Suwon la détestait. Cette femme, ce qu'elle représentait, absolument tout ce qu'elle dégageait, disait ou faisait. N'était-il pas malheureux d'en venir à haïr la personne qui vous avait mis au monde ? Quand il était question de sa mère, Suwon était malheureusement incapable de faire autrement. Parce que sa mère n'avait jamais eu à son égard le comportement qu'on aurait attendu d'une génitrice digne de ce nom. Parce que sa mère n'avait jamais rien fait d'autre que lui causer des problèmes et le rendre malheureux, en cherchant à combler le vide qu'avait laissé son père. Pas vis-à-vis de lui, non. Vis-à-vis d'elle-même et de son porte-monnaie alors bien rempli. Elle n'avait pas eu tant de difficultés à le remplacer.

Et voilà que maintenant, elle se permettait d'essayer de le contrôler.
Pourquoi un appartement à Busan ?
Avec qui ?
Fils indigne.

Oh, il l'était. Depuis des années, ils se lançaient ce genre de critiques. Pourqui fallait-il absolument qu'il y ait quelqu'un ? Pourquoi ne pouvait-il pas simplement avoir pris un appartement avec un ami ? Cacher Yanjun était la chose la plus horrible que la vie lui avait imposé de faire. Parce qu'il l'aimait. Parce qu'il était venu se greffer à lui comme un nouvel organe sans lequel il ne pouvait vivre, et qu'on lui demandait de ne plus en dépendre. C'était tout simplement impossible. Il ne pouvait pas agir comme sa mère, cette femme horrible qui essuyait d'un revers de main les personnes dont elle n'avait plus besoin. Il avait déjà trop perdu, malgré ce qu'on pouvait penser en voyant la cuillère dorée qu'il avait dans la bouche à la naissance.

Après l'appel de Yanjun, Suwon avait fui la maison familiale. Il était retourné comme un aimant, à l'endroit où il savait trouver le réconfort. Le seul endroit où il se sentait pleinement en sécurité, sans avoir à se soucier du reste. Il se sentait faible, dans ce genre de moments. Faible, épuisé. Un tas de choses qu'il aurait préféré ne pas éprouver. « Mon coeur. » C'est tout ce qui lui avait échappé au moment où son regard avait finalement croisé celui qu'il cherchait désespérément depuis le moment où il avait quitté cette fichue maison. Il l'avait retrouvé, tout comme les bras dans lesquels il s'était précipité sans même pouvoir s'en empêcher. « Je t'aime tellement. » Mais ces mots avaient rapidement pris une autre couleur quand un sanglot était venu barrer la gorge de l'étudiant, incapable de le contrôler.

l'inquiétude parsemait sa chair, ça ne le quittait pas. ces messages se répétaient dans cesse dans sa tête, sans qu'il n'en comprenne le sens, ni le sous-entendu. yanjun tant habitué à ce bonheur imperméable à tout anicroche, c'était là un scénario nouveau qui s'infiltrait dans ce roman écrit à deux. l'alarme sonnée, finalement, elle n'était qu'un rappel de ce que le garçon avait perdu de vue par l'illusion de leur royaume ; que savaient-ils vraiment de l'un et l'autre ? si ce n'était les habitudes de chacun, leur présent, ou encore la façon dont ils voulaient construire leur futur indépendamment de l'autre, ainsi qu'à deux.

il ne savait rien, finalement.
ce qui eut forgé suwon.
ce qu'il fut autrefois.
cette vie passée qui, pourtant, paraissait le hanter comme un boulet accroché à sa cheville.

cette détresse, yanjun s'en rappelait pourtant. de vague souvenirs d'une soirée passée à busan. sa curiosité l'eut amené à causer une peine que, pourtant, suwon avait tenté de dissimuler. une habitude que son petit-ami avait tendance à faire, certainement pour ne pas l'inquiéter. hélas, ça fonctionnait rarement, car ce qui affectait le coréen, l'affectait tout autant.
ne pas savoir, ne pas comprendre... tout ceci n'apaisait évidemment pas ce feu qui s'attisait au fond de lui. ce même feu qui projetait ses peurs, de la même façon qu'il diffusait tout un scénario que yanjun refusait de visualiser. pourtant, il prenait sur lui. il encaissait silencieusement, prétendant de la même façon que suwon le faisait. jusqu'au jour où ce dernier souhaiterait parler.

