Une différence entre être direct et ça ? « Ça ? » Il attendit une demi-seconde, le temps qu’il fallait à Mingyu pour reprendre la parole, avant de sourire à nouveau. Oui, peut-être qu’il s’en fichait, comme il le disait si bien. Peut-être que jamais au cours de sa vie Jaewon n’avait éprouvé la moindre culpabilité à l’idée de blesser une autre personne avec son honnêteté parfois acide. Il se moquait bien de savoir que ses propos pouvaient secouer l’âme et le cœur d’un autre, de savoir qu’il pouvait blesser ou heurter simplement en donnant son avis. Pourquoi, après tout ? Il n’avait pas spécialement envie de s’écraser devant eux pour leur donner ce qu’ils voulaient. Ce qu’il voulait, lui, était bien plus important. Alors qu’importe ce que pouvait penser Mingyu, il n’allait pas changer pour lui plaire. C’était déjà écrit dans la roche, et personne ne pourrait le changer, ou au moins était-ce ce que Jaewon aimait penser, quand il était question de son camarade. La réalité était bien plus complexe.
 
« Justement, tu n’as pas pensé, et donc tu as pris une décision irréfléchie. » Parce qu’il était évidemment hors de question pour Jaewon d’admettre ses torts face à Mingyu. Hors de question, oui. « Oh, et maintenant tu comptes essayer de me culpabiliser ? »
 
Pauvre Mingyu, petit chat blessé qu’on avait mal traité ? Non, Jaewon refusait de fonctionner selon ce genre de principes, et si Mingyu n’était pas content, il pouvait partir. Il refusait d’accepter d’être culpabilisé pour une décision que Mingyu avait prise, car il était clair à ses yeux que son camarade savait parfaitement ce dans quoi il s’engageait avec lui. Et pourtant… Pourtant, malgré lui, Mingyu semblait l’avoir fait fléchir.
 
« Nous sommes amis. » Vraiment ? Lui-même n’en savait rien. Ce qu’il savait, c’est qu’étrangement, l’idée de le voir partir le dérangeait plus encore que l’idée de devoir désigner quelqu’un comme son ami. Il détestait ce sentiment d’être pris au piège. Le sentiment que Mingyu lui donnait à cet instant. « Et qu’est-ce qui te conviendrait, alors ? »  

"Ça...genre, s'en foutre complètement du fait que t'es blessant."

Car voilà bien l'impression que j'ai ici. Jaewon est direct, certes, mais se rend-il compte au moins qu'il ne m'est aucunement nécessaire, ni agréable, de savoir à quel point il n'a que trop le choix quant à ses partenaires ? Que si je ne suis pas d'humeur, ou disponible, il se contente d'appeler quelqu'un d'autre, comme si j'étais interchangeable ? Au final, ses paroles me donnent l'impression de n'être à ses yeux qu'un...partenaire privilégié, en quelques sortes. Mais quelqu'un qu'on ne voit pas en dehors de ce prisme, visiblement. Pire que tout, il voudrait me rendre coupable de cette situation sous prétexte d'une décision que j'aurai prise, mais moi, je n'ai pas l'impression d'avoir choisi quoique ce soit, dans cette histoire : j'ai couché avec lui par ivresse tant que par envie. J'ai suivi le déroulé des choses sans broncher, mais sans en décider non plus - il n'est pas étonnant de voir que Jaewon a le dessus sur la situation, au final. Et si j'ai voulu une fois soulever la question de notre statut, j'en fut vite dissuadé : au final, si choix il y a eu, il n'aura pas été tant d'une réelle volonté de ma part que par inconscience, à force de suivre sans me poser de question le rythme imposé par mon colocataire.

"Non. J'ai rien décidé." Je me répète. "J'ai...j'ai suivi ? Au fond, c'est toi qui décide de tout, depuis le début. Et même si j'avais choisi quoique ce soit...je m'estime dans le droit de changer d'avis." Peut-être qu'en effet, l'idée de sexe sans attaches ni conséquences me charmait, au début : après tout, je me revendique tellement de ces courants qui refusent les cases modernes que l'idée me paraît toujours assez séduisante, celle d'un homme libre de son corps, qui en dispose sans avoir besoin du cadre d'une relation. Dans les faits, je réalise que l'attachement est difficile à éviter, voire impossible, et me voilà blessé par une situation que j'ai pourtant bien souvent défendue, lorsqu'elle concernait les autres. "C'est pas ce que je fais ! C'est juste...c'est la vérité, c'est...laisse-tomber."

