trente et un mars deux mille sept
au journal télévisé national

« Bonsoir, c’est avec un drame survenu dans le quartier de Hongdae hier soir que nous débutons ce journal. La nuit dernière, le commissaire de police Ahn Joon Il a été arrêté à son domicile suite à l’appel d’une voisine. Sur place, le corps de sa femme, Ahn Jeong Ja a été retrouvé inanimé. D’après nos premières informations, celle-ci a succombé à ses blessures quelques heures à peine après l’arrivée des urgences. Leur fils, Ahn Nam Kyu quant à lui, présent sur les lieux au moment du drame, a été transporté à l’hôpital avant d’être pris en charge par les services sociaux. A l’heure actuelle, nous ne savons pas ce qui a poussé ce père de famille à un tel acte. D’après des sources proches de la famille, le commissaire Ahn avait déjà fait l’objet de plusieurs enquêtes pour violences, mais aucune poursuite n’avait été entamée à son encontre. La plupart des membres de son équipe expriment une surprise certaine face à ce qu’il s’est produit, ne comprenant pas l’attitude de Monsieur Ahn. Plusieurs pistes sont suivies pour connaître les circonstances exactes de ce drame. »

trente mars deux mille sept, vingt et une heure dix
appartement de la famille ahn

Un choc, un cri. Puis le silence. Assourdissant, lourd. Qui fait trembler le gamin. Ses yeux posés sur ce corps inerte, ses mains tremblent. Caché derrière une porte, il n’ose plus bouger. Le père de famille qui observe sa femme inanimée, de longues secondes. Aucun son qui n’ose s’échapper d’entre ses lèvres. La peur et la mort se sont engouffrés dans l’appartement ce soir. Des minutes, des heures selon l’enfant, avant que les sirènes ne retentissent. La panique d’un quartier qui s’éveille au son des policiers qui pénètrent l’appartement. Leur commissaire, ceinture à la main. Perles de sang qui s’écrasent au sol. Il n’y a pas besoin de plus pour deviner le drame qui s’est produit ce soir. Et une simple phrase, qui tourne en boucle dans l’esprit de ce gamin désorienté. Une voix qu’il finira un jour par oublier. « Pardonne-moi Joon Il, je voulais simplement offrir un cadeau à ton fils pour son anniversaire… » Une culpabilité qui le ronge déjà, malgré la maturité dont il manque cruellement.


trente mars deux mille treize
dans les rues de séoul

Le vent qui souffle sur la capitale, un gamin désorienté, qui ne sait pas ou aller. Le froid de la nuit l'engouffre dans ce nouveau monde dans lequel il se perdra un temps. Il a tout quitté, cette famille d'accueil, ces frères qui n'en sont pas vraiment. Quelques billets pour manger, un ordinateur sous le bras pour croire qu'il pourra s'en sortir comme ça. Il a tout quitté, ce gosse sans attaches. Ses yeux clignent trop rapidement, laissent ses traits se tirer devant ce squat qui l'abritera cette nuit. Jeune homme trop immature pour être capable de survivre ici, mais il le faudra bien. Un jour, Kyu sera fort, prêt à tout affronter. Un jour, Kyu oubliera ses chauchemars et le silence qui le traumatise encore. Kyu a grandit mais ne sait pas encore faire les bons choix. Il laisse ses besoins prendre le pas sur le reste. Et tout ce qu'il a compris, c'est que ces autres ne seront jamais un support sur lequel se raccrocher. Il part loin d'une misère pour en trouver une autre, de simples paroles qui lui reviennent encore en tête. « T'es un adulte, si t'as envie de te barrer, tu t'barres. On gagnera plus rien d'toi de toute façon. »

trente mars deux mille dix sept
manguri park, séoul

Dix ans déjà, que le drame est survenu. Dix ans à se souvenir. De ce silence qui lui glace encore le sang. Des images qui secouent le jeune homme, qui le réveille encore en pleine nuit. Le voilà pourtant prêt à devenir quelqu'un, à sa manière. A contourner les règles que le patriarche appliquait partout, sauf dans son propre foyer. Sim a pris le pas, avance sans se soucier de ses victimes. Elles ne seront jamais autant blessées que sa mère. Elles ne seront jamais un corps inerte, dont la vie s'est échappée sous les coups violents de celui qui devait la protéger. Kyu se perd dans une autre vie, ou il rend à sa manière la douleur qu'on provoque encore en lui. Sim est mauvais, alors que Kyu pleure encore la douceur d'une mère disparue trop tôt. Une autre facette de lui qui se découvre et disparaît aussi vite que possible, pour laisser à ce gosse le loisir de croire qu'il peut profiter de la vie.