Comment résumer ta vie ? Tu as toujours eu l'impression d'être un lion en cage. Dès ta plus tendre enfance tes parents ont essayé de faire de toi le petit garçon parfait. Ils t'ont inscrit à des cours de musiques, de sport et toutes sortes d'activités extra-scolaires. Tu avais aussi droit à des cours particuliers pour être le meilleur. Tu as vite compris que tes parents plaçaient de grands espoirs en toi. Tu as longtemps essayer de les combler, endossant le rôle de l'enfant modèle. A l'école tu étais plutôt timide, tu as été souvent traité d'intello de service, trop gentil, trop serviable, trop tout. Tu as compris qu'à trop vouloir rentrer dans le moule on devient une tarte.

C'est au lycée que tu as un peu changé. Pour éviter d'avoir la même réputation qu'au collège tu t'es mis à jouer le rôle d'un mec sûr de lui, à l'aise et détendu. Une belle façon de cacher ta timidité. Evidemment tu es rapidement devenu le chouchou des filles. Tu n'étais pas la star du lycée, mais ce n'était pas loin. Tu as même eux des amis, les premiers de ta vie. Cette notoriété t'es un peu montré à la tête. Tu t'es mis à faire des bêtises, sortant avec ta bande pour boire et aller draguer. Quand tes parents ont appris ça, les conséquences ont été terribles. La punition la plus sévère a été d'être privé de piano. C'était la seule chose par  laquelle tu arrivais à t'épanouir : la musique. Assis au banc d'un piano, tu arrivais à être toi, sans jouer de rôle, sans essayer de faire plaisir à tout le monde. Tu pouvais t'exprimer, pour toi et toi seul. Car oui, malgré ta popularité, tu as vite compris qu'en réalité tu étais seul. Tu as malheureusement fait les frais des faux amis, des hypocrites qui profitent de toi et t'utilisent comme appât à nana. En étant privé de sortir tu as vu le nombre de tes amis chutaient. Sans plus aucune distraction, tu as été forcé de te plonger dans les études.

C'est comme ça que tu as atterri à l'université. Tu n'étais pas dans la section musique bien sûr, c'était impensable pour tes parents. Pourtant cette période a été un bol d'air frais dans ta vie. Tu as recommencé le piano, trainant souvent dans les salles de répétitions. Ta vie sociale a repris à travers cette passion pour la musique. Instinctivement tu as renfilé ton rôle de gentleman charmeur, qui collait parfaitement avec celle du pianiste talentueux. A nouveau tu as été entouré et tu as délaissé tes études. Cette fois ci la sentence a été plus rude et tes parents t'ont coupé les vivres.

Tu t'es retrouvé expulsé de l'université, à nouveau seul. Et pour le coup tu n'avais pas un sous et il a fallu que tu uses de tes charmes pour trouver un travail et un endroit où dormir. Le logement n'a pas été un problème, tu n'avais pas de souci à trouver une place dans le lit d'une de tes conquêtes. Si certains les collectionnent, toi tu préfères les sélectionner. Tu apprécies la bonne compagnie. Tu n'es pas adepte des coups d'un soir. Tu préfères les partenaires réguliers, celle du lundi, celui du jeudi ou celui des soirs de cafard. Tu aimes cette période avant de conclure ou tu as l'impression d'être désiré et important. Tu fais d'ailleurs tout pour le reste, unique et inoubliable. Tu ne fais pas que partager ta couche, tu vends du rêve, le rêve que tu aimerais vivre. Malgré ton côté romantique, tu ne t'es jamais engagé. Au fond tu as beau être un acteur hors-pair, tu es un grand timide. Tu aspires au grand amour, celui avec un grand A, celui qui fera chavirer ton cœur, seulement personne n'a réussi à briser la forteresse que tu as érigée aux fils des années. Grâce à ton physique et surement à tes sourires de cinéma, tu es devenu barman. Le monde de la nuit te convient parfaitement, là tu peux être entouré et noyer ta solitude en voyant du monde. Tu apprécies observer la salle, voir évoluer les gens et leurs interactions. Ce job t'a permis de combler ta solitude. Tu n'es pas du genre à finir avec un inconnu, pourtant ça t'es arrivé, lorsque tu étais réellement déprimé ou saoul.

Tes parents sont finalement revenus vers toi. Ils avaient surement espéré que tu reviennes la queue entre les jambes. Seulement tu es de nature têtu, plus que ton père en tout cas. Si tu avais su que tu étais adopté, tu n'aurais surement pas accepté leur retour dans ta vie. Après tout c'est un peu à cause d'eux que tu as l'impression d'être un acteur de cinéma spectateur de sa vie. Cependant tu ne le savais pas et tu ne le sais toujours pas. C'est grâce à eux que tu as pu ouvrir ton bar : l'Évidence. Il n'a pas fallu longtemps pour que la clientèle devienne des habitués. Peut-être que le patron qui joue au piano en fin de soirée a aidé. Ce n'est pas un bar d'alcooliques, c'est quelque chose de classe et de chaleureux. Là où on veut amener sa petite amie avant d'aller au cinéma. Là où on date pour en mettre plein la vue. C'est à ton image, séduisant et élégant...enfin l'image que tu donnes de toi.

Malheureusement récemment ta vie a basculé. Tu as cru être amoureux, éperdument amoureux. Tu avais cru ne jamais trouver ton âme sœur, cette personne qui arriverait à combler le vide que tu as toujours ressenti en toi. Elle, tu as pensé que c'était la bonne. Tu lui as tout donné, peut-être un peu trop vite. Quand elle t'a quitté, tu as eu l'impression que ton monde s'effondrait. Tu as creusé une douve autour de la forteresse que tu avais créée. Tu as remonté le pont-levis et tu t'es enfermé en haut de ta tour, te demandant s'il ne serait pas mieux de sauter et en finir. Bien sûr, tu n'as pas montré une seule seconde cette dépression à ton entourage, restant dans ton rôle d'homme distingué, confiant et fort. Néanmoins à l'intérieur tu as l'impression que le trou noir dans ton cœur s'est démultiplié. Tu as toujours eu cette sensation de vide, aujourd'hui c'est pire. Tu as le sentiment d'être aspiré de l'intérieur, emporté par le néant qui règne sur ton âme. Tu ne ressens plus rien pour les autres. Tu t'es complètement désintéressé des gens. Tu as beau afficher des sourires gracieux, en réalité tu n'es qu'une marionnette ballotté par le vent. Tu te noies dans le travail et l'alcool, passant la plupart de tes soirées au bar, accoudé au comptoir, enviant tous ces gens qui vivent. Dans tes rares moments de lucidité que tu as, tu te retrouves à parler à ton perroquet et la seule réponse qu'il donne à tes réponses existentielles, ne t'aide : I am a good boy.