pourrait te raccrocher à la réalité, qui semble pourtant impensable. Puis vient le bruit de ces sirènes. Des paroles qui résonnent. « Mademoiselle, vous m’entendez ? Accrochez-vous, on vous emmène à l’hôpital. » Des mots dont tu ne comprends pas le sens, que ton esprit s’évertuera à oublier, d’ici quelques heures.

Je suis debout au bord de la plage. Un voilier passe dans le brise du matin, et part vers l'océan. Il est la beauté, il est la vie. Je le regarde jusqu'à ce qu'il disparaisse à l'horizon. Quelqu'un à mon côté dit : « il est parti ! ». Parti vers où ? Parti de mon regard, c'est tout ! Son mât est toujours aussi haut. Sa coque a toujours la force de porter sa charge humaine. Sa disparition totale de ma vue est en moi, pas en lui. Et juste au moment où quelqu'un près de moi dit : « Il est parti », il y en a d'autres qui, le voyant poindre à l'horizon et venir vers eux, s'exclament avec joie : « le voilà ».

C'est ça la mort.

- Notre travail est de faire en sorte que oui, monsieur.

Je me sens partir. J'entends pourtant les voix autour et au-dessus de moi. Je crois même reconnaître celle de Il Kyang. Est-ce une dernière farce de la part de la vie ? Ma fin ne devait pas arriver ainsi. J'ai rêvé de ma mort de nombreuses fois. Elle hantait même mes plus grands cauchemars. Le suicide. Voilà comment devait se terminer ma vie. Un suicide pouvant être évité que par l'intervention d'une seule et même personne. Un homme. Cet homme que je fuyais jusqu'à maintenant. J'ai voulu lui tendre la main, croire en la vie, croire en mon avenir. Et il m'a repoussé. C'est peut-être à cause de ça que la vie a décidé de m'arracher si soudainement. Elle a décidé de m'épargner une mort brutale et douloureuse pour ceux qui resteront après moi. Un suicide est loin d'être facile pour les proches.

Je conçois. Je respecte. Si je dois mourir, alors soit. Mais pourquoi ajouter Ye Won à l'équation ? Je ne suis pas d'accord. Je refuse de la faire partir avec moi. Elle mérite de vivre. Elle a toute la vie devant elle. Elle n'est pas possédée par de multiples démons comme moi. Elle peut y arriver et être heureuse. J'en suis persuadée. Moi, c'est terminé. Fini. Fichu. Pour toujours et à jamais. Je suis prête à partir dans d'atroces souffrances si on me promet qu'elle va s'en sortir. C'est tout ce que je souhaite. Mon tout dernier voeu. Avant de partir définitivement.

- Accrochez-vous, nous y sommes presque. N'abandonnez pas, mademoiselle !

Mais c'est trop tard. J'abandonne. Je décroche. Je sombre. Tu vois, Ye Won, je n'ai pas besoin de toi pour sombrer. Je me détruis moi-même. Et sans le savoir, je viens de lâcher prise au moment où l'ambulance arrive devant l'hôpital.

