Plusieurs jours se sont écoulés depuis cette dernière dispute, cette nuit digne d’un cauchemar de plus. Elle se souvient encore des paroles qu’elle a osé prononcer à l’encontre de Kitae, s’en veut parfois, mais sait qu’elle avait raison. Elle se souvient surtout de ce que Il Kyang a osé lui lancer en plein visage. Une phrase qui l’a anéantie, bien plus qu’elle ne pourrait l’admettre. ‘C’était qu’un jeu tout ça de toute façon. Je me suis foutu de toi à la minute où on s’est reparlé.’ Quelques mots pour détruire le peu qu’il restait d’eux. Si tant est si bien qu’il restait encore quelque chose. Désormais, il n’y a plus rien à espérer, plus aucune lueur. Elle qui pensait avoir tiré un trait à leur histoire dans cette chambre d’hôtel comprend que rien n’est encore terminé, au contraire. Qu’il va falloir qu’elle s’arme de sa plus épaisse carapace pour affronter ce qui l’attend encore. Et ce soir, elle a trouvé la force de l’enfiler, pour aller annoncer à Il Kyang le choix qu’elle a fait. Une décision prise sur un coup de tête, sur le coup de ses émotions, alors qu’il était à peine conscient, que Kitae lui reprochait le tout et son contraire. Une décision à laquelle elle a pris le temps de penser, pendant les jours suivants, et qui désormais se trouve être la meilleure chose à faire. Elle va partir. Elle va quitter ce dortoir, et disparaitre de sa vie à son tour. Elle prend son indépendance et s’envole, loin de lui. Elle espère que ça l’aidera à l’oublier, une bonne fois pour toute. A tourner définitivement la page sur cette histoire qui ne mène plus à rien. Si elle a perdu l’espoir de l’avoir dans sa vie, elle aspire désormais à mieux. Moins de souffrances, moins de disputes. Une lueur qu’elle pourra peut-être trouver ailleurs. Et malgré tout ce qu’ils ont subit, elle refuse l’idée de le faire sans lui annoncer. Même s’ils s’évitent depuis longtemps, même si plus rien n’est comme avant. Elle se dit encore qu’elle lui doit bien ça, parce qu’elle sait ce que ça fait, de subir la disparition de quelqu’un, qu’importe ce qu’il a pu se passer.

Pendant un instant, elle continue de faire les cent pas dans sa chambre. Elle tente de garder son souffle, respire lentement. Elle a déjà certaines pistes, des appartements à visiter. Elle ne peut pas laisser traîner, attendre indéfiniment avant d’aller lui parler. Un dernier soupire, et elle se décide enfin, à sortir de sa chambre pour rejoindre celle d’Il Kyang. Ses jambes tremblent, bien malgré elle. Elle aimerait pouvoir arrêter ces frissons qui la parcoure, elle a du mal. Parce qu’elle sait au fond d’elle, que cette discussion qu’ils auront sera sûrement la dernière. Et quelque part, cette idée l’effraie. Parce qu’elle signe la distance qui les séparera pour de bon, cette fois. Elle se rapproche lentement, sent déjà son coeur battre un peu plus fort dans sa poitrine. Ce n’est qu’un mauvais moment à passer, après ça, tout sera terminé. Elle se maintient à cette pensée, lorsqu’elle ose toquer à la porte. Des bruits résonnent à l’intérieur de cette pièce, sans qu’elle puisse deviner de quoi il s’agit exactement. Alors elle toque une seconde fois, puis sans réellement attendre de réponse, elle entre. « Il Kyang… ? » ose-t-elle murmurer, avant de se stopper dans ses gestes.