c'était sans savoir vraiment pourquoi, que yanjun écouta et appliqua les consignes dictées par suwon. il l'eut appelé sans poser davantage de questions, et laissa la suite se faire en emmenant suwon dans ses bras. et sans dire un seul mot, l'étudiant en médecine l'accueillit, et l'enveloppa de cette chaleur lui étant propre. son visage s'était aussitôt emmitouflé dans le creux de son cou afin de lui susurrer des sons réconfortants. « je t'aime... je suis là » toujours. pour lui. tant de questions mordait sa muqueuse,. des questions qui ne demandaient qu'à être libérées mais auxquelles yanjun refusait tout passage. non, il ne comptait pas apporter un tel sujet sur le table. qu'importe l'envie, qu'importe l'inquiétante nervosité qui le piquait ci et là en entendant cette voix tant chérie se briser sous le poids des sanglots. il ne dirait rien. par respect pour suwon, par respect pour son confort.
que c'était douloureux de le voir ainsi, tant démuni face à un quelque chose qui l'échappait. le visage de l'ange était à présent entouré de ses mains, ses pouces caressant délicatement l'épiderme de celui-ci tout en essuyant les quelques gouttes salées qui la parsemaient. « t'es beau » ses lèvres s'étirèrent dans un sourire que le garçon espérait réconfortant. oui il l'était, qu'importe ses faiblesses et ses blessures. c'était exactement ce pourquoi yanjun l'aimait : pour tout ce qui construisait suwon. et chacune de ces choses, ses lèvres les caressèrent en un furtif baiser. son front, son nez, ses joues, tout comme ses jumelles tant manquées.

Les mots acérés de sa mère demeuraient à l'esprit de Suwon comme une chanson dont il ne pouvait se débarrasser. Des menaces proférées comme s'il n'était qu'un enfant incapable de prendre des décisions par lui-même; des propos ridicules qui remettaient en question ce qu'il pouvait et ne pouvait pas faire. Tout cela pour quoi ?

Satisfaire un égo si gonflé qu'il prenait pied sur le reste ?
Satisfaire une fierté qui refusait de se remettre en question ?
Satisfaire une femme qui détestait le visage de son propre fils, qui ressemblait trop à son défunt mari.
Probablement un mélange de tout cela.

Dans tous les cas, le résultat était le même, et Suwon n'avait d'autre solution que d'échapper par la ruse à cette conversation qui avait déjà trop duré. S'éloigner des propos moqueurs, des jugements hâtifs. De tout ce que sa mère pouvait dire ou faire à son égard pour lui faire comprendre qu'il n'avait aucun droit d'acheter cet appartement, même avec l'argent qui lui appartenait. Cet argent auquel elle n'avait pas pu toucher, parce que son père lui avait légué en héritage plutôt à qu'elle. Oh la jalousie devait être sérieusement implantée dans l'esprit de cette femme, cette harpie qui prétendait avoir tous les droits sur lui.

Retrouver Yanjun était comme pénétrer dans un havre de paix où personne ne pouvait venir le tourmenter.

« Non, c'est pas vrai. » répondit-il en essayant de contrôler les sanglots qui lui venaient en nombre, alors qu'il glissait les mains sous ses yeux en espérant en faire partir les larmes qui avaient désormais commencé à s'en écouler. Ce que la faiblesse lui semblait laide, en de telles situations.  « Ma mère a appris pour l'appartement. » dit-il enfin, reniflant honteusement avant de chercher quelque chose des yeux, l'air un peu perdu. « T'as pas un mouchoir quelque part ? » Il détestait la situation dans laquelle il se trouvait. Être dans cet état devant Yanjun, alors qu'il se prétendait fort et intouchable d'habitude. N'était-ce pas ridicule ? Il aurait aimé ne pas avoir à lui montrer une fois encore cette facette de lui-même. « J'ai vingt-trois ans putain, elle a plus rien à me dire cette gueuse. » Et pourtant il lui obéissait encore, parfois. Mais pas cette fois. Il refusait de sacrifier le bonheur qu'il avait trouvé avec Yanjun, et encore moins leur havre de paix à Busan. Pour cela, il faudrait lui passer sur le corps.

