« Moon regarde ce que papa vient de m’offrir ! » le regard de la gamine s’était tourné vers son frère, le dernier jouet à la mode dans les mains. Ses sourcils froncés, elle n’était pas certaine de ce qu’elle voyait, incrédule peut-être. Ca ne l’intéressait pas, tout ce flot de nouveaux jouets dont son père les envahissait. Elle qui avait grandit avec ses cahiers et ses crayons, n’y trouvait aucun intérêt. Pas comme son frère, qui lui restait émerveillé face à cette nouvelle richesse, celle qui leur permettait depuis peu, d’avoir un plus grand appartement, plus d’espace pour chacun. Elle préférait rester dans son monde, écrire ces histoires qui l'emmenait dans un ailleurs où elle était sa propre héroïne. Ou elle vivait les plus folles des aventures. Une gamine renfermée sur elle-même, qui n’avait pas beaucoup d’amis, mais la plus belle des vies sur papier. Et ça lui suffisait, d’aussi loin qu’elle s’en souvienne. Elle aimait cette bulle paisible dans laquelle elle s’engouffrait pour écrire. Ca la libérait des moqueries qu’elle essuyait à l’école. Des critiques qu’elle entendait chaque jour. Et ça lui suffisait, en fin de compte. Du moins, c’était ce qu’elle pensait.

« On se voit plus tard mon chou. » une voix mielleuse qu’elle entendait depuis sa chambre. Elle n’avait pas besoin de sortir pour savoir qu’il s’agissait d’une autre femme, encore. Une de plus que son père avait osé ramener chez eux, pendant que sa mère était encore au travail. Un soupire s’échappait d’entre ses lèvres à cette idée. Depuis qu’il avait fait fortune, le patriarche étalait son argent partout où il allait. Et ça ne faisait qu’attirer ces femmes vénales qui n’en avaient que pour son argent. Mais au lieu de les repousser, il les ramenait, jouait avec elles dans le lit conjugal avant de les laisser partir. Un balai incessant de maîtresses qu’elle apprenait au fur et à mesure à voir, à entendre. Et même si elle ne disait rien, ça la blessait, intérieurement. Elle avait mal pour sa mère, qui ne voyait rien de ce qui se tramait la journée, quand elle n’était pas là. Alors elle continuait simplement d’écrire de nouvelles histoires. Imaginait des amours impossibles, mais avec un seul mot d’ordre : la fidélité. A tout prix, quoi qu’il puisse en coûter. Et peut-être que dans ces phrases qu’elle écrivait, elle notait les quelques espoirs qu’elle pouvait avoir pour sa mère, envolés depuis bien longtemps.

« Après plusieurs conversations, je crois qu’il est temps de poser un diagnostic, vous êtes dépressive, Mademoiselle Shim. » des mots qui éclataient dans ce bureau, comme une évidence. Quelque chose auquel elle aurait dû s’attendre. Mais des paroles qui ne parvenaient pas totalement à son esprit. Elle ne voulait pas l’admettre, refusait de se gaver de médicaments pour un semblant de mieux dans sa vie. Ce n’était pas ça qu’elle avait imaginé, toutes ces années. Ce n’est pas ça, qu’elle voulait au quotidien. Elle refusait, si peu poliment. Des mois déjà, qu’elle se sentait oppressée, à l’idée de raconter dans les moindre détails cette vie bouleversée quelques années en arrière. Les conséquences d’une fortune rêvée par son père pendant des années. Qu’il avait réussi à obtenir. Et voilà qu’il était temps pour elle, de quitter ce cabinet, pour ne plus jamais y remettre les pieds. Si réellement, elle était malade, alors qu’elle le soit. Que pouvait-elle faire de plus ? Son jeune esprit embué ne voyait pas encore les conséquences d’un tel choix. Et elle allait devoir apprendre à vivre avec, difficilement.

« Mes félicitations Mademoiselle Kim, vous remportez le premier prix d’écriture du journal. Nous publierons votre nouvelle dans la prochaine édition du journal. » Un bonheur éphémère, face à une telle victoire. Une signature à imiter, un faux nom à donner pour que personne ne sache, que dans cette histoire d’amour, c’était ses rêves qu’elle exprimait. Elle refusait l’idée que le monde puisse connaître son nom. N’avait participé à ce concours que pour voir, finalement, de quoi elle était capable. Un moyen pour elle de transgresser cette dépression qu’on lui collait à la peau. Mais même une telle victoire n’avait pas la meilleure des saveurs. Parce qu’elle savait, que ses parents n’accepteraient jamais. Ne seraient pas capable de voir, de comprendre, la portée des mots qu’elle posait sur papier. Et au final, c’était plus simple de se cacher, aussi. Un moyen de garder enfoui au fond d’elle cette vérité, tout en essayant, tant bien de mal, de savourer cette première victoire dans une vie ou elle ne méritait aucun regard.

« Et maintenant, tu vas faire quoi ? » une question à laquelle elle avait tenté de ne pas penser, mais la fin du lycée approchait. Elle devait se décider, savoir ce qu’elle voulait pour son avenir. Mais hormi l’écriture, rien n’avait de réelle importance à ses yeux. Rien ne valait véritablement la peine. Elle voulait continuer sur cette voie, au fond d’elle, mais savait que ses parents s’y refuseraient. Alors, elle s’était décidé. Bien plus rapidement que prévu. Son diplôme en poche, elle allait partir. Quitter cette famille, trouver un emploi, et intégrer l’université qui la faisait rêver. Celle qui, avec un peu de chance, pourrait l’aider à devenir celle qu’elle voulait être. Celle qui allait lui permettre d’écrire de nouvelles histoires. Qui allait stimuler son imagination, loin de cette famille qui ne lui donnait plus aucune satisfaction depuis si longtemps. Elle avait besoin de changement, de quelque chose de différent. Si elle voulait tenter de sortir de cette spirale infernale, elle n’avait pas d’autre choix, que de prendre de bonnes décisions, et elle espérait que celle-ci le soit, en fin de compte.