Elle avait naïvement cru le trouver seul, peut-être ivre, peut-être en train de travailler sur sa musique. Elle avait bêtement pensé le retrouver comme à son habitude, pourtant la scène qui se joue devant elle est bien loin de tout ce qu’elle avait pu imaginer. Il Kyang, avec Sawan. Ses yeux se portent sur l’un, puis sur l’autre. Elle reconnait les traits de la jeune femme sans difficulté. Elle peut voir par elle-même ces deux corps nus, unis l’un à l’autre. Cette valse qu’ils étaient en train d’effectuer. Elle déglutit, a envie de vomir. Des palpitations secouent déjà son corps alors que des larmes glissent déjà le long de ses joues. Elle repense, à ces disputes déclenchées à cause de celle qui partage les draps d’Il Kyang ce soir. A ces mots qu’il lui avait pourtant dit. ‘Je m’en fous d’elle. Si tu veux je lui parle plus. Je la raye de ma vie complètement.’ Ils ne sont qu’un mensonge de plus qu’il a osé lui balancer en plein visage. Elle avait raison, lorsqu’elle disait que c’était Sawan qui avait fini par gagner. Elle s’en rend compte enfin. Il disait vrai, l’autre soir, dans ce studio. Il n’a fait que jouer avec elle. Et elle ne sait plus ou se mettre, quoi penser, quoi faire. Ses lèvres se pincent, elle les mord à sang alors qu’une nouvelle douleur submerge son coeur. « T’es vraiment le pire des enfoirés. Un putain de menteur… » Et si le courage ne lui faisait pas défaut, elle se serait approchée pour le gifler, lui balancer toute sa rage. « J’t’en prie, t’arrête pas, baise-la comme il se doit. Fais-la bien hurler que tout le monde sache que tu continues de te taper cette pute. » Son regard se fait si noir, si désobligeant. Mais cette haine n’empêche pas ces perles d’eau de continuer leur chemin sur sa peau. Puis, elle claque la porte, en a trop vu. Son esprit se meurt au fur et à mesure de ses pas jusqu’à sa chambre. Quelques secondes pour à nouveau changer la donne. Quelques secondes où son monde s’effondre une fois de plus. N’a-t-il donc plus aucun respect pour elle ? Pour ce qu’ils ont vécu pendant toutes ces années, ces derniers mois ? Il faut croire qu’il continue encore de vouloir la faire sombrer, plus encore qu’elle ne pourrait le supporter. Un chemin qui semble interminable jusqu’à sa chambre, le coeur en miettes. Quelques pas de plus pour s’isoler dans cette salle de bain, alors que cette envie de vomir ne désemplit pas, devient plus forte encore, jusqu’à la faire céder. De longues minutes à rester là, le regard dans le vide, sans savoir comment elle pourrait se remettre de ça. Et cette image d’eux deux reste ancrée dans son esprit, tourne en boucle. Elle ne voit plus que ça, les imagine désormais dans leurs ébats qui n’ont certainement jamais cessé. Et voilà que désormais, la seule question qui reste à son esprit l’effraie bien plus que tout ce qu’elle a déjà subit. Que sera-t-il capable de faire de plus pour la faire sombrer définitivement ?

Je ne pense plus qu’à nous, qu’à elle. Tant pis si c’est un mauvais choix, si je me trompe encore une fois. Je n’ai plus rien à ne prouver à personne. Je ne veux plus m’éloigner, ni même l’oublier. Je l’ai trop blessé, je lui ai fait du mal. Alors dans mes gestes, dans nos caresses, je lui montre à quel point je tiens à elle. Je veux qu’elle me pardonne pour ces silences, ces instants d’égarement. Cette chanson aussi… ces colères sans aucun sens. Nous sommes trop beaux pour être devenus ce que nous sommes… alors je ne veux plus l’ignorer. Je soupire contre elle, me perds dans nos souffles, ce rythme qui m’emmène encore plus loin. Sous ses mains, je tremble, j’abdique de plaisir, perd toute notion de ce qui nous entoure. L’esprit ailleurs, absence désirée… je ne saisis pas tout de suite que quelqu’un est entré. C’est sa voix, qui vient brusquement me transpercer. Me ramener à une réalité qui me parait encore floue si lointaine. Me redressant brutalement, je manque d’étouffer en voyant Ye Won dans la pièce. Mon regard que je pose sur elle, est teinté d’une ivresse et d’un plaisir non dissimulé… c’est machinalement, que je tire les draps sur nous, comme pour nous cacher. Masquer ce qui vient de se passer. Mais c’est trop tard. Elle hurle, et je suis encore tellement perturbé. Mon cœur bat plus vite, il s’accélère et ma tête tambourine si fort. J’ai l’impression que je vais imploser pourtant, je reste planté là, sans savoir quoi faire. Je ne peux pas bouger… et je suis brutalement happé par la honte. Le mensonge une nouvelle fois qui nous frappe. Elle m’a vu. Elle m’a surprise avec Sawan… la pire des images possibles. Et je ne sais plus quoi penser. Je prononce son nom comme si je pouvais encore le faire « Ye Won ! » je veux t’expliquer ? Non, je ne sais même pas quoi dire. En réalité, je n’ai même pas la force de me justifier. Je suis… perdu. Complètement abasourdi. Et ce n’est pas une méprise, je n’aurais pas l’affront de le penser… c’était bel et bien ce qu’elle croyait et… putain, je ne sais pas. Mon regard se focalise sur elle, il s’accroche à elle à ses mots. Ses gestes… ses larmes qui me fendent le cœur. Et j’ai beau être ivre, ne plus savoir où je suis parfois, j’ai l’impression qu’on m’arrache un membre. Et déjà elle fuit, alors que je tente de me lever, pour la rattraper « Ye Won attend ! » mais c’est trop tard. Qu’est-ce que je veux faire ? Lui courir après ? Alors que j’ai ce drap sur moi, alors que je viens de coucher avec Sawan ? Tout tourne dans ma tête, je reste de longues secondes posté au milieu de la pièce, sous le choc. Perdu… quand enfin j’ose croiser le regard de Sawan. Je me sens presque désolé... apeuré… je n’arrive pas à parler. Je ne sais pas quoi lui dire à part que je ne voulais pas que ça arrive. Je ne pensais pas que Ye Won serait là mais… Qu’est-ce qu’elle était venue faire ? Pourquoi venait-elle me voir ? je ne sais pas, je suis juste perdu. Accablé par la culpabilité qui m’envahi. Mes mains tremblent encore, mon regard perdu alors que je me laisse retomber sur le lit… « Je l’ai perdu… » parce-que j’ai beau être enivré, je comprends. Que plus rien ne sera plus comme avant… et j’ai peur Sawan… peur que toi aussi tu me m’abandonne encore une fois. 