finalement, le paradis s'ébranla, révélant ces fissures longtemps camouflées par leurs fausses ignorances. bien sûr, chacun savait qu'au fond de l'autre se terrait un démon face auquel ils devraient faire face, tôt ou tard. ils savaient aussi qu'aucun des deux n'étaient fait d'or parfait, tant le passé offrait à chacun sa valise à transporter. yanjun avait son passé, ce dernier maladroit, mais il n'osait pas en parler de peur de paraître pour cet enfant capricieux aux yeux de son petit-ami. exactement l'image que sa mère renvoyait de lui à quiconque voulait l'entendre. hélas, s'il avait conscience que suwon traînait derrière lui son chaos, il n'avait pourtant pas encore la moindre idée de l'importance de celui-ci.

jusqu'à ce soir.

ce fameux soir où les larmes se déversèrent sans que l'apprenti docteur n'en comprenne quoi que ce soit.

tout commença par un message.
puis un appel sans fond concret.
chaque parcelle de ce scénario mena à ce poids dans son cœur déclenché par cette horrible vision que yanjun aurait tant souhaité n'avoir jamais à faire face. pourtant, c'était là. et la chaleur de suwon lui rappelait cette dure réalité, de la même façon que sa confusion le portait à faire des choix dont il n'était pas certain. parler, ou laisser le torrent passer ? alors yanjun fit son choix. celui de ne pas forcer son petit-ami vers un dialogue qu'il ne souhaitait pas. il voulait lui laisser l'opportunité de prendre ses propres décisions. et quoiqu'il était prêt à faire, yanjun le suivrait. il le rejoindrait sur cette mélodie pour laquelle seul suwon aurait décidé d'opter. « bien sûr que si » c'était une sincère confession qu'il susurra contre ses lèvres. l'étudiant osa lui voler un délicat baiser, puis un autre avec lesquels il redessina sans mal les traits du coréen, avant de sécher ses larmes avec la pulpe de ses pouces. oui, il était beau. de cette tristesse qui l'accaparait. de cette peine qui meurtrissait son monde. jusqu'à ces cristaux bordant ses yeux chocolatés. il était beau. car chaque émotion était la raison de son amour pour lui. il était lui, dans toute cette imparfaite perfection. et rien ne pourrait changer cette vision qu'il avait de lui.

sans l'interrompre, yanjun l'écoutait. ses mains continuaient encore d'encadrer le faciès de son petit-ami, avant de s'exécuter suite à la demande de ce dernier. il s'écarta alors, le temps de chercher dans ses affaires un paquet de mouchoir duquel il en sortit un tissu qu'il tendit aussitôt à son colocataire. « de quoi, l'appartement ? elle te le refuse ? » il sentait l'agacement monter en lui face à cette seule idée. non, yanjun ne pouvait pas comprendre la situation dans laquelle suwon se trouvait. pourtant, il ne pouvait que compatir face à l'impitoyabilité d'une mère. c'était, là, bien la seule chose à laquelle il pouvait s'identifier. « non, elle n'a plus rien à te dire. et c'est pour cette raison qu'on ne se ravisera pas » il en était hors de question. « c'est notre appartement, notre vie ensemble » et seule ça devait compter à présent. qu'importe les avis extérieurs. rien n'avait de grande importance, si ça n'impliquait qu'eux deux. « il n'y a que toi et moi qui compte. tant pis, si ça ne lui plaît pas. elle apprendra à vivre avec » il était prêt à l'attendre, s'il le fallait. il était prêt à faire face à la mère de suwon, si c'était nécessaire et si ça pouvait aussi le protéger de toute nouvelle blessure. il était prêt à encaisser pour lui, tant que suwon était à l'abri.