Oh, je ne sais pas ce que j'avais espéré. Visiblement, il n'en a pas grand chose à faire, et si j'avais pensé qu'il pourrait au moins radoucir son propos, il n'en est rien. Voilà que je me sens bien idiot, si peiné pour un garçon qui lui, visiblement, n'est pas plus que cela affecté par mon état à moi.

"Amis..." Il me vient alors un rire nerveux. Amis. Il est bien le seul ami avec qui je fais ce genre de choses. Et je réalise, au fur et à mesure, que je ne le vois plus réellement comme un ami. Mais que faire, quand ma vision n'est pas partagée ? "Si tu le dis." À nouveau, je détourne le regard. Sa question voudrait presque me rendre muet. Ce que je veux...j'attendais cette question, mais j'ai peur d'y répondre, autant que je ne sais pas comment. J'ai peur de sa réaction, d'un refus ou d'un départ. Comme c'est ironique : je crains de perdre la situation qui me blesse tant. "Je...j'en sais rien..." Ma voix se fait plus faible, hésitante. "Plus. Je veux plus que...que ce qu'on a là." Mais j'ai bien peur qu'il ne soit pas prêt à me le donner.

« Je n'ai pas à me sentir concerné à partir du moment où tu me reproches de te dire la vérité, Mingyu. Tu préférerais que je te mente et que je te dises que tu es le seul alors que ça n'est pas le cas ? » C'était quoi, cette mauvaise plaisanterie ? Jaewon avait l'impression de devoir se justifier de tout ce qu'il faisait, une impression très désagréable, il devait l'avouer. Mais la conversation continuait, et pas forcément à son avantage, à voir ce que Mingyu pouvait lui rétorquer.

« En effet, tu en as le droit, je n'ai jamais dit le contraire. » Et il avait froncé les sourcils en riant doucement, les yeux posés sur Mingyu. « Mais alors j'ai le droit d'avoir d'autres partenaires, je ne vois pas en quoi il y a un problème, dans ce cas. » Ne voyait-il pas les failles qui lézardaient son jugement ? S'il souhaitait ne plus aller retrouver Jaewon, il pouvait arrêter, il n'y avait aucun souci avec ça. C'était assez... Divertissant. Du moins, c'est ce qu'il essayait de se dire, mais il devait bien avouer que les réponses de Mingyu lui donnaient toujours plus l'impression qu'il allait partir, ce qui ne le rassurait pas. Pire, ça ne lui plaisait pas.

« Plus ? » Un léger rire lui avait échappé à cette pensée. « Tu réalises tout ce que ça impliquerait ? » C'était troublant, ce combat intérieur qui venait de naître. L'envie brûlante d'accepter qui combattait celle de refuser, simplement par volonté de rester libre. Oui, il avait envie de rester libre, de ne rien devoir à personne. Il avait toujours fonctionné de cette façon, sans craindre de heurter les gens. C'était nécessaire à ses yeux. Vital. Il ne voulait pas être limité par les règles des autres.

"Non mais...y a dire la vérité et la manière de - raaah, laisse tomber. Tu comprends rien, de toute façon."

À sa décharge, il est vrai que je ne suis pas des plus clairs. Parce que moi-même, je n'arrive pas à démêler les pensées qui s'embrouillent dans ma tête pour les convertir en mots, et peut-être qu'il n'a pas totalement tort, sur cette histoire d'honnêteté. Néanmoins, sa façon d'annoncer les choses, de me laisser me sentir comme un parmi tant d'autres, me dérange profondément. Loin d'ordinaire de prôner la délicatesse, je suis aujourd'hui en grand manque de cette dernière, de la part de Jaewon.