Je pensais que j’aurais tous ces lendemains pour trouver le courage de lui parler. Qu’il fallait que les jours passent pour enfin la voir me sourire à nouveau. Je pensais que nous avions le temps… de nous disputer, de nous haïr. J’ai pensé que nous serions plus proches dans quelques années… Une minute qui a tout fait basculé. Juste une nuit pour ébranler mes croyances. Mon existence entière… abasourdi, je n’entends plus rien autour de moi. Tout me parait si lointain, les sons étouffés. Mon cœur bat si vite, il tambourine si fort contre mon torse et dans ma tête. Je ne me sens pas bien, je suis en train de partir je le sens… un regard vers mes mains tremblantes, quelque chose à quoi me raccrocher. Je n’arrive plus à déglutir, l’angoisse me prend et m’envahie. Je n’ai le courage de rien. Incapable de relever les yeux vers Hye Mi, j’entends des cris, des mots que je ne comprends pas. Et je sombre un peu plus, dans une folie qui me transperce. J’ai peur tout à coup… peur ne plus avoir ce temps que j’espérais. Peur de ne plus pouvoir leur parler… Hye Mi... je suis désolé… je sais que tu ne m’as jamais aimé, mais je suis désolé… désolé d’avoir été trop idiot pour apprendre à te connaitre. Désolé d’avoir fait souffrir cette fille qui comptait tellement à tes yeux. Pardonne-moi d’être idiot… pardonne-moi, ne pas avoir prit le temps de t’accepter dans sa vie… Je voudrais que tout s’arrête. Qu’on puisse encore se parler, que je puisse te dire que je n’avais jamais voulu ça. On a perdu trop de temps à se détester tous les deux. Aujourd’hui, je veux des minutes, des heures entières pour te dire à quel point tu es une fille bien. Tu ne l’as jamais laissé, tu as toujours été là pour elle. Je veux apprendre qui tu es, je ne veux plus entendre parler de toi à travers ses lèvres, je veux entendre des mots franchir ta bouche. Un souffle, je manque de force, alors que mes yeux se lèvent. Un bruit plus fort que les autres. Un bip incessant… Et tout se bouscule à nouveau devant moi. Un médecin m’agrippe l’épaule pour me pousser. Une urgence, les portes qui s’ouvrent de l’ambulance. Le brancard, ces machines et tout ce monde qui se précipite. Je ne sais plus comment je suis descendu, mes pas m’ont guidés instinctivement vers l’entrée. Paniqué, je cherchais déjà à les retrouver. Le regard perdu, je sens deux mains se poser sur moi « Venez avec moi monsieur s’il vous plait. Venez. » Sa voix est douce, mes yeux posés sur elle. J’ai le regard vide… tandis que des larmes ne cessent de couler. Je ne m’en étais pas rendu compte avant de les sentir s’écraser sur mes mains ensanglantées. J’hésite quelques secondes à crier « Non non ! Je dois aller avec elles. » « Non monsieur. Vous êtes sous le choc. Vous devez venir avec moi. » « C’est Ye Won et Hye Mi. » Comme si elle ne le savait pas. Comme si prononcer leurs noms pourraient tout changer. Elle reste ferme, malgré une douceur appropriée. M’entrainant avec elle dans une petite salle. Elle m’installe sur une assise, farfouille quelques trucs tandis que je reste inerte. « Et si je ne pouvais plus jamais leurs parler ? » j’ai peur Ye Won… peur ne plus pouvoir parler avec toi. Peur ne plus sentir tes bras autour de moi. Je suis terrifié à l’idée ne plus pouvoir me souvenir de ton parfum, de ne plus entendre le son de ta voix… « On s’est disputé. Elle me déteste… » « Calmez-vous. Les médecins s’occupent d’elles. » Elle attrape mes mains. Les nettoyant doucement, pour m’apaiser. Mais l’angoisse me guette. Encore plus lorsque j’entends des bruits dans les couloirs. Affolés, je me redresse subitement « Restez calme. Comment vous appelez-vous ? » « Il… Il Kyang. » Je ne suis même plus sur de mon nom. Elle s’éloigne quelques secondes, me tends un verre « Prenez ça Il Kyang. Il faut vous calmez. » Alors je m’en saisis machinalement et avale cette pilule… j’ai si mal tout à coup. « Patientez-ici. Je reviendrais. » puis tout se fige… une légère sensation différentes des autres. Mes muscles se décontractent, mon corps devient plus léger. Et pourtant j’ai peur… peur de ne plus pouvoir les revoir.