On ne choisissait pas ses parents. Suwon le faisait, il l'avait toujours su, mais entre un père qu'il n'avait jamais connu, qu'il ne connaîtrait jamais, et une mère parfaitement idiote, il avait beaucoup de mal à comprendre comment il avait pu avoir si peu de chances par rapport aux siens. La rancoeur qu'il nourrissait à l'égard de sa mère et de sa belle famille n'étaient-elles pas suffisantes pour qu'à cette dernière s'ajoutent de nombreuses disputes et des conflits qu'il aurait préféré éviter ? Qu'est-ce que cela pouvait bien leur faire de savoir qu'il avait acheté un appartement à Busan ? Qu'est-ce que cela changeait pour elle de savoir qu'il avait adopté un chat ou changé les meubles dudit appartement ? Oh, sa mère n'aimait pas Busan, il le savait depuis bien longtemps. Mais que fuyait-elle exactement ? Le fantôme de son père ? Suwon était écoeuré à cette seule pensée. Après des années, elle continuait d'agir comme si son père et lui n'étaient qu'une seule et même personne. Il le savait : elle lui avait toujours reproché de lui ressembler. Elle n'avait jamais été correcte envers lui pour cette simple raison, à partir du moment où Suwon avait commencé à grandir.

Mais il n'était pas son père, qu'importe l'homme qu'il était.
Il n'était pas son père, et même s'il avait manqué à sa mère, ou qu'importe sa raison, en vérité, il ne pouvait plus supporter ce comportement de la part de sa génitrice.

Retrouver Yanjun était la seule chose qu'il voulait à cet instant. Le retrouver lui, la chaleur rassurante de ses bras, sa voix qui lui permettait de se calmer si instantanément. Quelques mots de sa part et son coeur retrouvait le calme qui était habituellement sien, alors qu'il s'accrochait à lui, sa lueur dans la nuit, le phare qui l'empêchait de s'échouer sur les écueils que la vie avait osé mettre sur son chemin. Être un enfant riche ne l'empêchait pas d'être malheureux, hélas. « Non, non... C'est pas ça. » Il prit le mouchoir que Yanjun lui tendait avant de se moucher bruyamment. « Merci. » Quelques reniflements peu élégants plus tard, il allait à la poubelle pour les jeter, essayant encore de se calmer alors qu'il allait se laver les mains, en profitant pour s'asperger le visage afin d'effacer les dernières traces de ses larmes, qu'il détestait. « Non, c'est juste... Elle pose des questions, elle insiste... » Il secoua la tête, sentant à nouveau les larmes venir. « Elle l'acceptera jamais, si elle apprend... » Et il la détestait encore plus pour cette simple raison. Mais que pouvait-il faire ? Il avait le coeur en travers de la gorge rien qu'à cette pensée. « Je voudrais juste qu'on puisse se barrer et pas avoir à cacher tout ça à ma propre famille... Ils sont juste tellement... Tellement cons. » Parce qu'il était hors de question qu'il abandonne Yanjun à cause d'elle... Mais si elle fourrait son nez dans leurs affaires et découvrait la vérité, qui pouvait prédire ce qui allait arriver ?

qu'il aimait cette ignorance, croire que leur paradis était inébranlable. loin d'être naïf, pourtant, cette dernière lui paraissait séduisante à présent que les blessures s'imprégnaient dans le regard habituellement vif de son ange. c'était, là, les premières cicatrices qu'ils se révélaient. les premières bribes d'un antan pas encore révolu. les premières larmes causées par autrui. les premiers mots meurtris, ceux qui, pourtant, ne faisaient que les pousser davantage l'un vers l'autre.

c'était une première fois que yanjun ne souhaitait pas revivre, si cela sous-entendait faire face à une détresse habituellement silencieuse. parce que le voir ainsi, voir cet homme dont il était éperdument amoureux, démuni de toute étincelle, fracturait le palpitant en de multiples pièces.