"Le problème c'est - 'fin, ta façon de...ça me dérange, c'est tout." Je ne l'avais tout bêtement pas envisagé. Naïf, sûrement. J'aurai voulu être le seul. Pourtant, il ne m'a jamais rien promis, là-dessus. Mais si ce manque d'exclusivité me blesse, s'il serait sûrement mieux pour moi de tout arrêter, je ne suis pas sûr d'en avoir la force, ce qui m'agace tout autant. Moi, je ne me pensais pas du genre à me laisser faire. Maintenant ? Je n'en suis plus si sûr, mais j'essaie au moins de résister tant que possible, de ne pas céder, de ne pas donner raison. "Je pensais pas que ça me dérangerait. Mais ouais. Ça me dérange. Et...ça me dérange quand je te dis que j'ai pas envie et que tu vas simplement chercher quelqu'un d'autre, parce que...j'ai l'impression de pas compter." D'être comme un article en rayon, un gilet dans un placard, membre d'une large sélection dans laquelle il n'a qu'à choisir, selon son humeur. Rien de très flatteur.

"Oui. Plus." Plus. Qu'est-ce que ça veut dire, exactement ? Être ensemble ? Je crois bien que c'est ce que je veux. "Oui. Je réalise, oui." Et à moi, ça ne me semble pas si énorme que ça. Alors peut-être que je ne réalise pas tellement, ou peut-être que lui, s'en fait une montagne. Je n'en sais rien. "Mais visiblement...visiblement, c'est pas ce que tu veux toi. Alors..j'sais pas." Je ne sais pas ce que je veux faire. Continuer ou non. En revanche, je sais que je ne veux pas non plus le forcer - je n'ai aucune envie que l'on soit avec moi par obligation, mais Jaewon ne m'a pas l'air de quelqu'un qui fait les choses par obligation.

Non, peut-être que Jaewon ne comprenait rien, mais c’était là le cadet de ses soucis. Il s’inquiétait bien peu de savoir si ce qu’il pouvait dire plaisait ou non à son camarade. Après tout, il avait mieux à faire que de se tracasser pour des choses aussi futiles. Du moins, c’est ce qu’il aimait penser, car l’idée de le perdre le dérangeait au moins autant. Pourtant, il n’avait jamais été un grand sentimental, et il se souciait bien peu de tout ce qui pouvait avoir trait à l’amour et aux relations… Alors pourquoi ? Il n’en savait rien, et il se trouvait encore plus confus face au discours visiblement mécontent de Mingyu.

« Je vois. »

Oui, il voyait. Il aurait aimé lui répondre qu’il ne comptait pas, de toute façon, mais alors que ces mots lui traversaient l’esprit, Jaewon savait qu’ils étaient faux. Il comptait, même s’il refusait de l’admettre, lui. Il comptait un peu trop, d’ailleurs, au point de réussir à énerver notre futur dentiste alors qu’il gardait les yeux posés sur son camarade. Il était hors de question qu’il le lui dise.

« J’ai pas pour habitude de m’attacher aux autres. » dit-il en un haussement d’épaules. « Ça n’amène que toujours plus de déception, tu devrais faire pareil. »

Un moyen de se défendre contre ses propres sentiments, ennemis de l’intérieur qui avaient directement accès à ses plus profonds ressentis, et ce sans la moindre difficulté. C’était désagréable. Un nouveau soupir lui échappa alors qu’il reposait les yeux sur Mingyu.

« Bien. Je n’irai voir personne. Tu es content ? »

Au fond, je doute que Jaewon comprenne vraiment ce qui me dérange, même s'il affirme le contraire. La preuve en est de ce qu'il avance par la suite. Ne pas s'attacher, c'est simple à dire - pas à faire. Je suis comme ça, moi. Trop vite, je donne trop d'importances à ceux qui veulent bien poser les yeux sur moi. Ceux qui me donnent l'impression de compter, d'une façon ou d'une autre. Je m'y attache, et puis, je veux qu'ils s'attachent à moi. Qu'ils me voient, me considèrent. À ses yeux à lui, je ne me sens plus différent de tant d'autres, et c'est d'autant plus blessant que moi, j'y suis attaché, et que ce genre de noeuds sont bien difficiles à défaire. Alors, je hausse les épaules à son conseil, ma bouche s'ouvrant d'un rire amer, d'un rire sans joie.