Lorsque le noir prend place, il est parfois possible de comprendre. Que les regrets resteront à leur place. Que le temps perdu ne se rattrape pas. Qu’il continue de filer à une allure folle, même lorsqu’un corps inerte se bat inconsciemment pour la vie. Pour une lueur qui ne vient pas, qui s’échappe au loin. Qu’il est trop tard pour effacer les remords qui rongent un peu plus la chair. Une âme qui reste là, à ne plus rien ressentir, à ne plus être capable de se demander, si c’est réellement la fin. Seulement le balai incessant des secouristes, qui s’activent à faire tenir un peu plus longtemps, un coeur meurtri qui ne sait plus s’il doit continuer de battre.

Voilà simplement ce que tu es, un corps dont le coeur peine à battre encore correctement. Un corps écorché, la chair à vif. L’humidité que provoque ce sang sur ces vêtements que tu ne ressens plus. De tes yeux clos sur le monde, plus aucune sensation ne te parvient. L’inconnu, le néant. Plus aucun son, plus aucune lumière. Alors que cette ambulance traverse à toute allure les rues de la capitale, laissant rugir ces sirènes. L’esprit qui s’enfonce dans ce tourbillon entouré par le néant. Et ces voix qui s’élèvent, sans pour autant réussir à pénétrer ton âme. « Accrochez-vous encore un peu, on est presque arrivés ! »

Et sur ce chemin sinueux, à travers ces quelques larmes qui ont réussi à se frayer un chemin jusqu’à ta peau, tu crois découvrir cette silhouette au loin. Impensable, pourtant si belle. Si brillante dans ce décor si sombre. Une main qu’elle te tend, alors que ses traits se dessinent devant toi. Un autre monde dont les portes s’ouvrent, l’esprit embué, et la sensation étrange de flotter au dessus de ton propre corps. Elle est là, prête à t’accueillir dans cet univers inconnu. Elle est prête à te laisser choisir, entre la lumière et l’ombre. Une image qui disparait aussi vite qu’elle n’est venue à toi. Et ce silence pesant qui reste là.

Les portes de l’ambulance qui s’ouvrent sur ces longs couloirs blancs, ces médecins déjà prêts à prendre le relais. Des mots que tu ne comprends pas, cette agitation qui te ramène peu à peu à toi, alors que ton esprit embué est incapable de comprendre ce qu’il se passe. « Inconnue, la vingtaine. Nombreuses contusions, trauma crânien, côtes brisées. » Une voix qui s’échappe, des visions qui se mêlent, qui te font perdre le fil de la réalité. Et dans un effort incommensurable, tes yeux qui osent s’ouvrir, une seconde à peine, sur ces lampes qui t’aveuglent. Ce masque qui te gêne, cette douleur qui t’éveille, mais qui est bien trop vive pour te maintenir éveillée. Et cette voix, cette illusion qui revient à toi. « Hye … Mi … » Tes lèvres que tu peines à bouger, tes yeux que tu n’arrives plus à ouvrir. « On s’occupe de vous mademoiselle, tout va bien se passer. » La voix réconfortante du médecin que tu n’entends pas, ton coeur qui tambourine dans ta poitrine. « Elle est en tachycardie, il faut l’emmener au bloc ! » Et ces pas qui se font de plus en plus rapides, ce brancard qui roule au même rythme que ces autres qui se démènent devant toi.

Une seringue qui se plante dans ton bras, et ton esprit qui s’évade encore une fois. A ne plus savoir ou se trouve cette réalité. A ne plus être capable de penser. A laisser une fois de plus le néant t’envahir, le silence prendre toute la place. Sans savoir si tu te réveilleras. Et ce nom, qui te maintiens éveillée un peu plus longtemps. « Il … Kyang … » Un murmure. Ces regrets qui reviennent à toi pour s'effacer tout aussi rapidement. Ton corps qui se relâche, et ces docteurs qui s'acharnent déjà, à découvrir ce qu'ils doivent désormais réparer en toi. Pour espérer que la lumière te réveille une nouvelle fois.