Je me sens rassurée, entourée d’une carapace infranchissable quand je suis avec lui ; il me protège alors que c’est moi qui devrais le faire. Mais je n’ai plus la force d’aller contre lui, d’être contre lui, de m’opposer à lui alors que ça lui fait du mal. J’ai juste envie d’être avec lui, comme c’était le cas avant. Rester proches, comme c’était le cas avant. Ne faire qu’un, comme c’était le cas avant. Avant que tout ne parte en fumée à cause de mon égoïsme et de mon envie de liberté. Je lui ai tellement fait de mal ces dernières années que je n’ai plus la force de lui refuser quoi que ce soit.

Alors que je suis collée contre lui, je l’écoute doucement en laissant mes larmes se frayer un chemin jusqu’à son t-shirt, s’imbiber dans celui-ci comme si je voulais partager ma peine avec lui. Je me mords la lèvre et j’étouffe un sanglot pour ne pas briser ce moment si précieux pour nous deux, laissant sa voix me bercer. Les rôles sont échangés ; ce n’est plus moi qui te protège, petit frère. C’est toi qui as pris la place ; et tu as l’air de t’en satisfaire.

Quand je le sens reculer, je rouvre les yeux doucement et je le sens essuyer les larmes qui coulent le long de mes joues. Tu ne veux pas que je souffre—alors que je le mérite. Je le mérite tellement, Junho, après tout ce que je t’ai fait subir. « Il est temps qu’on s’échange les places, petit frère. Ce n’est plus seulement à toi de souffrir. » Je feins un sourire puis je laisse ma tête prendre appui sur l’une de ses mains. Je le regarde l’espace d’un instant, je baisse le regard, je laisse sa voix résonner à nouveau au creux de mes oreilles. « Je t’ai à nouveau avec moi, je suis à nouveau avec toi. Je te promets que je n’assumerais plus toute seule. » Je me recule à mon tour et je viens chercher ses mains pour les serrer dans les miennes. J’hésite un instant avant de poser à nouveau le regard sur lui. « Parce que je t’ai toi, et c’est tout ce qu’il me faut. » Soupir, nouveau sourire. « Tu m’accompagnes pour rentrer ? Que je profite encore que tu sois avec moi. »

Il ne peut pas rester contrarié. Quelques mots lui suffisent à tout oublier. A se dire qu’en réalité, il voyait trop loin. Qu’il lui en voulait pour des choses qui n’existaient pas. Et quelque part il s’en veut, d’être aussi faible. De lâcher prise aussi vite. Mais il se sent fébrile quand il l’écoute parler. Sa sœur… son tout. Comment la détester ? Il a fallu peut-être quelques temps, des pleurs pour enfin qu’elle comprenne qu’il est là. Il ne compte plus partir… mais est-ce suffisant ? Son cœur bat plus vite. Bien trop d’ailleurs alors que son esprit vagabonde. Ses pensées sombres, ces souvenirs dont il se rappelle… plus rien n’a de sens tout à coup. Je suis à nouveau avec toi… et c’est tout ce qu’il aurait pu attendre. Un pauvre gosse, qui ne voulait qu’un peu d’attention. Voilà ce qu’il est… rien de plus, rien de moins. Il veut y croire, retient son souffle quand elle cherche sa main. Sunan… promets-moi que tout ça c’est vrai. Que demain ça ne changera rien… mais il n’ose pas lui demander. Ce soir, il veut juste croire à ses mots. Se dire que oui, il lui suffit. Il la sent sincère, ne doutera jamais d’elle. Parce qu’il est aussi naïf que ça. Trop imprégner d’elle, pour se mettre en colère. Pourtant les souffrances et les cicatrices n’ont pas finis de se refermer. Mais il reste muet. Le cœur chargé d’espoir. Il fait un signe de la tête, accepte sa proposition. S’il pouvait, il dormirait même avec elle. Comme à l’époque où elle veillait sur ses nuits trop sombres. Mais il se contente de sourire, de garder sa main dans la sienne quelques instants. Il n’a plus aucune certitude les concernant. Ce qu’il voudrait, c’est juste que leur relation redevienne ce qu’elle était. Qu’ils osent enfin se parler de ce qui est arrivé. Mais tout reste trop vague dans son esprit. Il refuse de se torturer, garde un œil sur sa sœur. Aujourd’hui, il veut être celui qui la protège. Qu’importe son jeune âge. Il devient un homme… lui aussi peut avoir ce rôle dans sa vie. Il voudrait que les choses deviennent plus… sereines entre eux. Alors il se berce d’illusion. Se dit que oui, rien ne peut vraiment les séparer. Les liens du sang, sont plus important n’est-ce pas ? Et arrivé à son dortoir, il sent son cœur devenir plus lourd. Parce qu’il voudrait la suivre, qu’elle le prenne dans ses bras et lui dise que tout ça n’a jamais exister. Qu’elle a toujours été là… il refuse de repenser à ces nuits sans elle. A ces portes fermées. Ce soir… elle est avec lui. Ils ont grandi, malgré lui… malgré ce qu’il désirait. Alors il sourit à nouveau, dépose un baiser sur son front pour faire semblant. Comme le ferait un frère… « Bonne nuit Sunan. » il a le cœur lourd. Chargé de doutes, de craintes tout à coup. Car il n’a jamais l’esprit tranquille quand elle s’éloigne. Qu’importe la distance, une seconde sans elle, c’est une seconde de trop. Mais il garde de l’espoir, demain tout sera différent… demain, elle reviendra dans sa vie… demain elle l’aimera à nouveau.