et les mots lui manquaient. ils étaient égarés dans un désir de laisser l'astre s'ouvrir si son cœur en avait l'envie. et cet envie s'éveilla, fracturant davantage ce qui se dissimulait sous le plexus, le cruor dans ses veines bouillonnant d'anticipation alors qu'il le suivait jusque dans la salle de bain, avant de s'appuyer contre l'encadrement de la porte, le regard figé sur son petit-ami... puis, son souffle se coupa momentanément. sa mère. des questions. eux. petit à petit, ces fragments d'indices se lièrent les uns avec les autres à mesure que suwon s'exprimait. tout prenait sens. « tu penses qu'elle se doute de quelque chose...? » que suwon était avec quelqu'un ? un homme ? et si ce n'était pas le cas, jusqu'où était-elle capable d'aller ? yanjun le craignait, à présent. il le craignait, aussi fort qu'il détestait petit à petit cette femme, coupable de bien des crimes. « suwon.. » de ses mains, il encadra le visage de suwon, ses pouces venant effacer les dernières traces d'eau qu'il avait laissé couler sur son épiderme. « rien ne nous empêchera d'être ensemble, que ça soit ici ou ailleurs. rien. » parce qu'il ne laisserait personne interférer dans leur relation. parce que suwon était la plus belle chose qui lui était arrivé. parce qu'il en valait la peine. « c'est certainement utopiste de ma part, mais j'ai envie de croire au fait que l'on pourra refaire notre vie ensemble, une fois nos années ici terminées. on ira à busan. loin d'eux, loin de leurs regards, loin de ce qu'ils ont connaissance. ça sera juste toi et moi, comme ça l'a toujours été » et comme ça le sera toujours. il voulait lui faire cette promesse. car s'il n'avait pas pu choisir sa famille, suwon pouvait tout de même en construire une seconde. celle qu'il souhaitait. celle qui serait à son image. celle dont il a besoin, et qui ne demande que lui. « tu en vaux la peine, suwon.. alors qu'elle l'apprenne si elle le souhaite. je me battrai pour toi »

Suwon savait que sa famille finirait par apprendre pour sa sexualité, un jour, mais il préférait se leurrer, imaginer un monde dans lequel de telles choses n’étaient pas regardées de travers, avec un dégoût manifeste… Il savait que cette terre existait, ailleurs, que changer de pays aurait peut-être pu l’aider, comme il en avait discuté avec cet homme qu’il avait rencontré à la piscine… Mais pouvait-il accéder aussi facilement à ce bonheur ? C’était sans doute bien trop lointain, bien trop utopique. Il suffisait de voir la façon dont sa mère lui avait fait des reproches quant à cet appartement qu’il avait pris avec ‘un parfait inconnu’, quelques mois à peine après l’avoir rencontré. Il ne comprenait pas ce discours malade, ces propos qui ne signifiaient rien à ses yeux. Après tout, il n’y avait rien de particulièrement bizarre dans l’idée de vivre avec une personne qu’on venait de rencontrer, si ? Suwon en venait à se poser la question, même s’il ne comprenait pas en quoi il aurait dû réfléchir plus longtemps quand il s’agissait de Yanjun. Il l’aimait tant. Tant qu’il lui semblait impossible que quelque chose vienne les briser. Il refusait d’y croire, et refuserait sans doute d’y croire pendant très longtemps encore.
« Je sais pas… J’ai pas envie d’y penser. Elle est juste trop conne. »
Car du fiel, pour sa famille, Suwon en avait plus que suffisamment. Il détestait sa mère qui n’avait fait que lui ruiner l’existence, son beau-père qui essayait en vain d’attirer son attention, d’avoir son affection… Il ne pouvait pas les voir en peinture. Ses larmes avaient beau couler, elles ne témoignaient en rien de la haine qu’il avait à leur égard. Une haine ou un amour resté trop longtemps sans réponse, pour ensuite être asséné de la façon la plus ridicule qui soit ? Il ne savait plus rien, à l’heure qu’il était, en vérité. Il s’en moquait.
« C’est ce que je veux aussi… » Vivre avec lui, continuer malgré tout ce que les gens pouvaient penser… Il voulait le garder à ses côtés, ne penser à rien d’autre. Absolument rien d’autre. « J’ai tellement peur… D’elle, de lui… J’aimerais juste pouvoir les éviter, ne plus les voir… » Un soupir avait filé entre ses lèvres. « Rien que voir ma demi-sœur, ça me rend malade… » Une demi-conne à ses yeux, surtout. Mais il devait être poli, un minimum, quand il parlait, n’est-ce pas ? Il essayait de s’en efforcer. « Tu veux pas qu’on aille à Busan ce week-end ? Je veux quitter Séoul… » Mais il savait que Yanjun avait des responsabilités, lui aussi, et que ce genre de choses risquaient de ne plus arriver aussi facilement qu’il l’aurait souhaité.

