Il se regarde dans la glace, évite de poser son regard sur elle. Des pas qui suivent le rythme de cette musique. Sans réellement s’intéresser aux paroles. Il s’en fout, ce qu’il veut c’est trouver des mouvements qui sont en accords avec les sons. Faire sa béa, pour ne pas trop être là. Ni devoir retravailler dessus. Il espérait y passer une soirée, un rêve surement mais il voulait y croire. Il suit ses envies, sans trop se poser de questions. Mais il bute souvent, revient sur ce qu’il fait et râle. Il n’aime pas. Ça ne ressemble à rien, ça ne veut rien dire. Elle non plus d’ailleurs, regard qu’il jette vulgairement vers elle. Wen se cache, ne lui impose pas sa présence. Geste qu’il apprécie, sans pour autant lui porter d’attention. Mais il l’observe malgré lui, voit qu’elle aussi n’est pas aussi performante qu’elle le devrait. Il se concentre à nouveau, tente des choses et se fait subitement surprendre lorsqu’il la sent proche de lui. D’un geste il voudrait la repousser, mais haletant, il se laisse faire. Sans raison aucune, il ne cherche aucun sens à ce qui se produit. La laissant approcher et nouer ce bandeau autour de ses yeux. Simple contact, il retient son souffle… est-ce là la solution à leur problème ? Il n’en sait rien, mais il se laisse convaincre. Il ne voit rien, distingue seulement des silhouettes, des lumières. Presque aveuglé, il sent son cœur s’apaisé. Courte trêve, avant de sentir à nouveau ses doigts frôler sa peau. Plus intense encore. Plus présente… d’une émotion nouvelle il la sent auprès de lui. Perturbant, et à la fois différent, il se tourne vers elle. Ne la voit pas ! Juste quelques ombres qui devinent être celle qu’il détestait. Ombre d’un souvenir, ombre de leur passé. Sa voix créé en lui un frisson qui parcourt son échine. Alors qu’il écoute de nouveau ce rythme. La chanson tourne en boucle, temps qu’il compte avant de devoir se mettre en mouvement. Un premier geste qu’il esquisse, pour lui d’abord. Avant de se laisser guider par une simple intuition. D’une petite voix rassurante il se force à se laisser aller. C’est de la danse… c’est ce qu’il aime plus que tout. Il veut réussir. Il ne peut pas laisser tomber pour elle. Pas après ces cinq années qu’il a sacrifié. « Fais le pour toi. » c’est ce qu’il se dit, alors qu’il se force une nouvelle fois à approcher d’elle. S’arrêtant, à quelques centimètres d’elle, il ressent davantage les émotions et la chaleur qui émane de Wen Yi. Presque tremblante, figée… torpeur qu’est la sienne, crainte qui l’envahi aussi. Il laisse s’écraser son souffle contre sa peau. Encore trop loin pour ce qu’ils étaient. Mais déjà si proche pour ce qu’ils sont. Puis soudain il écoute. Un peu plus attentif à ce qui se passe à ce qu’il entend. Paroles qu’il comprend subitement, d’une rage qui le prend à la gorge. Colère qui devient salvatrice, plus possessive, alors qu’il vient attraper sa main. Soudain, il doit surement la surprendre. Alors sans réfléchir il laisse échapper « Laisse-moi faire. » il veut la mener là où il veut. Dans son esprit embrumé et moins clair. Blessé, mais à la fois recouvert d’un bandeau qui lui permet d’occulter sa rage. Ce sentiment si fort qu’il veut transformer en atout. A travers des gestes maitrisés. Sa paume se colle à la sienne, tandis qu’il lève leur deux mains, et vient subitement serrés ses doigts contre les siens. D’un nouveau geste qu’il entreprend, il laisse cette sensation le surprendre. Monter en lui comme quelque chose qui l’aiderait. Jed est un danseur, il a toujours su maitriser ce qu’il ressentait pour s’en servir, s’en libérer aussi. La danse la sauver plus d’une fois ! Alors il la laisse le rendre esclave. Ne plus penser à rien. Mouvement qu’il lui redonne de la force, alors qu’il sent Wen Yi répondre à ses attentes. Il n’a pas la moindre idée ce qu’ils sont en train de faire. Mais il se fait guider par ces paroles. Son cœur meurtrie, trouve réconfort alors qu’il la sent un peu plus proche. Est-ce qu’elle aussi vit mieux sans lui ? A quoi ressemble sa vie désormais ? A-t-elle seulement des regrets ? Ces questions ils ne se les étaient jamais posés avec autant de tristesse. D’ordinaire il perdait pied, laissant la colère le gagner. Mais cette fois, c’est la musique qui a raison de lui. La passion qui le laisse baisser les armes. Alchimie qu’ils retrouvent bien vite. Comme une évidence, à mesure qu’ils s’effleurent et se frôlent. Il retient son souffle, équilibre fragile dans lequel il se fait emporter. Il sait qu’un rien pourrait tout briser entre eux. Mais quelque chose le pousse à faire ça… la passion comme il aime se cacher derrière cette excuse. Pourtant il le sait, que quelque part il se sent toujours attiré par elle. Son propre corps le trahi, recherche son contact non sans violence. Couple qui se déchire, qui se hait. Haine à la hauteur de ce qu’il ressentait… Tout devient plus intense, plus palpable. Rien ni personne ne pourrait ébranler ce lien si puissant qui les unissait.