"J'devrais faire pareil, hein..." Comme quoi, il ne voit pas tant que ça, au final. Et peut-être que je devrais me taire, me contenter de ce qu'on me donne. Mais, au final, c'est plus fort que moi - les vannes sont ouvertes, le fleuve de mes paroles veut continuer de couler. "Et je fais comment, si c'est trop tard ?" Ma voix se fait plus basse, moins affirmée. Son regard, j'ai d'un coup bien du mal à le soutenir. Pourtant, je ne veux plus baisser les yeux - je ouvre un peu plus, sous la surprise d'une réponse que je ne m'attendais pas à recevoir de sa part. Était-ce vraiment aussi "simple" que ça ? Alors, à quoi bon ces propos blessants ? Est-ce que ça me suffit ? Je n'en sais rien. On dira sûrement que oui. Pour ne pas trop en demander. Pour ne pas qu'il finisse par s'en aller tout à fait.

"Vraiment ? Enfin tu veux dire, juste maintenant, ou ? Tu - je...oui. Oui, je suis content." Enfin. "...'fin...je veux pas non plus - non, rien, laisse tomber." Je ne voudrai pas le forcer, ou qu'il parle pour que je me taise sans intention d'agir comme il le dit. Mais je crois que, cette fois-ci, je ferai bien de me taire tout de même.

Jaewon n’avait jamais eu la moindre intention de donner à Mingyu ce qu’il attendait, comme il l’attendait. Il n’avait jamais été de ceux qui se soumettaient au désir des autres, au contraire. Alors, quand il avait entendu les propos de son camarade, son regard s’était arrêté sur lui et il était resté un instant silencieux. Que faisait-il si c’était trop tard ? Cela voulait signifier tellement de choses. « Je ne sais pas… » Il ne pouvait rien pour lui désormais. Il pouvait simplement attendre que le temps passe, que les sentiments que pouvait avoir Mingyu, ou son attachement, qu’importe ce dont il s’agissait en vérité, finisse par s’estomper… Mais lui-même ne pouvait se mentir. Pourtant, il le faisait, essayant de se dire que la colère de Mingyu n’avait aucune importance à ses yeux, que ça n’était rien. Mais n’était-ce vraiment rien ?

« Pourquoi est-ce que tu rends tout si compliqué ? » Son regard s’était posé sur son camarade alors qu’il réfléchissait. « Non, pas juste maintenant. Pas si ça te dérange. » Parce que la possibilité qu’il s’en aille le dérangeait, même s’il essayait de ne pas le montrer, et il ne pouvait s’empêcher d’être inquiet à l’idée que ce cher Mingyu décide de trouver quelqu’un d’autre, lui aussi. « On en reparlera. » avait-il dit en soupirant.

Il ne sait pas. Et c'est tout. Pas un mot de plus, pas une remarque sur cet aveu qui se cache sous mes mots, trop effrayé pour exister tout à fait, mais visible, pourtant, quelque part sous le voile de paroles qui ne sont pas vides de sous-entendu. Trop tard, j'ai dit. Trop tard, parce que j'y suis déjà trop attaché - assez pour avoir peur de m'en éloigner, quand bien même cela serait nécessaire. Mais qu'en est-il de lui ? Lui qui ne sait pas. Lui qui, visiblement, ne partage pas cet attachement, lorsqu'il n'a aucun problème à aller voir chez tant d'autres, si je ne m'en plains pas. Ce manque de réciprocité me blesse, je le tais, pourtant, préfère ne rien ajouter à ce propos. Me contenter de ce qu'on me donne, quand bien même ce n'est pas assez - ce n'est jamais assez. Je voudrai qu'on ne veuille, ne regarde que moi. Qu'on me veuille autant que je veux.

"C'est pas mon but. Je pensais....enfin c'est juste que...non, rien." Puisque, de toute façon, je n'arrive pas à mettre mes pensées en mots, et qu'il serait inutile de plus les ébruiter. Plutôt me taire que de finir par être effacé. "Oui. Oui, ça me dérange." Bien plus que je ne le pensais. Le détachement m'est difficile. "Mais je pensais que tu ne voulais rien me devoir ?" Ah ! Je devrais me taire. Voilà que je me mets des bâtons dans les roues. "Hm...d'accord." Que dire de plus ? Je préfère garder le silence. Un peu, et encore un peu plus. Puis, une fois encore, je relève les yeux vers lui. "Jaewon ? Merci..." Dois-je vraiment le remercier ? Je n'en sais rien. Mais j'en ressens le besoin.