était-ce exagéré de penser que rien ne pouvait les ébranler ? était-ce insensé de préférer fuir là où une terre leur serait peut-être plus accueillante, plutôt que de vivre dans un pays où les mœurs étaient peu conciliantes à leur égard ? yanjun n'arrivait pas à se défaire de l'esprit l'idée qu'au fond, c'était certainement la seule option qui leur restait. hélas, il n'était pas suwon, tout comme il ne pouvait pas comprendre ces attaches à l'attention d'un pays, d'une ville, peu enclins à lui ouvrir leurs bras. yanjun estimait n'avoir qu'une maison, qu'un endroit où il souhaitait passer le restant de ses jours. son attache, c'était suwon. qu'importe où ils étaient, qu'importe ce qu'il deviendrait par la suite, il s'en fichait bien. son bonheur passait avant tout le reste, or, en cet instant, yanjun avait bien compris que ça ne serait guère possible tant que son amant restait, bien malgré lui, sous l'emprise de cette mère visiblement influente.

atroce était ce sentiment d'être démuni face à la détresse d'un être cher. lui qui espérait tant pouvoir absorber ses peines, le laver de toutes blessures, et arracher une étoile du ciel pour apaiser son cœur. il aurait aimé être cette lune, gardienne d'un soleil toujours plus brillant, bien qu'à présent bleu, simplement pour pouvoir lui renvoyer cette lumière avec laquelle suwon éclairait son quotidien. « j'aimerai pouvoir te dire que ça sera plus facile les prochains jours » il ne pouvait pas l'en assurer, ni le graver dans la roche -et ce qu'importe combien yanjun aurait aimé pouvoir le faire- mais, au fond de lui, une certitude fleurissait. tant que celle-ci l'animerait, yanjun continuerait de croire et d'espérer que les prochains jours se voudront meilleurs... une fois que leurs études seront enfin derrière eux... une fois que leur liberté sera enfin atteinte, et les contraintes levées. ce n'était qu'une question de temps et en attendant la patience serait une fidèle alliée. « il me tarde la fin de nos études pour cette raison. c'est peut-être naïf de penser ça, mais j'me dis... au moins peut-être qu'on sera plus libres de faire ce que l'on veut, quand on veut » pouvoir faire ce que bon leur semblait sans craindre quoi que ce soit était un luxe qui paraissait si lointain, presque inatteignable. et plus les obstacles s'entassaient sur leur route, plus la distance paraissait s'étendre, encore et encore. « on peut, on devrait » le sourire franchit ses lèvres. « on part vendredi soir ? » il aurait aimé pouvoir s'y réfugier tout un mois avec suwon, hélas ce souhait attendra jusqu'à une prochaine fois. « quand on pourra... j'aimerais qu'on y reste plus longtemps » une de ses mains caressa tendrement le visage de son amant, l'air paisible se miroitant par ailleurs au fond de ses iris.