La vue en moins, c’était comme s’ils s’étaient ôté la vision douloureuse de l’autre. Ne plus voir son visage, sentir son corps et se dire que c’est un autre homme, pas celui qui tourmente ses nuits. Wen Yi se souvient encore de la gifle qu’elle avait reçue alors qu’elle dormait car dans son sommeil elle avait prononcé le nom de Jed. Cela avait été plus fort qu’elle, elle rêvait de lui, mais comment pouvait-elle le contrôler ? Elle ne cessait de penser à lui le jour, la nuit il venait hanter ses rêves. L’idée déplaisait à son mari qui s’était vengé. Durement. Plus qu’une simple gifle. Pourtant elle n’avait jamais rien regretté et s’était rendormi cette nuit-là en pensant à Jed. A la douceur de ses bras et à la sensation de sécurité qu’elle ressentait quand elle était dans ses bras et qu’elle avait quitté. Pour tenir elle ne pensait qu’à lui. Puis au fil des jours elle avait fini par penser à lui comme une habitude, un fantôme qu’elle croisait parfois dans le reflet du miroir. Il n’était plus le phare de ses pensées mais une ombre rassurante et continuellement avec lui. Il ne la quittait jamais elle s’arrangeait pour qu’il ne devienne que son jardin secret, à l’abris des coups et de l’horreur qu’elle vivait. Chaque fois que son mari portait la main sur elle, elle fermait les yeux et se réfugiait dans ce jardin avec l’amour de sa vie et son fils. Leur fils. Elle avait tout fait pour les protéger de cette folie, de cette main lourde. Elle était soulagée (bien que terriblement fatiguée) d’être la seule à subir ces coups. Son fils vivait avec son père et c’était la seule bonne chose qu’elle avait dans sa vie.

 

Alors quand il attrape sa main, qu’ils oublient le temps de quelques minutes qu’ils se haïssent, elle se laisse porter. Elle le suit, maladroitement avant de retrouver rapidement cette complicité et cette fluidité entre eux. Tout est … presque trop facile. Encore un peu rouillé, ils retrouvent cependant rapidement cette sensation entre eux. De celle qu’on ne peut oublier. Elle sait quoi faire avant même qu’il ne lui dise. Chaque fois qu’elle le repousse, elle le rattrape, chaque fois qu’il s’éloigne il revient. Comme si malgré les consignes, ils étaient incapables de rester loin l’un de l’autre trop longtemps. Dans la vraie vie, celle en dehors de leur bulle de danse, ils se l’infligent déjà beaucoup trop. Dans un élan qui se vent sensuel et gracile, la jeune fille se réceptionne dans ses bras en nouant ses jambes sur ses hanches. Elle peut sentir son corps glisser lentement contre le sien, jusqu’à sentir son souffle non loin de ses lèvres. C’était ça la haine ? Cette envie furieuse de l’embrasser autant qu’on voulait mordre cette bouche pour la punir ?

 

Lâchant prise la jeune femme atterrit au sol avec agilité et se tourne à nouveau dos à lui, cramponner à sa main imposante, fouettant d’un même mouvement son visage de sa queue de cheval, et reprends sa danse comme si ces secondes de flottement entre eux n’avait pas existé. Délicieux et cruel. Ils se repoussent et s’attirent. Wen Yi se retient de justesse de lui retirer son bandeau car elle ne veut pas qu’il revienne à la réalité. Qu’il soit à nouveau … lui. Le père de son enfant qui la hait tant que la toucher lui est impossible. Mais le feu qui brule entre eux devient presque douloureux et malgré le souffle qui lui manque Wen Yi danse. Danse parce que la réalité viendra les séparer que bien trop vite.