Le paroxysme du plaisir la frappe de plein fouet, mais elle n’a pas le temps d’en profiter, ni de le savourer. La porte s’ouvre, et cette voix. Sawan réalise que c’est la première fois qu’elles se font face. De la pire des manières elle le conçoit. Elle n’est pas certaine de comprendre les mots. A vrai dire c’est la goutte de trop pour Sawan. Elle se sent vide quand le garçon se redresse pour tenter de rattraper Ye Won. Elle reste allongée dans le fond de ce lit sans savoir comment se sentir. Elle a froid, lui qui a pris le drap. Elle est nue, vulnérable finalement. Elle reste de longues secondes sans bouger. Sa tête lui tourne, son corps est encore tremblant de leur ébat mais le silence et le froid glaciale qui s’abat sur eux l’immobilise. La tétanise. Les mots de Ye Won tourne en boucle dans sa tête. Tu continues de te taper cette pute. Cette pute. C’était tout ce qu’elle était devenue alors ? La Pute que baisait Il Kyang. Pourtant … elle avait été là pendant deux ans. Elle avait été là pour le soutenir, l’encourager, le protéger. Elle avait été dévouée, loyale. Elle lui avait demandé beaucoup, c’est vrai, mais elle lui avait rendu au centuple. Elle lui avait donné un toit quand il n’en avait pas, un toit qu’il avait souillé en lui volant son carnet, pourtant elle lui avait tout donné. Son amitié. Son temps. Sa patience. Elle avait partagé avec lui bien plus d’intimité que ne pourrait avoir un vrai couple. Elle n’avait jamais franchi cette limite qui aurait tout gâché. Ils savaient tous les deux où se trouvaient leur place. Mais il Kyang semblait l’avoir oublié. Evidemment ça lui fait mal de le voir courir après cette fille, et pas parce qu’il l’aime, mais parce qu’il la délaisse. Encore. Il s’éloigne d’elle, se noie dans la douleur de réaliser qu’il a perdu Ye Won. Mais Il Kyang, il est temps que tu réalises que tu peux me perdre aussi. Mais elle n’a pas envie de lui demander de faire un choix, elle ne le fera pas pour lui non plus. Ne lui imposera pas son absence ni sa présence. Elle attendra simplement qu’il comprenne. Alors ne silence Sawan se redresse. Elle n’a plus rien à faire ici. Elle attrape sa culotte au pied du lit et l’enfile le cœur lourd, la mine basse. Elle ramasse sa robe qu’elle serre contre elle pour se cacher, soudain honteuse. Elle déglutit et vient s’accroupir devant Il Kyang. Elle caresse sa joue pour le sortir de sa torpeur et lui soulève le visage juste assez pour pouvoir croiser son regard. Ça devait bien faire un million de fois qu’elle ne cessait de lui répéter la même chose. Lui soufflant inlassablement la solution. Celle qu’il n’arrivait pas à entendre. Alors cette fois elle se jure de s’y tenir. « Il Kyang, il est vraiment temps que tu prennes une décision et que tu l’assumes jusqu’au bout … il n’y a que toi qui peut te sortir de cet enfer, de nous sortir de cet enfer. » elle ravale sa rancœur, sa colère, sa voix se fait la plus douce possible, mais elle est ferme, sonne la fin d’un chapitre. Espère ne pas sonner la fin de leur histoire. Elle se redresse légèrement et vient déposer ses lèvres sur les siennes. Un baiser d’adieu. Le dernier qu’ils pourront se donner, s’offrir sans en souffrir. « Je t’aime. » et c’est douloureux à dire, douloureux à entendre parce qu’elle sait au fond d’elle Sawan, que tout cet amour les a détruits. Elle colle son front au sien et se redresse avant de quitter la chambre. Elle n’a plus envie d’y rester. Il doit réfléchir à son avenir, au choix qu’il doit faire. Ce soir elle ne veut pas le soutenir, ni le consoler, parce qu’Il Kyang je t’ai tenu la main assez longtemps. Il est temps pour toi d’apprendre. D’apprendre seul. Elle quitte la chambre en ravalant ses larmes et réalise qu’il est temps, temps pour elle aussi d’apprendre seule.