Parfois, Suwon était la proie de ses propres sentiments. Il se rendait malade à imaginer mille scénarios, incapable de mettre de l'ordre dans ses pensées, incapable d'y voir clair par lui-même. Qu'est-ce qui était vrai ? Qu'est-ce qui n'était, dans le fond, que le fruit de son imagination prolifique et dangereuse ? Lui-même l'ignorait. Ce qui ne l'était pas, par contre, comprenait les mots désagréables de sa mère. Cette femme qui jamais n'avait été capable de l'accepter comme il l'était, simplement parce qu'elle lui rappelait trop son père... Et pourquoi ? Parce qu'elle était trop égoïste pour accepter la vérité : lui aussi, même s'il ne l'avait pas connu, souffrait de la mort de cet homme. Il souffrait de ce vide béant qu'il avait dû affronter pendant ses premières années de vie, un gouffre qui s'était petit à petit refermé, mais qui demeurait encore ouvert, respirant à plein poumon des bouffées d'angoisse qu'il ne pouvait réprimer, en dépit de tous ses efforts.

« Je sais que ça serait pas vrai... Ils changeront pas... » avait-il répondu en un soupir, fermant les yeux alors qu'il réalisait avec douleur à quel point c'était vrai. Ni lui, ni elle, ni Siwon. Personne ne changerait jamais... C'était la plus grande des douleurs. « J'ai envie d'y croire aussi... Me dire qu'on leur devra plus rien... » Mais s'il ne trouvait pas de travail, une fois ses études terminées ? Il avait de l'argent, oui, mais leurs deux fortunes allaient-elles suffire, au bout d'un moment ? Il n'en savait rien. En fait, Suwon n'avait jamais réalisé, avant ce jour, à quel point il était ignare face au monde qui l'entourait. Il avait toujours vécu confortablement, avec un mode de vie particulièrement luxueux... Tellement qu'il en avait oublié les véritables limites. « Oui. » Vendredi, il serait prêt à partir. Il avait reposé les yeux sur Yanjun, toujours incapable de se calmer complètement. « J'aimerais aussi... Quand on aura des vacances tous les deux... Tu finis ton internat quand ? »

bien sûr que yanjun ne pouvait pas comprendre. il ne le pouvait pas, et ce, qu'importe combien il essayait. parce que la vie de suwon n'était pas sienne. parce que les émotions qu'il ressentait n'était pas celles venant l'étouffer en cet instant. seul la culpabilité de ne point être capable de faire plus que lui offrir un foyer où se réfugier, lorsque l'orage s'abattait sur lui, suffisait à tordre son cœur en des façons bien trop douloureuses pour être acceptables. démuni, face à son amant. il lui avait pourtant promis d'éloigner ses frayeurs, ses démons et autres nuisances susceptibles de venir troubler le sourire longtemps tissé sur ses délectables pulpeuses.

« on aura toute une vie pour le découvrir, ensemble »  si c'était la seule option qu'il restât à suwon pour vivre une vie meilleure, alors yanjun s'assurerait de prier jour après jour en faveur d'une promesse qu'il ne pouvait que susurrer pour l'instant. « je refuse de vivre une vie où ta famille continue encore d'avoir une emprise sur toi. alors j'veux y croire... je veux croire au fait que toi et moi on aura droit à notre eden, un jour ou l'autre » qu'importe si c'était absurde, leur histoire méritait de se battre pour elle. et tous les sacrifices que cela impliqueraient n'avaient guère peu d'importance à ses yeux. qu'était-ce, après tout, qu'une perte comparée à une vie entière de bonheur en compagnie de suwon ? absolument rien. et si cela sous-entendait devoir commencer en bas de l'échelle, alors qu'il en soit ainsi. tant qu'ils sont ensemble, rien ne lui paraissait insurmontable. « mon internat se termine fin mars.. » une éternité, s'il devait être honnête. une éternité où le temps passé loin de suwon se verrait ralenti. « si seulement c'était pas obligatoire, on aurait pu faire tout ce qu'on voulait, quand on le voulait » hélas, il n'y avait pas de place pour les si. ce n'était là qu'un nouvel obstacle qu'ils allaient devoir apprendre à franchir, ensemble. « mais bon.. maintenant on a quelque chose vers quoi se tourner » il sourit tendrement. un voyage vers busan... la fin de leurs études.. une vie qui s'apprêtait doucement à se dessiner devant eux. yanjun allait devoir faire preuve de patience. l'échec n'était plus une option. il se devait de réussir, pour suwon. il se devait de réussir, pour lui offrir ce dont on osa le priver jusqu'à présent.